Connexion

Actualités

La Geste du Sixième Royaume

Avec La Geste du Sixième Royaume, les éditions Mnémos (re)tentent leur chance avec un autre auteur français, un autre premier roman, signé cette fois Adrien Tomas, présenté d’entrée de jeu comme la « nouvelle révélation » du genre, rien que ça. Fatalement, ce type de déclarations, de bonne guerre et commune à tous les éditeurs, s’avère à double tranchant.

Ainsi, si vous êtes déjà fâchés depuis longtemps avec la fantasy épique, attention. En effet, avec La Geste du Sixième Royaume, nous sommes en plein dedans. Destinée, monde en danger, batailles, magie, nombreuses races, etc, etc... La grande majorité des figures imposées du genre répondent à l’appel. De quoi grincer des dents ? Pas forcément.

Dans ses meilleurs moments, le roman d’Adrien Tomas n’est pas loin par exemple d’évoquer David Eddings, dans certains dialogues notamment, amusants ou enlevés. Mais en creux, il faut bien admettre que l’on a parfois l’impression de tomber sur le récit d’une partie de jeu de rôle couchée sur papier. Et le problème, c’est que l’on sait qu’écouter (ou lire) quelqu’un vous raconter une partie dont vous ne connaissez rien n’est pas très agréable.

Une chose est sûre, l’auteur a pris la peine et le temps de bâtir un univers cohérent. Citons une vraie chronologie, le travail et le soin apporté au peuple des sylphides (on sent là sans doute l’influence de ses études d’écologie), les liens entre les différentes thématiques abordées… Adrien Tomas essaie aussi d’apporter sa propre patte en jouant sur les clichés du genre : le véritable passé des Elfes, le rôle des dragons, la nature du conflit entre le Père et l’Autre… Des petites touches qui apportent un plus, même si, là encore, fondamentalement, ce n’est pas la première fois que l’on assiste à des variations de ce type.

La contrepartie négative de la chose existe, malheureusement : de nombreuses plages explicatives, y compris par le biais des dialogues, qui pèsent sur le rythme du récit et lui donnent parfois des allures de guide, avec l’impression que l’on résume pour le lecteur, et non pour les personnages, les épisodes précédents.

L’histoire elle-même est bien menée, bien que globalement classique, donc. La trame de base du genre est respectée, malgré la présence d’une certaine distance (bienvenue). Si cela peut aider à vous faire une idée, nous avons cité un peu plus haut Eddings, mais nous nous garderions bien de mentionner un Terry Brooks, exemple type d’une fantasy sans saveur et sans audace. Un constat qui s’applique d’ailleurs aussi bien sur le fond que sur la forme.

Côté personnages, le casting hétéroclite et pléthorique du roman est par contre aussi généreux qu’inégal. Corius, par exemple, fait partie des protagonistes dont le destin ne touche guère le lecteur, à l’image de cette scène où il revient sur son passé, presque risible. Il a beau dans le cas présent être décrit comme amer ou à fleur de peau, cela ne passe pas (pour ne pas dire plus...), à l’image de la figure de Moineau, dont les premières apparitions évoquent là aussi des situations vues et revues, dans le genre gamin des rues abandonné à son destin. Encore que celui-ci connaisse un destin final qui, là, prend vraiment le lecteur à contre-pied. Au final, Llir s’impose logiquement comme le personnage majeur et constitue un solide point d’ancrage pour le lecteur.

Un mot encore sur l’objet livre : on peut féliciter Mnémos pour n’avoir pas cédé aux sirènes du découpage. On aurait tout à fait imaginé un tel roman coupé en deux. Par contre, il faudra donc composer avec une police un peu petite, sans oublier quelques effets de mise en page pas toujours heureux (du fait de changements de police, justement) et autres coquilles, cela dit peu nombreuses au regard de la taille du texte.

Généreux, pas bête, mais souffrant encore de défauts de jeunesse trop nombreux et trop marqués, le premier roman d’Adrien Tomas n’a donc rien d’une révélation, mais s’apparente plutôt à une découverte sympathique. Et contrairement à d’autres Mnémos récents, nous suivrons d’un œil curieux la suite du parcours de son auteur.

Chronique du Soupir

Cela faisait déjà un certain temps que l’on n’avait pas eu l’occasion de découvrir un roman signé Mathieu Gaborit.

Et par la force des choses, les « retards » accumulés par ce Chronique du soupir, plusieurs fois repoussé, ont généré curiosité et attente. Le retour de Mathieu Gaborit s’avère-t-il convaincant ? Tout dépend ce que l’on cherche. L’auteur explore notamment des thèmes souvent peu exploités sous cet angle en fantasy, pour ne pas dire très rarement : la nature même de l’amour, la place des liens familiaux, le poids de l’attente, les contraintes du libre-arbitre… Il faut dire qu’il semblait évident à la lecture de la lettre ouverte de Mathieu Ga-borit sur le site de son éditeur que ce roman allait toucher à l’intime. L’auteur l’affirme : il a mis beaucoup de lui et de son parcours dans cette histoire. La sincérité de sa démarche n’est donc pas à mettre en cause.

