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L'Homme qui voulait tuer l'empereur

[Critique commune à La Voie du sabre et L'Homme qui voulait tuer l'empereur]

Comme il le fera ensuite avec Chaka, Day s’approprie un cadre et un personnage historique et le ré-enchante, ajoutant des éléments magiques, s’éloignant des faits avérés pour donner à ce personnage une stature légendaire. Mais contrairement au Trône d’ébène, La Voie du sabre est une vraie fantasy ne proposant qu’une seule grille de lecture, surnaturelle.

À part sa maîtrise suprême du katana et son talent artistique, le Musashi de Day n’a qu’un vague rapport avec sa contrepartie réelle, tout comme son Japon n’est pas celui de nos manuels d’Histoire : les sorciers y manient la foudre, une encre allonge votre vie mais vous transforme en dragon (Herbert rencontre Lovecraft ?), un tatouage peut s’animer, un ronin manipuler le cours du temps et sculpter un tigre dans une gerbe de sang.

Sang qui – artériel ou issu du dépucelage d’une jeune fille – est omniprésent dans ce conte initiatique (qui comprend des récits dans le récit nous en apprenant davantage sur Musashi) maniant à la perfection, via une langue tour à tour poétique, raffinée, crue, voire vulgaire, chaque concept et son contraire, en un Yin et un Yang incessant confinant à la perfection, autant stylistique que dans sa portée morale et philosophique, exceptionnelle pour un texte qui reste d’une admirable (mais parfois frustrante) concision. Day nous montre un homme sanguinaire mais qui entrera dans la légende parce qu’il n’est motivé que par l’amour et le respect des autres, qui pourrait exercer un pouvoir politique absolu mais s’y refuse, qui épargne quand il devrait tuer, qui, dans une culture marquée par son conservatisme, son conformisme, est un esprit libre et progressiste refusant les hiérarchies, accordant la même valeur à l’existence des puissants et des opprimés. Il nous montre l’ambition dévorante de son disciple, qui veut connaître la technique de Musashi afin, au contraire, de régner en tyran après avoir épousé et fécondé la fille de l’Empereur-dragon. Un personnage profondément antipathique, à qui son maître montre sans cesse la voie de la sagesse, que Mikédi refusera systématiquement d’emprunter, jusqu’à commettre l’irréparable. Prouvant ainsi la plus grande leçon de Musashi – parfois, gagner, c’est refuser de combattre.

Incontestable chef-d’œuvre de Day, riche d’une documentation rendant les détails de la vie quotidienne d’une admirable authenticité, et surtout de l’amour de l’auteur pour l’Asie, La Voie du sabre est LE livre à lire dans sa bibliographie.

L’Homme qui voulait tuer l’empereur (expansion d’une novella parue dans Bifrost 32) est présenté comme la suite de La Voie du sabre, mais s’il partage le même univers (trente-trois ans après) que le roman éponyme, il a en fait tout du roman indépendant. Et ce d’autant plus qu’il y est bien plus question d’arpenter la voie de la vengeance et de l’arc que celle du sabre. Ceci pourrait ne relever que de la péroraison si ce second tome, dans le Japon fantasmé par Thomas Day, gardait la très grande qualité du premier. Las, il en va autrement.

Daigoro est un puissant seigneur qui, pour son plus grand malheur, a une superbe concubine, Reiko. L’empereur-dragon, qui vient de perdre sa fille, cherche une compagne pouvant lui donner un nouvel enfant, et jette son dévolu sur la jeune femme. Quand Daigoro refuse de s’en séparer, l’Empereur fait tuer ses deux enfants, sa femme enceinte, et assiège sa forteresse. Durant le siège, Reiko est tuée, et son corps possédé par un puissant démon du feu. Celui-ci va fournir au samouraï déchu les moyens d’assouvir sa vengeance, en ouvrant toute grande la porte des Enfers, lui permettant ainsi, peut-être, d’atteindre le souverain au cœur de son palais et de l’assassiner. En plus de sa concubine possédée, Daigoro pourra compter sur l’appui d’un truculent français, Bertrand, à la recherche de ce que, dans le film Highlander, on appelait un Tolède salamanque. Ce qui n’est d’ailleurs pas le seul clin d’œil, puisque le dialogue p. 189 est du Gladiator dans le texte et qu’on croise un hollandais nommé… Pieter de Vries !

