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Aliens, mode d'emploi

Critique commune à Points chauds et Aliens, mode d'emploi.

Le nouveau roman de Laurent Genefort repose sur une idée tellement simple qu’il lui suffit de quelques paragraphes en début de livre pour nous l’exposer : à partir de 2019 commencent à apparaître un peu partout sur Terre des portails, très vite baptisés les Bouches, des trous de ver reliant de lointaines planètes à la nôtre, variante plus « terre à terre » des portes de Vangk qui parsèment l’œuvre de l’auteur, et d’où vont surgir par millions des extraterrestres de toutes sortes et de toutes formes. La plupart d’entre eux ne ressemblent en rien aux aliens belliqueux que l’on croise si fréquemment dans la sci-fi. Au contraire, ce sont le plus souvent des créatures paisibles et nonchalantes, et si leur fréquentation peut parfois s’avérer dangereuse, c’est surtout parce que certaines espèces ont une fâcheuse tendance à émettre des vapeurs toxiques pour l’homme en guise de bonjour, ou qu’on se sera frotté de trop près à un représentant de telle race dont le corps est couvert d’épines. Les accidents sont toujours possibles.

Même si le comportement de ces aliens ne présente pas une menace directe pour l’humanité, les autorités se retrouvent pourtant très vite totalement démunies face à un tel afflux et une telle diversité, et certains gouvernements vont prendre des mesures extrêmes à leur égard. Nombre de communautés extraterrestres vont également devenir la cible de diverses organisations, sectes et autres groupes mafieux, qu’ils considèrent ces immigrés comme une main d’œuvre corvéable à merci ou qu’ils espèrent tirer profit de la crainte que ces êtres suscitent au sein d’une bonne partie de la population. De ce point de vue, Laurent Genefort dresse un portrait peu flatteur des comportements humains.

Le romancier a intégré dans Points chauds la nouvelle « Remparts », parue il y a deux ans dans ces pages (n°58), et dans laquelle on découvrait cet univers du point de vue d’un militaire, Léo, membre de Rempart, la force internationale chargée d’intervenir chaque fois que la présence d’aliens parmi des populations humaines menace de dégénérer en conflit. Mais Laurent Genefort élargit son champ d’action en donnant la parole à des personnages très différents, dont les récits vont se croiser sans jamais se recouper. Il y a Prokopié, membre d’un peuple nomade de Sibérie, les Nénètses, qui décide d’accompagner une tribu alien dans sa traversée du Grand Nord ; Camila, médecin dans une ONG autorisée à venir en aide aux extra-terrestres victimes de milices en Afrique ; et Raji, un scientifique chargé d’interroger un couple de Corcovados dans un laboratoire de Berne. Tous vont, à des degrés divers, être les témoins de scènes dramatiques, d’exactions ou d’humiliations à l’encontre des aliens. Pourtant, malgré cette violence permanente dans laquelle baigne le roman, Laurent Genefort ne perd jamais tout à fait foi en l’Homme, et l’on trouve aussi dans Points chauds de beaux moments d’humanité, à l’image de cette petite annonce d’une jeune femme qui, lassée par la fréquentation de ses congénères, espère trouver l’âme sœur parmi les extraterrestres.

Les héros que met en scène Laurent Genefort ont en commun une même curiosité, une même volonté de remettre en question leurs certitudes, de se débarrasser de leurs préjugés pour se confronter à cette altérité qui caractérise les aliens, de s’interroger sur leur propre humanité à travers le regard de ces êtres à la fois si lointains et si proches, de se redéfinir à leur aune. Un début de transformation qui va trouver son point culminant dans un dernier chapitre bouleversant, lumineux, qui donne un éclairage profondément optimiste à l’ensemble de l’œuvre. Le genre d’émotion que ne procurent que les plus grandes œuvres de la science-fiction, et dont Points chauds fait incontestablement partie.