Mais le fait est que le roman en tant que tel peine à convaincre. En superposant à ses personnages un canevas de fantasy épique classique mais travaillé (le concept des lignes-vies, le souffle, le « bestiaire », etc…), Gaborit parasite pour ainsi dire sa trame et tisse une histoire finalement un peu terne qui ne devrait pas forcément combler l’appétit des amateurs de high fantasy pure et dure malgré certaines scories du genre, comme s’il avait fallu en passer par là.

Quant aux autres, peut-être plus aventureux, ou plus curieux, rien ne dit que le roman fera mouche pour autant. Car il faudra passer outre des considérations abordées par l’auteur le plus souvent avec une naïveté ou une candeur toute adolescente. D’où des réactions souvent étonnantes de la part de personnages au destin au mieux contrarié et soumis à d’amères épreuves. Des personnages, qui, à l’image des thèmes majeurs abordés, changent du tout-venant de la fantasy épique, à commencer par la figure de Lilas, la naine matriarche, ou bien encore son fils Saule.

Mais difficile pourtant de s’attacher à eux, car, au-delà même du traitement des thèmes abordés à travers ces personnages, il reste trop souvent une barrière entre les protagonistes de cette histoire et le lecteur, simple spectateur assistant à une représentation encore hésitante. Un flou qui se retrouve finalement à l’échelle de ce roman à la gestation visiblement compliquée : on a parfois l’impression de lire encore un brouillon, comme s’il manquait un peu plus de recul. Sans doute à cause de cette sensation de déséquilibre entre accent mis sur les personnages et leurs relations, leur intimité, et cadre plus épique (que nécessaire ?). Une sensation qui se retrouve donc partout : dans l’intrigue finalement dépourvue de tension, dans ces personnages falots qui semblent animés d’une étincelle par trop artificielle à force d’atermoiements ou d’entêtement abscons, et même dans un système de magie plutôt confus, alors que beaucoup de choses tournent pourtant autour de ses principes fondateurs.

Restent une atmosphère singulière et la plume même de Mathieu Gaborit, toujours capable d’ourler de jolies phrases et de toucher au cœur, mais aussi de tomber de temps à autre dans un maniérisme emprunté.

Trop long à trouver son propre souffle, Chronique du Soupir a également bien du mal à tenir la distance. La pagination saute d’ailleurs aux yeux, qu’on le veuille ou non. Police de grande taille, succession de pages blanches entre deux chapitres… Et malgré tout ça, il est bien difficile d’arriver à 300 pages. On se demande dès lors si cette histoire n’aurait pas été plus consistante sur la forme d’une nouvelle, ramassée, raffinée. Car si de magnifiques romans, fulgurants, peuvent très bien ne pas atteindre les 200 pages et vous marquer au fer rouge, ce n’est pas le cas ici.

Mathieu Gaborit explique ne plus être en phase avec l’heroic fantasy, ou du moins, une certaine idée de celle-ci. Il décrit son roman comme un testament (une évidence à la lecture des deux derniers chapitres, où l’on peut dresser un parallèle entre l’intrigue et la démarche de l’auteur) et explique avoir voulu renoncer à certains passages obligés du genre. Il est cependant regrettable qu’il n’ait pas poussé plus loin son expérimentation, cette envie de briser les codes, quitte à perdre des lecteurs, quitte à ce que ce testament se change en lettre de désamour.

Sa nature atypique aurait sans doute pu alors nous convaincre pleinement. Mais peut-être fallait-il en passer par là pour découvrir un Gaborit nouveau ? En attendant la prochaine étape, la curiosité n’a pas disparu…

1Q84

[Critique portant sur les deux premiers tomes du roman.]

« Livre phénomène », « Evénement éditorial sans précédent »… Dès le quatrième de couverture, nous voilà prévenus ! Il faut dire qu’avec près de quatre millions d’exemplaires vendus au Japon, 1Q84 est un roman — en trois tomes — qui a de quoi intriguer. D’autant plus qu’il est signé Haruki Murakami, l’un des plus grands écrivains d’aujourd’hui, plusieurs fois envisagé pour le prix Nobel de littérature, et à qui on doit déjà quelques textes inoubliables : Chronique de l’oiseau à ressort ; La Fin des temps ; Kafka sur le rivage… Comment Murakami est-il devenu l’auteur d’un fulgurant best-seller aux chiffres de ventes dignes d’Harry Potter ? Et surtout, qu’est-ce que peut bien contenir 1Q84 pour expliquer un tel succès ?

