Le Bifrost 88 dans la Yozone
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« Pour savoir pourquoi Greg Egan est grand et tout ce que la science-fiction lui doit, il vous faut lire ce Bifrost. Et bien sûr aussi ses écrits. » La Yozone
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« Pour savoir pourquoi Greg Egan est grand et tout ce que la science-fiction lui doit, il vous faut lire ce Bifrost. Et bien sûr aussi ses écrits. » La Yozone
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Danses aériennes, sélection par Quarante-Deux des meilleures nouvelles de Nancy Kress, est dès à présent disponible à la précommande !
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En complément du cahier critique du Bifrost 88, le blog vous propose un addendum où l'on se penche sur une poignée de livres supplémentaires. On y trouve des robots, des aliens, des rêveurs, du Ballard ballardien, des essais avec de la suite dans les idées, des textes en marge des genre… et du bon et du moins bon.
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Ouvrage ayant pu voir le jour grâce à un financement participatif lancé par les éditions ActuSF, Lovecraft : Au cœur du cauchemar impressionne au premier abord par son aspect : beau livre sous couverture rigide avec jaquette, finition soignée, maquette agréable et claire, nombreuses photographies et illustrations en couleurs… pas de doute, de la belle ouvrage et ainsi, sur 450 pages, cette monographie peut alors nous aider à décrypter davantage HPL et son œuvre. Après une brève mais curieuse introduction, où les deux directeurs d'ouvrage, Jean-Laurent Del Socorro et Jérôme Vincent, nous indiquent que les textes se répondent, se recoupent, mais… se répètent aussi, il est temps de rentrer dans le vif du sujet.
Le livre est découpé en trois parties, qui s'intéressent successivement à l'homme, l’œuvre, et à l'univers étendu (comprenez, les adaptations), pour une trentaine d'articles ou d'interviews au total. Bien évidemment, tout commence par une biographie, et celle de Bertand Bonnet, bien connu des lecteurs de Bifrost et principal collaborateur de l'ouvrage en termes de signes, est particulièrement intéressante, car elle démythifie beaucoup du personnage de HPL : son supposé statut de « reclus de Providence », son côté conservateur, mais sans occulter pour autant son racisme avéré, dont il est difficile de faire la part entre un racisme « institutionnel » et sociétal, et une inclinaison personnelle. Les préjugés sur Lovecraft sont également abordés par Christophe Thill, l'éditeur de Malpertuis. Les quelques textes qui suivent sont plus anecdotiques, notamment les interviews de S.T. Joshi – le spécialiste mondial de Lovecraft – et de François Bon, qui a entrepris de traduire Lovecraft après avoir visité Providence. On en arrive à un nouvel article intéressant sur les rapports entre HPL et Robert E. Howard (B. Bonnet, qui reprend un papier paru dans le Bifrost spécial REH). Cet article prépare de la plus belle manière à ce qui va suivre : rien moins que des extraits de la correspondance entre les deux auteurs américains ! Ceci constitue assurément l'un des morceaux de choix de l'ouvrage. Toutes les lettres ne sont pas retranscrites en intégralité, d'autant plus qu'un certain nombre d'entre elles se sont perdues, mais ce qui nous est proposé est stupéfiant d'intelligence (lorsque les deux écrivains surenchérissent de connaissances sur les Gaëls et les Pictes) et montre également leur conception radicalement différente de la vie : là où Howard se fait le chantre tout autant des activités physiques que des occupations intellectuelles, Lovecraft ne saurait accorder à la première qu'une pure fonction utilitaire sans commune mesure avec le pouvoir de l'intellect. Le dernier texte, sur Lovecraft, docteur de laweird fiction, se signale surtout par son écriture en weird français.
