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Sagas et sables d’os

Au cours d’un combat contre une bande de nécrophages, Viv est blessée à la jambe. Immobilisée, elle ne peut plus suivre ses compagnons dans leur mission : tuer la nécromancienne Varine la Pâle et son armée de squelettes. La jeune orc purge donc sa peine, du moins c’est ainsi qu’elle le voit, dans sa chambre à La Perche, une auberge de Grise, petite bourgade tranquille en bord de mer. Le gérant, Harp, est fort sympathique et sa cuisine est pour Viv le meilleur des remèdes, mais elle n’en peut plus de rester enfermée. Bravant les interdits du médecin, elle sort de son lit. Lors de ses pérégrinations, Viv passe la porte d’une librairie, La Graine de chardon : des vieux livres poussiéreux, un tapis à la forte odeur de chien mouillé, une rateline au langage fleuri derrière le comptoir et son chien-hibou nommé Saucisse. Rien de bien attrayant au premier abord, mais Salvinia la libraire va mettre entre les mains de Viv un roman qui va changer son séjour forcé à Grive. Rangement, réparation et embellissement de la librairie, lorsqu’elle ne dévore pas les livres que Salvinia lui donne : Viv lui file un coup de main pour redonner un peu d’éclat à son magasin dans l’espoir d’attirer des clients qui se font rares. Et quand elle ne trime pas, la jeune orc se rend chez Méli, la naine boulangère. Sa boulangerie, Le Chant de mer, est un véritable guet-apens de miches de pain, de brioches à la mélasse et de biscuits à la piquante mais rassurante odeur de gingembre. Une convalescence sucrée qui semble satisfaire Viv, jusqu’à ce qu’un mystérieux homme en gris fasse son apparition…

Sagas et sable d’os n’est pas la suite de Légendes et lattes, mais son préquel. Travis Baldree (qui confesse en postface que cette histoire ne devait, à l’origine, pas exister) remonte vingt ans en arrière pour nous faire découvrir une jeune Viv impétueuse, nourrie par sa soif d’aventure, de sang et de maniement de sabre. On retrouve peu ou prou les mêmes ingrédients qui ont fait chavirer nos cœurs à la lecture du premier opus : des personnages au capital sympathie si puissant qu’ils donnent immédiatement envie de les inviter à notre table ; des liens d’amitiés forts et sincères ; les débuts d’une romance délicate qui dégouline de confiture. Ajoutez à tout cela un zeste de cosy crime et vous aurez une lecture parfaitement adaptée aux soirées d’hiver, une histoire divertissante à boire avec un thé au jasmin (ou une bière option brouhaha de taverne). On se laisse en effet porter par une intrigue légère aux parfums de cannelle et de muscade, car oui, comme dans Légendes et lattes, les palais y sont durement mis à l’épreuves. Notons tout de même quelques passages un peu longs dans la première moitié du roman, mais bien vite oubliés car on ne peut que craquer pour le truculent personnage qui va sortir du sac de l’homme en gris.

 

 

 

Pirate de lumière

Situé dans un futur très proche, Pirate de lumière raconte en parallèle la vie d’une jeune fille, Wanda, et la transformation de Rudder, la petite ville de Floride où elle habite, sous l’action des ouragans que le dérèglement climatique multiplie. La première partie décrit l’une de ces tempêtes, survenue le jour même de la naissance de Wanda. Dans la suite, on assiste aux efforts désespérés des derniers habitants pour maintenir un semblant de normalité malgré les soubresauts de la météo et la montée des eaux ; enfin, lorsque le combat semble perdu, on découvre comment les rares personnes qui n’ont pas fui s’adaptent à un environnement transformé où la nature reprend ses droits tandis que se retire la civilisation.

