Heureuse qui, comme Eunice, a fait un long voyage…
Pionnière de l’exploration spatiale, Eunice Akinya est allée loin pour construire le vaste empire industriel dont ses enfants et petits-enfants viennent d’héritier. Cet héritage, Sunday et Geoffrey s’en moquent. La première vit sa vie d’artiste sur la face cachée de la Lune, loin de l’influence du Mécanisme qui régit les Terriens. Le deuxième passe ses journées en Afrique, auprès d’un troupeau d’éléphants avec lequel il espère, un jour, pouvoir communiquer avec des mots. Mais au décès de leur grand-mère, frère et sœur découvrent un secret. Commence alors la saga des Akinya.
D’un bout à l’autre de la trilogie, on suit les héritiers d’Eunice, cette femme sévère, égoïste et peu présente, dont ils ne cesseront de chercher des traces à travers le Système solaire, et surtout au-delà. Eunice s’amuse à pousser ses descendants à aller là où personne, pas même elle, la vraie, n’est allé. Repousser les limites géographiques, spatiales, physiques, technologiques, mécaniques, humaines. Qu’ils soient indifférents ou curieux, ils iront : ce sont des Akinya.
Détaillons. L’époque de La Terre bleue de nos souvenirs n’est pas si lointaine de la nôtre. L’Afrique est un leader économique et politique incontesté ; la colonisation de l’espace connu est en bonne voie ; chaque individu est implanté et vit sous le contrôle du Mécanisme (un contrôle relatif bien loin du « Big Brother vous regarde » de 1984) ; les nanotechnologies accompagnent tous les gestes et communications du quotient ; les ascenseurs spatiaux rendent les trajets plus simples ; les connaissances en biotechnologies sont suffisantes pour allonger la vie des humains et les modifier pour qu’ils puissent vivre notamment sous l’eau. Ce décor semble familier, et c’est cette familiarité qui perturbe, ou révèle au contraire l’art de Reynolds à intégrer des concepts classiques et connus pour plonger son lecteur dans une réalité palpable et immersive, sans tomber dans le simple hommage à ses pairs. Car dans ce monde de tous les possibles, le lecteur, tout comme Sunday et Geoffrey, se demande si Eunice ne serait pas encore… en vie ?
Sous le vent d’acier nous propulse deux cents ans plus tard. Chiku, la fille de Sunday, a eu recours au clonage pour mener plusieurs projets. La première clone est à bord d’un holovaisseau parti coloniser une exoplanète, Creuset. La deuxième s’est lancée à la recherche d’Eunice. Quant à la troisième, elle con- tinue sa vie sur Terre où elle mène une existence simple. Mais simple, la vie d’une Akinya ne peut pas l’être. L’appel de l’espace, la nécessité de savoir, encore et toujours plus, de repousser les limites, encore, et encore, et encore… Tout comme le premier volume, la mise en place est longuette et seuls les événements à bord de l’holovaisseau attisent l’intérêt. Quant au plaisir de se sentir en terrain connu, il est passé, ne restent plus que les fils narratifs qui s’emmêlent, qu’on perd, puis qu’on retrouve plus tard après un saut dans le temps, et qui se terminent de façon peu satisfaisante…
Encore deux cents ans plus tard, Dans le sillage de Poséidon suit le même schéma d’ennui scénaristique, mais est sauvé par des personnages principaux et secondaires plus attachants que dans les tomes précédents. Des personnages qui, néanmoins, parlent encore beaucoup, et trop. Depuis la chute du Mécanisme, le système solaire vit sous le contrôle des Gardiens, des intelligences extraterrestres dont on ne sait rien. Kanu, le fils d’une des clones de Chiku, est un ancien ambassadeur. Humain, puis Aquatique, il est désormais considéré comme un paria, lui qui a été sauvé de la mort par des machines martiennes autonomes et intelligentes qui se nourrissent, se reproduisent, et dont l’humanité se méfie. Il fait corps avec Swift, une IA implantée par les machines, et décide de suivre un mystérieux signal en provenance d’un système solaire inconnu. Parallèlement, sur Creuset, Goma, la fille de Ndege, fille de Chiku, elle-même fille de Sunday (vous suivez ?) recherche elle aussi un mystérieux signal émis depuis une région non explorée de l’espace. Le final sauve l’ensemble, car il arrive enfin. Reynolds répond à toutes les questions, ou presque, et rappelle à son lecteur que s’il fut indéniablement trop long, le voyage fut également beau.