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Chroniques des ombres

Suite à l’Apocalypse nucléaire, l’humanité survivante est regroupée dans des Cités Unifiées dotées de purificateurs d’air, reliées entre elles par des tubes sous-marins, comme c’est le cas de NyLoPa, qui réunit New-York, Londres et Paris, soit cent quatorze millions d’habitants. À l’extérieur, dans le pays horcite, des clans retournés à la barbarie survivent comme ils le peuvent. Outre la précarité, la misère et la violence, les cancers et malformations dus aux radiations diminuent fortement l’espérance de vie ; quelques individus ont acquis un pouvoir, de métamorphose ou de prescience. L’accès aux cités est impossible, l’absence de biopuce logée dans le cerveau de chaque citoyen des CU identifiant immédiatement les intrus. La sécurité omniprésente est assurée par une force de police traditionnelle et des fouineurs, super-agents dont la biopuce, équipée d’un logiciel connecté aux données numériques, dope les capacités d’analyse et de réflexion.

Ganesh Parvati, au nom et à la symbolique transparents, fouineur récemment nommé, est doté d’une puce de nouvelle génération, une IA à même de prendre le contrôle de son corps pour le sortir de situations mal engagées… Avec Théo, un vétéran, et Ava, une stagiaire, il enquête sur divers meurtres en série perpétrés par des assaillants invisibles dénommés les Ombres. La terreur causée a des répercussions politiques. Le territoire horcite est, quant à lui, menacé par les Cavaliers de l’Apocalypse, qui déciment chaque tribu, annonçant que la fin de l’humanité est proche. Naja, qui les a vus, suit Deux Lunes, un jeune guérisseur opposé à toute violence, dont la douceur et la compassion permettent de se tirer de bien des mauvais pas. En cours de route s’ajoute Josp, orphelin presque aveugle du fait de sa réclusion dans des grottes, qui a, par éclipses, un don de prescience bien utile pour prévenir certains dangers.

L’intrigue suit en alternance les deux groupes, autour desquels gravitent d’autres personnages, avec des péripéties dignes de thrillers d’espionnage pour l’un, plus aventureuses pour l’autre. Il s’agit de comprendre quel complot politique se trame derrière ces meurtres commis par centaines, et d’identifier la menace pesant sur l’humanité déjà au bord du gouffre. En auteur populaire confirmé, Bordage multiplie les rebondissements et les coups de théâtre, séparant ses personnages pour mieux leur permettre de se retrouver, dévoilant avec parcimonie mais régularité les éléments de son intrigue.

À l’origine, il s’agissait de relever un nouveau défi : écrire un feuilleton de trente-six épisodes à la manière des auteurs du XIXe siècle, ce que Bordage avait déjà réalisé avec Les Derniers hommes, la rédaction se poursuivant cette fois pendant la publication sous forme numérique. Une mise en danger réel-le puisque, pour raisons de santé, la série connut une brève interruption l’été dernier.

Aussi, on ne s’étonnera pas si l’intrigue progresse à travers les dialogues et si le décor semble par moments hâtivement esquissé. Mais c’est un choix clairement assumé, car le feuilleton était en outre proposé en version MP3 ainsi qu’en BD filmée, laquelle alterne, pas toujours de façon très heureuse, plusieurs styles de dessin, du classique au manga, visant clairement un public davantage adolescent. Il y a, feuilleton oblige, des facilités, un peu de mou en milieu de récit, mais ce ne sont que broutilles, vu le challenge. Dans la dernière partie, le texte retrouve davantage de densité et propose un finale réglé au cordeau. Avec un sens du rythme certain, Pierre Bordage se sort brillamment de l’exercice. Du grand art, populaire certes, mais pleinement abouti.

La Vague montante

[Critique commune à La Vague montante et Continent perdu.]

En réaction aux dérives autocratiques de son époque, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), propose dans sa philosophie que l’homme touche au bonheur en retrouvant « l’état de nature » de ses lointains ancêtres, car « ses premiers mouvements [ceux de la nature] sont toujours droits ». Un peu plus tard, dans Walden ou la vie dans les bois, l’Américain Henry David Thoreau (1817-1862) explore sa « révolte solitaire » en s’éloignant de la société du milieu du XIXe siècle, esclavagiste, et en s’installant donc dans « des bois ». Nous avons peut-être là les racines de la pensée écologique (si tant est qu’une telle pensée existe, ce dont on peut douter, tant il y a de courants dans l’écologie contemporaine, qui va du terrorisme mâtiné de deep ecology jusqu’aux partisans d’un nucléaire maîtrisé, surveillé, mais absolument nécessaire au progrès social).

