Le Cerveau vert
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La quasi-totalité de l'œuvre de Frank Herbert est ou a été disponible en Pocket à un moment ou un autre, à trois ou quatre exception près — à savoir La Mort blanche, L'Homme de deux mondes, La Ruche d'Hellstrom et, jusqu'à maintenant, Le Cerveau vert. Ce qui n'est pas disponible en Pocket l'est au Livre de Poche où sont naturellement repris les livres initialement publiés par Gérard Klein chez Robert Laffont à l'exception du cycle de Dune. Le Cerveau vert constituait donc jusqu'à présent une exception. Publié en 1975 au Masque « SF », il n'avait jamais été repris dans aucune des deux collections de poche qui se partagent l'œuvre de Frank Herbert.
Frank Herbert est considéré comme l'un des plus grands auteurs de S-F aux côtés de Robert A. Heinlein, Isaac Asimov, A. E. van Vogt, Ray Bradbury, Robert Silverberg, James G. Ballard et Philip K. Dick. Il partage avec ces deux derniers, et Bradbury dans une moindre mesure, le privilège d'être largement lu en dehors des cercles traditionnels de la S-F, grâce à l'extraordinaire succès de ce qui reste comme son chef-d'œuvre : Dune. Frank Herbert se différencie cependant de ces trois auteurs, dont une partie de l'œuvre se situe hors genre, en étant un pur écrivain de science-fiction. Cela n'explique en rien pourquoi Le Cerveau vert est ainsi resté 34 ans sans connaître de nouvelle édition française — probablement est-ce tout simplement fortuit. Il n'était de toute façon pas bien difficile de se procurer l'édition originale du Masque « SF » sur le marché de l'occasion, mais le voici enfin remis massivement à la disposition de toute une nouvelle génération de lecteurs (quoiqu'il faille regarder derrière les hautes piles de fantasy en grand format pour le trouver dans certaines librairies.) Après le contexte, passons au livre.
« On était dans la zone verte, les bandeirantes venaient se reposer ou s'amuser, après avoir accompli leur service dans la jungle rouge ou aux postes de contrôle des barrières écologiques. » (p. 19). « Il paraît que certaines plantes sont en voie d'extinction par défaut de pollinisation. » (p. 21) Ces deux phrases, extraites du début du roman, semblent aujourd'hui parfaitement dans l'air du temps — un roman qui date tout de même de 1966, époque où l'idée écologique n'était pas encore un stéréotype confisqué par des politiciens réactionnaires en quête de justification pour des prélèvements obligatoires déguisés en taxes sauveuses de monde… Dans le roman, l'OEI (Organisation écologique internationale) a une vocation bien différente de tout ce que l'on pourrait imaginer aujourd'hui. En effet, elle a pour fonction de piloter les équilibres naturels en commençant par éradiquer tous les insectes inutiles ou nuisibles, ou considérés tels. Le programme a été mené à bien en Chine et c'est maintenant au tour du Brésil de le mettre en œuvre. Incidents et contretemps se multiplient. Des rumeurs d'étranges phénomènes survenus dans la jungle se répandent. Il est fait état d'insectes géants…
Soupçonnant que tout le monde au Brésil n'est pas favorable à son programme, l'OEI dépêche sur place ses agents, Travis Huntington Chen Lhu et Tanya Kelly, chargés d'y mettre bon ordre. Chen Lhu orchestre toute une chorégraphie de faux-semblants psychologiques afin de circonvenir Joao Martinho, responsable local du programme, et Tanya Kelly est l'outil qu'il peut ou doit manipuler dans ce but. Frank Herbert déploie ici tout un jeu d'influences autour de ses personnages qui s'avèrent tout à fait caractéristiques de sa manière. Les trois sont confrontés, dans la première partie, aux événements qui défrayent la chronique, chacun cherchant à en donner l'interprétation qui lui convient.
La deuxième partie les mettra aux prises avec une réalité inconcevable dont le lecteur est informé depuis le début. La mission de Chen Lhu n'en sera pas infléchie pour autant. Qu'il s'agisse des racontars de broussards ou d'une réalité qui le dépasse, Chen Lhu n'en doit pas moins faire un bouc émissaire de Martinho. Tous leurs passements de jambes finiront par s'avérer vains et l'humanité dominante par choir de son piédestal, réduite à un rôle à sa mesure.
On notera l'illustration de Marc Simonetti, inspirée d'Arcimboldo, parfaitement en phase avec le roman. Le Cerveau vert n'est nullement l'un des chefs-d'œuvre de Frank Herbert, bien que caractéristique de sa manière. Sur le thème des insectes, La Ruche d'Hellstrom est plus abouti, sans que cela soit une raison pour faire l'impasse sur celui-ci, autrement plus intéressant que ne le sont les multiples séquelles et préquelles de Dune. Pour conclure en paraphrasant Joe R. Landsdale : Kevin J. Anderson est à Frank Herbert ce qu'un tuyau d'arrosage est à un serpent. Autrement dit : mieux vaut s'adresser au Bon Dieu qu'à ses saints.