Maintenant, c'est ma vie
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À l'heure actuelle, et sans doute possible, deux collections dédiées se partagent le haut du pavé en matière d'imaginaire pour la jeunesse : « Autres mondes » des éditions Mango (avec la particularité de ne publier que des auteurs francophones et principalement de la science-fiction, ce qui est fort remarquable), et « Wiz » des éditions Albin Michel (cette dernière collection étant ouverte aux auteurs étrangers et plus axée vers l'imaginaire au sens large, c'est-à-dire qu'on y trouvera aussi bien de la science-fiction que de la fantasy ou du fantastique, voire un mélange de tout cela). Deux collections aux lignes éditoriales différentes, deux collections à lire sans retenue tant la qualité de leur production est globalement remarquable. Maintenant, c'est ma vie, premier roman d'une Américaine vivant à Londres, en est une preuve supplémentaire.
Parce qu'elle encombre son père, parce que sa mère est morte, parce que sa belle-mère est enceinte, parce qu'elle est une adolescente un peu paumée dans ce New York rutilant et factice, parce que la vie, parfois, eh bien c'est pas facile, Daisy passera l'été chez ses cousins d'Angleterre, les enfants de la sœur de sa mère, tante Penn. Trois mois en pleine campagne anglaise, voilà qui lui fera le plus grand bien. De l'air pour son père et sa belle-mère, c'est en tout cas ce que Daisy croit deviner des motivations paternelles. Ainsi débarque-t-elle dans cette famille excentrique qu'elle ne connaît pas, ou si peu, dans cette immense maison peuplée d'animaux, elle qui n'a toujours connu que les appartements new-yorkais, avec ses quatre cousins et cousines, elle qui est fille unique depuis quinze ans. Des cousins curieux, par certains aspects, doués d'une étonnante empathie, simples, justes, vrais, des cousins qui ne vont pas à l'école (ils suivent des cours par correspondance), mais qui semblent pourtant savoir tout un tas de choses que Daisy ignore, à commencer par les plaisirs de la pêche… Et une tante aimante aux occupations obscures et dont on se saura rien ou presque, puisqu'elle part bientôt pour Oslo donner une conférence sur la « menace de guerre imminente ». Voilà les cinq enfants devenus « responsables », une responsabilité qui risque de s'éterniser puisque d'imminente, la fameuse guerre passe à l'état de réalité, et la fameuse tante se retrouve dans l'impossibilité de regagner l'Angleterre. Et notre club des cinq d'être subitement livré à lui-même au cœur de la campagne anglaise en proie à la rumeur, comme un parfum d'ineffable liberté avant que la réalité des horreurs martiales ne les balaye tous…
Anticipation (l'Angleterre envahie de l'intérieur dans une hypothétique troisième Guerre Mondiale qui tait son nom) aux couleurs d'un fantastique suggéré (l'empathie des cousins), Maintenant, c'est ma vie est avant tout un livre sur l'adolescence, l'urgence et la nécessité de l'amour, la perte et la tolérance. C'est aussi un livre d'une stupéfiante justesse de ton, d'une grande beauté, une histoire où se mêlent joie et tristesse dans un constant accent de vérité. Il y a du Sturgeon chez Meg Rosoff, doublé d'une pâte typiquement britannique dans cette peinture flegmatique et drôle d'une double fin du monde — fin du monde de l'adolescence, ses rêves et ses espoirs, et aussi fin du monde tout court, le vrai, le nôtre — totalement détachée des événements globaux et uniquement préoccupée du caractère humain des personnages mis en scène. Meg Rosoff confie avoir écrit ce premier roman suite au décès de sa plus jeune sœur, un décès qui lui a fait réaliser le caractère intrinsèquement transitoire de la vie et l'urgence qu'il y a à en profiter. Une sœur qui lui a dit un jour que ce n'est pas parce que la vie était difficile qu'elle n'en était pas moins bonne. C'est aussi ce que nous dit Meg Rosoff dans Maintenant, c'est ma vie, un magnifique message d'espoir dans un stupéfiant premier roman.