Loin de la lumière des cieux
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Michelle « Shell » Campion a toujours rêvé d’être astronaute. Dans ce futur lointain, embrasser pareille carrière peut aussi advenir au sein d’une entreprise de transport intersidéral. Telle celle ayant affrété le Ragtime, une nef spatiale dont Shell est nommée commandante en second à l’orée du roman. Ne se contentant pas de desservir notre seul système solaire, les privés et interplanétaires vaisseaux de Loin de la lumière des cieux transportent leurs passagers et marchandises bien au-delà de l’espace connu. Et ce grâce à la maîtrise du « voyage relativiste », qui implique celles de l’« État-de-Rêve » – désignation poétique du coma artificiel et décennal dans lequel sont plongés les voyageurs – ou d’IA capables d’amener en parfaite autonomie un vaisseau à bon port… ou plutôt à bonne exoplanète. Puisque c’est en direction de Sang-Dragon, un astre plus que lointain où cohabitent colons humains et autochtones aliens (les « Lambres »), que le Ragtime doit acheminer son millier de passagers et passagères. Mais une fois parvenue dans l’orbite de Sang-Dragon et libérée par l’IA du Ragtime de son État-de-Rêve, Shell découvre que la croisière intersidérale ne s’est pas tout à fait déroulée comme planifié. Trente-et-une des personnes embarquées sur Terre manquent désormais à l’appel…
Placé dès ses premières lignes sous le signe référentiel de Double assassinat dans la rue Morgue de Poe, Loin de la lumière des cieux s’affirme alors comme la relecture futuriste d’une classique énigme en chambre close, que Shell s’efforce de percer. Elle est aidée en cela par Salvo, un enquêteur venu de Sang-Dragon, et Fin, son assistant androïde. Shell sera encore épaulée par Lawrence, le gouverneur de Lagos (non pas la capitale du Nigéria, mais une base spatiale par laquelle transita le Ragtime), ainsi que par Joké, la très singulière fille de Lawrence. L’atypique équipe de limiers ne va cependant pas avoir à seulement affronter les mystères du Ragtime. Théâtre de dysfonctionnements à répétition, d’abord inquiétants, puis homicides, le vaisseau se mue en piège létal, mâtinant le whodunit astronautique de survival spatial…
Et ce ne sont en réalité là que quelques-uns des nombreux motifs narratifs dessinant la complexe marqueterie générique de Loin de la lumière des cieux. Inscrivant (on l’aura compris) son roman dans le champ de la hard SF la plus orthodoxe, l’auteur afro-britannique qu’est Tade Thompson va aussi puiser dans le registre de l’afrofuturisme, en mariant les cultures nigériane et yoruba au space opera. Le psychiatre de métier qu’est par ailleurs l’écrivain fait encore de son livre une illustration des effets mentaux du trauma. Certainement foisonnant, l’imaginaire déployé par le roman manque cependant un peu de rigueur narrative pour tout à fait convaincre. Initialement intrigant en diable, le mystère des disparus du Ragtime se dilue dans les aventureux remous du survival. D’une construction perfectible, Loin de la lumière des cieux n’en est pas moins un livre attachant. Notamment grâce à un art de la caractérisation des personnages d’une empathique finesse, que Tade Thompson met au service d’un propos à la fois humaniste et politique. Car avec Loin de la lumière des cieux, c’est un roman généreux à plus d’un titre que propose là l’auteur de « Molly Southbourne ».