Ce texte a des défauts intrinsèques (personnages peu attachants sauf à la fin, Reiko effacée d’un trait de plume fort déconcertant, péripéties trop rapides, une apocalypse zombie déjà vue cent fois, scènes de sexe racoleuses), mais souffre surtout de la comparaison avec La Voie du sabre, chef-d’œuvre d’un Thomas Day en état de grâce. Le verbe reste fluide et plaisant, mais de tout ce qui faisait le sel de La Voie…, plus aucune trace. Histoire banale de vengeance, ce roman n’a rien du charme raffiné de son prédécesseur, se contentant d’être une suite de scènes de sexe et de combats insipides, menées par des personnages basiques et en grande partie indifférents aux événements. Seul un aspect mythologique érudit et fascinant le sauve du complet naufrage.

La triste conclusion reste que si Daigoro voulait tuer l’Empereur, Thomas Day, lui, a fait seppuku à « La Voie du sabre ».

La Voie du sabre

[Critique commune à La Voie du sabre et L'Homme qui voulait tuer l'empereur]

Comme il le fera ensuite avec Chaka, Day s’approprie un cadre et un personnage historique et le ré-enchante, ajoutant des éléments magiques, s’éloignant des faits avérés pour donner à ce personnage une stature légendaire. Mais contrairement au Trône d’ébène, La Voie du sabre est une vraie fantasy ne proposant qu’une seule grille de lecture, surnaturelle.

À part sa maîtrise suprême du katana et son talent artistique, le Musashi de Day n’a qu’un vague rapport avec sa contrepartie réelle, tout comme son Japon n’est pas celui de nos manuels d’Histoire : les sorciers y manient la foudre, une encre allonge votre vie mais vous transforme en dragon (Herbert rencontre Lovecraft ?), un tatouage peut s’animer, un ronin manipuler le cours du temps et sculpter un tigre dans une gerbe de sang.

Sang qui – artériel ou issu du dépucelage d’une jeune fille – est omniprésent dans ce conte initiatique (qui comprend des récits dans le récit nous en apprenant davantage sur Musashi) maniant à la perfection, via une langue tour à tour poétique, raffinée, crue, voire vulgaire, chaque concept et son contraire, en un Yin et un Yang incessant confinant à la perfection, autant stylistique que dans sa portée morale et philosophique, exceptionnelle pour un texte qui reste d’une admirable (mais parfois frustrante) concision. Day nous montre un homme sanguinaire mais qui entrera dans la légende parce qu’il n’est motivé que par l’amour et le respect des autres, qui pourrait exercer un pouvoir politique absolu mais s’y refuse, qui épargne quand il devrait tuer, qui, dans une culture marquée par son conservatisme, son conformisme, est un esprit libre et progressiste refusant les hiérarchies, accordant la même valeur à l’existence des puissants et des opprimés. Il nous montre l’ambition dévorante de son disciple, qui veut connaître la technique de Musashi afin, au contraire, de régner en tyran après avoir épousé et fécondé la fille de l’Empereur-dragon. Un personnage profondément antipathique, à qui son maître montre sans cesse la voie de la sagesse, que Mikédi refusera systématiquement d’emprunter, jusqu’à commettre l’irréparable. Prouvant ainsi la plus grande leçon de Musashi – parfois, gagner, c’est refuser de combattre.

Incontestable chef-d’œuvre de Day, riche d’une documentation rendant les détails de la vie quotidienne d’une admirable authenticité, et surtout de l’amour de l’auteur pour l’Asie, La Voie du sabre est LE livre à lire dans sa bibliographie.