En 1955, Marion Zimmer Bradley écrit le texte anti-écologique parfait (façon de parler), « La Vague montante », dans lequel des centaines d’années après le premier voyage interstellaire, l’humanité a régressé et vit en petites communautés agricoles (genre Amish, le poids religieux en moins). Une description frontale d’une Terre maoïste ayant totalement renoncé à l’industrie légère (les deux jambes du maoïsme sont la paysannerie et l’industrie légère), et au confort moderne qui va de pair. N’y allons pas par quatre chemins : aujourd’hui, à cause de sa naïveté politique, naïveté qui ne frôle pas l’idiotie mais se roule dedans, « La Vague montante » est un texte ridicule et, pour tout arranger, farci de détails techniques obsolètes qui amplifient son côté daté. Rien n’y tient debout, que ce soit l’intrigue, les personnages ou le monde décrit. Quant au style, c’est simple, il n’y en a aucun. Certains textes de Clifford D. Simak, dans la même veine, ont beaucoup mieux résisté au travail de sape du temps (et c’est sans doute ce qui sépare un grand écrivain d’un auteur médiocre). Texte probablement marquant en 1955, « La Vague montante » a quand même une qualité : nous montrer à quel point notre regard sur la problématique environnementale a changé en un peu plus d’un demi-siècle. Remontez le temps plus en amont, lisez plutôt Walden ou la vie dans les bois ou La Désobéissance civile de Thoreau.

On reste un peu dans la même veine « écologique » avec « Continent perdu » de Norman Spinrad, une novella de 1970 où de riches Africains viennent visiter les ruines des USA et notamment le métro de New York dans lequel on trouve encore, en état de marche, des machines à bonheur. « Continent perdu » a un peu le même défaut que Rêve de fer, les meilleures blagues sont les plus courtes, et une fois le postulat de dé-part énoncé, le texte patine un peu dans la semoule, mais il est si bien écrit (à défaut d’être bien rythmé) qu’on l’avale d’une traite avec un vrai plaisir. Paradis artificiels, racisme, pollution, devenir des sociétés modernes, ici celle de l’âge de l’espace, « Continent perdu » est un texte malin, riche et ambitieux. À l’exception de sa « machine à bonheur » très datée années 70, il aurait pu être écrit de nos jours. Une fois de plus, Norman Spinrad nous séduit par son espièglerie et son sens de la provocation « payante ».

Avec ses livres-objets agréables à lire, son choix de textes très divers, la collection « Dyschroniques » est une jolie entreprise à soutenir.

Continent perdu

[Critique commune à La Vague montante et Continent perdu.]

En réaction aux dérives autocratiques de son époque, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), propose dans sa philosophie que l’homme touche au bonheur en retrouvant « l’état de nature » de ses lointains ancêtres, car « ses premiers mouvements [ceux de la nature] sont toujours droits ». Un peu plus tard, dans Walden ou la vie dans les bois, l’Américain Henry David Thoreau (1817-1862) explore sa « révolte solitaire » en s’éloignant de la société du milieu du XIXe siècle, esclavagiste, et en s’installant donc dans « des bois ». Nous avons peut-être là les racines de la pensée écologique (si tant est qu’une telle pensée existe, ce dont on peut douter, tant il y a de courants dans l’écologie contemporaine, qui va du terrorisme mâtiné de deep ecology jusqu’aux partisans d’un nucléaire maîtrisé, surveillé, mais absolument nécessaire au progrès social).