L’œuvre de Lovecraft s’aborde par une petite mais instructive histoire de ses publications, par C. Thill. Le mythe de Cthulhu, que d'autres auteurs articles s'accordent à dire qu'il n'était pas le projet de l'auteur, se voit néanmoins accorder un article, qui se réduit la plupart du temps à un catalogage des Grands Anciens et lieux. Plus intéressante est l'interview de Raphaël Granier de Cassagnac, avant que n'arrive un autre sommet de cette monographie, une bibliographie de vingt-cinq œuvres majeures de l'auteur, disséquées par Bertrand Bonnet. Fan absolu de l'auteur, il décrit par le menu détail les circonstances de l'écriture de chacun des textes, les thématiques abordées, sans oublier de pointer du doigt les faiblesses éventuelles, mais surtout il donne une folle envie de (re)lire Lovecraft. C'était bien là l'objectif avoué de ce livre, et le pari est en cours d'être gagné, d'autant que certains articles suivants continuent dans la même veine : un rapprochement surprenant entre Lovecraft et John Dos Passos (Florent Montaclair), la science dans l'œuvre de HPL (Elisa Gorusuk), et ses rapports avec la fantasy (Thill). Et, comme HPL est tombé dans le domaine public il y a peu, donnant droit à une déferlante de nouvelles traductions, on donne la parole à l'un de ces traducteurs, qui nous explique de manière passionnante ses choix de traduction. Marie Perrier, quant à elle, se lance dans l'exercice compliqué de la comparaison des différentes versions françaises des textes, dont elle se tire honorablement, malgré un propos pas toujours très clair. Cette deuxième partie se termine par un court article sur la poésie de l'auteur. Le manque de bibliographie finale est à ce titre criant : après tout, les différents auteurs n'ont de cesse d'alerter le lecteur sur les risques de confusion entre les textes signés Lovecraft et ceux commis par August Derleth, ainsi que les révisions de HPL, cela aurait été un bon moyen de clarifier tout cela et d'offrir un volume vraiment définitif sur le sujet.
La dernière partie, concernant les adaptations de HPL, qu'il s'agisse de film, de bande dessinée, de jeux vidéo ou de rôles, est nettement plus convenue, malgré quelques beaux passages comme les interviews de Nicolas Fructus ou de Philippe Caza.
Au final, que retient-on de cette monographie ? Sur les trente articles qui la composent, le niveau est forcément inégal, mais le livre est globalement d'une très bonne tenue, bourré d'informations pour le connaisseur de Lovecraft, mais aussi suffisamment didactique dans sa construction pour être également très utile à ceux qui ne le connaîtraient pas. Si l'on peut regretter l'absence de bibliographie, nul doute que chacun saura y trouver son compte, en picorant à droite et à gauche, et en se délectant des piques que s'envoient Howard et Lovecraft dans leur correspondance. Et surtout, il donne une envie irrépressible de se replonger dans les écrits du Maître, qui n'imaginait pas de son vivant passer autant à la postérité qu'un tel ouvrage puisse exister !
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Ces trois romans – Révélation, Ascension et Rétorsion – sont adaptés du jeu vidéo Mass Effect™ de Bioware.
On a là un assez fort volume de plus de sept cents pages sous couverture cartonnée rigide revêtu d'une jaquette d'un assez bel effet dans le style « nouveau space opera ». Au milieu, l'ouvrage contient un cahier hors texte de seize pages pages d'illustrations en couleur issues du jeu vidéo Bioware. L'auteur de ces romans, Drew Karpyshyn, est aussi le principal auteur du jeu Mass Effect™.
L'humanité a découvert aux confins du système solaire un « relais cosmodésique », artéfact laissé par les Prothéens, une espèce supérieure disparue voici 50 000 ans, qui leur ouvre les portes de la galaxie où les Terriens sont confrontés à diverses autres espèces plus ou moins bien disposées à leur égard. Une idée déjà vu cent fois. C'est plus ou moins comme ça que commençait la série Perry Rhodan, par exemple, ou Stargate. Au temps pour l'originalité.