Au début, tout est simple…

L’action débute au Japon, en 1984, autour de deux personnages, trentenaires et célibataires : Tengo et Aomamé. Leur unique rencontre a eu lieu pendant leur enfance et n’a duré qu’un court instant. Depuis, sans jamais avoir cherché à se revoir, ils se vouent l’un à l’autre un amour éternel. Tengo est professeur de maths. C’est un homme tranquille, réservé, qui subit sa vie plus qu’il ne la décide. Il a pourtant une ambition : devenir écrivain. Voilà qu’un éditeur lui propose de réécrire, en sous-main, le manuscrit d’une jeune fille âgée de dix-sept ans, « La Chrysalide de l’air » ; l’étrange histoire d’une fillette de 10 ans, élevée dans une secte, qui s’enfuit de sa communauté et entre en contact avec des créatures semblant venir d’un autre monde : les « Little people ». Après avoir longuement hésité, Tengo accepte. Le roman est rapidement publié, puis devient un best-seller. La vie de Tengo va très vite basculer. Car l’intrigue de « La Chrysalide de l’air » n’est-elle qu’une fiction ? Et si les « Little people » existent réellement, comment vont-ils réagir ?

Aomamé est institutrice dans un club de sport, où elle donne des cours d’autodéfense destinés aux femmes. C’est une jeune femme discrète, presque invisible aux yeux des autres. C’est aussi une redoutable serial killer travaillant pour une organisation secrète qui se donne comme mission d’éliminer physiquement des hommes coupables de violences sur des femmes. Alors qu’elle se rend dans un hôtel — pour y exécuter un homme d’affaires —, elle emprunte un escalier sur la voie express d’une autoroute. Sans le savoir, elle vient de franchir une porte, un sas spatio-temporel, d’entrer dans une autre réalité : le Japon en 1Q84. Et voilà qu’en plus on lui propose un nouveau contrat : supprimer le gourou d’une secte soupçonné de viols sur mineures…

Ensuite, le moins que l’on puisse dire, c’est que tout se complique ! Pour Tengo, pour Aomamé… Et surtout pour nous, pauvres lecteurs !

Thriller uchronique aux accents dickiens, manga sociétal, fable mystique, ode sincère à l’amour absolu et hommage revendiqué à une SF volontairement old school (Georges Orwell et son cultissime 1984, à quoi s’ajoute le thème des mondes parallèles), il y a un peu de tout ça — et bien plus encore ! — dans ce triptyque vertigineux concocté par Murakami. Un véritable maelström fictionnel, dont on se dit d’abord qu’à vouloir mélanger autant d’éléments narratifs dans un même roman, l’auteur va se perdre dans sa propre fiction, comme à l’intérieur d’un labyrinthe qu’il aurait lui-même construit. Oui, mais voilà, Murakami ne s’y perd pas. A aucun moment. Il en profite même pour se réinventer, se renouveler radicalement, tout en restant fidèle à ses obsessions. Et c’est peut-être là qu’il faut chercher la principale raison du succès sidérant rencontré par ce roman : dans ce mélange des genres assumé qui tient de la haute voltige, dans ce jonglage fictionnel incessant, hypnotique — très fortement addictif pour le lecteur — que très peu d’écrivains auraient osé. Et si Murakami dit s’être inspiré d’Orwell pour écrire 1Q84, à la lecture, c’est bien plutôt à Philip K. Dick qu’on pense : l’écrivain japonais n’a jamais été aussi proche de l’auteur d’Ubik et de Confessions d’un barjo que dans ce récit à tiroirs qui questionne en permanence la notion de réalité, de ressenti du monde réel, et qui s’interroge ouvertement sur le pouvoir de la fiction. Murakami y multiplie les rebondissements, à la manière d’une série télé (le personnage d’Aomamé, tueuse implacable qui agit au nom d’une certaine idée de la justice, fait d’ailleurs irrésistiblement penser au fameux Dexter) et multiplie les glissements d’un monde à un autre. Au lecteur d’accrocher sa ceinture ! Malgré quelques longueurs dans le premier livre — Murakami prend son temps pour installer les différents éléments de son récit —, les deux premiers tomes de 1Q84 ne déçoivent pas. C’est même un trip littéraire comme on en a rarement lu, un voyage mental chaotique, violent, transcendantal ; une initiation aux ténèbres afin de trouver la lumière. Sage et fou, zen et survolté, classique et moderne à la fois, Murakami est un écrivain unique, un véritable magicien des mots. Certains passages — surtout dans le Livre 2 — donnent parfois la sensation d’avoir été écrits dans une sorte de transe, comme si Murakami était lui-même en connexion mentale avec des univers déviants, des mondes inaccessibles au commun des mortels. La parution du troisième tome est prévue pour début 2012… ça sera dur d’attendre jusque-là !