En 1955, Marion Zimmer Bradley écrit le texte anti-écologique parfait (façon de parler), « La Vague montante », dans lequel des centaines d’années après le premier voyage interstellaire, l’humanité a régressé et vit en petites communautés agricoles (genre Amish, le poids religieux en moins). Une description frontale d’une Terre maoïste ayant totalement renoncé à l’industrie légère (les deux jambes du maoïsme sont la paysannerie et l’industrie légère), et au confort moderne qui va de pair. N’y allons pas par quatre chemins : aujourd’hui, à cause de sa naïveté politique, naïveté qui ne frôle pas l’idiotie mais se roule dedans, « La Vague montante » est un texte ridicule et, pour tout arranger, farci de détails techniques obsolètes qui amplifient son côté daté. Rien n’y tient debout, que ce soit l’intrigue, les personnages ou le monde décrit. Quant au style, c’est simple, il n’y en a aucun. Certains textes de Clifford D. Simak, dans la même veine, ont beaucoup mieux résisté au travail de sape du temps (et c’est sans doute ce qui sépare un grand écrivain d’un auteur médiocre). Texte probablement marquant en 1955, « La Vague montante » a quand même une qualité : nous montrer à quel point notre regard sur la problématique environnementale a changé en un peu plus d’un demi-siècle. Remontez le temps plus en amont, lisez plutôt Walden ou la vie dans les bois ou La Désobéissance civile de Thoreau.

On reste un peu dans la même veine « écologique » avec « Continent perdu » de Norman Spinrad, une novella de 1970 où de riches Africains viennent visiter les ruines des USA et notamment le métro de New York dans lequel on trouve encore, en état de marche, des machines à bonheur. « Continent perdu » a un peu le même défaut que Rêve de fer, les meilleures blagues sont les plus courtes, et une fois le postulat de dé-part énoncé, le texte patine un peu dans la semoule, mais il est si bien écrit (à défaut d’être bien rythmé) qu’on l’avale d’une traite avec un vrai plaisir. Paradis artificiels, racisme, pollution, devenir des sociétés modernes, ici celle de l’âge de l’espace, « Continent perdu » est un texte malin, riche et ambitieux. À l’exception de sa « machine à bonheur » très datée années 70, il aurait pu être écrit de nos jours. Une fois de plus, Norman Spinrad nous séduit par son espièglerie et son sens de la provocation « payante ».

Avec ses livres-objets agréables à lire, son choix de textes très divers, la collection « Dyschroniques » est une jolie entreprise à soutenir.

Cœurs de rouille

[Critique commune à Cœurs de rouille et Mordred.]

Très grièvement blessé, en quelque sorte crucifié à son lit de douleur, le jeune chevalier Mordred se souvient de son enfance, d’un sein dévoilé, de sa première bataille, de sa mère Morgause, de l’Aspic et de son oncle, Arthur.

Cela pourrait être le résumé du début, mais non, c’est bien le résumé du quatrième roman adulte de Justine Niogret (l’éditeur allant encore plus loin, puisqu’il raconte la fin en quatrième de couverture). Mordred par Niogret s’impose très vite comme un anti-Excalibur (John Boorman / Rospo Pallenberg - 1981). Toute la matière de Bretagne y est raclée jusqu’à l’os. Quant à la fin du paganisme et l’ascension du dieu unique, il n’en reste quasiment rien, une allusion ici ou là. Pareil pour la dimension (anti-)chrétienne du personnage de Mordred, traitée de façon oblique, avec forces allusions. Certes, l’auteur le surnomme Armageddon, mais pour mieux nier cette facette du héros qui ne semble pas l’intéresser.

L’Antigone de Jean Anouilh, en guerre contre son oncle Créon (Pétain, à peine grimé), fumait des cigarettes ; le Mordred de Justine Niogret (trop désireux d’exister aux yeux de son oncle/ père Arthur) lit des romans… Un anachronisme qui montre bien quel est le projet du livre : une exploration brutale, car dans l’agonie, des pires tourments de l’amour filial. Un sujet de littérature générale ? Oui, car en fin de compte l’auteur s’est débarrassé de toute la quincaillerie fantasy et n’en garde qu’une brume presque inutile. Chapitres relevant ni plus ni moins de la poésie en prose, d’autres faisant preuve d’une maîtrise littéraire peu commune (le prologue, la première bataille), ce Mordred chasse ses lecteurs sur les terres de Céline Minard (Bastard Battle), de John Gardner (Grendel), et de Pierre Pelot (C’est ainsi que les hommes vivent). On regrettera juste quelques phrases malheureuses, et une poignée de lourdes redites qui empêchent ce passionnant tour de force d’accéder au statut de chef-d’œuvre.

