Membrane
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En 1996, Chi Tawei fuit sa ville natale, Taiwan, pour s’installer à Paris dans l’espoir de pouvoir enfin exprimer ses orientations sans se mettre en danger. Il y écrit Membrane, son premier roman, dans lequel il s’attaque à des sujets difficiles : l’homosexualité, le transhumanisme et la théorie du genre. Désireux de se démarquer de la littérature taiwanaise de l’époque, il choisit, pour exprimer sa différence et sa quête d’identité, un genre littéraire marginal et étranger, la science-fiction. Membrane sera de fait le premier roman de SF taïwanais…
En 2100, la Terre est inhabitable suite au réchauffement climatique : l’humanité vit dans des complexes sous-marins tandis qu’en surface, des armées d’androïdes s’affrontent. Momo, l’héroïne du roman, est une esthéticienne célèbre, différente, autiste ou presque (elle a toujours l’impression qu’une membrane la sépare des autres), qui reçoit ses richissimes clientes à domicile. Du fait de brûlures récurrentes générées par le rayonnement ultraviolet ambiant, la protection dermatologique reste la préoccupation majeure des habitants sous-marins, conférant aux professions liées aux soins corporels un prestige considérable. Momo doit son succès à une crème miraculeuse dont elle enduit les corps, la M-Skin, une crème générant une peau mémorielle qui, une fois récupérée après usage, donne à la praticienne accès au vécu de ses clients : travail, activité sexuelle, piqûres de moustique, alimentation… Les belles jeunes femmes qui fréquentent son salon de massage sont loin d’imaginer que Momo se sert de produits cosmétiques pour épier leurs secrets, savoir « qui a fait l’amour, avec une personne de quel sexe, qui pendant l’étreinte amoureuse a fait usage de fouets en cuir… qui joue au Don Juan ou à la Méduse… » Momo peut non seulement savoir, mais vivre et ressentir dans sa chair leurs moindres gestes. Elle ignore cependant une chose : la M-Skin est en réalité une invention militaire dédiée à d’autres intérêts…
Le décor est planté, la personnalité de Momo décryptée et sa vie de recluse célèbre sur des rails. Or, à la veille de ses trente ans, Tomié, une de ses clientes, va sortir notre héroïne de son cocon protecteur. Cette journaliste japonaise publie un article accusateur sur la mère de l’esthéticienne, une dirigeante de L’Empire éditorial Macrohard n’ayant pas vu sa fille depuis vingt ans…
Le roman commence vraiment au moment où la mère prend rendez-vous avec sa fille, une visite qui ravive la colère de Momo autant que ses souvenirs.
À sept ans, et alors de sexe masculin, Momo a contacté un virus qui s’est attaqué à ses organes, contraignant l’enfant à vivre pendant trois ans dans une chambre stérile en compagnie d’une fillette nommée Andy. Se sentant abandonné par sa mère, il reporte son affection sur sa compagne manifestement insensible au mal dont il souffre. Hélas, quand Momo se réveille de son opération dans un corps tout neuf et féminin, son amie a disparu… Retour au présent : les révélations et surprises ne cesseront plus se s’enchainer…
En décrivant la relation entre Momo et Andy, entre sa mère et Tomié, Chi Ta-wei aborde des thèmes très actuels : qui de l’enfant ou de l’androïde est le plus humain ? Où commence et finit l’humanité ? Surfant sur la vague cyberpunk des années 80-90, l’auteur réfléchit sur l’identité sexuelle et biologique, et se pose cette question pour lui fondamentale : qu’est-ce qui définit l’être humain ? Le cerveau, le corps, le sexe, la mémoire ou le libre arbitre ? L’auteur cherche sa vérité : suis-je un humain « normal » ou un « homosexuel » ? Suis-je un Taiwanais ou un Chinois ? Il semble qu’il ait trouvé des réponses…
Reste un roman transgressif intelligent, riche en rebondissements et empreint d’une grande sensualité. Une découverte.