On retrouve la même philosophie à l’œuvre dans Aliens mode d’emploi, livre sans doute plus anecdotique mais pas moins agréable à lire. S’inspirant dans la forme du Guide de survie en territoire zombie de Max Brooks ou du plus récent Survivre à une invasion robot de Daniel H. Wilson, il se distingue de ces œuvres par sa tonalité moins belliqueuse, plus espiègle aussi. On y trouve certes quelques conseils pour ne pas succomber en cas de rencontre avec un alien hostile, mais ils occupent moins de place que ceux visant à vivre en bonne entente avec eux, voire à entretenir des relations intimes avec un Usuralyn hermaphrodite ou quelque autre espèce dont les organes reproducteurs vont se nicher dans des endroits insoupçonnés. Dans un registre pince-sans-rire des plus réjouissants, Laurent Genefort s’amuse à multiplier les situations incongrues et les mœurs extraterrestres les plus étonnantes. Le résultat se lit d’une traite, le sourire aux lèvres.

Jennifer Strange, dresseuse de quarkons

Et c’est à nouveau sous une couverture à côté de la plaque (et accessoirement — ou pas — sous un titre français plus qu’approximatif) que le Fleuve noir publie, dans sa collection young adult « Territoires », le deuxième tome de la trilogie « Jennifer Strange » de l’excellent Jasper Fforde.

Le premier tome, Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons (critique in Bifrost 63), était tout à fait sympathique, même si l’on pouvait en sortir un brin déçu eu égard aux attentes générées sur un écrivain de la trempe de Jasper Fforde, qui a su nous régaler notamment avec sa fameuse série des « Thursday Next », ou, plus récemment, avec « La Tyrannie de l’arc-en-ciel » (cf. Bifrost 66). On sentait en effet la différence de public visé, ce qui se traduisait par un délire moindre, plus contrôlé.

Avec ce deuxième tome, toutefois, on a rapidement l’impression que l’auteur ouvre les vannes, et s’autorise cette fois tous les excès dans le but premier de susciter le rire. C’est donc très vite avec un grand plaisir que nous retrouvons les Royaumes Désunis, et plus précisément le royaume de Hereford.

L’enfant trouvée Jennifer Strange y dirige toujours, en l’absence du Grand Zambini, l’agence magique Kazam. Et, depuis ses exploits du premier tome, qui ont eu une influence sans pareille sur la magie mondiale (l’énergie sorciérique, ou « crépite »), on peut dire qu’elle ne chôme pas. Néanmoins, elle doit faire face à la concurrence acharnée d’iMagie (oui, parce que tout est tellement plus cool précédé d’un « i »), l’autre agence, dirigée par l’Etonnant Blix, qui se donne du Tout-Puissant Blix, mais parvient difficilement à faire oublier qu’il est le petit-fils de Blix le Hideusement Barbare. Il y a beaucoup de contrats à la clé, dont celui, particulièrement juteux, de la réactivation du réseau de téléphonie mobile… et tous les coups sont permis dans cette lutte de pouvoirs. Kazam se retrouve bientôt dans une fâcheuse situation, alors même que le différend entre les deux entreprises doit se solder par un tournoi de magie.

Accessoirement, un quarkon rôde dans les environs, qui pourrait être le double de celui que Jennifer Strange a perdu en Dragonie. Ah, et puis il y a aussi cette histoire d’anneau maudit — mais ça n’a probablement aucune importance, n’est-ce pas ?

Sans oublier l’élan transitoire.

Jennifer Strange, dresseuse de quarkons s’inscrit résolument dans la foulée de son prédécesseur. Aussi en reproduit-il largement tant les défauts que les qualités. On notera cependant (et pourquoi pas en bas de page, procédé dont l’auteur use et abuse pour notre plus grand plaisir) que, dans ce roman sans véritable trame générale — ou disons qu’elle reste discrète —, le délire est plus franc, et s’exprime dans une succession de gags tous plus improbables les uns que les autres.

Parallèlement, Jasper Fforde garde à l’esprit qu’il s’adresse à un public prétendument adolescent, et son art se plie aux contraintes nécessaires de ce cœur-de-cible. Mais sans que cela devienne jamais ennuyeux pour un lecteur plus âgé.

Au final, et même s’il n’est pas sans défauts, Jennifer Strange, dresseuse de quarkons convainc en fait davantage que le premier tome — grâce à ses héros sympathiques, ses méchants insupportables d’arrogance, et surtout cette ambiance générale de joyeux délire s’exprimant dans un cadre de fantasy uchronique tout à fait enchanteur (et un brin, juste un brin, subversif). C’est donc une lecture des plus agréables, même si l’on n’en fera pas un achat indispensable.