Le Sang des Immortels

Voilà une réédition qui devrait rappeler quelques souvenirs aux lecteurs du Fleuve Noir du siècle dernier. Ceux qui suivaient la collection « Anticipation » dans les années 90 se souviennent probablement des débuts de Laurent Genefort à cette époque, débuts parfois calamiteux (un premier roman illisible en 1988, Le Bagne des ténèbres, qui s’apparente plutôt à un faux départ), souvent laborieux. Pendant plusieurs années, en véritable stakhanoviste du clavier, l’auteur a produit à la chaîne toute une série de récits d’aventures, reposant souvent sur de bonnes idées, mais toujours plus ou moins bancals, mal foutus, mal écrits, et engoncés dans les 192 pages réglementaires de la collection comme un rugbyman dans un costume de premier communiant. Opiniâtre et imperturbable, le romancier a continué à faire ses gammes, à progresser de livre en livre, jusqu’à trouver enfin son propre style et faire taire définitivement ses détracteurs. Dans les dernières années de la décennie, on lui doit ainsi une série de romans qui, s’ils n’étaient sans doute pas exempts de tout reproche, avaient en commun de mettre en scène avec un authentique souci de vraisemblance scientifique des environnements singuliers et extrêmes où tentaient de survivre une poignée d’hommes : le monde gazeux des Croisés du vide (1998), la planète en constante fusion de Dans la gueule du dragon (1998), ou celle en cours de terraformation des Engloutis (1999). Initialement paru en 1997, Le Sang des immortels, avec sa jungle cauchemardesque, est l’un des meilleurs romans de cette période.

L’intrigue est des plus classiques : un groupe hétéroclite se rend sur la planète Verfébro à la recherche du Drac, une créature mythique, immortelle si l’on en croit les légendes locales. Chaque membre de cette expédition à ses propres raisons pour trouver le Drac : pour Nemrod, le chasseur, ce n’est qu’un trophée de plus à afficher à son palmarès ; pour Liaren, l’ethnologue, un sujet d’études ; Affer, le mercenaire, travaille pour le compte d’un mystérieux commanditaire ; quant à Jok, le prêtre défroqué, il espère s’emparer du secret de l’immortalité afin de devenir le dieu de son propre culte. A ces quatre individus vient s’ajouter Jemi, le guide autochtone à travers le regard duquel on découvre tout ce petit monde. Pris séparément, ces divers personnages peuvent sembler assez stéréotypés, mais la dynamique de groupe fonctionne bien. Entre ces protagonistes aux origines et aux motivations fort différentes et souvent contradictoires, la tension est permanente, et la nécessité de collaborer pour parvenir à leur objectif n’interdit pas de temps à autre quelques coups fourrés. Mais les dangers les plus menaçants viennent de l’extérieur, notamment des rebelles indépendantistes lancés à leurs trousses et bien décidés à les intercepter avant qu’ils n’atteignent leur but. Et surtout, le long périple dans lequel se lance cette équipe n’a rien d’une balade en forêt de Fontainebleau mais se déroule dans un environnement particulièrement hostile.

C’est dans la description et la mise en scène de la faune et de la flore de Verfébro que Laurent Genefort fait des merveilles et que le roman devient passionnant. Le lecteur se trouve en immersion totale et permanente dans un univers foisonnant, exubérant, au cœur d’une jungle qui s’étend sur l’ensemble de la planète, recouvrant tout, y compris ses mers. On assiste alors au déferlement ininterrompu d’un flot de créatures et de végétaux aussi étranges que mortels, en lutte permanente contre toute autre forme de vie pour tenter de survivre. A l’imagination débridée dont fait preuve l’auteur s’ajoute un louable souci de réalisme dans la description qu’il nous fait de cet univers. Pour l’essentiel, le récit consiste en une succession de scènes au cours desquelles les personnages tombent dans un nouveau piège que leur a tendu la nature et passent à deux doigts de la mort. En toute logique, le procédé devrait vite lasser. Mais Laurent Genefort fait preuve d’une telle inventivité que ce n’est jamais le cas, ce qui en soit constitue déjà un joli succès. Cerise sur le gâteau, il parvient à boucler son récit de manière tout à fait convaincante, une fin d’où n’est pas absente une forme d’ironie des plus cruelles.

Même si on reste dans le registre du récit d’aventures, même si son intrigue linéaire et ses enjeux limitent l’ampleur du roman, Le Sang des immortels n’en est pas moins une indéniable réussite, qui méritait bien d’être redécouverte.

Rifteurs

Après seulement deux romans parus en France, Peter Watts a d’ores et déjà trouvé sa place parmi les auteurs de SF les plus novateurs et les plus passionnants du moment. Son nouveau livre, Rifteurs, était attendu avec d’autant plus d’impatience qu’il fait directement suite à Starfish, paru l’an dernier. Précisons tout de même qu’il n’est pas obligatoire d’avoir lu le premier pour saisir tous les enjeux du second, l’essentiel des informations nécessaires étant repris dans les premiers chapitres. Par ailleurs, dans la forme, Rifteurs est très différent de Starfish. Au huis-clos dans lequel se déroulait ce dernier succède une course-poursuite qui va nous faire traverser le continent nord-américain d’ouest en est. Cible de cette chasse : Lenie Clarke, l’une des survivantes de la station sous-marine où elle était en poste, désormais porteuse d’une bactérie issue des profondeurs qui menace de se répandre sur toute la surface de la planète.

