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La Chasse sauvage du Colonel Rels

Quand il n’écrit pas de romans historiques (la série napoléonienne mettant en scène l’enquêteur Quentin Margont, chez 10/18, pour citer son œuvre la plus connue), Armand Cabasson écrit aussi parfois du fantastique. Son dernier recueil en date, La Chasse sauvage du colonel Rels, tente de concilier ces deux tendances… et aboutit à un résultat pour le moins mitigé.

« 1348 », la nouvelle qui ouvre ce recueil, donne le ton. Dans une Londres ravagée par la peste, lord Gitt, condamné par l’Eglise et emprisonné pour ses mœurs impies, se révèle être le dernier espoir de la couronne face à la créature monstrueuse incarnant le mal qui ronge la cité. Entre reconstitution historique réaliste et pure fantasy, l’auteur parvient à donner une tonalité originale à son récit, malgré une intrigue trop linéaire et une chute particulièrement abrupte.

Armand Cabasson enchaine ensuite avec une série de textes très (trop) similaires. « La Chasse sauvage du colonel Rels » conte les méfaits d’un commando confédéré derrière les lignes ennemies durant la Guerre de Sécession. « L’Héritage » nous plonge au cœur d’un conflit situé dans le Japon féodal, et « Le Dieu-Loup » voit s’affronter Vikings et Anglo-Saxons. Les batailles succèdent aux batailles, et l’ennui s’installe très vite, d’autant plus vite que l’auteur ne parvient que trop rarement à nous faire vivre ces combats, se contentant le plus souvent de comptes-rendus aussi factuels que ternes : on observe à distance les mouvements des troupes, on assiste de manière détachée aux attaques et aux contre-attaques, mais tout cela, à quelques passages près, manque cruellement de bruit et de fureur. Quant au fantastique, il est le plus souvent anecdotique et n’intervient que dans les derniers paragraphes de ces récits.

À mi-parcours, « Giacomo Mandeli » vient enfin rompre cette monotonie. L’histoire est celle d’un peintre italien à qui l’Inquisition espagnole confie une tâche pour le moins singulière : faire le portrait du Diable. L’idée est jolie et adroitement traitée, le dénouement à la hauteur, et l’on tient enfin le premier bon texte du recueil. Et tout de suite après, les combats reprennent : retour au Japon des samouraïs (« Les Chuchotements de la Lune »), à l’Europe médiévale (« Saint Basile le Victorieux ») et à la Guerre de Sécession (« Le Minotaure de Fort Bull »). Et toujours les mêmes interminables et mornes descriptions de batailles. Noyées dans ces reconstitutions guerrières, on trouve parfois de bonnes idées (la manière dont les reliques de Saint Basile vont unir le peuple autour de son souverain avant de causer sa perte, le mythe de Thésée revisité dans un cadre moderne). On trouve même quelques personnages intéressants, souvent solitaires, en marge des normes de leur époque, qu’il s’agisse de lord Gitt, libertin avant l’heure, ou de Knut, le guerrier viking rejeté par les siens après s’être sacrifié pour eux. Mais pris dans le flot des évènements, ils manquent de place pour exister pleinement.

Il faut attendre les dernières pages du recueil pour trouver enfin un second texte tout à fait réussi, en rupture totale avec tout ce qui a précédé. « Les Mange-Sommeil » est l’histoire d’un double deuil, celui d’une petite fille dont le frère est mort et celui d’un lutin qui a perdu sa sœur. Ensemble, ces deux âmes en peine vont tenter de se consoler. Cette nouvelle relève d’un fantastique on ne peut plus classique, mais en quelques pages, Armand Cabasson parvient à y faire naître une émotion qui manque cruellement au reste de ce livre. Ce qui, au final, ne fait qu’accentuer le sentiment de déception que l’on ressent au sortir de cette lecture.

Europole

La décidément très séduisante collection « Ourobores » des éditions Mnémos constitue depuis ses origines une passerelle de choix entre le jeu de rôle et les littératures de l’Imaginaire. Ce n’est certes pas Europole qui va faire mentir cette réputation, et c’est même probablement, jusqu’à présent, l’ouvrage qui affiche le plus cette double parenté. Il se fonde en effet sur l’univers du jeu de rôle Rétrofutur (hélas indisponible aujourd’hui…) créé par Raphaël Bardas, Sébastien Célerin, Mael le Mée, Tristan Lhomme et Frédéric Weil. Tout un collectif d’auteurs s’est joint à Jérôme Noirez (directement responsable d’environ un quart de l’ouvrage, essentiellement le premier dossier) pour revisiter cet univers (dans sa globalité : c’est bien le monde entier qui est ici couvert selon le point de vue de la Résistance, et pas seulement l’Europole ; le titre, du coup, n’est sans doute pas très bien choisi…), tandis que les illustrations et la mise en page étaient confiés aux bons soins d’Aurélien Police, qui a accompli un travail remarquable. Ce qui nous vaut un bien bel ouvrage, à même de séduire au-delà des seuls rangs de ceux qui connaissaient déjà l’univers de Rétrofutur, et même au-delà des rôlistes en général.

