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Arborescentes T.1

Frédéric Dupuy est connu dans le petit monde de la SF hexagonale pour la création des éditions indépendantes 1115 en 2017. Le voilà qui change de casquette puisqu’il est l’auteur de la saga « Arborescentes », publiée par les éditions Bragelonne. Quatre volumes, dont la parution s’étalera tout au cours de l’année 2024 (février, mai, août et novembre), une chance pour ceux qui n’aiment pas commencer une série sans en voir la fin (ce à quoi nous a habitués Bragelonne par le passé). Quatre volumes pour comprendre ce qui relie Hélène (mais est-ce vraiment son nom ?), une jeune fille atteinte de narcolepsie, bloquée dans un orphelinat où elle reste isolée des autres pensionnaires, à Arès Varkoda, propriétaire sans pitié des laboratoires du même nom, connus pour leur pugnacité et leur manque total de respect de la nature. Quatre volumes pour découvrir le rapport entre les tribus habitant la jungle amazonienne et les femmes et les hommes vivant dans le monde-serre, petit univers aux créatures et à la végétation extraordinaires, dignes d’un film de Tim Burton.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Frédéric Dupuy ne manque ni d’imagination, ni de générosité. Et il offre tout cela au lecteur dans un débordement qui, avouons-le, surprend pas mal au début. Car la narration part un peu dans tous les sens. On a beau être habitué à jongler d’un arc narratif à un autre, ici les écarts sont assez vastes. Tout comme le ton, qui bascule du thriller amazonien à un récit plein de magie et d’enfance contrariée plus proche de la littérature YA sans un haussement de sourcil. Tout comme les personnages principaux : certains sont des adultes aux préoccupations quotidiennes typiques des personnes déjà intégrées dans la société, d’autres des jeunes filles et des jeunes garçons encore pris dans les rets de l’enfance. Enfin, l’univers classique du monde qui nous entoure est concurrencé, dans certains chapitres, par des pouvoirs à la Harry Potter, mais sans que le mélange ne se fasse naturellement. C’est le gros bémol de ce premier roman pourtant porté par un enthousiasme stimulant. Il faut souhaiter que dans le deuxième tome (sans doute paru à l’heure où vous lisez ces lignes), les différentes voix qui ont commencé à se réunir trouvent une unité de ton plus forte, afin d’homogénéiser l’ensemble un tant soit peu. Car la marche est parfois trop élevée d’un chapitre à l’autre, et l’effort demandé au lecteur pour poursuivre l’aventure s’avère non négligeable.

Saga atypique un brin naïve, aussi irrégulière dans son ton que rafraîchissante dans ses envies, « Arborescentes » fait toutefois montre de qualités qui pousseront à donner sa chance à un deuxième volet. Peut-être alors les personnages y perdront-ils leurs quelques traits caricaturaux et prendront-ils réellement leur envol, parvenant à embarquer les lecteurs dans leur univers où se mêlent cruauté, beauté, égoïsme et générosité. Peut-être...

Voyages en Uchronie & Ailleurs

Jean-Jacques Régnier n’a pas été un auteur prolifique puisque l’intégrale de ses fictions tient dans cet unique volume et qu’il ne laisse aucun roman. Ce qui n’en fait pas moins un auteur intéressant et fort surprenant. Il a certes produit davantage d’articles et d’essais théoriques, entre autres dans le bulletin du groupe Remparts (atelier d’écriture et de réflexions fameux au sein du fandom SF), dont il fut le rédacteur de longues années, jusqu’à sa disparition. Il fut essentiellement un écrivain du XXIe siècle, ne publiant sa première fiction qu’à l’approche de la cinquantaine. Son œuvre restera marquée par deux thèmes de prédilection : le temps et l’histoire, et donc l’uchronie.

