Station Eleven
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Toronto, bientôt. Victime d’un infarctus, le célèbre acteur Arthur Leander s’effondre sur scène en pleine représentation du Roi Lear. En dépit des efforts de Jeevan, un secouriste présent dans le public, il meurt sous les yeux de Kirsten – 8 ans, sa partenaire dans la pièce –, « échappant » ainsi à la pandémie de grippe qui, dès le lendemain, embrase la planète et tue en peu de semaines presque toute l’humanité. Vingt ans après, dans un monde en ruines, La Symphonie Itinérante – groupe de survivants à la fois troupe de théâtre et orchestre – parcourt le Michigan en jouant de communauté en communauté. Entre un monde qui se souvient, un monde qui oublie, un monde qui ignore et un monde qui sombre, difficile de rester humain. La culture peut y aider. C’est en tout cas le crédo de la troupe : « Parce que survivre ne suffit pas. » Une troupe dont Kirsten fait partie. Et là, on sent venir le problème. Oscillant entre les trente années précédant la catastrophe et les vingt années qui la suivent, le roman – vendu comme post-apo’ – compte au moins autant de pages pré-grippe que post-grippe.
Pré-grippe : la vie et l’œuvre de Leander. Ses débuts, son succès, ses mariages, ses divorces, Hollywood, la presse people, les paparazzis, etc. Qu’en tire-t-on ? Quelques banalités sur l’importance de ne pas vivre une vie non désirée, de devenir qui on est, et d’atteindre enfin à la simplicité comme épiphanie.
Post-grippe : on est bien après les évènements. Si quelques nuisibles trainent encore, les troubles sont finis. Cheminant au milieu des vestiges d’une civilisation que les plus jeunes n’ont pas connue, la troupe connait le danger mais rien qu’elle ne peut gérer. Ses problèmes normaux, le roman le dit, sont ceux de tout groupe humain : jalousie, médisance, énervement. Et puis il y a ce Musée de la Civilisation, installé, paraît-il, à l’aéroport de Severn City, vers lequel se dirige la Symphonie et d’où viendrait, c’est surprenant, l’inquiétant prophète qui la poursuit.
Prix Arthur C. Clarke 2015, Station Eleven bénéficie d’une très bonne presse. Rien d’étonnant tant c’est romanesque au mauvais sens du terme. Enchevêtrement de destins qui se croisent avant et après la catastrophe (si on aime Molière et ses retrouvailles improbables, on adorera), passage de témoin par le biais d’objets transmis et retransmis par-delà les années de personnage en personnage, univers familier et clinquant avant, monde jamais stressant après, histoires d’amour qui finissent mal, importance de bien choisir sa voie sans se perdre en chemin, rédemption par la parentalité, fut-elle de substitution, rien ne manque. De personnages sans nom (le gros de la troupe) en situations émotionnellement convenues, le roman offre un plat voyage en terre inconnue qui ne risque jamais de déstabiliser le lecteur. Même les pages dans lesquelles la civilisation s’éteint un morceau après l’autre, qui devraient nous terroriser, sont plus stressantes dans La Terre demeure de George R. Stewart, et bien plus émouvantes dans le Bone Clocks de David Mitchell ; d’autant qu’à la fin on sent bien que les choses vont finir par s’arranger.
Si j’avais dû offrir un post-apo’ à ma grand-mère, qui n’aimait ni le sexe ni la violence et lisait assidûment Jours de France, je lui aurais offert Station Eleven.