Le cadre : des années 1950 déglinguées, dans un univers uchronique mêlant joyeusement les genres et très riche de références plus ou moins saugrenues. Le premier dossier, ainsi, est dû à la plume d’un certain « Bill Lee » échappé tout droit du Festin nu, qui nous ballade dans un monde aussi cauchemardesque qu’hilarant, délire totalitaire bureaucratique qui ne manque pas d’évoquer Brazil ; à l’autre bout du livre, le quatrième et dernier dossier, consacré au « paranormal », fait le grand écart entre Lovecraft et Philip K. Dick en passant par A. E. Van Vogt (entre autres…). D’ici là, on s’est également vu offrir un passionnant aperçu des « marges » de l’univers rétrofuturiste (mafias, terroristes, « non-alignés »…), ainsi que des diverses technologies que l’on peut y croiser (autant le dire de suite et en rester là : ce troisième dossier, décevant, est sans doute le moins intéressant d’Europole).

La divergence historique se situe dans les années 1860, quand eut lieu le Contact : des scientifiques, tout d’abord, puis d’autres catégories d’individus, sont entrés en relation avec les mystérieux Etrangers… ou, du moins, c’est ce qui se dit officiellement. Il s’en est suivi, dans l’attente de l’arrivée sur notre planète de ces extraterrestres démiurgiques, une révolution industrielle et technocratique qui a balayé, sur une bonne partie du globe, les Etats-nations archaïques : le monde est aux mains des Agences, et les citoyens, habitant de gigantesques titanopoles, sont devenus des administrés. En résulte un monde entre Orwell et Kafka, dont l’abomination n’a d’égale que l’absurdité (très bien rendue par de nombreux et délicieux traits d’un humour fortement corrosif, entre le jaune et le noir). Mais les Agences ne contrôlent en définitive pas tout, et, au-delà des marges, au cœur même de la société rétrofuturiste, la Résistance livre un combat acharné contre la tyrannie bureaucratique et le mythe des Etrangers…

C’est donc le point de vue de la Résistance qui est ici donné, au travers de quatre dossiers constitués par d’éminents membres du Mouvement et destinés à l’édification des masses. On a ainsi droit à un fascinant tour d’horizon — nécessairement partiel et partial, mais ça fait partie du jeu —, au travers de témoignages divers et autres « pièces à conviction » : des publicités, des catalogues, des revues, les actes d’un colloque… Autant de documents qui permettent de s’immerger dans l’univers rétrofuturiste.

Europole, dans son genre très particulier, est à n’en pas douter une réussite. Très bien conçu, agréable à l’œil, ce guide de résistance donne à découvrir un monde extrêmement séduisant, d’une richesse insoupçonnée. On se plonge avec un grand plaisir dans cet univers à la fois très référencé (on ne compte pas les « citations », et votre serviteur en a sans doute laissé passer un bon paquet) et d’une originalité pourtant indéniable. Indispensable pour les amateurs de rétrofuturisme, Europole constitue par ailleurs une porte d’entrée bienvenue à ce genre très particulier. Un beau cadeau, à n’en pas douter.

Chansons de la Terre mourante T2

« […] l’œuvre de Jack Vance d’il y a cinquante ans se détache toujours. C’est une oasis pour l’imagination, un jardin farfelu au milieu d’un marécage. » C’est John C. Wright qui le dit, dans la postface à sa contribution à ce deuxième tome de la gigantesque anthologie « Chansons de la Terre mourante ». Le premier volume avait placé la barre assez haut, et l’on pouvait légitimement se montrer curieux de la suite. Retour, donc, à cet hommage passionné à l’une des plus belles créations vanciennes, avec huit nouvelles pour autant d’auteurs, et non des moindres parfois.

