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Le Royaume blessé

Un jeune homme se retrouve dans une taverne de Koronia, colonie Atlane en pays Kelte, à écouter un conteur narrant les hauts faits de l’ancien roi Allander ap’Callaghan, monarque qui, après avoir ralié à sa cause tous les clans Keltes, a entrepris de conquérir le continent tout entier, jusqu’au bout du monde. Jusqu’à la folie et la mort… Fasciné par ces récits du passé, le jeune homme se fait embaucher par la sœur Serena Fonte, qui le charge de collecter pour elle l’histoire d’Allander. En menant son enquête, le scribe va rapidement découvrir que le Roi des Rois avait un jeune frère et que celui-ci a aussi réuni les clans sous sa bannière afin de réclamer l’héritage qui lui revenait de droit.

À l’instar de Jean-Philippe Jaworski, Laurent Kloetzer a été rôliste (et l’est encore). Cela peut aider pour devenir un démiurge littéraire – ou pas, comme nous l’avons vu précédemment dans le présent dossier. Et tout comme l’auteur lorrain de Gagner la guerre, l’écrivain actuellement basé en Suisse nous sert ici un beau petit pavé mettant en scène un anti-héros dans un monde de fantasy proche de la Renaissance. Mais là où le créateur de Benvenuto Gesufal fait montre d’un style recherché que d’aucuns qualifieraient d’alambiqué, celui d’Eylir ap’Callaghan, fort de sa simplicité, s’avère d’une efficacité redoutable. D’autant que simple ne signifie pas simpliste, et le monde décrit ici par Laurent Kloetzer est d’une ampleur incroyable. Un monde qui se déploie par petites touches, tout le long des récits collectés qui sont autant de pièces d’un immense puzzle. Le jeune scribe, dont on ne saura le prénom qu’à la toute fin du livre, se pose en narrateur du roman. La quête qu’il mène pour retrouver celui qu’il considère comme un héros s’entremêle à celle conduite par le Kelte pour recouvrer son royaume et la couronne qui va avec, et les récits imbriqués sont parfois source de confusion pour le lecteur qui apprend très vite à se méfier de ce qu’il lit. Faux-semblants, jeux de piste labyrinthiques, mise en abyme… Tout est ici mis en œuvre pour faire de cette histoire un récit mythologique comme rarement proposé par un auteur, qu’il soit français ou anglo-saxon. Et si vers les deux-tiers du roman, le souffle épique perd un peu de son intensité (exactement comme dans le livre de Jaworski cité plus haut), Kloetzer sait parfaitement redonner du carburant à son histoire pour lui offrir un final de toute beauté.

Hommage à la fantasy classique (outre quelques clins d’œil à Fritz Leiber et J.R.R. Tolkien, c’est surtout l’ombre de Robert E. Howard qui plane sur ce livre) et œuvre ambitieuse dans sa construction et le souffle qui s’y déploie, Le Royaume blessé ravira le lecteur exigeant aussi bien que l’amateur avide de divertissement épique. Et pour ceux qui ne seraient pas rassasiés après ces presque 800 pages bien tassées, pas de panique : les éditions le Bélial’ proposent une édition numérique du présent roman augmentée d’une sélection de douze nouvelles situées dans le même univers.

Terreur dans la nuit

Terreur dans la nuit est la traduction (tardive) de la fameuse anthologie Creeps by Night, parue originellement en 1931, et concoctée par le maître du roman noir, Dashiell Hammett ; il ne s’agit cependant pas d’une compilation de récits policiers, comme on aurait pu l’attendre de la part de l’auteur du Faucon maltais, mais d’une belle sélection de récits horrifiques très divers, dus à des auteurs aux profils variés. Le sommaire de l’anthologie a varié au fil des rééditions, et Terreur dans la nuit compile dix nouvelles jugées essentielles. Le moins qu’on puisse dire est qu’il y a des beaux noms à l’affiche, essentiellement anglo-saxons (le lecteur de Bifrost notera peut-être plus particulièrement la présence de Lovecraft, pour « La Musique d’Erich Zann »), mais avec aussi un Français (André Maurois, pour un très court récit dont la concision n’a d’égale que l’élégance), et un Allemand, Hanns Heinz Ewers (pour sa célèbre nouvelle « L’Araignée », délicieusement perverse).