Si beaucoup d’auteurs produisent des textes humoristiques, peu peuvent prétendre au titre d’humoriste de la SF ; Jean-Jacques Régnier est du nombre, au côté des Fredric Brown, Robert Sheckley ou John T. Sladek. Et si son premier texte, « Menuetto da capo al fine » (1994), n’est cependant pas encore humoristique, on y découvre une autre des idiosyncrasies de l’auteur : l’utilisation d’une vaste culture, notamment artistique — mais pas que —, pour conférer à son propos des saveurs rares. L’uchronie est un genre plutôt sérieux, où l’on spécule sur ce que serait devenu le monde si les grands événements avaient été autres. Régnier envisage, lui, des micro-uchronies, voire des auto-uchronies où c’est sa propre vie qui a divergé de ce que l’on en connait (ainsi « Le Sujet », qui ouvre le recueil, ou encore « Je hais les rédacteurs », critique d’un roman de l’auteur qu’il n’a pas écrit dans sa jeunesse). « Bergerac 2021 », uchronie sur les conventions de SF, ravira sans nul doute le cœur du milieu, mais nécessiterait une postface pour le grand public. Il revisite les poncifs du genre avec « Dis, grand-mère !», et avec « Immortalité », c’est celle des académiciens du quai Conti qui est mise à rude épreuve par le clonage. « Où sont passés nos futurs ? » s’attaque aux univers parallèles ; « Force de vente » est le discours d’un commercial à un client dont il ne reste que le monologue du vendeur, tout ce que dit le client passant sous ellipse…

Cette intégrale de l’œuvre fictionnelle de Jean-Jacques Régnier révèle un auteur d’une originalité en tous points étonnante. Les amateurs de SF traditionnelle n’y trouveront pas forcément leur compte, mais les afficionados de l’uchronie seront servis à souhait, quand bien même ces dernières ne sont pas de facture standard et ne portent guère, en général, sur la Grande Histoire, mais davantage sur des événements mineurs où l’auteur est souvent partie prenante, le tout teinté d’un humour assez sheckleyen. Une œuvre qui satisfera aussi les thuriféraires d’une écriture de qualité appréciant de voir la SF jouer à fleuret moucheté avec cette littérature qu’on dit « générale ». Régnier n’écrit jamais pour rien, ni pour le pur divertissement, toute sa production est traversée d’un réel propos. Un auteur à découvrir, en somme, et tant pis si c’est à titre posthume, porté par un micro-éditeur, Blogger de Loire (https:// bloggerdeloire.blogspot.com) qui fait ici œuvre plus qu’utile.

Éditer des BD pour adultes – Éric Losfeld et le Terrain Vague

Après un demi-siècle de purgatoire, le « catalogue » BD des éditions Losfeld sort enfin de la clandestinité pour être montré au grand jour !

Déjà, en 2020, les éditions PLG nous avaient gratifiés d’un excellent Sexties – Les Filles du Terrain vague signé Benoît Bonte, que nous vous avions présenté ici-même (cf. Bifrost n° 101). En 2022, c’était au tour des éditions Revival de rééditer le mythique album de Nicolas Devil scénarisé par Jean Rollin, originellement sorti par Losfeld en 1967 et introuvable depuis le début des années 1970 : Saga de Xam, premier chef-d’œuvre de la bande dessinée de science-fiction destinée aux adultes. Cette réédition avait été suivie, début 2023, par un dossier portant sur Devil dans les pages des Cahiers de la BD n° 21 ; un dossier qui proposait, entre autres documents exhumés, la splendide illustration que l’artiste parisien avait réalisée en 1968 pour À la poursuite des Slans d’A. E. Van Vogt dans son édition du Club du Livre d’Anticipation.

Et c’est maintenant au tour de Benoît Preteseille d’apporter sa pierre à cet édifice de réhabilitation, en nous proposant une impressionnante somme de presque trois cents pages, fruit de plusieurs années de travail et adaptée d’une thèse soutenue en 2020.

Il commence par un exercice de recontextualisation en rappelant ce qu’était le milieu français de la bande dessinée au cœur des sixties et en revenant sur l’histoire d’Éric Losfeld, ce Belge, nourri de surréalisme, venu à Paris pour y ouvrir sa librairie et créer sa maison d’édition. Une maison au catalogue nécessairement singulier dans lequel on pouvait trouver, au milieu de textes surréalistes, érotiques, poétiques, fantastiques, noirs, quelques auteurs bien connus à Bifrost : Gérard Klein, Philippe Curval, Alain Dorémieux, Jacques Sternberg ou Charles Duits.

