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Actualités

Bifrost 87 dans les Lectures42

« Un bon numéro sur un auteur qui m’était jusque-là inconnu et qui n’a fait qu’augmenter la liste des livres qu’il faut que je lise. Il est toujours bon de se plonger dans le passé pour comprendre le présent. Des rubriques toujours aussi intéressantes, mention spéciale à la rubrique science-fiction, un cran au-dessus comparé à celles que j’ai pus lire jusque là […]. Longue vie à Bifrost, au Bélial’, aux indépendants et à l’imaginaire. » Lectures42

L'Empereur de l'espace chez De l'écran à la page

« Edmond Hamilton a écrit son lot de rebondissement dans cette aventure, et il y en a suffisamment pour ne pas s’ennuyer. Comme l’écrit Pierre-Paul Durastanti en préface, difficile de ne pas succomber aux charmes surannés, naïfs mais sincères de ce Capitaine Futur. » De l'écran à la page

Dragon chez Mistinguette

« Je ne peux que vous conseiller ce roman si vous êtes adepte du genre. Thomas Day excelle dans cette forme courte et efficace. La tension est maintenue jusqu’à la fin qui, pour ma part, m’a complètement convaincue. Oserez-vous côtoyer la part la plus noire de la nature humaine ? » Mistinguette

Bradbury/Matheson – conversation avec deux légendes

Dans ce petit ouvrage strictement numérique, deux interviews de l’écrivain Denis Etchison. On y trouve un peu de Bradbury et beaucoup de Matheson. Concentrons-nous sur Matheson et sa brève « récapitulation » de son « moi » d’auteur.

Richard Matheson se définit comme un passionné de l’écriture. Il explique n’avoir toujours voulu faire que ça, affirme ne pas pouvoir faire autre chose, et parle des boulots qu’il a occupés avant de vivre de l’écriture en les décrivant comme des boulots d’attente. Son ton, sur ce sujet, évoque Rilke. Il ne faut pas se lancer, dit-il, on ne se lance pas, et même si, débutant, il a écrit à Bradbury, ce n’était pas pour lui demander une validation, juste des encouragements. Pour lui, il faut vouloir écrire, puis écrire, écrire, écrire, jusqu’à ce qu’on perce… ou pas.

Il se définit aussi presque comme un artisan, de ces ouvriers de métier qui faisaient une chose avec application et la faisaient bien – en cela, il rappelle beaucoup des auteurs de cette époque, Robert Silverberg par exemple. Il explique écrire au crayon, sans ordinateur, et travailler avec une secrétaire. Seule concession au modernisme : un enregistreur. La construction, elle, se fait à l’aide de cartes Bristol, collées et déplacées sur des tableaux muraux. Pour cet auteur qui dit ne pas connaître la page blanche, la recette est simple : écriture rapide puis révision (jusqu’à plusieurs dizaines de versions). Travaillant avec sérieux, Matheson dit rendre toujours ses histoires dans les temps sans avoir besoin de la pression d’une deadline, et considère que l’expérience est ce qui fait progresser l’auteur. Il cite Bradbury : « Écrivez cinquante-deux histoires par an ! ». Donc, dès qu’un texte est proposé à un éditeur, il faut commencer le suivant sans attendre la réponse, écrire six jours sur sept, plusieurs heures par jour. Et s’il enjoint de n’écrire que ce qu’on aime – pour ce qu’on connaît mal, il y a toujours les recherches (pour Je suis une légende ou La Maison des damnés) –, il n’oublie pas qu’écrire est un métier dont il faut pouvoir vivre (il a eu quatre enfants). D’où, avoir un agent efficace, écrire pour Playboy (qui paie mieux), ne pas hésiter à aller vers la télévision ou le cinéma, d’autant que l’écriture de scripts est formatrice car elle apprend à maintenir l’intérêt et à savoir couper ce qui est trop long. Pour celui qui dit penser en histoire et être un conteur quel que soit le support, l’important est d’avoir une bonne histoire – contexte et personnages suivent – puis de la mettre en forme. Cela implique deux impératifs : trouver la « Voix », le ton spécifique à chaque histoire, et aller jusqu’où l’histoire doit aller, même à des scènes de sexe ou de violence dont l’auteur n’est guère friand. Mieux vaut laisser tomber une histoire que de la gâcher par tiédeur.