Il flotte sur Rifteurs un lourd parfum d’apocalypse. A cause de la menace que fait peser la nouvelle condition de Lenie sur l’ensemble de l’humanité, bien sûr, à cause aussi des ravages dévastateurs provoqués sur la côte ouest des Etats-Unis par l’explosion nucléaire qui concluait le volume précédent. Mais, plus généralement, le monde que l’on découvre ici est un monde au bord du précipice et à bout de souffle, où de nouvel-les menaces apparaissent cha-que jour, amenant souvent les autorités à prendre des mesures radicales pour les contenir. C’est également une société de plus en plus déshumanisée, où d’un côté les employés de diverses multinationales acceptent de renoncer à une part de leur humanité pour mener à bien les tâches qui leur ont été confiées, et où de l’autre des millions de réfugiés sont parqués comme des bêtes dans des zones de non droit et abrutis à grands renforts de tranquillisants. Ce chaos global se reflète jusque dans l’Internet, désormais rebaptisé Maelstrom, incroyable bouillon de culture en perpétuelle évolution qui va jouer un rôle crucial dans la destinée de Lenie Clarke.

Même s’il évite la plupart des clichés du genre, et s’appuie sur une vraisemblance scientifique de tous les instants, Rifteurs fonctionne avant tout comme un thriller. Là où Starfish souffrait de quelques longueurs et de petits passages à vide, Peter Watts peinant parfois à structurer son récit (rappelons tout de même à sa décharge qu’il s’agissait d’un premier roman), cette suite marche à l’adrénaline, et s’avère être un page-turner assez irrésistible. Certes, au bout du compte, la plupart des questions soulevées au cours du récit demeurent sans réponse, et le resteront jusqu’à la parution de Behemoth, ultime volet de cette série. Mais si d’un point de vue global la situation n’évolue que très peu, en revanche les quelques protagonistes sur lesquels se focalise l’attention de l’auteur verront leur destin bouleversé de manière assez radicale. De Lenie Clarke, littéralement obsédée par son passé (l’obsession est souvent un élément moteur chez les personnages de Watts) à Achille Desjardins, dont le métier l’amène en permanence à faire des choix aussi dramatiques que meurtriers, aucun ne sortira indemne de cette histoire. La réussite de Rifteurs doit beaucoup à cette petite galerie d’individus, à la manière dont le romancier nous fait partager leur intimité pour mieux nous faire ressentir l’horreur dans laquelle ils se débattent en permanence. On n’aimerait pas être à leur place, mais on ne regrette à aucun moment d’avoir fait le voyage en leur compagnie.

The City & the City

Cette année 2011, encore, la science-fiction et la fantasy nous auront permis de découvrir quelques villes mémorables. De l’Alger psychodélique où nous a conduit Roland C. Wagner dans Rêves de gloire à la Johannesburg déjantée racontée par Lauren Beukes dans Zoo City, en passant par les ruelles insalubres et très alcoolisées de la Wastburg de Cédric Ferrand, les arpenteurs de l’imaginaire auront eu leur content de lieux insolites et d’urbanismes décalés. Pourtant, aucune de ces villes n’égale en beauté et en originalité celles que met en scène China Miéville dans son nouveau roman, The City & The City.

Pour un étranger, ou pour le lecteur qui entame les premières pages du livre, il n’y a pourtant en apparence qu’une seule et unique ville. Jusqu’à ce que quelques indices disséminés ici et là dans le texte laissent entrevoir une réalité tout à fait singulière. Beszel et Ul Qoma sont bien deux entités distinctes, strictement séparées, mais qui occupent le même espace géographique. Deux villes imbriquées l’une dans l’autre, mais chacune possédant ses propres lois, ses autorités, sa monnaie, son écriture ou sa culture. Deux villes dont les habitants ont pour consigne d’ignorer ceux d’à côté, quand bien même ils habiteraient l’immeuble d’en face. C’est ainsi que les citoyens de Beszel évisent en permanence ceux d’Ul Qoma, font abstraction de leur présence physique, et vice-versa. Enfreindre cette règle est la pire des infractions, et entraine aussitôt l’intervention de la Rupture, la police chargée de faire respecter la stricte séparation existant entre les deux villes.

On l’aura compris, China Miéville met en scène dans ce roman un univers totalement kafkaïen. Et il pousse cette logique jusque dans ses derniers retranchements. Ainsi n’est-on pas étonné de découvrir par exemple que Beszel comprend un quartier baptisé Ul Qomatown, où les expatriés ulqomans ont reconstitué leur mode de vie, mais que leurs anciens compatriotes ont bien entendu pour consigne d’éviser… Un exemple parmi d’autres de l’absurdité de cette société, aussi grotesque que fascinante.