L’Homme qui voulait tuer l’empereur (expansion d’une novella parue dans Bifrost 32) est présenté comme la suite de La Voie du sabre, mais s’il partage le même univers (trente-trois ans après) que le roman éponyme, il a en fait tout du roman indépendant. Et ce d’autant plus qu’il y est bien plus question d’arpenter la voie de la vengeance et de l’arc que celle du sabre. Ceci pourrait ne relever que de la péroraison si ce second tome, dans le Japon fantasmé par Thomas Day, gardait la très grande qualité du premier. Las, il en va autrement.

Daigoro est un puissant seigneur qui, pour son plus grand malheur, a une superbe concubine, Reiko. L’empereur-dragon, qui vient de perdre sa fille, cherche une compagne pouvant lui donner un nouvel enfant, et jette son dévolu sur la jeune femme. Quand Daigoro refuse de s’en séparer, l’Empereur fait tuer ses deux enfants, sa femme enceinte, et assiège sa forteresse. Durant le siège, Reiko est tuée, et son corps possédé par un puissant démon du feu. Celui-ci va fournir au samouraï déchu les moyens d’assouvir sa vengeance, en ouvrant toute grande la porte des Enfers, lui permettant ainsi, peut-être, d’atteindre le souverain au cœur de son palais et de l’assassiner. En plus de sa concubine possédée, Daigoro pourra compter sur l’appui d’un truculent français, Bertrand, à la recherche de ce que, dans le film Highlander, on appelait un Tolède salamanque. Ce qui n’est d’ailleurs pas le seul clin d’œil, puisque le dialogue p. 189 est du Gladiator dans le texte et qu’on croise un hollandais nommé… Pieter de Vries !

Ce texte a des défauts intrinsèques (personnages peu attachants sauf à la fin, Reiko effacée d’un trait de plume fort déconcertant, péripéties trop rapides, une apocalypse zombie déjà vue cent fois, scènes de sexe racoleuses), mais souffre surtout de la comparaison avec La Voie du sabre, chef-d’œuvre d’un Thomas Day en état de grâce. Le verbe reste fluide et plaisant, mais de tout ce qui faisait le sel de La Voie…, plus aucune trace. Histoire banale de vengeance, ce roman n’a rien du charme raffiné de son prédécesseur, se contentant d’être une suite de scènes de sexe et de combats insipides, menées par des personnages basiques et en grande partie indifférents aux événements. Seul un aspect mythologique érudit et fascinant le sauve du complet naufrage.

La triste conclusion reste que si Daigoro voulait tuer l’Empereur, Thomas Day, lui, a fait seppuku à « La Voie du sabre ».

Stairways to Hell

Lecteurs sensibles, passez votre chemin : Stairways to Hell n’est pas pour vous. À travers le parcours de vie – et de mort – de trois personnages, tous prénommés Thomas, l’auteur met en scène de la manière la plus brutale qui soit leur descente aux Enfers respective. Tous n’en reviendront pas.

Trois hommes, trois histoires où l’auteur ne recule devant aucun effet, aussi répugnant soit-il, pour mettre à jour leurs failles, leurs échecs, leur (in)humanité. Le premier a été condamné pour un meurtre raciste qu’il assume pleinement (« Extermination Highway »), le deuxième se morfond dans sa vie professionnelle respectable et sa vie de couple ordinaire (« Dirty Boulevard »), le dernier, écrivain, semble incapable de renouer avec le succès de son premier roman (« Punishment Park »). Trois hommes, mais également trois femmes, trois rencontres qui vont transformer leur vie à tout jamais, pour le meilleur et/ou pour le pire : Margaret, Amérindienne, ex-prostituée, ex-junkie et détentrice d’une culture en voie d’oubli ; Maneki Neko, égérie gothique d’une communauté se retrouvant dans les catacombes de Paris pour assouvir ses fantasmes les moins avouables ; et Eddie, fantôme qui n’a de cesse de rappeler à celui qui l’a trahie le prix à payer pour ce qu’il a fait. À leur contact, certains trouveront la rédemption, d’autres sombreront dans la déchéance et l’horreur.