Cela dit, les plus célèbres peuvent se planter… et c’est hélas ce qui arrive dès le texte inaugural, avec « Evillo l’Ingénu » de Tanith Lee, ou l’histoire d’un jeune couillon fasciné par les récits concernant l’astucieux Cugel (on le comprend) ; hélas, si ce texte est référencé, c’est au point d’en être servile ; quant au côté picaresque, il est traité façon sprint : tout va très vite, trop vite, et l’on s’ennuie. Puisqu’on en est aux échecs, enchaînons sur « Gorlion d’Almérie » de Matthew Hughes : c’est dommage, ça partait vraiment bien, cette histoire de type qui se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment, avec beaucoup d’astuce dans la mise en place et le point de vue ; mais le texte devient bien vite incroyablement confus, à vouloir trop en faire dans le baroque. Raté…

Deux récits assez sympathiques, ensuite, encore qu’un peu anodins. Il en va ainsi de « La Tragédie lamentablement comique (ou la comédie ridiculement tragique) de Lixal Laqavee » de Tad Williams, ou les mésaventures d’un petit escroc qui croyait pouvoir se faire un magicien et un déodande ; très amusant, plutôt bien fait, mais la fin donne une vague impression de bâclé. On citera également ici « Incident à Uskvosk » d’Elizabeth Moon, arnaque à la course de cafard orchestrée par un nain obligé de se faire passer pour un gamin ; rigolo, là encore, mais sans plus.

Un cran au-dessus, on trouve Paula Volsky, pour « Les Traditions de Karzh » : juste après la nouvelle de Tanith Lee, c’est une leçon de picaresque vancien plein d’astuce. John C. Wright, dans « Guyal le Conservateur », sait lui aussi pleinement profiter du cadre de la Terre mourante : c’est chatoyant, ça foisonne, bref, c’est vancien et tout à fait délicieux. Un texte légèrement problématique, ensuite, avec « La Proclamation de Sylgarmo » de Lucius Shepard : la nouvelle est indéniablement bonne, le projet ambitieux, l’idée de voir Cugel à travers les yeux de ses ennemis intéressante… mais, même en tenant compte de tout cela, votre serviteur n’y a guère reconnu la sympathique fripouille créée par Jack Vance ; cela dit, indépendamment, cela reste très recommandable. Reste enfin Neil Gaiman… qui fait débuter « Invocation de l’incuriosité » de nos jours, en Floride ! Un récit très bien pensé, d’une évidence élégante, et assurément très efficace.

Bilan plutôt positif, donc, pour ce deuxième volume des « Chansons de la Terre mourante ». Cela dit, on évolue quand même probablement dans une autre catégorie que pour le premier tome : on n’y trouve pas (à part peut-être chez Neil Gaiman, voire John C. Wright ?) de textes aussi marquants, et deux tristes ratages viennent quelque peu plomber le bouquin. Mais cela reste une lecture très plaisante ; hâte, du coup, de lire le dernier volume, avec des gens comme Dan Simmons ou Mike Resnick…

Pratès

« La Chronique de Tramorée » est un cycle de fantasy composé de quatre tomes dans son édition originale, en Espagne, et de cinq tomes pour son édition française, le quatrième ayant été coupé en deux par l’Atalante pour des raisons économiques, bien évidemment.

Zémal, premier tome de ces chroniques, est paru en mars 2005. Syfrõn, le tome 2, approfondit l’univers très vaste de Tramorée. L’intrigue n’y est plus seulement à l’échelle des personnages, mais des royaumes. Un livre monde et monstre de plus 800 pages, dans lequel on ne s’ennuie pas une seconde. Yugaroï poursuit l’aventure, à peu de chose près, là où s’arrêtait Syfrõn. Ce troisième tome contient d’importantes révélations sur les dieux et le monde de Tramorée. On bascule alors dans une fantasy matinée de concepts propres à la science-fiction. Agarta, quatrième tome français, poursuit dans cette veine non sans illustrer la célèbre citation d’Arthur C. Clarke : « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie ».

Ces quatre livres nous amènent à Pratès, ultime tome, difficile à résumer sans déflorer l’intrigue du cycle et gâcher la lecture d’Agarta. Le plus simple reste de plagier la quatrième de couverture : « Dans quelques jours, les trois lunes s’aligneront et le dieu Tubilok ouvrira les porte de l’infernal Pratès. La Tramorée sera anéantie. »

Le principal reproche que l’on pourrait faire à ce tome final est dû au découpage de l’édition française : des lignes narratives semblent surgir de nulle part, ce qui est carrément gênant pour quelqu’un qui lirait les tomes 4 et 5 à plusieurs mois d’intervalles. Le deuxième point négatif réside dans la présence d’événements narrés par plusieurs points de vue différents. Le rythme de l’intrigue en souffre, surtout au début.