Auteur SFFF qui ne croit pas au surnaturel mais au « surnormal », qui a étudié la parapsychologie mais juge le spiritisme ridicule, Matheson dit trouver ses histoires dans la vie (pour « Duel » ou le début des Seins de glace par exemple), ce qui est pour lui la spécificité des écrivains ; il doit trier parmi les idées qui lui viennent, pas en chercher. Modeste artisan, Matheson affirme que ses textes refusés l’ont été car ils étaient mauvais, mais qu’il faut du temps pour le reconnaître. Créateur versatile, Matheson a changé plusieurs fois de genre ou de support, et aime le contrôle total que lui donne la possibilité d’adapter ses textes.

Se retournant sur son œuvre, Matheson a un regret : n’avoir pas publié à 23 ans Hunger & Thirst, en raison du jugement très négatif de son agent d’alors (il aurait écrit plus de romans et plus de mainstream sinon). Il s’interroge aussi sur les conséquences possibles de ses écrits sur d’autres et donc sur sa responsabilité d’écrivain (pour « Le Distributeur » ou La Maison des damnés). Il exprime surtout la joie d’avoir fait la seule chose qu’il aimait, d’avoir produit même quand ce n’était ni lu ni vu, d’avoir inspiré, voire plus, des œuvres que le grand public ne lui attribue pas (Duel ou Poltergeist), et revendique Le Jeune homme, la mort et le temps comme son meilleur roman (il a raison), sans oublier le sentiment d’accomplissement qu’il a ressenti en recevant les nombreuses lettres de lecteurs affirmant qu’Au-delà de nos rêves les avait réconfortés dans des moments de deuil personnel.

Extrayons deux phrases de la bouche de cet artisan passionné : sur l’artisanat : « La façon dont je composais mes scripts était semblable à la façon dont un charpentier va assembler un coffre ou quelque chose du genre » ; et sur la passion (après la vente de sa première nouvelle) : « Je suis allé le dire à ma mère qui était en haut des escaliers, mais j’étais tellement content que je ne me rappelle pas avoir touché une seule marche. » Et celle-là où Rilke semble s’adresser à Matheson : « Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? Ceci surtout : demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : “Suis-je vraiment contraint d’écrire ?” Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. Si cette réponse est affirmative, si vous pouvez faire front à une aussi grave question par un fort et simple : “Je dois”, alors construisez votre vie selon cette nécessité. »

À sept pas de minuit

Chris Barton travaille pour Palladian, une entreprise dont les recherches s’avèrent cruciales pour le gouvernement. Précisément pour le Pentagone, qui suit avec attention les avancées de Chris concernant les turbulences laser. « Je ne fais qu’apporter ma contribution aux problèmes de la planète », affirme l’intéressé, dont la modestie sincère ne doit pas occulter le talent. Car Chris est un génie. Seulement voilà, depuis quelques temps il ne parvient pas à dormir, et son travail est au point mort. En une soirée, son existence va basculer. Lafourche, un vieil homme pris en stop à un embranchement, soit au carrefour de tous les possibles, lui demande : « Vous trouvez votre vie bien organisée ? » Il faut croire que non, puisqu’arrivé chez lui, Chris découvre sur le seuil une femme prétendant habiter sa maison depuis huit ans. Enveloppe à message, bague de la Rome antique contenant un microfilm, homme en noir, conspiration et manipulation, Indien à turban et la belle Alexsandra en mystérieuse alliée, Chris se retrouve embringué dans des aventures en apparence sans queue ni tête, au gré de poursuites en voiture, avion, train, ferry, hovercraft, funiculaire, vaporetto, de Londres à Paris en passant par Venise et la Suisse. « Et quelle est la suite du programme ? L’ascension du Mont Blanc ? Une fusillade dans un château bavarois ? » s’exclame-t-il lors d’un court répit.