Complet changement d’univers et d’époque avec Cœurs de rouille : Saxe, un jeune ouvrier travaillant sur les golems, et Dresde, une au-tomate qui n’a connu que la richesse jusqu’à ce que son maître l’abandonne, s’associent pour quitter la cité. Bientôt un golem se lance à leurs trousses : Pue-la-Viande.

Cœurs de rouille est un roman qui laisse sans cesse dans l’expectative (même si on occulte sa forte ressemblance avec The Alchemy of Stone d’Ekaterina Sedia). D’abord par son positionnement en collection jeunesse ; on ne voit pas bien ce qu’il y aurait dans cet ouvrage — obscur, glauque, allusif, complexe — pour de jeunes lecteurs. Ensuite, par sa narration : tortueuse (volontairement ?), confuse. Et pour finir, ni Dresde ni Saxe ne sont attachants, en tout cas moins que Pue-La-Viande, leur traqueur, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. Cœurs de rouille est une road-story dans les viscères hantés d’une cité steampunk, un livre qui ne permet pas à ses lecteurs de s’identifier à ses protagonistes, ce qui est pourtant le moteur central de la littérature jeunesse. Ce qui s’imposait comme des qualités dans Mordred — le ressassement permanent, un style puissant plein d’allusions, des descriptions très vite avortées — devient ici un frein à la lecture.

Malgré de beaux passages (dans le musée abandonné, notamment), de fines métaphores et de puissantes idées, Cœurs de rouille ne convainc pas : ses péripéties semblent forcées, ses décors ne se déploient jamais, ses enjeux restent trop obscurs. Voilà un diamant brut à la logique floue qui n’a pas été taillé, dont les lignes de forces n’ont pas été dégagées, un roman au style inadapté… et à son propos, et à la collection qui lui fait écrin.

Avec ces deux sorties concomitantes, Mordred / Cœurs de rouille, Justine Niogret continue de s’imposer comme un auteur terriblement attachant, mais tout autant inégal, avec une voix propre qui, pour le moment, ne s’est exprimée pleinement que dans le registre médiéval/historique.

Mordred

[Critique commune à Cœurs de rouille et Mordred.]

Très grièvement blessé, en quelque sorte crucifié à son lit de douleur, le jeune chevalier Mordred se souvient de son enfance, d’un sein dévoilé, de sa première bataille, de sa mère Morgause, de l’Aspic et de son oncle, Arthur.

Cela pourrait être le résumé du début, mais non, c’est bien le résumé du quatrième roman adulte de Justine Niogret (l’éditeur allant encore plus loin, puisqu’il raconte la fin en quatrième de couverture). Mordred par Niogret s’impose très vite comme un anti-Excalibur (John Boorman / Rospo Pallenberg - 1981). Toute la matière de Bretagne y est raclée jusqu’à l’os. Quant à la fin du paganisme et l’ascension du dieu unique, il n’en reste quasiment rien, une allusion ici ou là. Pareil pour la dimension (anti-)chrétienne du personnage de Mordred, traitée de façon oblique, avec forces allusions. Certes, l’auteur le surnomme Armageddon, mais pour mieux nier cette facette du héros qui ne semble pas l’intéresser.

L’Antigone de Jean Anouilh, en guerre contre son oncle Créon (Pétain, à peine grimé), fumait des cigarettes ; le Mordred de Justine Niogret (trop désireux d’exister aux yeux de son oncle/ père Arthur) lit des romans… Un anachronisme qui montre bien quel est le projet du livre : une exploration brutale, car dans l’agonie, des pires tourments de l’amour filial. Un sujet de littérature générale ? Oui, car en fin de compte l’auteur s’est débarrassé de toute la quincaillerie fantasy et n’en garde qu’une brume presque inutile. Chapitres relevant ni plus ni moins de la poésie en prose, d’autres faisant preuve d’une maîtrise littéraire peu commune (le prologue, la première bataille), ce Mordred chasse ses lecteurs sur les terres de Céline Minard (Bastard Battle), de John Gardner (Grendel), et de Pierre Pelot (C’est ainsi que les hommes vivent). On regrettera juste quelques phrases malheureuses, et une poignée de lourdes redites qui empêchent ce passionnant tour de force d’accéder au statut de chef-d’œuvre.