Sur la forme, Miéville a opté pour le polar, genre urbain par excellence. Le récit suit l’enquête de Tyador Borlù, inspecteur à la Brigade des Crimes Extrêmes de Beszel, chargé de faire la lumière sur la mort d’une jeune femme. Si dans un premier temps il pense avoir affaire à ce qui ressemble à un meurtre de prostituée presque banal, l’affaire va très vite prendre une toute autre tournure. La victime en question est une étudiante américaine, dont les recherches l’ont amené à s’intéresser à l’histoire des deux villes et à ranimer une vieille légende urbaine, celle d’une troisième cité, dissimulée aux yeux des deux autres : Orciny. L’enquête de Borlù va le conduire des deux côtés de la frontière, et même un peu au-delà. L’intrigue est efficace, linéaire, tout le contraire de la complexité du monde dans lequel elle se déroule. On sent de la part de China Miéville le souci permanent de ne pas égarer son lecteur en route. De ce point de vue, même s’il lui arrive parfois de ressasser certains éléments du récit, l’objectif est atteint.

La progression de l’intrigue laisse ainsi tout loisir de se plonger dans la découverte de cet univers fascinant qu’est Beszel/Ul Qoma. La situation de ces deux villes ennemies n’est évidemment pas sans évoquer celles de lieux qui nous sont plus familiers, du Berlin de la Guerre Froide à la Jérusalem d’aujourd’hui, mais à certains égards elle est tout à fait différente. La particularité première de cette séparation est qu’elle ne peut fonctionner que grâce à un effort collectif volontaire et permanent. Certes, il y a la Rupture, chargée de remettre dans le droit chemin les récalcitrants, mais durant la majeure partie du roman celle-ci brille par son absence, et apparait dès lors davantage dans un rôle de croquemitaine que dans celui de force de l’ordre. Et même si quelques groupuscules militent en faveur de la réunification des deux cités, la volonté de l’ensemble de la population de cohabiter dans l’ignorance absolue de son voisin demeure la norme.

En général, lorsqu’une œuvre pose d’emblée un univers aussi délirant que celui de The City & the City, l’enjeu premier de l’histoire est de remettre en question le fonctionnement d’une telle société, et au final de l’abattre. Or, ici, cette question n’est presque jamais abordée. China Miéville adopte le point de vue d’un entomologiste. Il se contente d’observer et de décrire le monde qu’il met en scène, sans porter le moindre jugement, laissant au lecteur le soin de le faire, d’y voir les analogies avec le monde réel qui lui paraissent les plus pertinentes. Un choix qui ajoute encore au bonheur que procure ce roman, parmi ce que les littératures de genre ont pu nous offrir de plus beau et de plus intelligent. Si ça n’est pas un chef-d’œuvre, ça y ressemble tout de même vachement beaucoup.

La Loi des Mages T1

Dire que l’on connaît mal en France la littérature d’Imaginaire russophone contemporaine relève de l’euphémisme. Le cas d’Henry Lion Oldie, pseudonyme commun de deux auteurs ukrainiens, Oleg Ladyjenski et Dimitri Gromov, est à cet égard symptomatique. De ces titulaires du prix Aelita, le plus ancien prix de SF russe, décerné pour l’ensemble de leur œuvre, nous ne connaissions en France — au Canada, un de leurs romans a été traduit —, en tout et pour tout, que deux nouvelles figurant dans l’anthologie à la diffusion confidentielle Dimension Russie (éd. Rivière blanche), dirigée par Viktoriya et Patrice Lajoye. Et c’est à nouveau grâce à ces traducteurs que l’on peut aujourd’hui se réjouir de la parution chez Mnémos de ce premier tome de La Loi des mages (roman unique scindé en deux volumes). Non pas une œuvre de science-fiction, pour le coup, mais un roman de fantasy résolument atypique, et qui change heureusement des tolkienneries sans saveur qui polluent le genre.

Nous sommes dans une Russie tsariste, fin XIXe, légèrement autre. Une Russie où l’on s’enthousiasme pour le célèbre opéra Le Cimmérien triomphant, où l’aria de Conan proclame la haine de toute forme de magie. Car il y a, dans cette Russie-là, mais également a priori dans le reste du monde, des mages, qui ont leur Loi, et leur complexe hiérarchie basée sur les jeux de cartes. Mais cette « race de mage » est mal vue, et, autant le dire, persécutée en Russie, où il existe un corps spécial chargé de leur traque, que l’on appelle fort logiquement les « Barbares ».