À une époque où les mœurs n’avaient pas encore été libérées et où la bande dessinée s’adressait exclusivement à la jeunesse, il eut l’idée lumineuse d’aller chercher dans les pages du coquin V magazine (piloté par Georges H. Gallet, celui-là même qui avait créé en 1951 la collection de romans SF « Le Rayon fantastique ») la Barbarella de Jean-Claude Forest pour lui offrir l’écrin d’un luxueux album cartonné destiné aux adultes. Malgré le passage de la censure — ou grâce à lui —, celui-ci connut un important succès de librairie, prolongé par l’adaptation cinématographique de Roger Vadim, ce qui incita l’éditeur à poursuivre son expérience en tentant de dénicher d’autres héroïnes futuristes à l’identique pouvoir de séduction sur un public SF alors très majoritairement masculin.

C’est ainsi qu’il proposa, entre 1964 et 1973, pas moins de dix-neuf ouvrages qui ouvrirent la voie à une BD adulte, en conjuguant le plus souvent science-fiction et érotisme. Parurent entre autres, à la suite de Barbarella — et outre la Saga de Xam —, Les Aventures de Jodelle et Pravda la survireuse de Guy Peellaert (avant que ce dernier ne se mette au service de l’industrie du rock : pochettes, affiches, illustrations), Lone Sloane, le mystère des abîmes de l’encore très jeune Philippe Druillet, Valentina de Guido Crepax, Kris Kool de Philippe Caza (qui, dans cet opus psychédélique, a merveilleusement su capter l’air du temps) ou Lolly-Strip du grand Georges Pichard, père de Paulette et de Blanche Épiphanie : il s’agissait à chaque fois d’un premier album publié, ce qui n’est pas rien, historiquement parlant…

Dans la deuxième partie de son livre, Benoît Preteseille consacre un chapitre à chacun des dix-neuf ouvrages. Il évoque aussi leur influence, à travers les œuvres demeurées inédites que divers auteurs — parmi lesquels Alex Varenne et Jean Solé — avaient concoctées pour le Terrain Vague avant sa faillite. Il aurait pu ajouter à la liste un certain Jean-Pierre Andrevon qui, inconnu au cœur des années 1960, demanda audience à Losfeld afin d’obtenir son accord pour réaliser un album à partir de l’un de ses scénarios, avant de se résoudre à utiliser ledit scénario pour un premier roman qui lui porta chance : Les Hommes-machines contre Gandahar.

L’auteur s’est livré ici à une enquête méticuleuse, retrouvant les dessinateurs survivants, leurs ayants droit, les scénaristes, les salariés de l’éditeur. Il les a interviewés, recueillant leurs souvenirs, recoupant les informations, réalisant un vrai travail de mémoire, sérieux et captivant, parfaitement illustré, en direction de qui souhaiterait tout savoir sur les débuts de la BD pour adultes, quelques années avant l’arrivée de L’Écho des savanes, Fluide glacial et Métal Hurlant.

Mission accomplie !

L’Absence selon Camille

Dans le monde post-capitaliste de la transparence, l’internet est libéré des malfaisants qui y déversaient leur venin, mais aussi des faiseurs d’infox dont les élucubrations délétères contribuaient à nourrir les émotions contradictoires du quidam. On y évolue désormais dans une virtualité safe et bienveillante, la publicité de ses données personnelles ouvrant droit à la citoyenneté numérique. Pucé, gratifié d’un revenu universel et informé sans aucun filtre, le citoyen est ainsi libre de suivre les débats qui animent l’opinion, de s’abonner à des cours en ligne pour enrichir sa culture et de se conformer aux suggestions d’achat ou de rencontres indexées sur les évolutions de son métadicateur dont la valeur est déterminée par ses interactions sociales. Dans la société de la transparence, aucun secret ne vient rompre le pacte social ou entretenir les théories du complot et le bruit blanc des clashs à répétition. On y polémique seulement autour de l’anonymat limité à la vie off-line, une part de l’existence qui, même si elle se réduit à la portion congrue, demeure l’ultime bastion des opposants à la transparence totale. Dans cet avenir progressiste où l’on prône les vertus de l’humanisme, de l’inclusion et de l’éco-responsabilité, bien peu trouvent à redire de tout cela, sauf peut-être les Obscuranets, dangereux activistes dont les actions instillent le doute, car malgré la transparence, on vous ment.