Deuxième recueil de Thomas Day, Stairways to Hell constitue une forme d’aboutissement de tout un pan de son œuvre, la poursuite de thématiques et d’une surenchère dans l’horreur assez présentes dans les textes de ses débuts. Mais l’auteur n’est alors jamais allé aussi loin dans l’excès et, surtout, il fait ici montre d’une maîtrise technique incomparable. Des trois textes au sommaire, seul le premier, « Extermination Highway », souffre d’un déséquilibre et d’une rupture de ton gênante entre les deux parties qui le composent. Les deux autres offrent une progression implacable, tant dans la psyché dérangée de ses personnages que dans une atrocité viscérale pleinement assumée. Les taxonomistes littéraires seront tentés de classer ces trois nouvelles dans la catégorie du splatterpunk, au côté des œuvres les plus extrêmes de Clive Barker, Poppy Z. Brite ou Jack Ketchum. On peut difficilement leur donner tort.

Resident Evil

Il y a une histoire derrière la novélisation de Resident Evil, jeu puis film, mais ce n’est pas celle que vous croyez. De ce que j’ai pu entendre ici et là, et en recoupant des racontars, j’estime pouvoir dire que les choses se sont passées plus ou moins ainsi.

Après la catastrophe du virus-T survenue dans la Ruche, sous Racoon City, le service communication d’Umbrella Corporation a voulu étouffer l’affaire. C’est là qu’a germé l’idée d’une fiction grand public qui viendrait brouiller les repères en mêlant le vrai au faux… Ozwell E. Spencer, fondateur de la boîte, a pensé confier l’écriture du livre à un Français.

Sur le papier, c’était une excellente idée. Imaginez, de l’autofiction bourrée d’adverbes, le nombrilisme élevé en sport national, Marguerite Duras écrivant La Nuit des morts-vivants, tout le monde décrocherait à la troisième page et l’affaire serait enterrée. Umbrella a donc misé sur Héloïse d’Ormesson pour trouver le candidat idéal.

Seulement voilà, l’éditrice a confié le soin de rédiger un chapitre test à trois plumes confirmées de l’Imaginaire : Thierry Di Rollo, Sabrina Calvo et Thomas Day. Thierry a rendu sa copie en premier et le service juridique de la firme a franchement tiré la tronche. Au lieu de l’attendu récit édulcoré, les avocats se trouvaient face à un reportage, du réel vécu à l’état brut. Thierry était tombé juste simplement en l’imaginant. Puis ils ont découvert le texte de Sabrina Calvo. L’essai a été refusé mais, sur sa base, Calvo a été embauchée direct au département Recherches et Prospectives d’Umbrella. On a vu ce que cela a donné par la suite.

Reste Thomas Day qui a fait le taf, et davantage encore. Alors bien sûr certaines références ont vieilli, comme Marylin Manson, et parfois le style est négocié au frein à main sans rétrograder. Mais pour un texte dont la deadline était à rendre hier, le résultat est honorable. D’autant que l’auteur s’y fait plaisir. Mieux, à certains moments, Thomas Day est à la hauteur de son propre univers, comme lorsqu’un dogue se jette sur Clarence avec force détails dans le mignotage de gueule, et déploie même son répertoire si reconnaissable : « ton charme de mâle plein de foutre et d’hormones » ; « gicler la chair des corps pourrissants » ; « tout son être exhale une puanteur atroce où se mêlent le faisandé et l’odeur hautement répulsive — acide — d’une méchante diarrhée ».

Resident Evil ne démontre pas que Thomas Day a du talent, on le savait déjà. Mais le boulot de commande confirme qu’il est un professionnel à l’américaine, capable de tout écrire. Et c’est un compliment.