Complet changement d’univers et d’époque avec Cœurs de rouille : Saxe, un jeune ouvrier travaillant sur les golems, et Dresde, une au-tomate qui n’a connu que la richesse jusqu’à ce que son maître l’abandonne, s’associent pour quitter la cité. Bientôt un golem se lance à leurs trousses : Pue-la-Viande.

Cœurs de rouille est un roman qui laisse sans cesse dans l’expectative (même si on occulte sa forte ressemblance avec The Alchemy of Stone d’Ekaterina Sedia). D’abord par son positionnement en collection jeunesse ; on ne voit pas bien ce qu’il y aurait dans cet ouvrage — obscur, glauque, allusif, complexe — pour de jeunes lecteurs. Ensuite, par sa narration : tortueuse (volontairement ?), confuse. Et pour finir, ni Dresde ni Saxe ne sont attachants, en tout cas moins que Pue-La-Viande, leur traqueur, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. Cœurs de rouille est une road-story dans les viscères hantés d’une cité steampunk, un livre qui ne permet pas à ses lecteurs de s’identifier à ses protagonistes, ce qui est pourtant le moteur central de la littérature jeunesse. Ce qui s’imposait comme des qualités dans Mordred — le ressassement permanent, un style puissant plein d’allusions, des descriptions très vite avortées — devient ici un frein à la lecture.

Malgré de beaux passages (dans le musée abandonné, notamment), de fines métaphores et de puissantes idées, Cœurs de rouille ne convainc pas : ses péripéties semblent forcées, ses décors ne se déploient jamais, ses enjeux restent trop obscurs. Voilà un diamant brut à la logique floue qui n’a pas été taillé, dont les lignes de forces n’ont pas été dégagées, un roman au style inadapté… et à son propos, et à la collection qui lui fait écrin.

Avec ces deux sorties concomitantes, Mordred / Cœurs de rouille, Justine Niogret continue de s’imposer comme un auteur terriblement attachant, mais tout autant inégal, avec une voix propre qui, pour le moment, ne s’est exprimée pleinement que dans le registre médiéval/historique.

Gigante - Au nom du père

[Critique commune à Au nom du père et Au nom du fils.]

Etrange concept éditorial que voici : un univers développé par deux auteurs, la planète Gigante, chacun de ces deux auteurs y plaçant son histoire, mais l’une destinée à un public adulte, signée par Pierre Bordage, l’autre, écrite par Alain Grousset, proposée dans la collection jeunesse des éditions l’Atalante (« Le Maedre »), et donc destinée à un lectorat plus adolescent. Etant entendu que les deux histoires sont liées, bien évidemment. Un compagnonnage étonnant, pour le moins, dont on se demande quel est l’enjeu. Réunir deux publics d’âge différents ? Mais auquel cas, pourquoi ne pas avoir fait une double exploitation de chacun des titres, à la fois en adulte et en jeunesse ?…

Gigante est une bizarrerie de l’espace. Pour Zaslo et Koeb, les destinées se croisent : le fils arrive avant le père, parti sans savoir que sa femme était enceinte. L’un veut tuer son géniteur tandis que l’autre rêve de grandeur et de découverte.

Pierre Bordage et Alain Grousset explorent donc Gigante, monde titanesque sur lequel deux parcours se confrontent. Pour ce planet opera, l’idée était de raconter l’histoire d’un père et de son fils selon un angle différent : l’histoire du père à l’auteur jeunesse ; celle du fils à l’adulte.

Hélas… Sans doute le cadre est-il trop vaste et les idées trop nombreuses pour les deux auteurs. Quelques lacunes sur l’environnement, des raccourcis plus pratiques que scénaristiques dans le récit d’Alain Grousset, un manque de profondeur de certains personnages (tant chez Bordage que chez Grousset)… autant d’éléments qui ternissent la lecture des deux volumes : on reste sur sa faim, des questions sans réponses plein la tête.

Pouvant se lire indépendamment et de façon interchangeable, « Gigante » se termine trop vite dans sa partie jeunesse, comme si Alain Grousset s’était retrouvé à court de temps ou de place pour finir. Si Au nom du fils manque de consistance et de caractérisation des personnages, l’univers en pâtit, et Au nom du père avec lui (la limite de l’exercice d’imbrication, en somme).