Avec L’Absence selon Camille, Benjamin Fogel clôt une trilogie où se conjuguent avec bonheur les nécessaires réflexions autour de l’impact des technologies numériques sur notre vie et nos libertés. Le propos de l’auteur est assez subtil, laissant entendre que tout progrès porte en germe les dérives futures de notre société. Louée en termes élogieux à notre époque, l’exigence de transparence s’avère en effet ici une arme contre le besoin d’intimité et l’outil des aliénations de l’avenir. Une transparence transposée jusque dans une prison high-tech dont l’architecture panoptique n’aurait pas déplu à Evgueni Zamiatine. Autour des personnages croisés dans les précédents romans, La Transparence selon Irina (in Bifrost n° 96) et Le Silence selon Manon (in Bifrost n° 105), Benjamin Fogel déroule une intrigue resserrée, ne ménageant guère de temps morts. Il pose des questions, sans apporter de réponses définitives, nous secouant dans notre zone de confort et ébranlant les certitudes. Il ausculte les points de vue des uns ou des autres, disséquant les psychologies et explorant les angles morts de chaque cause, pour mieux dévoiler leur part d’ombre et les nombreux dilemmes qu’elles suscitent. On ne se situe fort heureusement pas dans le registre de la démonstration sentencieuse, mais plutôt dans celui de la dialectique où chaque engagement est jaugé à l’aune des tensions et contradictions qu’il fait naître car, dans le futur de la transparence, l’idéal achoppe finalement sur la perspective d’une dystopie totalitaire.

Entre anticipation et thriller, L’Absence selon Camille réussit donc à renouveler les thématiques des précédents romans, prolongeant sans les ressasser les réflexions qui y ont été amorcées. Pas sûr que Benjamin Fogel ne revienne pas dans cet univers, tant la fin ouverte et la richesse du sujet dégagent les perspectives. Si cela s’avère, nul doute qu’on le suivra les yeux fermés.

La Brume l'emportera

Auréolé du statut de « Pépite de l’Imaginaire », formulation bien connue, notamment des éditions Mnémos, Stéphane Arnier signe un premier roman de fantasy qui fleure bon l’aventure.

Dans un monde où une brume dévorante s’avance, lentement mais sûrement, deux personnages n’ayant que leur solitude en commun vont se retrouver à cheminer ensemble. D’un côté Keb Gris-de-pierre, qui fut berger quand ses terres existaient encore ; de l’autre Maramazoe, vite surnommée Mara, guerrière condamnée à l’exil. Il est du peuple Dak, des montagnards, elle est Ta’moaza, peuple des mers. Huit ans auparavant la guerre faisait rage entre les deux. Peu de temps après la défaite des Ta’moaza, la brume faisait son apparition.

L’histoire est contée par Keb, qui s’adresse à une assemblée de Ta’moaza, ne cachant rien de ses bassesses ni de ses doutes. Après un début un peu scolaire, et nombre d’informations données par le narrateur à un auditoire censé déjà les connaître, l’aventure s’enclenche, trouve son rythme et le duo fonctionne. Intéressante, la magie à l’œuvre dans cet univers permet de créer une mécanique tout à fait percutante pour faire avancer le récit. Introduire la notion de voyage dans le temps dans un contexte de fantasy pousse plus encore les protagonistes à s’interroger sur les conséquences de leurs actes.