L'Instinct de l'équarisseur

Du Londres victorien à Londen – où réside Sherlock Holmes et où les humains cohabitent avec les Worsh, sortes d’oursons attendrissants à l’origine d’avancées technologiques –, de Cuzco au Machu Picchu en passant par une vallée perdue – défendue, comme il se doit, par des dinosaures –, de la Cité interdite de York à un atterrissage imprévu sur un gâteau de mariage dans une maison de retraite au cœur de la campagne anglaise, vous verrez du pays avec L’Instinct de l’équarrisseur !

Thomas Day nous emmène sur les pas de Conan Doyle à la poursuite de Jack l’Éventreur. Deux fois, même, car au diable l’avarice quand on est en bonne compagnie, avec Oscar Wilde dans un monde, Sherlock Holmes et le docteur Watson dans l’autre, excusez du peu. Choisi par Holmes pour rendre compte de ses enquêtes, son alter ego ayant tragiquement disparu dans un accident de charrette de fumier, Doyle se retrouve à naviguer entre deux mondes parallèles, embarqué dans des aventures épiques par un Watson ventripotent, gouailleur, inventeur génial (quoique ses prototypes laissent à désirer pour ce qui est des atterrissages) et capable d’utiliser ses Colts en plein restaurant pour venir à bout d’un crabe gargantuesque. La personnalité de Holmes est néanmoins bien plus ambiguë, voire monstrueuse, que celle du personnage de papier que l’écrivain Doyle crée dans son propre monde (« Le mal par le mal », le définit-il sobrement). Assassin royal prenant plaisir à tuer, il vit en couple avec Shari, femme forte dont la beauté et l’étrangeté le séduisent autant qu’elles l’intriguent…

En guise d’entractes, on suit E. « Shiva » Worrington, don les crimes n’ont rien à envier en sauvagerie et en horreur à ceux de son maître et compagnon Moriarty, dans sa conquête du Machu Picchu. Sa rencontre avec Jack London, qu’elle recrute comme mercenaire à cette occasion, la déstabilise et fait d’elle une pièce maîtresse dans la bataille qui voit s’affronter une dernière fois Holmes et Moriarty pour la possession d’un vaisseau interstellaire.

L’Instinct de l’équarrisseur déborde de monstres, de gore, de sexe, de repas arrosés et de gueules de bois, de collectionneurs d’images animées de dinosaures, d’oursons qui confondent les piles ZX81 avec les ZX83 (c’est fâcheux : « elles font exactement la même taille, mais les 83 sont dix fois plus puissantes, avouez que c’est trompeur. »), d’attaques d’aérostats… Rythme effréné, personnages truculents, c’est un feu d’artifice permanent. Thomas Day joue à nous faire éprouver une large palette d’émotions, l’horreur de certaines descriptions étant amortie par des passages d’une trivialité réjouissante.

Roman aussi référentiel et documenté que drôle et déjanté, L’Instinct de l’équarrisseur propose, au travers d’une quête de l’immortalité et du pouvoir, une réflexion sur ce qui caractérise l’humanité et sur les actes qui conduisent à sa perte. Et quand il s’achève sur un projet grandiose et une dernière boutade, on n’a qu’une envie : que Thomas Day nous replonge dans de nouvelles aventures de Watson et Doyle !

L'École des assassins

L’École des assassins est une œuvre post-cyberpunk où, en 2047, de quasi-super-vilains créés par génie génétique, nanotechnologie, manipulation quantique, voire par un entraînement tiré des enseignements de ce même Miyamoto Musashi au centre de La Voie du sabre, servent d’assassins d’élite à une transnationale sans scrupules, dans un monde où l’espionnage industriel, le meurtre et l’attentat sont devenus des pratiques commerciales parmi d’autres pour ces corporations aussi puissantes que des nations ou presque. Ces assassins servent à lutter contre les concurrents, les Triades qui gênent leurs activités en Asie ou les juges mandatés par les instances internationales. Dotés de noms de code et de capacités qui semblent tout droit sorties de chez DC ou Marvel, ces personnages vont entrer en dissidence, et ce malgré le fait que leur employeur a plusieurs moyens définitifs de les réduire au silence.