Révélation , le premier livre de cette trilogie, nous conte l'enquête menée par la scientifique Kahlee Sanders et l'officier David Anderson afin de découvrir par qui et pourquoi la station de recherche secrète où elle était affectée a été détruite. Les deux tomes suivants sont davantage liés, notamment par le personnage de Grayson et l'organisation suprématiste humaine Cerberus que dirige l'Homme Trouble, pour qui le seul salut possible pour l'espèce humaine passe par l'extermination intégrale de toutes les autres espèces intelligentes peuplant la galaxie. Dans Ascension, Cerberus tente de mettre la main sur Gillian, la fille adoptive de leur agent, Grayson. Ils ont développé en elle des pouvoirs biotiques : des pouvoirs psi télékinésiques carburant à l'énergie noire. Dans le troisième tome, Rétorsion, Cerbérus teste sur Grayson de la nanotechnologie aliène provenant des Moissonneurs qui le transforme en un guerrier quasiment invincible qui cesse alors d'être lui-même pour finir totalement asservi aux Moissonneurs : des intelligences artificielles hébergées dans de gigantesques astronefs qui ne se proposent rien de mieux qu'éradiquer toutes intelligences biologiques du cosmos… Quelle originalité ! Impossible de ne pas penser au cycle des « Inhibiteurs » d'Alastair Reynolds et au cycle du « Centre Galactique » de Gregory Benford, entre autres…
Particulièrement peu brillant, le scénario se résume en une suite ininterrompue d'assauts et de massacres sur des bases isolées. On ne sait pas ce que devient la fiole de dopant biotique qu'avait sur lui le traitre Jiro. On ne comprend pas davantage pourquoi le capitaine Mal autorise l'accostage de la navette Cyniad alors qu'il ne pouvait que savoir qu'elle avait été piratée par Cerberus. L'auteur s'enfonce encore davantage en tentant de se raccrocher aux branches… Messieurs, faites des jeux vidéo mais ne vous improvisez pas romanciers. Laissez faire des tâcherons tel Kevin J. Anderson dont c'est le métier de rédiger (pas d'écrire) de l'aventure spatiale au kilomètre, du Dune-StarWars-Trek-Gate en veux-tu en voilà…
Bref ! Du tout venant de troisième ordre. On a des tonnes de Fleuve Noir de cet acabit là. Mais là où on se fout royalement du monde, c'est lorsque l'on vend ça 39 € ! 39 € ! Non mais… Même d'occase sur Internet à moitié prix, c'est encore exorbitant et bien trop cher payé ! C'est indécent. D'autant plus que ce n'est pas même inédit. On a déjà lu pire, il est vrai, mais jamais à ce prix là. Ça mériterait son Razzy du plus mauvais rapport qualité/prix…
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p>Du nouveau, cette année, à Epinal. Pour sa septième levée, l’anthologie des Imaginales ouvre clairement la porte aux auteurs étrangers (d’expression française) et aux textes de pure SF, manière de revivifier un concept qui commençait un peu à se mordre la queue.
Quatorze auteurs, dont deux suisses et un belge, se sont emparés du thème polysémique du festival, pour le décliner sous l’angle de la fatalité ou de la providence individuelle (destin), collective (nation), ou plus prosaïquement du but à atteindre.
Bilan ? Les textes de pure SF, relevant dans leur majorité du space ou du planet opera, laissent sur leur faim. Difficile de rentrer dans « Ivresse des profondeurs » (GD Arthur), la faute à une intrigue confuse et une écriture plutôt absconse. Jean-François Thomas livre avec « Chakrouar III » un récit à chute de facture classique, trop old school pour emporter l’adhésion. Très sages, très classiques également, les contributions d’Estelle Faye (« Hoorn ») et de Loïc Henry (« Essaimage »). N’étant pas un grand fan du Bordage nouvelliste, je n’attendais rien de spécial de son texte. « Sans destination » ressemble à s’y méprendre à un brouillon de son dernier space opera (Résonances), réussi lui. Spécialiste des sagas de fantasy, Adrien Tomas s’essaie à une SF teintée de préoccupation écologique et de spiritualisme, dans le prolongement du modèle théorisé par James Lovelock (« La voix des profondeurs »). Un coup d’essai intéressant à confirmer. Seule nouvelle hors-sujet, « L’Aiguillon de l’amour » de François Rouiller renvoie au diptyque pharmaco-médical Métaquine paru l’an dernier. Soit un voyeur et l’objet de son désir : l’un se croit capable, via les progrès accomplis en matière de miniaturisation, de mater l’autre tranquille, mais c’est peut-être l’inverse qui va se passer… Jouissif.
