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La Cité nymphale

Seize ans après la fin du monde (Chromozone), huit ans après les événements narrés dans Les Noctivores, nous voici revenus dans l'univers de Stéphane Beauverger, pour le troisième volume de son cycle Chromozone. Un volume final, du moins annoncé comme tel, où on prend les mêmes (enfin, du moins, ceux qui ont survécu aux volumes précédents) pour suivre les rivières furieuses de leurs existences qui se croisent et se recroisent entre injures, mépris et fusillades : Cendre et Lucie vivent et baisent à Paris, sous la protection du pape Michel ; à Brest, Richard Troadec essaye de faire revivre la grande cité bretonne, d'en faire une nouvelle cité marchande ; plus loin, peut-être de l'autre côté de l'océan, Gémini cherche Laurie Deane, la mère du chromozone ; en Europe, mais aussi autour de Brest et de Paris, les Noctivores de Peter Lerner avancent et menacent. Et puis voilà que le Roméo réapparaît pour se mettre sous la protection du pape Michel, il a un message, il a des secrets… On va tenter de l'assassiner.

Si on en croit le premier rabat de l'ouvrage, « La Cité nymphale est un roman d'initiation post-chaotique, un laboratoire économique expérimental et un manuel de survie en milieu hostile ». Diantre ! Rien que ça. À peu de choses près, on croirait l'argument écrit par le Maurice G. Dantec des Théâtre des Opérations 1 à 3. À mon humble avis, La Cité nymphale est plutôt le troisième volet d'une très intéressante trilogie de fiction spéculative française. Un troisième volet qui boucle la boucle (en quelque sorte), mais qui ne répond pas à toutes les questions que l'on est en droit de se poser sur Peter Lerner, Laurie Dean et les autres. Un opus assez mou des genoux (même s'il y a deux ou trois passages très réussis) qui souffre aussi de certaines envolées stylistiques, pour le moins pénibles.

Avis mitigé, donc, mais il faut dire que Les Noctivores m'avait scotché… Sans doute manque-t-il quelque chose à cette Cité nymphale : un tremblement de terre, l'éruption du Vésuve, un concert gigantesque et spontané. Un final comme dans un opéra. Un coda. À la place, l'auteur offre une larme d'espoir et un discours ; sans aller jusqu'à dire que ce dernier relève de la philo pour les nuls à la Matrix, on est bien loin de Martin Heidegger ou même de Friedrich Nietzsche.

Stéphane Beauverger a du talent, des choses à dire, de vrais personnages, une énorme ambition autant stylistique que narrative ; il lui manque encore un peu d'économie dans l'écriture pour se hisser au niveau de son père en littérature : John Brunner.

Pour finir, on notera que l'ouvrage est vendu avec un CD de Hint (groupe présenté comme industriel, hardcore et jazz), CD qui fait office de bande originale du livre ; l'éditeur ne nous ayant pas fourni la galette, on se contentera, ici, de rendre compte de son existence.

Quartier bleu

 « En 2044, le cimetière du Père-Lachaise est devenu un ghetto africain, le Quartier Bleu, où les plus belles blacks de la ville racolent, à moitié nues, au milieu des tombes et des mausolées dans une lumière d'halogènes bleutés. La police y est assurée par un corps d'élite ultra-violent, les kamis, des auxiliaires maoris recrutés par un ancien ministre gaulliste. » (extrait du quatrième de couverture)

Et voilà que Franz Keller, engagé par une veuve, enquête sur la mort d'un mari mort en pleine partie de jambes en l'air ambiance « safari ». Ce que Franz découvrira, outre que la veuve commanditaire n'est pas la veuve éplorée, c'est plus qu'un nouveau monde : une méchante conspiration de gens de Droite.

Il y a des jours (en fait, tous les jours), je me demande ce qui passe par la tête des éditeurs… Sincèrement, qui aujourd'hui va payer 12,90 euros pour lire une mauvaise novella de S-F politique qui aurait pu paraître quasiment sans la moindre modification dans Ciel lourd, béton froid en 1977 chez Kesselring ? On ne peut pas dire que Darnaudet écrive mal (en même temps, on ne peut pas non plus dire qu'il écrive bien) ; juste, il est totalement impossible de croire à son remix du porno Rodéo lubrique à Bamako et du Grand sommeil de Raymond Chandler… Le résultat est hautement douteux, involontairement marrant, parfois à hurler de rire (j'aime bien les scènes de description où les vulves africaines se transforment en fruits de mer belliqueux !). Ajoutez à cela une couverture ambiance rectale du plus bel effet (à réserver pour la lecture aux cabinets chère à Henry Miller) et vous avez le cadeau idéal pour la prochaine fête des mères (surtout si la génitrice récipiendaire de l'objet est d'origine maori).