Le passé, le deuil, la mémoire, autant de thèmes abordés par Stéphane Arnier, autant de divergences de vues entre Keb et Mara. Les deux ayant, on le comprend vite, des objectifs assez peu conciliables en apparence. Les choix s’annoncent ardus, alors que le monde tout entier est en péril et que le temps presse. Entre intérêts collectifs et personnels, comment choisir ? Comment choisir, alors même que l’on ne possède pas toutes les données ? Keb va naviguer de dilemme en dilemme, lié, d’abord bien malgré lui, à cette redoutable combattante dotée d’une détermination en fer.

Agrémenté d’une belle couverture ne provenant pas d’une banque d’images — on apprécie —, ce roman s’avère une jolie entrée en matière pour cet auteur vivant en Finlande, mais fortement influencé par la Nouvelle-Zélande. À suivre…

Une histoire de la conquête spatiale – Des fusées nazies aux astrocapitalistes du New Space

Les grands programmes spatiaux sont souvent perçus comme faisant partie d’une saga épique. Bien que les motivations aient évolué, mettant en avant l’esprit pionnier, la science ou, plus récemment, la recherche de nouvelles ressources, le scénario reste le même : en allant à la conquête de l’espace, l’humanité accomplit son destin. Les archives de l’histoire spatiale examinées par les auteurs révèlent une réalité bien éloignée du rêve humaniste souvent associé à ces exploits techniques. En effet, depuis les premières expérimentations des ingénieurs nazis durant la Seconde guerre mondiale, jusqu’à leur transfert dans l’astronautique naissante des États-Unis, de la Russie et de la France, l’objectif principal était militaire. Cette quête de suprématie s’est poursuivie avec la course à la Lune, aux missiles et aux satellites, alimentant une industrie puissante axée sur la surveillance et les télécommunications. Cela a débouché sur un « astrocapitalisme », désormais porté par des milliardaires dont les projets extravagants nourrissent une fuite en avant aux conséquences néfastes, entre accumulation de débris dans l’espace et pollution de la Terre. Si la fascination pour l’espace reste toujours aussi grande, c’est aussi que sa conquête s’accompagne d’une conquête des esprits où les astronautes — autrefois intrépides aventuriers, aujourd’hui scientifiques éclairés et gardiens de la Terre — jouent un rôle majeur. Dans cet essai revigorant, les auteurs déconstruisent les discours convenus sur la conquête de l’espace. Leur travail montre aussi qu’il existe d’autres façons d’envisager l’espace, ni guerrières ni commerciales, mais plus contemplatives et plus durables, offrant ainsi une alternative pour explorer l’univers et garder à l’espace son statut de patrimoine de l’humanité.

L'Homme superflu

Tesla Crane, une héritière et ingénieure de talent, souffre de douleurs chroniques et de stress post-traumatique suite à un accident. Pour leur lune de miel, elle et son mari, l’ancien détective Shal Steward, embarquent incognito à bord du vaisseau de croisière Lindgren, reliant la Lune et Mars. Leur escapade romantique est rapidement interrompue par un meurtre, et Shal se retrouve injustement accusé du crime par la sécurité du vaisseau. Déterminée à prouver l’innocence de son mari, Tesla se lance dans une enquête improvisée.

Avec son fidèle chien de service, une charmante westie nommée Gimlet (clin d’œil au cocktail du même nom), et soutenue par son avocate intraitable, Fantine, restée sur Terre, elle mobilise son intelligence et ses ressources financières pour résoudre le mystère. Le Lindgren, un paquebot spatial, possède trois niveaux de gravité (terrienne, martienne et lunaire), ce qui complique ses déplacements. Malgré ses qualités, le comportement condescendant de Tesla envers ceux qu’elle juge socialement inférieurs agace souvent. Elle use de son statut social pour intimider et humilier les gens, diminuant ainsi l’empathie et l’admiration que le lecteur pourrait éprouver pour elle, sa capacité de résilience, son intelligence et son humour caustique.