Malgré une idée intéressante et un ensemble non dénué d’intérêt, on demeure perplexe. Devant la qualité des livres, d’abord (surtout Au nom du fils, dispensable), mais aussi devant ce projet de véritables récits transversaux se répondant et s’explorant mutuellement. Un univers vaste, trop vaste sans doute, pour ces deux seuls volumes.

Gigante - Au nom du fils

[Critique commune à Au nom du père et Au nom du fils.]

Etrange concept éditorial que voici : un univers développé par deux auteurs, la planète Gigante, chacun de ces deux auteurs y plaçant son histoire, mais l’une destinée à un public adulte, signée par Pierre Bordage, l’autre, écrite par Alain Grousset, proposée dans la collection jeunesse des éditions l’Atalante (« Le Maedre »), et donc destinée à un lectorat plus adolescent. Etant entendu que les deux histoires sont liées, bien évidemment. Un compagnonnage étonnant, pour le moins, dont on se demande quel est l’enjeu. Réunir deux publics d’âge différents ? Mais auquel cas, pourquoi ne pas avoir fait une double exploitation de chacun des titres, à la fois en adulte et en jeunesse ?…

Gigante est une bizarrerie de l’espace. Pour Zaslo et Koeb, les destinées se croisent : le fils arrive avant le père, parti sans savoir que sa femme était enceinte. L’un veut tuer son géniteur tandis que l’autre rêve de grandeur et de découverte.

Pierre Bordage et Alain Grousset explorent donc Gigante, monde titanesque sur lequel deux parcours se confrontent. Pour ce planet opera, l’idée était de raconter l’histoire d’un père et de son fils selon un angle différent : l’histoire du père à l’auteur jeunesse ; celle du fils à l’adulte.

Hélas… Sans doute le cadre est-il trop vaste et les idées trop nombreuses pour les deux auteurs. Quelques lacunes sur l’environnement, des raccourcis plus pratiques que scénaristiques dans le récit d’Alain Grousset, un manque de profondeur de certains personnages (tant chez Bordage que chez Grousset)… autant d’éléments qui ternissent la lecture des deux volumes : on reste sur sa faim, des questions sans réponses plein la tête.

Pouvant se lire indépendamment et de façon interchangeable, « Gigante » se termine trop vite dans sa partie jeunesse, comme si Alain Grousset s’était retrouvé à court de temps ou de place pour finir. Si Au nom du fils manque de consistance et de caractérisation des personnages, l’univers en pâtit, et Au nom du père avec lui (la limite de l’exercice d’imbrication, en somme).

Malgré une idée intéressante et un ensemble non dénué d’intérêt, on demeure perplexe. Devant la qualité des livres, d’abord (surtout Au nom du fils, dispensable), mais aussi devant ce projet de véritables récits transversaux se répondant et s’explorant mutuellement. Un univers vaste, trop vaste sans doute, pour ces deux seuls volumes.

Le Guide Steampunk

Effet de mode ou guide indispensable ? À l’heure où le steampunk (terme né dans les années 80 sous l’égide de K. W. Jeter, Tim Powers et James Blaylock) semble bénéficier d’un regain d’intérêt éditorial, et où chacun y va de sa propre définition, Etienne Barillier et Arthur Morgan décident de mettre les points sur les « i » et de définir ce genre hybride et sans doute encore nébuleux pour beaucoup.

Force est de constater que l’ouvrage est détaillé : interviews d’auteurs, guides de lectures, mais aussi de films, de bandes dessinées, de jeux vidéos et même de musique. Le Guide Steampunk se veut exhaustif et documenté, ce qu’il est indéniablement. Les interviews ne se limitent pas à des auteurs français, puisqu’on peut y découvrir celles de James Blaylock (Homunculus en 1986), ancien disciple de Philip K. Dick, ou encore de Greg Broadmore, auteur de Dr Grordbort présente : Victoire (chez Milady) et conceptual designer sur des films comme le Tintin de Spielberg ou District 9. Des grands noms qui, espérons-le, inciteront à faire acheter cet ouvrage qui le mérite… pour partie.

En effet, malgré la documentation très riche et l’intérêt indéniable du présent guide, les répétitions sont nombreuses, trop, en fait. Des redites, mais aussi des sections dont on aurait pu se passer : les « pour aller plus loin » ne mènent pas vraiment plus avant dans le propos et piétinent plus qu’autre chose. De même, mais cela est inhérent au format choisi, un minimum d’iconographie aurait été la bienvenue, notamment pour les sections esthétiques, qui manquent cruellement de visuel et peinent à rendre la pleine mesure du genre.

