Le Sang des Immortels
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Voilà une réédition qui devrait rappeler quelques souvenirs aux lecteurs du Fleuve Noir du siècle dernier. Ceux qui suivaient la collection « Anticipation » dans les années 90 se souviennent probablement des débuts de Laurent Genefort à cette époque, débuts parfois calamiteux (un premier roman illisible en 1988, Le Bagne des ténèbres, qui s’apparente plutôt à un faux départ), souvent laborieux. Pendant plusieurs années, en véritable stakhanoviste du clavier, l’auteur a produit à la chaîne toute une série de récits d’aventures, reposant souvent sur de bonnes idées, mais toujours plus ou moins bancals, mal foutus, mal écrits, et engoncés dans les 192 pages réglementaires de la collection comme un rugbyman dans un costume de premier communiant. Opiniâtre et imperturbable, le romancier a continué à faire ses gammes, à progresser de livre en livre, jusqu’à trouver enfin son propre style et faire taire définitivement ses détracteurs. Dans les dernières années de la décennie, on lui doit ainsi une série de romans qui, s’ils n’étaient sans doute pas exempts de tout reproche, avaient en commun de mettre en scène avec un authentique souci de vraisemblance scientifique des environnements singuliers et extrêmes où tentaient de survivre une poignée d’hommes : le monde gazeux des Croisés du vide (1998), la planète en constante fusion de Dans la gueule du dragon (1998), ou celle en cours de terraformation des Engloutis (1999). Initialement paru en 1997, Le Sang des immortels, avec sa jungle cauchemardesque, est l’un des meilleurs romans de cette période.
L’intrigue est des plus classiques : un groupe hétéroclite se rend sur la planète Verfébro à la recherche du Drac, une créature mythique, immortelle si l’on en croit les légendes locales. Chaque membre de cette expédition à ses propres raisons pour trouver le Drac : pour Nemrod, le chasseur, ce n’est qu’un trophée de plus à afficher à son palmarès ; pour Liaren, l’ethnologue, un sujet d’études ; Affer, le mercenaire, travaille pour le compte d’un mystérieux commanditaire ; quant à Jok, le prêtre défroqué, il espère s’emparer du secret de l’immortalité afin de devenir le dieu de son propre culte. A ces quatre individus vient s’ajouter Jemi, le guide autochtone à travers le regard duquel on découvre tout ce petit monde. Pris séparément, ces divers personnages peuvent sembler assez stéréotypés, mais la dynamique de groupe fonctionne bien. Entre ces protagonistes aux origines et aux motivations fort différentes et souvent contradictoires, la tension est permanente, et la nécessité de collaborer pour parvenir à leur objectif n’interdit pas de temps à autre quelques coups fourrés. Mais les dangers les plus menaçants viennent de l’extérieur, notamment des rebelles indépendantistes lancés à leurs trousses et bien décidés à les intercepter avant qu’ils n’atteignent leur but. Et surtout, le long périple dans lequel se lance cette équipe n’a rien d’une balade en forêt de Fontainebleau mais se déroule dans un environnement particulièrement hostile.
C’est dans la description et la mise en scène de la faune et de la flore de Verfébro que Laurent Genefort fait des merveilles et que le roman devient passionnant. Le lecteur se trouve en immersion totale et permanente dans un univers foisonnant, exubérant, au cœur d’une jungle qui s’étend sur l’ensemble de la planète, recouvrant tout, y compris ses mers. On assiste alors au déferlement ininterrompu d’un flot de créatures et de végétaux aussi étranges que mortels, en lutte permanente contre toute autre forme de vie pour tenter de survivre. A l’imagination débridée dont fait preuve l’auteur s’ajoute un louable souci de réalisme dans la description qu’il nous fait de cet univers. Pour l’essentiel, le récit consiste en une succession de scènes au cours desquelles les personnages tombent dans un nouveau piège que leur a tendu la nature et passent à deux doigts de la mort. En toute logique, le procédé devrait vite lasser. Mais Laurent Genefort fait preuve d’une telle inventivité que ce n’est jamais le cas, ce qui en soit constitue déjà un joli succès. Cerise sur le gâteau, il parvient à boucler son récit de manière tout à fait convaincante, une fin d’où n’est pas absente une forme d’ironie des plus cruelles.
Même si on reste dans le registre du récit d’aventures, même si son intrigue linéaire et ses enjeux limitent l’ampleur du roman, Le Sang des immortels n’en est pas moins une indéniable réussite, qui méritait bien d’être redécouverte.