Si ce court roman n’est pas dépourvu de fond (on y parle montée en puissance des Firmes, manipulations génétiques interdites, statut du surhomme et de l’arme vivante, etc.), il doit surtout être appréhendé comme une vigoureuse série B d’action, nerveusement rythmée, aux nombreux combats aussi visuels qu’haletants. La patte de Thomas Day est plus reconnaissable que celle de son co-auteur, et sans surprise orientée érotisme, mystique japonaise et action, quand Bellagamba est plus dans la description de cet univers. Le roman reste intéressant, même si le joyeux mélange Matrix / X-Men / Watchmen / Musashi peut parfois laisser dubitatif avec quelques clins d’œil un peu trop appuyés. On retiendra cependant un aspect… eganien tout à fait fascinant sur la fin.

Sympathique petit livre de nanopunk très orienté action et hyper-référencé, L’École des assassins se lit à toute vitesse et avec un plaisir quasi coupable, tellement qu’on regretterait presque (presque…) qu’il n’ait pas été plus étoffé. Ce n’est pas un livre qui vous retournera le cerveau, mais ce n’est pas ce qu’on lui demande, et ce qu’il fait, il le fait très bien.

Nous rêvions d'Amérique

Nous rêvions d’Amérique est l’un des titres de la (défunte) collection « Série grise », initiative des éditions Baleine au début des années 2000. Répondant à une ligne éditoriale imaginée par Jean-Bernard Pouy (l’homme du « Poulpe »), cette « Série grise » proposait des textes courts, imprimés en (très) gros caractères. Comme le suggérait sa couleur évoquant celle des chevelures des lecteurs et lectrices d’un âge avancé, cette collection voulait s’adresser avant tout autre public aux séniors amateurs et amatrices de polar. Estimant sans doute que pareil lectorat n’était susceptible de s’intéresser qu’à des protagonistes du troisième âge, la « Série grise » avait encore inscrit à son cahier des charges l’obligation pour ses auteurs et autrices de mettre en scène des personnages au crépuscule de leur existence…

Autant de contraintes d’écriture auxquelles Thomas Day se plia avec la plus professionnelle des rigueurs pour Nous rêvions d’Amérique. Se déroulant dans l’Ouest étasunien durant les années 1990, le récit a pour héros « Grand-Père Hoijer », un vieil Amérindien n’ayant jusqu’alors jamais quitté ce que les autorités fédérales appellent une réserve. Un territoire que ce vieillard hopi préfère, quant à lui, nommer « le sol sacré ». Si l’on ne sait initialement rien des raisons du périple dans lequel s’engage Hoijer au début de Nous rêvions d’Amérique, Thomas Day sème cependant quelques indices en suggérant les ressorts criminels. Les instructions qu’il laisse à sa fille Mary-Margaret – chargée de garder son chien Bip-Bip et sa boutique de souvenirs – sonnent comme autant d’ultimes volontés. Quant à la numérotation décroissante des chapitres, elle évoque un compte-à-rebours d’abord confusément inquiétant, puis de plus en plus explicitement dramatique. Car c’est un voyage sans retour que narre Nous rêvions d’Amérique

Marquant pourtant la seule incursion de Thomas Day dans le champ de la fiction dite policière, ce texte témoigne de sa part d’une connaissance certaine du genre. On est, entre autres influences, tenté de reconnaître celle des polars navajos de Tony Hillerman dans ce bref portrait d’un Amérindien en butte à la société étasunienne.