La partie « fantasy » m’a parue globalement plus aboutie, en raison de textes souvent plus longs et davantage travaillés. Ça ne commence pourtant pas sous les meilleurs auspices avec « Bucéphale au cœur des ombres », d’Aurélie Wellenstein, qui nous transporte dans un Moyen-Orient de pacotille secoué de combats fantastiques contre les forces démoniaques. Le héros, croisé à la pureté dangereuse, affronte un Satan chevalin en serrant les mâchoires. Dispensable aussi, « FIN », de Grégory Da Rosa, qui réchauffe la tambouille eschatologique dans un mélange de genres et d’ambiances indigeste. Charlotte Bousquet s’empare avec une certaine réussite des mythes dogons dans « La voix des renards pâles ». Victor Dixen évoque cette part d’inconnu qui aimante les grands explorateurs (et les grands lecteurs), en racontant à plusieurs voix le périple confinant à l’obsession, voire à la folie, d’un homme en quête d’absolu (« La source »). Dans une langue très maîtrisée, Stefan Platteau livre le blockbuster de l’anthologie : son « roi Cornu » est une réécriture du Livre de l’Exode mâtiné de Silmarillion. Donne envie de se plonger dans ses précédents écrits. Partant du récit des prétendus voyages d’un chevalier mytho ayant vécu durant la guerre de Cent Ans, Fabien Cerutti fait vivre à son personnage des aventures hautes en couleur, vanciennes en diable, qui s’inscrivent dans l’univers du Bâtard de Kosigan (« Le livre des merveilles du monde »). Lionel Davoust conclue sur une belle mise en abîme dans « Une forme de démence » : un vieil écrivain à succès embauche une jeune étudiante pour mettre de l’ordre dans ses archives et dans ses pensées. Elle souhaite créer une encyclopédie à l’usage des lecteurs idolâtres, il ne veut que se souvenir et peut-être se perdre dans la nature ultime de la réalité…
Un millésime correct, donc, auquel il manque un ou deux très bons textes de SF pour faire un grand cru.
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Robogenesis est la suite directe de Robocalypse (tout juste réédité en poche, chez Pocket). À la fin du premier opus, le danger représenté par Archos R-14 semblait définitivement écarté. Le monde était certes en ruines, l’humanité presque éteinte, mais elle pensait avoir vaincu le monstre. Or, avant de disparaître, l’I.A. Était parvenue à se transférer dans d’autres machines. Des centaines de milliers de machines. Big Rob est donc encore en vie. Et il n’est pas seul. Des versions précédentes ont aussi survécu. L’une d’entre elles, en particulier, a des projets pour cette Terre. Et l’homme n’y a pas la place centrale. Archos R-8, autrement appelé Arayt Shah, a un but ultime : prendre le pouvoir sur la planète entière. Pour cela, il doit s’assurer du contrôle de centres de calcul disséminés de-ci de-là afin d’acquérir la puissance nécessaire. Et il en profite pour éliminer les menaces potentielles. Dont les plus importantes sont les modifiés, ces êtres humains transformés par Archos R-14, améliorés, mais plus vraiment des hommes ou des femmes à part entière.
L’intrigue nous est narrée, en alternance, par les différents protagonistes de ce grand final (enfin, espérons, car on n’oublie pas que Robocalypse devait déjà marquer la fin des hommes). Et l’on retrouve nombre de personnages présents dans le premier roman : Lark Iron Cloud, revenu d’entre les morts ; la jeune Mathilda et son frère Nolan, accompagnés de leur ange gardien Neuf Zéro Deux ; mais aussi Cormac Wallace, le héros de la précédente guerre ; et enfin, le professeur Takeo Nomura, sauveur de l’humanité.