La variété des thèmes comme des approches est sans doute le principal atout de Terreur dans la nuit – d’autant plus appréciable qu’elle ne constitue pas à proprement parler une dispersion, aux connotations fâcheuses, mais plutôt une volonté d’exploration du genre dans toute sa diversité. On y trouve des textes très pulp, d’autres probablement bien plus raffinés ; l’horreur peut s’y avérer crue ou subtile, indifféremment, et avec un égal plaisir ; la psychologie complexe de certains récits répond avec bonheur à l’efficacité franche de quelques autres ; les thèmes classiques (fantôme, loup-garou, double, sorcière…), joliment traités, y côtoient des trésors d’inventivité plus difficiles à rattacher à une quelconque tradition du genre, à moins qu’ils ne viennent tout bonnement en susciter une. L’humour, enfin, est à l'occasion de la partie – tranchant sur la noirceur viscérale d’autres contes.

Outre les nouvelles de Maurois, Ewers et Lovecraft déjà citées, relevons, parmi les récits les plus enthousiasmants, la merveille d’efficacité, avec des histoires joliment enchâssées, concoctée par l’étonnant Peter Fleming ; la descente aux enfers de la folie de L.A.G. Strong ; la parabole sur le destin, d’une cruelle ironie, signée Irvin S. Cobb ; la satire improbable de la bonne société qu’autorise « Le Roi des chats », de Stephen Vincent Benét. Peut-être un cran en dessous, mais sans jamais rien de mauvais à proprement parler, l’orchidée anthropophage de John Collier, annonçant La Petite Boutique des horreurs ; la malédiction provençale rapportée par W.B. Seabrook ; enfin, la maison étouffante de mystère et de culpabilité décrite par Paul Suter.

Le bilan est tout à fait appréciable. L’anthologie est d’un autre temps, sans doute, mais conserve une certaine fraîcheur et une inventivité constante qui lui permettent de ne pas constituer aujourd’hui simplement une pièce de musée amusante mais poussiéreuse, et bien plus qu’une curiosité nostalgique. Une traduction très bienvenue.

Le Monde du fleuve

Les classiques ne disparaissent jamais. Surtout quand les éditeurs ont de belles idées pour leur donner une nouvelle vie. Ainsi les éditions Mnémos proposent une intégrale du cycle du « Monde du Fleuve » dans un beau volume – une édition limitée avec couverture cartonnée, signet, jaquette – qui regroupe les cinq romans écrits entre 1971 et 1983 : Le Monde du Fleuve (Prix Hugo 1972), Le Bateau fabuleux, Le Noir dessein, Le Labyrinthe magique, et enfin Les Dieux du Fleuve.

Rien de plus simple que « Monde du Fleuve ». Tout commence quelque part, dans le vide, quand un homme nu se réveille. Il ne sait pas où il est mais il veut survivre. Des inconnus surgissent, le maîtrisent. Puis il se réveille encore. Nu. Glabre. Jeune. Il est au bord d’un fleuve et il n’est pas seul. Tous les morts de l’histoire de l’humanité sont présents sur ces rivages qui semblent infinis. Tous sont nus et leur dernier souvenir est leur mort…

L’idée à elle seule est tellement puissante et romanesque que l’on comprend sans peine pourquoi Philip José Farmer a reçu le prix Hugo. Le cycle dépasse d’ailleurs le principe du livre-univers parce que tous les auteurs, tous les artistes, tous les aventuriers, mais aussi toutes les pires ordures de l’histoire sont présents ! Richard Burton, Sam Clemens (alias Mark Twain), Jean sans Terre, Cyrano de Bergerac, Ulysse, Hermann Göring et bien d’autres… Ne gâchons pas la liste parce qu’elle est splendide.

L’habilité de Farmer est de placer ses personnages non pas dans la continuation de leur vie, mais dans une nouvelle existence, profondément différente, où leurs convictions, leur éducation et leur personnalité devront être redéfinies. Richard Francis Burton est le personnage principal. Burton, l’homme aux mille vies, lui qui chercha les sources du Nil, qui réalisa la première traduction complète des Mille et une nuits, devient ici un personnage fascinant, obsédé par le besoin d’aller de nouveau aux sources du fleuve. Philip José Farmer joue avec bonheur de toutes les possibilités de sa fiction, et même de la science-fiction. Le dernier survivant de la race extraterrestre ayant exterminé l’humanité est également du voyage. Tout comme Peter Jairus Frigate – qui connait parfaitement la biographie de Burton – dont les initiales révèlent de manière transparente ses liens avec l’auteur.

À l’image du panorama sans fin du fleuve, le roman se déroule sur un rythme trépidant. Nous sommes dans la très grande aventure où la résolution du mystère (Qui a construit le fleuve ? Pourquoi ces résurrections ?) n’est que le moteur puissant d’une intrigue qui avance à pas soutenu. Farmer multiplie les inventions qui relancent à point nommé le récit, chaque révélation entraînant de nouvelles complications. Certains passages atteignent des sommets épiques, d’autant plus impressionnants qu’au fil des pages, nous avons appris à connaître et apprécier ces explorateurs d’un genre nouveau…

Bref, un cycle tout simplement indispensable pour toute bibliothèque digne de ce nom.

