Graceling
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[Critique commune à Graceling et Rouge.]
Les Sept Royaumes. Ses stéréotypes insipides, son univers en carton pâte, ses périls risibles. Au secours ! est-on tenté de crier dès la première page. Et pourtant, pas moins de deux livres pesant environ 400 pages chacun s’annoncent sans tambour ni trompette. Fort heureusement, l’ensemble est écrit très gros et l’on peut sauter une ligne sur deux, voire plus, sans craindre de perdre le fil.
Toutefois, le problème reste entier : comment résumer l’intrigue de deux romans dont le propos tiendrait à l’aise sur un ticket de métro ? Comment cacher l’accablement provoqué par la lecture conjointe de Graceling et de Rouge ? Peut-être en évoquant les illustrations de couverture de ces deux choses, vagues essais de style pompier pour fillettes ayant le feu au cul. Hélas, même ces images sans âme rendent justice aux histoires qu’elles habillent. Mais le temps nous est compté, il faut essayer tout de même de cerner l’ampleur du désastre.
Les Sept Royaumes abritent en leur sein une catégorie à part : les gracelings. Des êtres d’exception, pourvus d’un don, une sorte de superpouvoir, et reconnaissables à leurs yeux vairons. Katsa est l’une d’entre eux. La jeune femme jouit d’un talent qui fait d’elle une tueuse infatigable et irrésistible. Utilisée par son oncle pour assassiner ses ennemis et châtier les récalcitrants, elle a toujours obéi sans état d’âme aux ordres de son parent, même si dernièrement sa conscience la titille quelque peu. Mais Katsa a aussi des hormones qui bouillonnent, et de sa rencontre avec le prince Po (pas de bol) va naître une idylle romantique (comprendre sans sexe explicite). A vrai dire, Po va surtout lui montrer qu’elle peut faire autre chose que tuer de ses dix doigts. Que les cœurs d’artichauts se rassurent. On est bien loin du Kama Sutrâ. Plutôt étreintes moites et baveuses. On ne s’étendra pas davantage (non, surtout pas) sur les autres ressorts d’un roman réduit à la portion congrue d’une harlequinade médiocre. Je sais : c’est un pléonasme.
Malheureusement, les choses ne s’améliorent guère avec Rouge. Autre temps, autre lieu puisque l’intrigue prend place avant celle de Graceling dans un royaume voisin. Pour le reste, Kristin Cashore applique les mêmes recettes. Une héroïne innocente et orpheline, placée sous la protection d’un mentor bienveillant, adepte de l’amour libre, histoire de pimenter les choses. Etre à part, elle jouit bien sûr d’un superpouvoir : sa beauté (!!) et la faculté d’influencer les esprits. Sans doute consciente de la redite, l’auteur croit corser son histoire en faisant d’elle un monstre humain à la chevelure rouge. Car dans le royaume de Dells existent des êtres vivants plus dangereux que les autres et reconnaissables par leur couleur différente : rouge, fuchsia, violet et tutti quanti. Bref, Rouge doit affronter son passé, des menstrues douloureuses (authentique), et accepter sa nature différente avant de pouvoir être utile à son mentor dans sa lutte pour préserver la monarchie contre les seigneurs félons. Autant arrêter là l’alignement des poncifs. L’histoire est pathétique de bout en bout, l’écriture banale, tout juste fonctionnelle, le traitement des personnages d’une platitude exemplaire, les rebondissements téléphonés, l’ensemble étant saupoudré de bons sentiments qui confèrent à ce roman la qualité d’une bluette pour midinettes.
Au final, on cherche encore les raisons motivant l’avalanche de prix et de commentaires élogieux agrémentant à dessein les quatrièmes de couverture de ces deux romans. Il est vrai qu’à l’ère du superlatif, tout compliment, même mesuré, apparaît galvaudé. Même la parution initiale de Graceling dans une collection jeunesse, ou son caractère de premier roman, ne constitue pas une excuse valable. Et dire qu’un troisième livre intitulé Bitterblue (du nom d’un des personnages de Graceling) est en préparation. Nous, on passe…