Malgré ce « casting de rêve », rien n’y fait ! C’est plat, sans grande saveur, sans aucune originalité. Arayt Shah pérore à longueur de pages sur sa supériorité et la faiblesse des tas de viande que nous sommes. Les survivants tentent… de survivre. Mais on s’en moque. Leur détresse, à quelques exceptions près, échoue à nous toucher tant l’ensemble se montre artificiel. Les récits de fin du monde sont légion, à l’instar des histoires post-apocalyptiques. Pourquoi alors en pondre une nouvelle ? Pourquoi écrire une suite à Robocalypse, un roman distrayant, certes, mais d’un intérêt déjà très moyen ? Peut-être y a-t-il là quelque chose à voir avec le fait que Steven Spielberg a acheté les droits du premier bouquin et que le film va, un jour, c’est promis, enfin sortir ? À moins qu’il ne s’agisse de surfer sur la mode des questionnements liés à l’avenir de l’humain face à des machines toujours plus puissantes ? En ce cas, encore aurait-il fallu s’appliquer un tantinet, et guider le lecteur vers des altitudes plus élevées. Depuis Turing, les œuvres traitant ce thème sont légion, le lecteur a l’embarras du choix. Une concurrence face à laquelle Robogenesis déçoit, et pas qu’un peu. On renverra de fait Daniel H. Wilson à la lecture de son petit Greg Egan illustré, tout en évitant ici un achat dispensable.
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Un cataclysme a ravagé la terre. Pire, les survivants ont perdu toute mémoire de leurs ancêtres. Les voici livrés à l’énigme que constituent pour eux les traces d’une civilisation dont ils ignorent tout et qu’ils essaient de reconstruire à force d’hypothèses, souvent hasardeuses, loufoques parfois. Parallèlement, ils doivent refaire tout le trajet que cette civilisation disparue – la nôtre – a mis tant d’années à parcourir : sortir de la superstition et jeter les bases d’un esprit scientifique qui permette le Progrès.
Telle est la trame de Remington, de Christophe Ségas, connu à ce jour pour quelques textes aux éditions Antidata et du Chemin de fer. Un peu convenue, certes, mais… L’originalité n’est pas dans le sujet en lui-même, elle demeure dans son traitement : l’auteur ne se livre pas à une histoire continue de la reconstruction d’un Progrès érigé en absolu. Il livre des chroniques éclatées sur deux cent ans et cinq narrateurs d’une série de faits qui se répondent et de personnages qui se croisent au fil des pérégrinations de la Remington : un archéologue gagné par la soif du pouvoir que peut lui conférer la compréhension des vestiges ; un peintre obèse juché sur une tour de guet et qui observe ses proches voisins gagnés par un culte de la propreté qui débouche sur l’orgie et le cannibalisme ; le captif d’une sorte d’hôtellerie gagné par les charmes d’un jeune savant fou ; la reine d’une cité qui devient folle et s’enferme dans un gigantesque labyrinthe qu’elle fait construire ; un homme devenu archiviste des récits qui précèdent, et surtout détenteur de cette machine à écrire qui constitue le point pivot de toutes ces narrations… Au fil des récits, Ségas tisse le tableau d’une humanité non pas tant post-apocalyptique que discrètement contemporaine, avec ses pulsions, ses appétits, ses inconséquences, et surtout la menace perpétuelle d’autodestruction qu’elle fait planer sur elle-même. L’écriture est discrète et maîtrisée ; la lecture en est donc facile et on se laisse prendre. Un regret peut-être : on sent qu’un tel monde aurait pu prendre davantage d’ampleur. Attendons les prochaines lignes tapées de C. Ségas…
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Quand on a une passion, on a forcément envie de la partager. Et Dylan Pelot adorait ce que d’aucuns appellent les mauvais genres (à ce propos, bon anniversaire à la remarquable émission de François Angelier !) : films d’horreur, d’arts martiaux ; même les plus foutraques, les plus mal fichus, les pires des séries Z trouvaient grâce à ses yeux. Il y a consacré une bonne partie de sa vie d’artiste, écrivant, illustrant, filmant. Le summum étant Les Grands succès du cinéma introuvable (paru à titre posthume), où il imagine des affiches et des photos de tournage de films aux titres évocateurs (Lourdes 2024,Mon plombier dans ton cul…). Ceci posé, le roman Les Bracas apparaît comme une évidence dans la bibliographie de ce jeune auteur disparu en 2013 des suites d’une attaque cérébrale.