NDRC : En guise de « nouvelle vie », on rappellera que ce cycle est disponible au Livre de Poche depuis des années, et que l’intitulé d’intégrale dont se targue cette édition est au mieux discutable puisqu’il y manque les nouvelles, disponibles dans la seule intégrale qui soit, celle de la collection « La Bibliothèque » (Robert Laffont, 2003).

Alice au pays des morts-vivants

Le Pays des Morts, après l’apocalypse. Autrefois l’Inde, aujourd’hui des contrées dévastées (et parfois radioactives) où les humains survivants se battent sans relâche contre les Mordeurs, contaminés par le virus qui les a réduits à l’état de zombies, eux, et la quasi-totalité de l’humanité. De l’autre côté du miroir, le Comité Central et sa puissante armée, Zeus, qui recrute à tour de bras (et de mitraillette) les survivants.

Alice Gladwell, quinze ans, née après le Réveil, vit dans un camp indépendant. Excellente combattante, tireuse hors pair, elle ne connaît qu’une règle : survivre. Car dans la campagne, les ennemis sont nombreux, et n’ont plus rien à perdre (si ce n’est quelques membres). Mais en suivant un Mordeur affublé d’oreilles de lapin, Alice tombe dans un tunnel et découvre que les zombies, loin d’être les bêtes féroces qu’on lui a toujours dépeintes, forment une communauté dirigée par la Reine, une ancienne scientifique qui possèderait la formule du vaccin contre le virus. Pire, le Comité Central, dirigé par les Gardes Rouges chinois, serait à l’origine du cataclysme, et en fait de protéger le peuple, recruterait des esclaves pour ses fermes agricoles (ah, le bienveillant aveuglement des gens effrayés qui acceptent la tyrannie et l’illusion de la sécurité pour vivre en « paix »…). Alice, comme il se doit, découvrant la vérité, s’empresse de répandre la bonne parole, et devient le symbole d’une nouvelle lutte sans merci pour la liberté.

Rien de révolutionnaire (sauf Alice) dans ce récit au demeurant sympathique. On sourit face aux références au texte de Lewis Carroll (le célèbre « qu’on leur coupe la tête » prenant tout son sens ici), on s’amuse de quelques scènes de combat un peu gores. Et, même si les ficelles manipulées par l’auteur sont visibles comme un phare dans une nuit sans lune, on ferme les yeux par complaisance, histoire de voir jusqu’où cette gamine va réussir à emmener son petit monde. On se lasse aussi, hélas, le récit oscillant entre dystopie et horreur, effleurant les deux et jouant avec les codes sans jamais, malheureuse ment, s’y perdre ni s’y plaire complètement, et y perdant, du coup, tout son mordant.

Ce tome, le premier d’une trilogie d’un auteur repéré grâce au succès de ses textes autoédités, est destiné aux fans des contes de Carroll doublés d’amateurs de gore commercial (y en a-t-il ?). Les autres attendront la série télé qui semble prévue outre-Atlantique. Espérons qu’elle s’amusera davantage avec les cartes, et nous avec.

Lancement de Gotland

La soirée de lancement de Gotland, c'est demain ! Nicolas Fructus, Thomas Day et l'équipe du Bélial' vous accueilleront à la galerie Un Livre - Une Image pour fêter la sortie de ce premier titre de la collection Wotan.
Amis contributeurs, si vous souhaitez recevoir en mains propres votre exemplaire de Gotland et les contreparties, profitez-en. Et surtout : n'oubliez pas de prévenir de votre venue, afin que l'on emmène avec nous tout ce qu'il faut.

L'Île

En attendant la parution d'Au-delà du gouffre, recueil rassemblant les meilleures nouvelles de Peter Watts, (re)partez faire un tour du côté de « L'Île ». Une nouvelle vertigineuse, couronnée par le prix Hugo 2010 et que nous vous proposons au téléchargement gratuit tout au long du mois de novembre…

Tous à Nantes !

La 17e édition des Utopiales débute demain samedi. Du côté de la librairie ou du bar de Mme Spock, vous pourrez y retrouver l'équipe du Bélial', ainsi que Nicolas Fructus (quelques exemplaires de Gotland seront disponibles en avant-première à la librairie).
Soyez matinaux lundi 1er novembre, et ne manquez pas la table ronde des vingt ans du Bélial' sur la scène Hetzel !

Le Bifrost 84 est là

Le Bifrost 84, consacré à Robert E. Howard au travers d'un joli dossier-hommage, est désormais disponible dans toutes les bonnes librairies et sur bélial.fr ! (La version numérique sera disponible ce weekend.)

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Les Armées de ceux que j'aime

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