Nous rêvions d’Amérique ne se contente cependant pas d’entrelacer des références au polar et au cinéma. Sa forme révèle aussi une maîtrise efficace des codes narratifs du roman noir, puisqu’elle combine à une intrigue criminelle un regard à la fois documentaire et critique sur les USA (Day s’intéresse ici, plus particulièrement, à une certaine association étasunienne dont on ne dira rien ici… tout en indiquant que le titre du récit en suggère le nom), tout en l’imprégnant d’une tonalité tragique. Celle-ci s’atténue cependant lors du dénouement. Quittant alors le vériste domaine du polar pour celui de l’Imaginaire, Thomas Day nimbe d’un émouvant fantastique les ultimes instants d’Hoijer. Délirantes ou spectrales, les dernières visions du Hopi lui ouvrent enfin les portes de cette Amérique fraternelle dont il avait toujours rêvé…

Daemone

Si l’on fait le compte, on constate que Thomas Day n’a pas produit tant de science-fiction que ça, et moins encore si on ne prend en compte que la forme longue. Tout juste L’École des assassins, co-écrit avec Ugo Bellagamba, et, si l’on souhaite pousser le sadomasochisme littéraire jusqu’à admettre son existence, Resident Evil. Et aussi (et surtout), ce Daemone que l’auteur visitera à deux reprises.

Daemone Eraser est un fantôme, ou du moins un homme qui a cessé de vivre le jour où il a perdu sa femme et son enfant à naître. Depuis, il ne cesse de remettre en jeu son titre de champion dans l’Arène, sous le regard de milliards de spectateurs, dans la vaine attente de l’adversaire qui saura enfin mettre fin au vide que constitue sa vie. Jusqu’au moment où un extraterrestre, guerrier du temps de son état, lui propose un pacte faustien : la vie de sa femme contre la mort de cinq criminels parmi les pires qui soient. Comment refuser une telle offre ?

Paru initialement en 2001, Daemone est en premier lieu un bel hommage de Thomas Day aux grands auteurs de science-fiction qui ont marqué son adolescence, de Vance à Silverberg en passant par Zelazny. On pourra s’amuser aussi à noter les emprunts cinématographiques, Blade Runner, Videodrome et autres… Dans la manière dont il s’approprie les thématiques et les façons de faire de ses aînés, on pense aussi souvent au pan le plus noir de l’œuvre de Mike Resnick.

Sur la forme, Daemone enchaîne sans temps mort les morceaux de bravoure : chasse au dragon ou guérilla meurtrière en milieu urbain, Thomas Day fait montre d’une redoutable efficacité dans ces passages d’une lisibilité exemplaire.

Sur le fond, le roman relève de la tragédie la plus classique, une histoire d’amour perdu que le héros s’avère incapable de surpasser. Et malgré tout le sexe et la violence dont il parsème son récit, l’écrivain reste fidèle aux règles du genre.

Dix ans après sa parution initiale, Thomas Day reviendra à Daemone pour en proposer une version partiellement réécrite et étoffée. Les différents protagonistes y gagnent en épaisseur, motivations et relations y sont davantage développées, et le récit s’inscrit de manière plus explicite dans le cycle auquel il appartient (cycle pour l’essentiel toujours à l’état de projet et dont on n’a sans doute pas fini d’attendre la suite). L’essentiel demeure : sous une forme ou une autre, Daemone est un roman qu’on ne lâche pas de la première à la dernière page.

Rêves de guerre

Fausse fantasy relevant en réalité d’une SF post-apocalyptique, ce premier roman de son auteur convoque, sur sa quatrième de couverture, Moorcock et Shakespeare. On est loin de l’un comme de l’autre : les personnages stéréotypés aux noms ridicules de Day n’ont en rien l’impact de ceux du père de Hawkmoon, et leurs tourments amoureux et moraux génèrent plus l’ennui qu’autre chose. Sentiment d’ailleurs exacerbé par une absence quasi-totale de rythme et de souffle épique. Et ne parlons pas des fondamentaux du contexte qui débarquent au bout de… 200 pages !