Ce cosy mystery dans l’espace reprend les codes du genre mâtinés de ceux du roman noir à l’ancienne et de la science-fiction. Il aborde de manière intéressante les questions du handicap, du genre et de l’identité, et explore un futur inclusif. Le roman suit une structure classique avec des indices, des suspects et une révélation finale. Chaque chapitre débute par une recette de cocktail, qu’il soit alcoolisé ou non, ajoutant une touche ludique à la lecture. L’Homme superflu se veut un hommage à The Thin Man (L’Introuvable en VF), roman policier de Dashiell Hammett ayant pour double héros Nick et Nora Charles, un couple marié et fortuné qui mènent des enquêtes policières accompagnés de leur petite chienne Asta.

L’Homme superflu pourrait être comparé à un cocktail un peu trop sucré : il peut parfois être dominé par des éléments légers et humoristiques qui viennent masquer l’intrigue. Pour ceux qui aiment cette douceur légère, le livre offre une lecture divertissante et plaisante, parfaite pour se détendre. Les notes de l’auteur à la fin du roman et le cours de mixologie offert par Mary Robinette Kowal constituent un complément appréciable. À lire en sirotant votre cocktail favori.

Aux ordres (Le Programme Harlow T.1)

Le futur, après l’Effondrement.

Tanta, pupiC d’InTech, va vivre sa toute première mission hors les murs de sa corpo. Elle s’y est préparée, elle ne peut ni échouer ni décevoir. Pourtant, l’impensable se produit. Un mystérieux agresseur attaque son équipe avant de s’enfuir avec les fichiers qu’ils étaient venus chercher. Pour InTech, aucun doute : les coupables viennent de Thoughtfront, la corpo rivale. Pas le temps pour Tanta de se remettre de ses émotions, le temps presse. Elle doit retrouver la trace de ces fichiers et regagner l’estime de ses supérieurs. Épaulée par le neuro-ingénieur Cole, la jeune femme débute son investigation. Mais son nouveau partenaire doute. Pourquoi Tanta est-elle si attachée à InTech ? Pourquoi prend-elle tellement à cœur les remarques — positives ou négatives — de sa hiérarchie ? Et quel est ce mystérieux programme Harlow qu’il découvre dans le neurOS de Tanta ?

Après La Cité de soie et d’acier (cf. Bifrost n°113) et The House of War and Witness (inédit de ce côté-ci de la Manche), co-écrits avec ses parents Mike et Linda, Louise Carey nous entraine, avec ce premier roman en solo, dans un futur aux allures de cyberpunk dystopique qui n’est pas sans évoquer celui de Neuromancien du maître William Gibson : société régie par des corporations rivales, performance au sein de l’entreprise comme unique étalon de la qualité humaine. Le parallèle avec nos sociétés de consommation et de productivité à tout prix est évident. Pourtant, les problématiques abordées ne sont qu’effleurées. Les questions éthiques du contrôle par la neuro-programmation, en particulier, pourraient (devraient ?) générer bien plus de débats. Ici, priorité est donnée à l’action, à l’enquête qui se déplie comme une évidence. Trop, en fait.

Le suspense est bien dosé, l’histoire rythmée. Les phrases courtes cadencent le texte, les conversations via neurOS, ce dispositif  de  programmation neurologique, donnent une nouvelle dimension aux outils de communication connus, s’apparentant presque à de la télépathie. Mais là encore, les événements s’enchaînent dans un système problème-résolution sans vraiment de complications ni aucun enchevêtrement d’imprévus. Chaque intrigue trouve sa solution avant que ne débute la suivante, avec une aisance qui confine à la simplicité. Jamais on ne frémit vraiment pour les personnages, car jamais ils ne se trouvent confrontés à une situation inextricable.

Reste un duo Cole/Tanta auquel on finit par s’attacher. Le véritable intérêt du roman réside d’ailleurs dans l’amitié naissante entre ce neuro-ingénieur amnésique et la jeune pupiC infectée par un programme qui la contrôle. Si l’on peut, au départ, avoir du mal à s’attacher au personnage de Tanta, trop corporate, trop insensible, trop froide, l’évolution drastique qu’on ressent la concernant, vers le milieu du récit, lui confère davantage de profondeur.

Un roman plutôt plaisant, peu exigeant, qui, du fait de son traitement des personnages et de l’univers présenté, conviendra avant tout aux jeunes lecteurs en quête d’un roman de cyberpunk simple à appréhender.