On l’aura compris, le roman puise aux sources éprouvées du thriller mâtiné de mystère. D’ailleurs, Richard Matheson balise le chemin du lecteur en ne cessant d’invoquer aussi bien James Bond que Kafka, et surtout Hitchcock cité pas moins de dix fois. Trop de références martelées pour un récit somme toute bref, auxquelles on préférera le clin d’œil de l’épisode du théâtre où se donne Le Petit ministre, pièce de James Matthew Barrie qui joue un rôle essentiel dans Le Jeune homme, la mort et le temps.

Reste toutefois un récit prenant, où le métier de Matheson ne fait pas défaut, qui se situe dans la lignée du roman de Jules Verne, Le Testament d’un excentrique, qui voit le héros jouer une partie de jeu de l’oie à l’échelle des États-Unis, et du film The Game de David Fincher. Mais aussi d’Hitchcock.

Journal des années de poudre

« Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende ! » Les amateurs de western auront reconnu ici sans mal la réplique du film L’Homme qui tua Liberty Valance. Une citation qui correspond idéalement au roman de Richard Matheson. Journal des années de poudre s’attache en effet à l’itinéraire de Clay Halser, une de ces légendes dont les aventures enjolivées composent l’ordinaire des dime novels, contribuant à forger le mythe du Far West. Surnommé par la presse le Prince des Pistoliers, Clay n’était pourtant au départ qu’un jeune homme plein d’espoir, parti chercher l’aventure à l’Ouest après avoir participé à la Guerre civile. Sans véritables qualités, si ce n’est celle de donner la mort sans coup férir, une tâche dont il s’est acquitté avec talent pour le compte de l’Union, il flirte d’abord avec l’illégalité avant d’endosser le costume funèbre de marshal. En dépit de la faible espérance de vie des gardiens de l’ordre, Clay se découvre très vite des dispositions pour la fonction, profitant d’être du bon côté de la loi pour régler ses comptes.

Faux roman fantastique mais authentique western, Journal des années de poudre n’aurait que peu d’intérêt si Richard Matheson se contentait de raconter le parcours violent et tragique d’un as de la gâchette. On renverra d’ailleurs les amateurs de noir et d’Ouest sauvage vers Deadwood de Pete Dexter, amplement plus convaincant sur ces deux points.

Individu ordinaire, un brin naïf, Clay Halser ressemble beaucoup à Wild Bill Hickok dont il croise la route à deux reprises. Matheson reviendra par la suite sur cette figure emblématique de l’Ouest avec The Memoirs of Wild Bill Hickok. En attendant, les aventures de Clay pillent sans vergogne quelques épisodes de l’histoire de la « frontière » américaine, notamment la guerre du comté de Lincoln. Fort heureusement, le récit profite d’un dispositif narratif astucieux, peut-être un tantinet lassant sur la longueur, présentant la mythification de Clay comme un processus de déshumanisation implacable. Récupéré après sa mort, le récit du pistolero, couché par écrit dans son journal intime, fait ainsi l’objet d’une publication posthume. Une version corrigée et retouchée (toutes les bordées d’injures sont coupées) qui, selon son ami le journaliste Frank Leslie, tente de rendre justice au pistolero en rétablissant la vérité sur sa vie. Bien entendu, la vérité se dessine entre les lignes, conférant à ce Journal des années de poudre une dimension introspective inattendue.

Mais le cœur du récit de Matheson se situe autour des notions de fiction et de réalité. Littéralement vampirisé par sa légende, dépossédé de son identité, Clay n’est finalement qu’un pantin, victime de ses pulsions, qui nourrit avec la fiction une relation exclusive et ambiguë.

Bref, avec Journal des années de poudre, Richard Matheson nous livre un western dépourvu de toute vision archétypale cherchant surtout à atteindre une forme de démystification, celle du Far West et de ses héros de papier.

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