Ils sont fous aux éditions du Rocher. En même temps, ils ont inventé la première machine à remonter le temps à 12,90 euros pièce. Respect.

Le Pays des ténèbres

Stewart O'Nan est un écrivain inégal mais souvent formidable. Quand il s'enferme dans de grosses sagas familiales (Nos plus beaux souvenirs), il ennuie tout le monde. Par contre, quand il ose la modernité, il fait très mal. On lui doit déjà — au minimum — deux romans inoubliables : Le Nom des morts, un thriller psychologique sur fond de guerre du Vietnam, et surtout Speed queen, le fulgurant portrait d'une jeune meurtrière fascinée par les romans de Stephen King. Très inégal, donc. Mais heureusement, avec Le Pays des ténèbres, on est vite rassuré : c'est du bon, du très bon Stewart O'Nan. Dès les premières pages, on est pris, happé. Et la suite ne déçoit pas. Le Pays des ténèbres est un roman fascinant, un hommage brillant et assumé à la littérature de terreur et au cinéma d'épouvante.

Tout commence par un fait divers triste et banal. À Avon, une petite ville du Connecticut, durant la nuit d'Halloween, cinq ados partent en virée. Entassés dans une voiture lancée à pleine vitesse, ils traversent une forêt. Un virage, les pneus du véhicule qui glissent sur des feuilles mouillées, et c'est l'accident, le choc frontal avec un arbre. Et la mort instantanée pour trois d'entre eux : Marco, Danielle et Toe. Quant aux deux survivants — Tim et Kyle — leur sort est presque pire. Tim s'avère incapable de faire le deuil de ses deux camarades et de Danielle, sa petite amie. Quant à Kyle, suite à de graves séquelles physiques et neurologiques, il a désormais l'âge mental et le comportement d'un enfant de 4 ans… Fin de l'histoire ? Pas du tout. Car un an plus tard, à la veille du nouvel Halloween, tout recommence. Tim prépare minutieusement son suicide. Il veut se tuer au même endroit et de la même façon que ses trois amis. Et il compte bien entraîner Kyle avec lui. Mais voilà que Marco, Danielle et Toe, réapparaissent sous une forme inattendue. Devenus de purs esprits, des présences fantomatiques mais bien réelles, ils reviennent hanter la petite ville d'Avon. Leur mission : empêcher Tim de mettre son plan à exécution…

Avec un argument pareil, on pourrait rapidement sombrer dans une histoire de fantômes comme on en a lu mille fois (et dans le genre, difficile de faire mieux que l'excellent Ghost story de Peter Straub). Mais Stewart O'Nan a du talent. Beaucoup. Il sait choisir un traitement original et convaincant : toute l'histoire nous est racontée par Marco, l'un des trois adolescents morts. Et son récit des évènements est sans cesse entrecoupé et complété par les commentaires des deux autres fantômes : ceux de Danielle, compassionnels et nostalgiques, et ceux de Toe, ironiques, distanciés, souvent cyniques. Ce qui donne aussitôt au roman une tonalité unique, entre légèreté et gravité. On s'attache d'ailleurs immédiatement à ce trio infernal, à ces trois êtres figés, piégés malgré eux dans une adolescence éternelle, mais qui continuent pourtant à vivre et à grandir par procuration. Car en devenant fantômes, ils sont aussi devenus les témoins involontaires de la vie privée des habitants d'Avron, à commencer par celle de leurs propres parents. Et bien sûr, Stewart O'Nan en profite au passage pour nous montrer la face cachée de l'American way of life, ce qui se passe dans l'intimité de chaque maison, une fois que les portes se ferment et que les masques tombent. Qui est réellement vivant, qui est réellement mort, et qui va mourir pendant cette nuit d'Halloween ? La fatalité, le hasard, la vie, la mort, la culpabilité… Sous son apparente simplicité, l'intrigue est d'une richesse thématique étonnante. On comprend alors très vite que Le Pays des ténèbres est bien plus à lire comme un conte, une fable crépusculaire, quelque part entre Charles Dickens et Stephen King. Car même si le roman est dédié à Ray Bradbury, c'est bien plutôt au roi King qu'on pense. Stewart O'Nan nous décrit la vie quotidienne des habitants d'Avron, comme King nous décrirait celle d'une petite ville du Maine. Mais là où King multiplierait les personnages, O'Nan focalise tout son récit sur un petit groupe de personnes qui ont toutes un lien direct avec l'accident : Tim, Kyle, la mère de Kyle, et Brooks, un policier qui semble avoir sa part de responsabilité dans la mort des trois adolescents.