Au-delà de ces modestes reproches, Javier Negrete confirme qu’il est un excellent conteur et un styliste exceptionnel. Que ce soit dans la narration de batailles, de duels, dans la description des villes ou des personnages, l’écriture est ciselée et précise. Une fois passées les lenteurs du début, le récit s’emballe et l’auteur tient en haleine le lecteur en insufflant un vrai souffle épique à son histoire. Concernant les personnages, on évolue assez loin des clichés de la fantasy, et pourtant la galerie est impressionnante (enfants, jeunes et vieux soldats, érudits, magiciens, dieux…). Attachants et intéressants, les personnages souffrent, doutent, jalousent, bref, suent leur humanité (ou inhumanité !) jusqu’au bout des ongles (griffes). Mention spéciale au Gourdin, qui amène une touche d’humour dans des moments pas toujours drôles.

« La Chronique de Tramorée » s’achève donc ici, et c’est avec regret que nous quittons ses héros et son univers dont les soubassements tiennent davantage de la science-fiction que de la fantasy. Ce cycle n’est pas une énième tolkiennerie comme il s’en produit à la chaîne, c’est une œuvre-univers extraordinaire, flamboyante, extrêmement bien pensée où tout a été réfléchi en amont. Oui, il y a cinq tomes, ou disons quatre très gros, mais chacun apporte des éléments à l’univers créé et ce n’est qu’à l’issue de ces cinq livres qu’on prend la véritable mesure de cette création magistrale qui semble passer quelque peu inaperçue par chez nous. À lire absolument.

Johan Heliot vous présente ses hommages

Un beau livre, tout d’abord. Jaquette, reliure toilée, papier épais, les Moutons électriques se sont mis en quatre pour nous proposer un écrin de choix. Il s’agit d’un retour sur la carrière de Johan Heliot, auteur qui trace un chemin personnel jalonné par de nombreux romans mais finalement assez peu de nouvelles. Le recueil, tiré seulement à huit cents exemplaires, est composé d’une vingtaine de récits écrits entre 2002 et 2009, dont un unique inédit. Le risque avec un tel ouvrage, après la préface élogieuse de rigueur (ici, Michel Jeury s’en tire avec beaucoup d’humour), c’est de voir le volume s’effondrer, par manque de cohésion, dans une succession d’histoires mal assemblées. Il n’en est rien. Les récits sont regroupés selon une suite de thématiques, assez discrètes pour ne pas orienter artificiellement la lecture, et assez fines pour nous surprendre dans les variations qu’elles proposent.

S’enchaînent ainsi des textes traitant d’histoire, « Pax Bonapartia », « Le Rêve d’Amerigo Vespucci », qui sont de petites merveilles uchroniques, et d’inévitables récits steampunk (la marque de l’auteur, et ce depuis ses débuts), où l’histoire et la fiction se mêlent harmonieusement : « Opération Münchhausen », « Vous rêvez trop de Fantômas », ou encore « Idylle du temps des ombres ». Bien évidemment, Lupin et Holmes sont présents, afin que l’hommage qui leur est dû leur soit rendu. Le recueil s’achève sur des textes qui évoquent la musique, notamment celle des Ramones (« La Musique des âmes », « Faërie Boots »).

Semblable voyage au côté de Johan Heliot nous rappelle combien son œuvre est constituée de nombreuses références et obsessions, avec son sens de l’humour et de la pointe, ses références littéraires et historiques. Le tout forme une promenade dans une culture populaire, pétillante et joyeuse. Heliot circule dans sa mémoire, qui est par bien des aspects celle d’une génération, celle qui a grandi dans l’ombre de Pompidou, un Jules Verne à la main et un Pif Gadget dans la poche. Une démarche mémorielle qui s’épanouit à merveille dans le steampunk, parce que le genre est assez meuble et souple pour admettre ses délires et accepter donc que de Gaulle devienne un super-héros, que Moriarty ne soit pas ce que l’on croit tandis que le pas lent de la créature de Frankenstein continue à résonner encore et encore.

L’uchronie selon Heliot s’avère alors un jeu avec l’histoire, mais dans tous les sens possibles du mot : aussi bien l’histoire humaine, dont les siècles gardent la trace, que l’histoire, au sens de fiction, de plaisir du récit et de la narration. Certes, on aurait aimé que l’auteur ne se contente pas de quelques mots d’introduction, qui se résument parfois à une pirouette, on aurait apprécié qu’il entrouvre davantage les coulisses de son travail… Tant pis. La somme réunie est assez belle en elle-même. Johan Heliot nous présente ses hommages ? On les accepte avec plaisir… dans l’attente d’Involution, son nouveau roman à paraître chez J’ai Lu dans la collection « Nouveaux Millénaires ».

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