Dans le livre premier de ce roman, nous suivrons essentiellement deux mages, le Valet de Pique Drouts l’amateur de chevaux, et la Dame de Carreau Rachka la Princesse, qui viennent tout juste d’être libérés du bagne. Mais cette libération est bien illusoire : ils sont en fait déportés au fin fond de la Russie la plus inhospitalière, dans le froid village de Kous-Krendel. Ils restent bien entendu sous la surveillance des autorités, et Monsieur le lieutenant-colonel, le Prince Djandieri, du corps spécial de rafle « Barbare », s’intéresse tout particulièrement à leur cas. Il faut dire qu’en cas de récidive, c’est la mort qui est promise à nos deux héros… Aussi font-ils de leur mieux pour s’intégrer dans la communauté villageoise, portée à les rejeter, et doivent-ils s’abstenir de toute « action éthérée ».

Autant le dire de suite : ce livre premier est un pur bijou. L’ambiance, glaciale, est remarquablement travaillée, et rendue avec une finesse rare. Mais le style n’est pas en reste : au pre-mier abord, on est sans doute un peu déconcerté, voire agacé, du parti pris en la matière (deuxième personne, passé simple). Pourtant, on s’y fait. Et l’on découvre ainsi une plume très subtile, abstraite et poétique, de toute beauté, qu’ont fort bien su rendre les traducteurs (quand bien même, sans doute, leur texte n’est pas irréprochable, notamment pour ce qui est des répétitions : par exemple, on ne compte pas les « subito »…). Les auteurs nous livrent un tableau extraordinaire, et pour ainsi dire bluffant, d’une Russie millénaire où la nature est impitoyable et où les hommes, moujiks perpétuellement ivres, mènent à peu de choses près une vie de bêtes sauvages : un enfer de neige et de bois, beau, étrangement, que le lecteur découvre et explore avec une fascination sans cesse renouvelée. La quasi-absence d’histoire dans ce premier livre, aussi, n’est en rien un problème : le fait est que cela marche, et que l’on dévore ces pages très stylées, riches de scènes marquantes, de personnages pittoresques et d’une sorte de « naturalisme » froid.

La suite, le livre second, qui abandonne ce parti pris stylistique et narratif pour des raisons que l’on se gardera bien d’exposer ici, sous peine de déflorer l’intrigue (même si la quatrième de couverture ne s’en prive pas…) — disons simplement que Drouts et Rachka, comme on pouvait s’y attendre, vont « replonger » et ne pas rester éternellement à Kous-Krendel —, est sans doute un cran en dessous ; on n’y retrouve pas le brio de ce qui précède, non, mais cela reste néanmoins de la fantasy de grande qualité, originale et toujours très stylée, simplement d’une autre manière.

Aussi le bilan de ce premier tome est-il très largement positif : La Loi des mages fait mouche, séduit par son caractère atypique, son ambiance époustouflante, sa plume très travaillée et d’une poésie toute personnelle. De toute évidence, nous ne sommes pas là en présence d’un roman de fantasy comme les autres, et c’est tant mieux. Il y a de quoi rendre le fan du genre un peu perplexe — qui se fierait à la seule « histoire » résumée par la quatrième de couverture risquerait de s’exposer à une sévère déconvenue… C’est qu’il y a bien plus dans ce roman remarquable, affichant haut et fort sa singularité dans un paysage littéraire plus moribond encore que les environs de Kous-Krendel, et ne négligeant jamais la forme au profit du seul fond. Autant dire que l’on attend le second tome avec impatience.

Dimension Jean-Pierre Hubert

Jean-Pierre Hubert nous a quittés en 2006 dans une indifférence quasi générale. Dans les années 80, il a pourtant récolté pas mal de récompenses : deux fois le Grand prix de l’Imaginaire et quatre fois le Rosny Aîné dont un doublé pour son roman Le Champ du rêveur publié en « Présence du Futur » chez Denoël.

Mais le creux de la vague (et la disparition presque totale de la SF) du début des années 90 eut raison de lui. Lorsqu’il tenta de nouveau sa chance à la fin des années 90, les francs-tireurs dans son genre n’avaient plus trop leur place et même ceux qui avaient opté pour une SF plus classique commençaient à se voir pousser hors des étagères par les premières vagues de la fantasy. Seule la littérature jeunesse avait un avenir dans le genre. Voie qu’il emprunta un peu à son corps défendant. Il récolta certes de nouveaux prix, mais les années passant, le brillant auteur des années 80 finit par être oublié.

Avec le présent recueil, Richard Comballot comble enfin ce manque.

Que notre spécialiste de la science-fiction française poursuive ce travail éreintant de revalorisation du patrimoine absolument seul et dans un silence si assourdissant est totalement hallucinant. Très peu de signes d’encouragement — sinon par les éditeurs indépendants (le Bélial’, la Volte, Rivière Blanche ou Eons) qui lui permettent d’exister et on ne saurait trop les en remercier — pas le moindre prix pour récompenser son travail (et donc celui des auteurs disparus qu’il fait revivre l’espace d’un recueil ou d’une monographie : Dorémieux, Demuth…). Celui de Jean-Pierre Hubert est composé de seize nouvelles (dont une inédite), publiées de 1975 à 2001. De deux préfaces : une de Richard Comballot et une de Daniel Walther, découvreur puis ami de Jean-Pierre Hubert, d’une longue et passionnante interview extraite de Bifrost, et d’une bibliographie exhaustive d’Alain Sprauel.

