Le Ressac de l'espace
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Initialement paru en 1962 dans la collection « Le Rayon fantastique » et récompensé par le prix Jules Verne, Le Ressac de l’espace, de Philippe Curval, connaît une nouvelle existence éditoriale grâce à La Volte.
À la suite de l’ère des « Grands Embrasements », une série de désastres sociaux, guerriers et environnementaux ayant ravagé la majeure partie de la Terre, ce qu’il demeure du genre humain a trouvé refuge dans huit villes préexistant à l’Armageddon, parmi lesquelles Londres et Paris. Sur les centres historiques de celles-ci se sont bientôt dressées de cyclopéennes « falaises d’habitation » destinées à abriter les populations à nouveau croissantes des « derniers bastions d’une civilisation défunte ». Car si l’humanité a réussi à se prolonger physiquement, c’est au prix de son âme. Ceux vivant dans ces falaises d’habitation ne jouissent d’une très confortable sécurité qu’à condition de renoncer à leur individualité, pour se fondre dans un « collectif programmé ». Face à cette masse ayant cédé à ces futuristes délices de Capoue, demeure dans les « archépoles » (ainsi nomme-t-on les cœurs anciens des mégapoles-refuges) une minorité « obstinée à perpétuer les traditions de la liberté […], le goût de l’activité artistique, le souci de laisser s’épanouir toutes les idées nouvelles ». C’est à ce dernier carré de femmes et d’hommes libres qu’appartient Jacques Dureur. Notre protagoniste s’est fait astronaute, se saisissant ainsi de l’ultime opportunité d’aventure ménagée par l’ordre conformiste des mégapoles, celle qu’offrent les voyages interstellaires à destination des colonies sises sur Mars, Jupiter et Vénus. C’est lors de l’un de ses périples dans le système solaire que Dureur fait la rencontre de l’extraordinaire, en la personne (si tant est que le terme fasse ici sens) de Linxel, représentant des Txalqs. Soit une espèce extraterrestre privée de planète propre mais dotée, entre autres pouvoirs, d’une puissance psychique hors-normes. C’est en usant de cette dernière que les Txalqs s’assurent la domination des peuples découverts au hasard de leur éternelle errance cosmique. Usant d’une singulière stratégie parasitaire, les Txalqs procurent à ceux qu’ils soumettent une félicité psychique telle que leur aliénation en devient le plus enviable des états. Ainsi en ira-t-il de la Terre après que Linxel y a été (imprudemment) amené. Constituant une proie idéale pour le « soft power » des Txalqs, la moutonnière humanité ne devra désormais son salut (auquel elle n’aspire en réalité guère) qu’à une poignée de résistants emmenés par Dureur… La peinture de l’étrange conflit ainsi déclenché permet à Philippe Curval de travailler plus avant le motif de la servitude volontaire, thème central de ce roman spéculatif. Un livre qui acclimate à son imaginaire SF, entre autres influences théoriques, l’anarchisme individualiste de Max Stirner (dont Curval a été le lecteur) et le Surréalisme pour lequel l’auteur professe son admiration. Stimulant lorsqu’il conçoit une déclinaison douce de la domination usant du plaisir plutôt que de la contrainte, Le Ressac de l’espace peine cependant à réellement convaincre. D’un ton au sérieux inébranlable, écrit d’une plume policée jusqu’à en être châtiée, le roman affecte une forme d’un trop sage classicisme, neutralisant in fine la portée d’un propos se voulant pourtant radicalement subversif…