Mais cela n’est rien par rapport au reste : une écriture qui navigue entre une caractérisation ultra-manichéenne, certains dialogues ou points d’intrigue naïfs et maladroits et une esbroufe stylistique boursouflée ; ensuite, un système de magie bancal, qui ressemble au fruit impie d’un brainstorming entre Denis Gerfaud, Christopher Nolan et JY Yang, le tout généreusement raturé en rouge par un Jean-Claude Van Damme au « meilleur » de sa forme cocaïnomane ; ou encore une intrigue tout aussi chaotique ; enfin, une forme alternant ultra-violence, scènes et allusions sexuelles incessantes qui constituent certes le cocktail qui est devenu la marque de fabrique de Day, mais qui n’est, à ce stade de sa carrière, pas encore sublimé par un fond thématique (qui se réduit ici à bien peu de choses, surtout un très puéril « la guerre c’est mal ») riche ou par quelque maturité.

Day a écrit assez de textes de qualité, dont certains tutoient le sublime, pour qu’on oublie cette quasi-fan fiction où il se fait plaisir en rendant hommage à ses idoles, via une high fantasy stéréotypée camouflée sous des oripeaux grimdark qui, avec son élu, ses prophéties, ses histoires de vengeance et son côté roman d’apprentissage, n’a guère d’intérêt par rapport à ce que propose le genre aujourd’hui.

Sympathies for the devil

Il est peu d’exercices aussi risqués que de revenir, vingt ans après, sur des textes qui vous avaient filé une vraie claque. Souvent, en effet, le souvenir de la claque s’avère plus puissant que le texte lui-même, qui a pris vingt ans. Comme le critique, bizarrement. Et comme l’auteur, dont il connaît le parcours ultérieur. Quoi de commun entre le gamin encore dans la vingtaine, le Thomas Day presque débutant qui s’apprêtait à tout casser, et l’auteur plus que confirmé que Bifrost honore de ce numéro spécial ?

Mais le risque paye parfois : Sympathies for the Devil n’a pas pris une ride. Si vous aviez lu ces textes à leur sortie, relisez-les, ils le méritent. Et si vous avez la chance de les avoir encore à découvrir – précipitez-vous, c’est toujours de l’excellente came.

Sympathies for the Devil, en l’an 2000, c’est un recueil de cinq textes : « Une forêt de cendres », « L’Erreur », « Cette année-là, l’hiver commença le 22 novembre », « La Notion de génocide nécessaire » et « Démon aux yeux de lumière » ; une seconde édition, dite « Redux », remplaçant le plus classique « Cette année-là… » par deux autres nouvelles : « À l’heure du loup » et « La Mécanique des profondeurs », et remaniant légèrement les autres textes, est parue en 2004.

Au-delà de la référence aux Rolling Stones, amplement justifiée – le rock est omniprésent, de même que la drogue, le sang, le sperme, le feu… – le titre, s’il est superbe, s’avère trompeur : ce n’est pas tant de sympathie qu’il s’agit, que d’empathie. « J’ai toujours eu une haine pathologique de la réussite, et une tendresse particulière pour les champions de l’échec », fait dire Thomas Day à l’un de ses personnages. Le moindre des paradoxes n’est pas que cette tendresse soit bien présente, quoique souvent pudiquement dissimulée sous une débauche de brutalité, chez des personnages au profond desquels on pressent parfois comme une vie intérieure étonnamment limpide.

Il serait vain de coller des étiquettes sur les nouvelles de ce recueil. On y croise des démons – évidemment – et des dieux, des dragons, des reines et des ducs, des méchants à la Pulp Fiction, des extraterrestres, de la technologie, des vampires et même – c’est dire – des fonctionnaires courageux. Fantastique, fantasy, fantasy urbaine, high fantasy, histoire secrète, science-fiction ? Oui, tout ça. À la fois. Tout ce qu’il fallait, en l’an 2000, pour qualifier un jeune auteur français inclassable mais puissamment original et incroyablement prometteur. Et, en 2020, pour ne pas s’étonner que la plupart de ces promesses aient été tenues.

La plupart. Parce que relire Sympathies for the Devil, c’est aussi reprendre en pleine poire « La Notion de génocide nécessaire ». De la SF de classe mondiale. (On se demande d’ailleurs bien pourquoi ce texte n’a jamais été traduit…)

Putain, Gilles, qu’est-ce que tu attends pour te lâcher !

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