Stewart O'Nan reste pourtant à la lisière du fantastique. C'est à la fois la beauté et la limite du roman. On aurait aimé, par moments, qu'il accentue un peu plus cet aspect du récit. En tous cas, tel quel, Le Pays des ténèbres est une œuvre dense, marquante, et qui possède une vraie grâce. Un grand roman hanté, dans tous les sens du terme. Alors, si vous n'avez pas (ou plus) peur des fantômes, vous savez ce qui vous reste à faire…

Inversion

Après la publication d'Un chœur d'enfants maudits de Tom Piccirilli (Folio « SF ») ; voilà une autre belle découverte à faire pour tous les amateurs de littérature fantastique moderne et exigeante : Inversion de Brian Evenson.

Rudd est un jeune lycéen solitaire qui appartient à la communauté mormone, et dont le père vient de se suicider. En fouillant dans des papiers, il découvre par hasard l'existence d'un demi-frère nommé Lael, né d'une liaison adultère qu'aurait entretenu son père avec une certaine Anne Korth. Face au mutisme de sa mère, qui refuse d'en parler, Rudd part à la rencontre de ce demi-frère inconnu. Très vite, une étonnante complicité s'instaure entre eux. Rudd commence alors à mener une double vie : d'un côté, ses rendez-vous secrets avec Lael, et de l'autre, sa vie au lycée où éducation rime avec religion. Ses rapports avec sa mère se dégradent. Et Rudd a de plus en plus de mal à accepter l'autorité de ses professeurs. C'est alors qu'il fait une seconde découverte décisive : des vieux articles de presse, où il est question d'un meurtre perpétré par Hooper Young, petit-fils de Brigham Young, l'un des fondateurs de l'église mormone. Un assassinat qui semble être lié à la doctrine de « l'expiation par le sang ». Fascinés par Hooper Young, Rudd et Lael décident d'en savoir plus sur ce meurtrier. Peu de temps après, Rudd est découvert inconscient sur les lieux d'un crime qui ressemble étrangement à celui commis par Young…

On n'en dira pas plus, car Inversion est un de ces romans qui débutent doucement, sur un rythme presque lent, pour se transformer petit à petit en un véritable cauchemar éveillé. Un vrai piège à lecteurs. Un récit labyrinthique, hallucinatoire et déviant. Une intrigue à tiroirs, magistralement agencée, un peu à la manière des meilleurs romans de Christopher Priest (La Séparation ; Le don). Brian Evenson joue ouvertement sur les sensations du lecteur, le conduit à perdre progressivement tous ses repères pour mieux l'immerger dans l'inconscient chaotique du jeune Rudd. Et de ce point de vue, la troisième partie du roman est un pur moment d'hypnose. Sur le quatrième de couverture, l'éditeur parle d'ailleurs d'un « univers proche de ceux de David Cronenberg et David Lynch ». Pas faux. Il y a bien une parenté évidente entre Inversion et Spider de Cronenberg, ou avec Lost highway et Mulholand drive de Lynch. Et même si Evenson n'atteint pas l'équivalent sur papier du trouble qu'on ressent à la vision de certains films de Lynch ou de Cronenberg, il n'en est parfois pas très éloigné. Et ça, c'est déjà énorme. D'autant plus qu'Inversion est son premier roman.

C'est avec Contagion, un recueil de nouvelles déjà publié dans la même collection, qu'on a découvert Brian Evenson en France. Des textes souvent sidérants, d'une violence extrême, teintés d'une sorte de mysticisme macabre, mais encore beaucoup trop tributaires de nombreuses influences écrasantes (Beckett, Borges, Kafka…). D'où la belle surprise à la lecture d'Inversion : Evenson a su évoluer, s'émanciper, épurer son style et donner à ses obsessions une toute autre efficacité narrative. Mais il a conservé cette écriture sèche, tranchante comme un rasoir, qui fait merveille dans la description du lent glissement mental de Rudd. Un autre élément marquant du roman, c'est le rôle prédominant de la religion. Car le fait que toute l'action se passe à l'intérieur de la communauté mormone n'a ici rien d'anecdotique. Evenson a lui-même fait partie de l'église mormone, qu'il a été contraint de quitter parce que ses écrits déplaisaient aux chefs de la communauté. Et Inversion peut aussi se lire comme une dénonciation radicale du fanatisme religieux, car les névroses de Rudd sont bien la conséquence d'un système éducatif étouffant. Mais c'est d'abord, et avant tout, l'un des plus beaux romans fantastiques qu'on ait lu depuis longtemps. Un roman terrible et envoûtant, une autopsie sur papier, une plongée en apnée dans l'horreur, la vraie. Celle qui peut naître dans un cerveau humain. Plus qu'une simple lecture, Inversion est une expérience à faire. Attention toutefois : on n'en sort pas tout à fait indemne.

Feerie 1.2

Les fichiers ePub et PDF de l'intégrale numérique de Féerie pour les ténèbres ont été mis à jour. Ils peuvent être téléchargé gratuitement depuis votre bibliothèque et seront disponibles automatiquement pour les prochains achats.

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