Reste un essai introductif intéressant, qui, s’il pâtit de quelques failles agaçantes, n’en présente pas moins de façon convaincante un champ littéraire riche de découvertes et de surprises.

L'Épée des cinquante ans

Imaginez…

Vous êtes à une fête qui honore une personne que vous ne supportez pas, mais vous avez voulu faire plaisir à votre sœur jumelle, parce que vous êtes faible et que vous ne savez pas dire non (elle a insisté pour que vous vous y rendiez et vous n’arrivez toujours pas à comprendre pourquoi, vu qu’elle-même n’est pas là…). Cinq orphelins accompagnés de leur assistante sociale vous distraient, mais l’envie de partir vous tiraille de plus en plus. L’expectative d’une surprise annoncée vous empêche cependant de quitter l’endroit. Malheureusement, celle-ci est retardée par le temps glacial et la route glissante. Quand soudain, la porte s’ouvre et un homme au cœur sombre entre dans la maison, s’installe avec une boîte devant lui et se met à raconter son histoire. Vous oubliez tout et vous vous perdez avec lui dans les méandres de la Vallée de Sel et de la Forêt des Notes Filantes à la recherche de l’Homme Sans Bras. Jusqu’à ce que…

L’Epée des cinquante ans n’est pas un roman. C’est un conte qui nous est transmis sous la forme d’un album aux illustrations brodées. Ce que sa couverture sobre, d’un orange que l’on pourrait presque qualifier de rebutant, ne laisse d’ailleurs pas deviner. On pourrait même la qualifier de premier frein à même de dissuader quiconque de découvrir les merveilles enfermées dans ce livre. Or, cet obstacle n’est pas le seul… Car dès le début de la lecture, nous voici en plus avisés de la mise en place d’un système narratif qu’il nous faudra décoder : des guillemets colorés permettent de reconnaître différents narrateurs sans que ceux-ci ne soient pour autant identifiés. Et nous voilà à nous demander quel système abscons Mark Z. Danielewski a encore bien pu mettre en place. C’est que l’auteur n’en est pas à son premier essai, et qu’il nous a déjà montré son amour pour les récits déstructurés aux phrases baladeuses demandant la participation du lecteur dans le superbe La Maison des feuilles et dans le moins bien accueilli Ô Révolution.

Histoire de tester notre patience, L’Epée des cinquante ans nous demande de surcroît de passer une dernière « épreuve » avant d’accéder à son essence. En effet, si le procédé des guillemets colorés est déstabilisant, l’introduction, plutôt aride — voire agaçante —, l’est encore plus. Il faudra quelques pages pour comprendre le contexte et saisir l’intérêt de la scission des phrases et de l’utilisation abondante de néologismes (il convient ici de féliciter Héloïse Esquié, qui a fait un superbe travail de traduction).

Page 66 (quand l’introduction prend fin), le vrai conte débute et le lecteur va d’émerveillement en émerveillement. Les broderies, qui pouvaient sembler uniquement décoratives auparavant, renforcent l’impression d’immersion dans l’histoire, et nous permettent de vivre plus intensément ce récit de quête et de vengeance qui se terminera de manière trouble. Il faut malgré tout souligner le fait que cette histoire ne plaira pas à tout le monde. Non parce qu’elle demande une certaine concentration ou des connaissances particulières, mais plutôt parce que sa nature revendiquée de conte pourra rebuter ceux qui ne sont plus habitués à pareil genre narratif. C’est que L’Epée des cinquante ans est un texte qui s’inscrit dans une tradition orale, exigeant presque une lecture à voix haute pour accompagner la découverte des images, exercice auquel tout le monde n’est pas forcément enclin à se prêter. En conclusion : un livre à conseiller avant tout à ceux que la formule magique « Il était une fois » fait encore rêver…

Demain le monde

Trente ans après le « Livre d’Or » que lui consacra Patrice Duvic chez Presses Pocket (et dont on retrouve ici cinq des onze textes qui figuraient à son sommaire), Richard Comballot a à son tour passé en revue l’intégrale des nouvelles de Jean-Pierre Andrevon pour nous en proposer le meilleur, vingt-deux récits couvrant l’ensemble de sa carrière, de ses débuts dans Fiction (« La Réserve », publié en 1968) à nos jours ou presque (le plus récent, « Comme un Rêve qui revient », a paru en 2002 dans Galaxies première mouture).