Ce roman paraît mal calibré pour séduire un lectorat déjà familier des genres de l’Imaginaire : le thème du dérèglement climatique a déjà été largement traité dans d’autres œuvres avec davantage de profondeur et, si le rôle important joué par une biologiste semble orienter un temps le récit vers la science-fiction, on se retrouve assez vite dans une sorte de fantastique light : aucune explication n’est apportée à l’étrange pouvoir de l’héroïne, et la fin du récit dérive vers une vision simpliste, à la limite de la pensée magique, de la théorie de l’évolution. L’intrigue elle-même est minimaliste, et les retournements de situation ne surprendront que les plus candides. Le principal intérêt de Pirate de lumière réside in fine dans l’approche assez optimiste des conséquences du dérèglement climatique. Dans un monde bouleversé où la nature se réapproprie le territoire, Lily Brooks-Dalton décrit comment une partie de l’Humanité, résignée à son sort, pourrait réussir à s’adapter au changement à venir. Malgré quelques accents survivalistes, le roman offre ainsi une variante apaisée d’un thème classique du post apocalyptique.

Hélas, la forme ne parvient pas plus à convaincre que le fond : l’autrice rabâche beaucoup, insiste lourdement sur des informations déjà données trois lignes plus haut, et son style n’est pas exempt de quelques incongruités que la traduction ne parvient pas à gommer.

Possible que Pirate de lumière trouve son public auprès d’un lectorat moins exigeant que celui de Notre Club. Toutefois, au milieu de la production actuelle de SF et de fantastique, il n’est qu’une énième variation un peu trop longue sur un thème déjà largement traité. Reste un regard un peu décalé, teinté d’optimisme et de douceur, porté sur la question du dérèglement climatique. C’est peu.

 

La Montagne dans la mer

On plonge très aisément dans ce roman de premier contact situé dans un futur dystopique et incertain au large du Vietnam, dans l’archipel privatisé de Côn Đảo. Après une courte introduction, nous y observons l’arrivée de Ha Nguyen, une biologiste spécialiste des céphalopodes, récemment recrutée par Dianima, la mégacorporation qui possède les lieux. Sur place, afin de résoudre l’énigme des habitants non-humains de ces lieux, Ha sera épaulée d’Evrim, androïde en exil, et d’une responsable de la sécurité, Altantsetseg, aussi efficace que mutique. 

Sans trop en dire, d’autres récits aux enjeux brutaux convergent vers cet écosystème protégé, scruté et envié — que ce soit pour sa réserve de ressource rare (le poisson) ou des enjeux géopolitiques (qui traversent d’ailleurs l’histoire réelle de ces lieux).

Les chapitres insulaires, maritimes et continentaux s’entrecoupent d’extraits des ouvrages des deux scientifiques du roman : les docteures Ha Nguyen et Mínervudóttir-Chan, son employeuse et créatrice d’Evrim… également à l’origine de Dianima. Ceci permet de nous transmettre habilement des informations sur leurs courants de pensée et de recherche, mais aussi les enjeux plus personnels de chacun des individus échoués dans cet archipel mis sous cloche : quelles obsessions et traumas les animent, en quoi ceux-ci sont freins ou moteurs ? Sans oublier la grande question : l’archipel abrite-t-il une espèce intelligente et douée de communication ? Et son premier corollaire : à quoi pourrait ressembler la rencontre avec une autre espèce ayant développé une culture communicante ? Le second est plus inquiétant : cette espèce souhaite-t-elle communiquer avec nous ?

Composé comme un puzzle à la progression narrative linéaire pour mieux nous embarquer, ce roman propose un futur proche du cyberpunk ou de la fiction climatique. C’est aussi (surtout ?) un roman de premier contact — un contact qui tarderait presque à se faire, ce qui peut se révéler frustrant au dénouement. Cependant, au-delà de la question inter-espèces, La Montagne dans la mer fait preuve d’une réflexion fine, au travers de ses personnages, de leurs échanges, de leurs obsessions, sur la communication humaine. Sur les biais qu’elle subit ou crée, ses capacités, son efficacité ou ses échecs, son entrecroisement subtil avec la psychologie des personnages. Un entretien avec l’auteur en fin d’ouvrage vient d’ailleurs éclairer cette intuition.

Un seul bémol sur la traduction par ailleurs fluide : le choix de genrer au masculin l’androïde Evrim, là où la version anglophone utilise un pronom neutre (they) et où la docteure Ha s’interroge, dès leur rencontre, sur la propre binarité de sa pensée pour cet être qui transcende par son existence les notions de genre. À mettre en regard avec le paragraphe précédent, on trouverait presque cela ironique, cette illustration des limites du langage et de nos perceptions.

