La Guerre des bulles
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Dans ce petit village isolé du reste du monde par des montagnes, la situation va de mal en pis : les réserves d’eau baissent régulièrement et les adultes semblent incapables de résoudre ce problème. Les enfants décident donc de prendre les choses en main. Ils organisent la prise de pouvoir de la communauté et cantonnent leurs parents au rôle de simples exécutants. Pour asseoir leur autorité, ils peuvent compter sur la puissance des bulles, magiques en quelque sorte. Le délégué du bourg en fait les frais : il sert d’exemple et passe de vie à trépas sans même s’en rendre compte. Le voilà devenu fantôme, condamné à suivre les évènements en spectateur. Mais la discipline implacable exigée par le chef du groupe d’insurgés, Gao Ding, autoproclamé général, ne va pas nécessairement suffire à gérer tous les problèmes rencontrés. Car même si les adultes se montraient inefficaces, ce n’était pas uniquement leur faute. L’eau reste un souci permanent, lié à la météo. Et les attaques fréquentes des chiens sauvages n’aident en rien les nouveaux dirigeants dans leur tentative de rationalisation du bien public.
Entrer dans La Guerre des bulles demande quelques efforts tant l’univers décrit est déconcertant de prime abord. Dès les premières pages, on est cueilli par des bulles aux pouvoirs suggérés, par des fantômes aux manifestations bien éloignées des apparitions écossaises, par des clébards à l’intelligence dérangeante. Ajoutez à cela un vieillard et ses chiens, une sorcière et ses pains aux puissants pouvoirs… le lecteur en prend plein la tête, saoulé d’exotisme. D’autant que, de surcroît, Kao Yi-Feng joue de la subtilité de sa langue. Et même si le traducteur, Gwennaël Gaffric, n’a pu, de son propre aveu, rendre toutes les finesses de ces jeux du fait de la rigidité de la langue française, les enchainements de phrases, d’idées peuvent surprendre ; certaines inventions font d’ailleurs écho à celles des surréalistes ou de l’OULIPO, comme ces champignons « cuisses-de-poulet » sautillant dans les cours pour finir par devenir de véritables volailles. Pourtant, une fois ce choc initial passé (une petite centaine de pages, quand même…), la poésie baignant ce roman entre en action. Le sort de cette cohorte d’enfants prend une importance considérable. L’affrontement avec la meute des chiens sauvages, par sa violence, parfois, émeut et inquiète.
Le résumé de ce deuxième roman de l’auteur taïwanais ne sera pas sans rappeler Sa majesté des mouches, l’immense classique de William Golding — une communauté d’enfants sans adulte pour la guider. D’autant que les rapports de force, les liens entre enfants, calqués sur ceux des adultes, sont bien au centre de La Guerre des bulles. Les tensions pointent au sein du groupe, puis se renforcent à mesure de la narration. Mais la situation, subie chez Golding, est voulue chez Yi-Feng. Et surtout, le fantastique fausse la donne. Le cadre, quasi onirique, possède une importance capitale dans ce roman dépaysant et ô combien recommandable. Gageons que les lecteurs de SFFF, rompus aux habitudes bousculées, aux certitudes ébranlées, sauront profiter de cette virée haute en couleurs dans un univers envoûtant.