On peut s’amuser du titre choisi pour ce recueil, lorsque plus de la moitié des nouvelles réunies nous disent que notre monde ne connaitra pas de lendemain. Omniprésente dans l’œuvre de l’auteur, la fin du monde, ou plus exactement la fin de la civilisation, l’est également dans ce florilège. Parfois avec douceur (le magistral « Le Monde enfin », où les derniers représentants de l’espèce humaine s’effacent progressivement au profit du règne animal), parfois même avec drôlerie (« L’Arme » d’origine extraterrestre oubliée par une soucoupe volante), mais le plus souvent dans un déchainement de violence. Dans « …il revient au galop » ou « Comme un rêve qui revient », on assiste impuissant à l’Apocalypse, non sans un certain fatalisme, comme s’il était logique, et même souhaitable, que la parenthèse que constitue notre civilisation se referme et que l’on revienne, enfin, à un juste ordre des choses. Et d’ailleurs, qui regrettera cette civilisation, celle de « Salut, Wolinski ! » dont le narrateur tue à tour de bras ses contemporains dans l’indifférence générale ? Ou celle de « L’Anniversaire du Reich de mille ans », que l’on prend plaisir à voir s’effondrer brusquement. Dans l’œuvre d’Andrevon, la civilisation n’est guère plus qu’un vernis, et le retour à la barbarie ne se fait jamais attendre bien longtemps. Dans ce registre, « En Route pour la chaleur ! » est en tous points parfait. Et atroce.

Lorsque lendemain il y a, il s’apparente souvent à une longue agonie. Dans « La Réserve », les derniers humains font figure de bêtes curieuses, tandis que dans « Comme une étoile solitaire et fugitive », qui conte de manière particulièrement poignante le destin d’un enfant mutant, lui et ses congénères sont pourchassés et mis à mort. Seule « Un nouveau Livre de la Jungle des vil-les » propose un possible espoir, celui d’une humanité nouvelle, plus adaptée à ce monde d’après. Sinon, ne reste plus qu’à attendre la fin et à se palucher en se remémorant ses anciennes conquêtes (« Tout à la main »). À de très rares occasions, l’inévitable est pourtant évité de justesse. C’est le cas de manière dramatique dans « Rien qu’un peu de cendre et une ombre portée sur un mur », de façon plus ludique dans « Sur la Banquette arrière ». Mais sur l’ensemble du recueil, c’est la noirceur qui prédomine. Le texte le plus sombre étant sans doute « Epilogue peut-être ? », récit désespéré et désespérant qui aboutit aux mêmes conclusions que les autres nouvelles, mais à l’échelle galactique.

Malgré la diversité dont Andrevon fait preuve pour traiter le même thème, la sélection de Richard Comballot n’évite pas certaines redites. Le cas le plus flagrant est celui de « Un petit saut dans le passé », histoire de voyage temporel avec paradoxe à la clé. La même idée est traitée de manière beaucoup plus complexe et aboutie dans « La Porte au fond du parc entre le cèdre et les chênes », un modèle de précision dans la construction de cette intrigue où tous les éléments s’imbriquent à la perfection.

Quelques textes enfin donnent à voir un Jean-Pierre Andrevon goguenard, s’amusant avec les stéréotypes de la science-fiction. C’est le cas dans « L’Homme qui fut douze », mission d’exploration d’une planète sauvage qui tourne au désastre, et plus encore dans « Manuscrit d’un roman de SF trouvé dans une poubelle », parodie de la science-fiction populaire d’avant-guerre, où les héros galactiques sont des pleutres, et où les demoiselles en détresse ne portent pas de culotte, ou si peu.

On pourra toujours reprocher à Richard Comballot l’absence de telle nouvelle, ou la présence de telle autre, n’empêche qu’en l’état, Demain le monde réunit la quintessence de ce qui fait de Jean-Pierre Andrevon un nouvelliste d’exception et l’un des auteurs majeurs de la science-fiction en France. Et ça fait quelques décennies que ça dure…

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