Pour conclure, ce premier roman de Ray Nayler est un texte d’une grande efficacité. Un roman que l’on peut lire d’une traite avec une joie certaine, et qui suscite aussi la curiosité d’aller lire — si ce n’était pas déjà fait — Protectorats, son recueil de nouvelles paru l’an passé salué par le Grand Prix de l’Imaginaire !

 

 

Magie d'encre

Après une parution remarquée outre Atlantique en 2023, le lectorat francophone a enfin la chance de pouvoir lire la traduction du premier roman d’Emma Törzs, récit choral qui devrait ravir les amateurs de réalisme magique.

Séparée en trois trames narratives distinctes évidemment destinées à se rejoindre, l’intrigue parvient à surmonter une des difficultés majeures de ce type de récits en conservant pour son lecteur un intérêt équitablement réparti entre chacun des points de vue. On y suit Esther, Joanna et Nicholas, tous trois contraints de mener une vie qu’ils n’ont pas réellement choisie mais ayant en commun un fil rouge : la magie. Dans un monde où celle-ci se crée, se réalise et se transmet par l’intermédiaire des livres, une organisation, la Bibliothèque, s’efforce d’en monopoliser et d’en faire fructifier le pouvoir à un prix inavouable. Et c’est ce prix, précisément, qui apporte à cet élément rebattu de l’Imaginaire une fraîcheur bienvenue : un livre magique ne peut être écrit qu’avec une encre confectionnée à l’aide du sang d’un être humain, le Scribe. Ainsi, conservant à son profit les cautions classiques de l’antique, du mystère et de l’occulte aisément associées à un objet capable de traverser les siècles tel qu’un livre, Emma Törzs réussit également à ancrer les principes de cette magie dans la modernité en l’incarnant littéralement à travers ses personnages. L’autrice délivre en outre une narration soignée, prend le temps d’assembler les pièces de son puzzle, d’explorer la psyché de ses différents protagonistes et d’approfondir les relations qui se nouent entre eux ; une large variété de profils et de caractères impose ici l’écriture des personnages comme un des points forts du roman. Enfin, bien que comportant une charge dramatique assez présente, le ton ne manque pas d’un humour bien dosé grâce à ses dialogues. Tout au plus, peut-être, pourra-t-on lui reprocher un dénouement un peu longuet, garni de détails dont la chute aurait pu se passer.

Il serait difficile de ne pas voir en ce roman une véritable ode aux livres, tant l’amour, le soin et la passion qu’y consacrent les divers personnages s’y trouvent abondamment décrits. Tout lecteur passionné devrait pouvoir reconnaître la magie que nous aimons symboliquement leur attribuer : celle de nous emmener au fil des pages, de nous transformer, de nous ouvrir aux rencontres et, pourquoi pas, d’une certaine façon, d’accueillir en nous une part de ce que l’auteur y a mis de sa personne. Un livre sur la magie des livres, donc ; une promesse qui a elle seule mérite le détour.

 

 

L'Inversion de Polyphème

L'Inversion de Polyphème de Serge Lehman est maintenant disponible à la précommande !

“As-tu mérité tes yeux ?” : l'avis de Just A Word

« As-tu mérité tes yeux ? est une plongée dans une horreur psychologique totale qui opère par glissement(s) et de façon insidieuse. C’est maîtrisé et dérangeant du début à la fin, inattendu aussi. La magie fonctionne et l’on attend désormais Eric LaRocca au tournant. » Just A Word

“L'Énigme de l'Univers” : la couverture

Après La Cité des Permutants et , le Bélial' poursuit son réédition des premiers romans de Greg Egan. Le prochain à paraître sera L'Énigme de l'Univers, paru originellement en 1995 et traduit par Bernard Sigaud. Au programme : physique quantique, théories du Tout et spéculations vertigineuses. En attendant sa sortie en librairie le 17 avril, découvrez la couverture par Aurélien Police !

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