Nés pour être damnés
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Nés pour être damnés est le premier roman (du moins publié) du Marocain Jamal Benbrahim, par ailleurs auteur de Al-Moun-tadar, un recueil de nouvelles paru en 2016 chez Edilivre. Alléchant de prime abord par son titre étrangement référentiel, l’ouvrage attire tout autant par son propos semblant dessiner une contrée inédite et intrigante dans le paysage de l’Imaginaire. Nés pour être damnés narre la très extraordinaire destinée d’un Algérien âgé d’une trentaine d’années au mitan des années 1990. Rien de très remarquable a priori chez ce modeste employé des chemins de fer algériens, marié et père d’un enfant, lorsque s’ouvre le livre. Comme nombre de ses compatriotes, il tente de survivre dans une Algérie en proie à la crise économique ainsi qu’à la guerre civile opposant les forces gouvernementales et celles du Groupe Islamique Armé. Soit autant de très prosaïques difficultés auxquelles le protagoniste de Nés pour être damnés va apporter une réponse tout à fait hors-normes. Mettant à profit sa passion pour « les films diaboliques, les mythes, les superstitions, l’Apocalypse… », l’homme va présenter son second enfant tout juste né comme le futur tueur de l’Antéchrist. Utilisant qui plus est au mieux les potentialités virales du Net, il attire bientôt à lui adorateurs comme adversaires du Sauveur ultime de l’humanité, venus du monde entier. Mais ce qui ne semble d’abord être qu’une forgerie sectaire se mue bientôt en une aventure fantastique. Forts d’authentiques pouvoirs surnaturels, le père et le fils prodiges les déploient dès lors en une odyssée à travers l’espace et le temps. Allant de l’Algérie au Royaume-Uni, ou bien encore de l’Irak à la France, Nés pour être damnés déroule son récit empreint d’ironie jusqu’à nos jours, y intégrant ainsi la guerre en Syrie et l’attentat du Bataclan. Et il ne s’agit là que de quelques-uns des événements de l’histoire récente que le livre soumet à sa relecture fantasmagorique et sarcastique.
Certainement séduisant quant à son projet — offrir un point de vue décentré, à plus d’un titre, sur les rapports contemporains entre l’Occident et le monde arabo-musulman —, Nés pour être damnés déçoit malheureusement quant à sa facture littéraire. Faisant de l’ellipse son principal outil d’écriture, Jamal Benbrahim ne maîtrise celle-ci qu’imparfaitement. Si son écriture allusive participe non sans efficacité de la tonalité humoristique du roman, elle peine en revanche à camper une narration cohérente. Passées la relative continuité des quelques pages introductives, les hiatus temporels et spatiaux se multiplient et s’entrechoquent jusqu’à la confusion. L’ouvrage, il est vrai, ne compte qu’une petite centaine de pages imprimées en caractères de belle taille… Peut-être Jamal Benbrahim aurait-il été plus avisé de s’engager dans la voie du roman plutôt que dans celle de la novella pour embrasser un sujet aussi dense que les relations entre Occident et Orient.