Retour dans les années 80. Sacha est un jeune homme amoureux fou des vieux films gore. La semaine, il fait une école de l’image à Épinal (comme l’auteur). Le week-end, de retour chez sa mère, dans son petit village enneigé, il sillonne les vidéoclubs des Vosges, fait des razzias dans les rayons de séries Z et passe ses nuits devant son magnétoscope à visionner et à faire des copies de ses découvertes. Ou à écouter les derniers succès de groupes aux noms aujourd’hui encore évocateurs : Motörhead, Metallica ou Raven. Il est souvent rejoint par les membres de sa bande de potes, les Bracas, aux surnoms fleuris : Pilpoil, P’tit Ji, Taquet, Zinzin… Ces jeunes gens pleins d’énergie connaissent de saines occupations : boire, piquer des bouteilles dans la cave des voisins et, surtout, se battre contre les autres bandes de la vallée. Et là, ils ne plaisantent pas : les dents tombent, les joues sont tuméfiées, le sang tache la neige. Heureusement, depuis quelques mois, un autre projet les unit : tourner un court film d’horreur, Shadok the Kradok. Tout un programme ! Mais peu à peu, des évènements étranges et inquiétants vont agiter ce petit monde. La maison familiale est visitée sans que rien ne disparaisse, des toiles peintes par le père décédé de Sacha sont déplacées, la forêt est agitée de phénomènes inexplicables. L’enquête commence et conduit à un vieil homme, habitant seul avec son chien dans la montagne, Milo.
Autant le dire tout de suite, Les Bracas vaut surtout par son évocation d’un passé de plus en plus lointain. Les aventures surnaturelles de Sacha et de sa bande sont sympathiques, mais semblent secondaires face à la redécouverte d’une époque révolue, celle des Walkman et des vidéoclubs, des cassettes VHS et des bandes aux blousons de métalleux qui se démolissent le week-end. Celle des découvertes de groupes musicaux devenus mythiques (qui se reforment actuellement, le temps d’une ou deux tournées destinées à renflouer les trésoreries), des petites pépites vidéos au détour d’un rayon obscur. Celle de l’amitié plus forte que tout dans un village isolé où le principal loisir est de tout casser, y compris le visage de son meilleur ennemi (ça, par contre, ça n’a peut-être pas changé). Et pour tout cela, on peut remercier Dylan Pelot. L’histoire est quant à elle délayée au profit de descriptions, réussies, certes, de tranches de vie, dont on ne peut qu’imaginer qu’elles comportent une grande part d’autobiographie (et cela rend le roman d’autant plus touchant). D’ailleurs, la résolution de l’intrigue, dans la dernière partie du récit, est vite fourguée au lecteur. Parce qu’il faut bien une explication. Et un climax. Qu’on oubliera tout aussi vite. On se souviendra par contre longtemps de Sacha et de son coin paumé des Vosges. Région décidément bien mise en valeur par la famille Pelot. Les plus de quarante peuvent donc se plonger avec nostalgie dans ce bain de jouvence. Et les plus jeunes regarder cette bulle temporelle avec un sourcil levé en forme de point d’interrogation amusé.
