Sous la colline
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Quoi de plus contemporain, a priori, que l’Unité d’habitation se dressant à Marseille, dont Sous la Colline fait son décor principal ? Sans doute plus connu sous le nom de Cité radieuse, cet immeuble pensé par Le Corbusier s’affirme comme l’incarnation même de la modernité architecturale. Toute entière faite de béton, commandée par une stricte rationalité combinant en un seul espace habitations, services et commerces, la Cité radieuse a irrigué l’urbanisme de la fin du XXe siècle, engendrant notamment l’école brutaliste…
Quoi de plus viril, de prime abord, que cet immense monolithe ? Imprimant dans le paysage méditerranéen ses lignes rigoureusement rectilignes, l’immeuble a pour seul ornement des silhouettes masculines. Allégoriques, ces corps d’hommes stylisés impriment sur les raides parois de la Cité radieuse le Modulor ; ce concept architectural inspiré à Le Corbusier par le nombre d’or et à l’aune duquel s’organise son Unité d’habitation.
Pourquoi pareil lieu, ostensiblement placé sous le signe d’un mâle progrès, fascine-t-il l’héroïne de Sous la Colline ? L’imaginaire de Colline — ainsi s’appelle la protagoniste du roman — est en effet tourné vers le passé. Et même le plus lointain, puisque Colline s’est choisie comme métier celui d’archéologue. Quant à la virilité, ce n’est plus son genre depuis que celle qui naquit dans un corps masculin y a renoncé, après s’être découverte en réalité femme puis avoir réalisé sa transition…
Parce que « Le Corbu », ainsi que Colline a rebaptisé la Cité radieuse, n’est en réalité pas ce dont il a pourtant si modernement et si virilement l’air. C’est cette identité secrète du Corbu que Colline entraperçoit à l’orée du roman. En février 2012, à la suite des dégâts provoqués par un incendie, un « placard inconnu » a été mis à jour dans ce monument historique qu’est la Cité radieuse. Alertée par Toufik, un vigile du Corbu, l’Institut National de Recherches Archéologiques y dépêche Colline. Tous deux découvrent, au-delà du réduit, une sorte de crypte recélant un navire semblable à ceux des Phocéens, les fondateurs de Marseille. Comme « encastrée » dans le très contemporain béton du Corbu, l’antique embarcation est d’autant plus surprenante qu’elle abrite le cadavre minéralisé d’une jeune fille. Mais l’extraordinaire découverte de Colline tourne court : agressée par le vigile en proie à une soudaine et étrange folie, peut-être même possédé, Colline sombre dans l’inconscience. À son réveil, si le navire demeure, il ne reste plus trace ni du corps, ni de Toufik… Résonnant en Colline telle « une épiphanie », ces instants énigmatiques la lient, désormais, de manière obsessionnelle au Corbu. Elle vient y habiter, accueillie par Flo, habitante de longue date de la Cité radieuse. Ainsi installée au cœur du Corbu, Colline part à la recherche de ses secrets.
D’un fascinant baroque, son enquête tient autant de l’investigation policière que de la communication médiumnique, se nourrissant de témoignages et de preuves comme de rêves. Un métissage générique dont l’écriture foisonnante de Sabrina Calvo reflète les différentes nuances, oscillant avec un même brio entre vérisme documentaire et lyrisme visionnaire. Psychogéographique et fantastique, l’envoûtante odyssée de Colline l’amènera (à proprement parler) de l’autre côté du béton, lui permettant alors de mettre à jour les fondements mythologiques et matriarcaux de la Cité radieuse. Et Colline comprendra dès lors pourquoi celle-ci la fascinait autant…