Avilion

Le cycle de « La Forêt des mythagos » est assurément le grand-œuvre du regretté Robert Holdstock, et figure d’ores et déjà parmi les classiques de la fantasy. Avilion, écrit et publié bien après les volumes précédents, est le cinquième — et ultime… — roman prenant place dans le bois de Ryhope, et il vient en quelque sorte boucler la boucle, puisque les événements qui y sont rapportés sont les conséquences directes de ce qui nous fut conté dans le premier tome du cycle (lecture préalable indispensable).

Petit retour en arrière : le bois de Ryhope, en Angleterre, est un vestige de la forêt primordiale, inchangé depuis l’ère glaciaire. Plus grand à l’intérieur qu’il n’y paraît à l’extérieur, il abrite tout un monde fascinant de créatures et personnages mythiques générés par l’inconscient, les fameux « mythagos », ainsi que les a baptisés George Huxley après toute une vie de recherches passionnées les concernant.

Les héros de cet ultime volet sont Yssobel et Jack, les enfants de Steven Huxley, victorieux de son frère Christian, et de la princesse celte Guiwenneth pour laquelle ils se sont affrontés. Les enfants sont donc pour moitié humains et pour moitié mythagos, partagés en-tre le Sang et la Sève : Yssobel a son côté « rouge » et son côté « vert », quand Jack parle de — et avec — son « fantôme ».

Tous deux ont longtemps vécu avec leurs parents dans une villa romaine en plein bois de Ryhope. Mais le départ inopiné de Guiwenneth mettra fin à cette vie calme et heureuse. Yssobel se lance sur les traces de sa mère — mais tout autant, en fin de compte, sur celles de son grand-père maternel Peredur, le vieux roi, et de son oncle paternel Christian, ressuscité à la tête de l’armée intemporelle Légion — et cherche donc à se rendre en Avilion, au cœur de la forêt, que l’on connaissait jusqu’à présent sous le nom de Lavondyss. Jack, de son côté, attiré par la lisière du bois, pense trouver auprès de son défunt grand-père George, dans la vieille demeure d’Oak Lodge, les réponses qui le mettront sur la trace de sa sœur.

Ce double voyage en sens inverse est ainsi le point de départ du roman, qui emprunte largement les traits d’une saga familiale sur trois générations. Mais cette saga, qui pourrait se jouer uniquement sur le mode intimiste, vire à l’épopée en se confrontant, dans les bois, à la légende arthurienne ou encore à L’Odyssée. Et le résultat, pour déconcertant qu’il soit au premier abord — malgré la petite musique familière qui se met très tôt en place, avec le récit des aventures de Jack « à l’extérieur » —, est à la hauteur des attentes du lecteur qui s’était régalé avec les quatre volumes précédents. Avilion vient ainsi parachever le complexe édifice de « La Forêt des mythagos » de la manière la plus subtile, en jouant sur une multitude de registres.

Le roman brille à tous points de vue : écrit dans une langue impeccable, il est riche de personnages complexes et attachants — Yssobel et Jack au premier chef, mais ils ne sont pas les seuls —, et parvient à renouveler utilement les thématiques développées dans les volumes précédents. Le voyage en Avilion, quête des origines envisagée sous l’angle familial, se révèle ainsi, une fois encore, une brillante incursion dans le bois de Ryhope, aussi fascinante qu’intelligente, comme il se doit, et il y a fort à parier que l’amateur de l’œuvre de Robert Holdstock ne sera pas déçu par ce roman qui a pris bien malgré lui une forme testamentaire. On y retrouve en effet tout ce que l’on a pu apprécier auparavant dans le cycle, sans que l’auteur ne se répète véritablement pour autant — ce qui, en soi, relève déjà du tour de force.

Ce roman « approfondi » véhicule ainsi toute une gamme de sensations et de réflexions autrement plus subtiles que les lieux communs de la « big commercial fantasy », dont il constitue en quelque sorte l’antidote. On le louera pour sa finesse, son astuce, sa délicatesse aussi, qui en font le brillant témoignage d’un écrivain au sommet de son art. Lecture chaudement recommandée, même si elle ne saurait donc être envisagée isolément.

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