Vivre dans le feu

Ainsi qu’on l’annonçait dans notre cent-cinquième livraison à propos des Filles de Monroe d’Antoine Volodine, l’univers littéraire du « post-exotisme » (selon la formule de l’auteur) va bientôt s’éteindre… Vivre dans le feu forme en effet le 47e volume d’un extraordinaire cycle à la fois fantastique et science-fictionnel, initié avec Biographie comparée de Jorian Murgrave (1985), et devant in fine n’en compter pas plus de quarante-neuf. Tel est en tout cas la borne (sans doute porteuse de quelque ésotérique symbolique ?) fixée par Volodine lui-même. Un chiffre terminal que ne contestent pas les autres plumes du post-exotisme que sont Lutz Bassmann, Manuela Draeger, Elli Kronauer et Infernus Iohannes. Sans doute parce que celles-ci ne sont qu’autant d’hétéronymes d’Antoine Volodine lui-même, l’unique démiurge de la geste post-exotique… Quant aux hallucinantes contrées s’y déployant, rappelons qu’elles annoncent un futur à la proximité incertaine, s’étendant sans plus de précision spatiale entre notre très (très) basse Terre et le Bardo, un au-delà tout sauf paradisiaque. L’une et l’autre portent en effet les stigmates apocalyptiques d’une litanie de siècles de guerres étranges, à la fois nucléaires et magiques, assorties d’une horreur génocidaire elle-même empreinte de surnaturel. Les responsables en sont des forces mi-politiques, mi-chamaniques, mutant sans cesse à la manière de cellules cancéreuses, trouvant leurs origines dans les totalitarismes du xxe siècle comme dans les croyances les plus archaïques. Dans ce monde à jamais agonisant, l’humanité n’en finit elle-même pas de mourir, ayant dépassé tout espoir de survie. Mais en ces enfers terrestres comme dans les limbes post-exotiques, parfois, l’amour éclaire fugitivement l’obscure destinée des derniers des femmes et des hommes. À moins que ces heureuses mais fugaces lueurs ne soient jetées par un improbable embrasement poétique au cœur des ténèbres…

Ainsi en va-t-il dans Vivre dans le feu, dernier roman à paraître sous le nom de Volodine. On y retrouve un certain Sam, originaire d’une région de steppes aux allures confusément eurasiennes, dominée entre autres éminences absentes de nos atlas par « des montagnes qu’on appelle les “Quinze jumelles noires”. » Devenu soldat d’un énième affrontement faisant suite à tant d’autres, Sam voit, à l’orée du roman, s’abattre sur lui un nuage de napalm. « S’abriter ? Fuir ? Chercher un abri est une pauvre idée absurde. Se mettre à courir n’a aucune signification. » Sonnant a priori comme une capitulation face à l’incandescent destin, ces pensées se formant alors dans l’esprit de Sam révèlent au contraire une singulière vitalité. Car le guerrier en voie de carbonisation a auparavant appris à Vivre dans le feu… Il doit ce don salvateur à l’éducation sorcière prodiguée, entre autres initiatrices, par les « grands-mères » Padaraya et Wolfong ou bien encore les « tantes » Sogone et Zam. Dans ce clan matriarcal, ces désignations familiales dénotent des liens que l’on devine non pas de sang mais en réalité hiérarchiques. Le nombre des « grands-mères » de Sam est en effet supérieur à deux, celles-ci se multipliant au fur et à mesure du récit qu’il fait de son « habituation au feu ». Adoptant la forme idiosyncratiquement volodinienne d’une succession de « narrats » (de lapidaires récits aux cours narratifs abruptement interrompus), cette évocation marie de splendide manière les sortilèges de l’occultisme à ceux de la littérature. Car, comme en témoigne « Chov mokrun alnaoblag », titre incantatoire du plus saisissant de ces narrats, c’est avant tout à la force esthétique du Verbe que Sam doit sa miraculeuse propension à Vivre dans le feu

Ça vient de paraître

Les Armées de ceux que j'aime

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
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