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Myfanwy Thomas est de retour. Ou plutôt, la deuxième Myfanwy, puisque l’héroïne de The Rook, au service surnaturel de sa majesté, s’était réveillé au début du roman, faut-il le rappeler, sans aucun souvenir, dépositaire d’un corps qui n’était pas le sien. Depuis, elle en a fait du chemin, Myfanwy. Elle est à présent l’un des piliers de la Checquy, une Tour, chargée de mener à bien la fusion de deux entités ennemies : la Checquy, donc, organisation ultra-secrète, sise en Grande-Bretagne, dont la mission est de défendre le royaume contre les phénomènes surnaturels (et ils sont légion !), et la Wetenschappelijk Broederschap Van Natuurkundigen, composée de Greffeurs, hommes et femmes modifiés, améliorés, grâce à une science chirurgicale poussée à l’extrême. Or, ces deux groupes ont un gros contentieux : des années de guerres sanglantes et sans pitié, surtout la bataille de l’île de Wight en 1677. Autrement dit, le travail d’équipe ne va pas de soi. Pour couronner le tout, une troisième partie semble vouloir rebattre les cartes. Et elle se montre pour le moins inventive dans les moyens de massacrer ses opposants. Il va falloir faire preuve de diplomatie pour mettre tout ce petit monde d’accord. Et ne pas hésiter à expliquer son point de vue avec force.
Et c’est parti pour plus de huit cents pages menées tambour battant. Daniel O’Malley s’y entend pour embarquer son lecteur dans une intrigue suffisamment complexe pour tenir la distance, mais pas trop afin de ne pas le perdre. Pour la plus grande tristesse des fans de Myfanwy, cette dernière laisse la vedette aux plus jeunes. Mais rassurons-les, elle est tout de même très présente dans l’histoire. La narration se partage donc pour l’essentiel entre Felicity et Odette. La première est un membre lambda de la Checquy, régulièrement envoyée sur le terrain. Son équipe étant décimée, elle se retrouve, pour son plus grand désespoir, obligée de protéger la seconde, Odette Leliefeld, une Greffeuse. Il est peu de dire que le courant ne passe pas, au début, entre les deux jeunes femmes. Pour chacune, l’autre est un monstre, une abomination, un furoncle à éliminer de la surface de la Terre. C’est d’ailleurs un des charmes de ce roman : les interactions très riches entre les personnages. Et surtout, entre les Britanniques et les Greffeurs, à base de suspicion, de paranoïa (justifiée dans la plupart des cas), de coups tordus. Chacun mène son jeu, n’hésitant pas à trahir ses associés d’hier, sa propre famille. Seul le but fixé compte. Et tant pis pour les victimes… un mal nécessaire.
Histoire de pimenter le tout, la galerie de créatures déjà présente dans le premier volume s’enrichit de nombreuses bestioles intrigantes, monstrueuses, souvent effrayantes et mortelles. On se croirait dans un gigantesque mix de Men in Black et de Fringe. À se poser des questions sur le régime alimentaire de l’auteur : quelles substances absorbe-t-il avant de se mettre à l’écriture pour inventer de telles horreurs ? En tout cas, cette capacité lui permet d’écrire quelques pages proprement terrifiantes, à base de membres broyés, brûlés, arrachés, déchiquetés… Du gore pur et dur. Mais, et c’est une des forces de cet ouvrage, tout cela reste teinté d’un humour so british, d’un détachement bien particulier face aux situations les plus terrifiantes.
L’éditeur (ou l’agent, ou l’entourage, enfin, quelqu’un) de Daniel O’Malley aurait dû insister pour qu’il taille dans le gras et supprime quelques bonnes dizaines de pages (voire une ou deux centaines), c’est certain. Ce qui n’empêche pas Agent double de rester une lecture agréable et sans (trop de) temps mort. Bien sûr, certains passages sont convenus et manquent un brin d’originalité. Mais peut-on – et même doit-on – toujours tout inventer ? Au diable les hésitations : embarquez pour cette galerie des horreurs bien séduisante.