Winterheim
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Douze ans après la parution de son premier tome, la trilogie de Fabrice Colin est enfin réunie : Le Fils des ténèbres, La Saison des conquêtes et La Fonte des rêves ne font ici plus qu’un avec Winterheim. Comme l’annonce la préface (courte, mais lucide et pleine d’enseignements), c’est bien à la chute des dieux que nous assistons dans ce triple roman. Malgré leur promesse, ceux qu’on appelle les Faeders n’ont pas abandonné le royaume de Midgard aux humains. Ils ne peuvent s’empêcher d’y revenir, d’intervenir, de comploter, d’utiliser les hommes selon leur bon vouloir. Mais tout a une fin. Un jour, un jeune garçon va se dresser contre eux, contre leur pouvoir, contre ce monde vieillissant qui doit disparaître. Il va peu à peu apprendre son rôle, l’accepter et l’assumer.
Même si c’est la lecture du livret de L’Anneau des Nibelungen de Wagner qui a servi de déclencheur, Fabrice Colin n’a heureusement pas conservé le côté grandiloquent de cette œuvre. En revanche on retrouve tout au long des pages l’inexorabilité, l’impossibilité d’échapper à un destin que tout le monde connaît, tout le monde attend ou combat. Sauf le naïf Janes Oelsen, héros malgré lui, aveugle volontaire, uniquement préoccupé par sa survie et son amour pour la belle et divine Livia. La question n’est pas de savoir où l’on va, mais comment on y va. Chaque personnage joue sa partition avec plus ou moins de résignation. Certains se battent, malgré tout, sacrifient leurs proches, leur entourage. Mais rien n’y fait. La prophétie doit arriver à son terme.
Cette face inéluctable peut en rebuter certains. Mais se douter de l’issue, savoir comment cela va se terminer (ce n’est pas un spoiler, l’auteur lui-même, dans sa préface, nous l’annonce) ne gêne en rien la lecture de cet ouvrage. On suit avec intérêt et curiosité le cheminement de Janes : comment il va peu à peu prendre conscience de son originalité, puis de son destin. Certes, on peut le trouver par moments fade et obtus. Comment reste-t-il aveugle à tous les signes, à toutes les évidences ? Selon Fabrice Colin, « c’est une sorte de martyr et donc, par définition, quelqu’un d’assez lisse, comme Tintin ou Jésus ou J’on le Chninkel. […] Disons qu’il ne baisse pas la tête, que ce n’est pas le genre de type à renoncer. Un idéaliste sans idéologie, en somme : il sait juste qu’il est amoureux et qu’il ne veut pas crever. »1
Une autre richesse de ce roman réside dans le monde créé : les paysages prennent vie sous les mots de l’auteur. En même temps qu’il les détruit. Les royaumes traversés par Janes et ses compagnons, grandioses et oniriques, apparaissent devant le lecteur avec évidence. Les consonances familières de certains noms, inspirés des mythologies nordiques, rendent l’immersion encore plus simple, plus directe. Tout comme les personnages, croqués avec gourmandise. Ils se dressent dans ce théâtre d’ombres aux rôles bien définis. Certains, abandonnés en cours de route, comme le Grand Toqué, réapparaissent dans la troisième partie. On les accueille avec plaisir, tant leur truculence, leur force est réjouissante.
Cependant, malgré les coupes réalisées pour cette édition « définitive » de ce qui s’apparente tout de même à une œuvre de jeunesse, des longueurs subsistent encore dans la narration. Midgard semble s’accrocher à la vie avec trop de force. Ce qui n’empêche pas de peiner à abandonner Janes dans cet univers que, décidément, il ne comprend pas. On veut aller avec lui jusqu’au bout, jusqu’à cette destruction annoncée d’un monde. Destruction qui sera longue et cruelle, douloureuse et lente. Mais nécessaire à l’avènement d’un nouvel univers libéré de la tyrannie des dieux.
Un agréable moment de fantasy.
Note :
1. Source.