Les quatre premiers textes, issus des années 70, sont représentatifs de la première période de l’auteur. Avec une forte composante « politique », comme la quasi-totalité des textes de ces années-là. L’une d’elles est d’ailleurs extraite de l’anthologie de Joël Houssin et Christian Vila Banlieues Rouges : un titre sans appel. Mais Jean-Pierre Hubert fait toujours preuve d’un style très personnel et d’un ton humaniste malgré la noirceur imposée par la composante dystopique des textes. Dans les années 80, il se détache de toute contrainte et livre alors une série de nouvelles éblouissantes au ton très personnel. Certaines (utopies/dystopies), comme « Tout au long de l’île au long de l’eau », « L’Aube des autres », sont proches d’auteurs comme Pierre Pelot ou Jean-Pierre Andrevon, d’autres, plus délirantes, sur le thème du temps ou de la mémoire, telles « Gélatine », « Pleine Peau », « Disciple ? », « Navigation en tour close », et « Où le voyageur imprudent tente d’effacer… » larguent un peu plus les amarres et on arrive enfin aux plus étonnantes d’entre elles, d’ambiance onirique, « Les Quais d’Orgame » et « Jip et Riluk », que l’on pourrait qualifier de « psycho-fictions », expression choisie par Francis Berthelot pour qualifier son roman La Ville au fond de l’œil (roman incontournable également en quête de réédition). Une certaine mélancolie plane sur la plupart des textes où l’humain est au cœur du sujet et non pas le simple véhicule de l’action et des idées, évoquant ainsi l’ombre tutélaire de Simak, Dish ou Sturgeon.

Une excellente sélection donc, qui illustre bien le côté franc-tireur d’un des meilleurs auteurs du siècle dernier.

Un livre-document essentiel (en attendant la réédition d’Ombromanies, Le Champ du rêveur, Couples de scorpions, ou Scènes de guerre civile, le roman préféré de l’auteur), disponible uniquement par correspondance ou dans quelques librairies spécialisées, et que les centaines d’ouvrages formatés de fantasy et de bit lit’ qui s’empilent sur les présentoirs des grandes surfaces n’étoufferont donc pas.

ITW JP Depotte

À l'occasion de la parution récente du Crâne parfait de Lucien Bel, troisième roman de Jean-Philippe Depotte, retrouvez celui-ci en interview sur le blog Bifrost !

La Dernière Flèche

Robin des Bois, vingt ans après… le temps a passé, et les exploits des hors-la-loi de la forêt de Sherwood ne sont plus désormais qu’un lointain souvenir pour ceux qui les ont vécus. Frère Tuck a renoncé aux plaisirs de la bonne chère et mène à présent une vie d’ermite. Will l’écarlate est devenu charcutier. Petit Jean, accusé du meurtre de sa femme enceinte, attend dans une geôle sordide que sa sentence de mort soit prononcée. Quant à Robin de Loxley, il porte le deuil de l’amour de sa vie, Marianne, et s’occupe seul de l’éducation de Diane, sa fille unique. Laquelle Diane, âgée à présent de quinze ans, mène une vie à ce point terne et sans surprises qu’elle envisagerait presque sérieusement d’entrer au couvent. Jusqu’à ce qu’un voyage à Londres en compagnie de son père ranime enfin la flamme de l’aventure.

Début 2010, au moment où, dans les salles obscures, Ridley Scott revenait aux origines du mythe de Robin des Bois, Jérôme Noirez choisissait de son côté de le prolonger, et de montrer comment, malgré les années qui passent, les légendes ne meurent jamais. De fait, s’il fallait trouver un équivalent cinématographique à ce roman, on penserait plutôt à La Fille de D’Artagnan, de Bertrand Tavernier. Il y a dans ces deux œuvres une volonté comparable de rendre hommage à tout un pan de la culture populaire.

C’est donc Diane de Loxley qui tient le premier rôle dans La Dernière flèche, tandis que son père, frappé par un mal mystérieux, se tient en retrait d’une grande partie de l’action. C’est à travers son regard innocent de jeune fille de la campagne que l’on découvre une Londres grouillante, écœurante, fascinante et mortellement dangereuse. Comme à son habitude, Jérôme Noirez parvient à décrire de manière extrêmement précise et vivante le cadre historique dans lequel il situe son récit, sans jamais l’alourdir de longs passages didactiques. Ce n’est pas la moindre de ses qualités.

Robin des Bois a beau avoir depuis belle lurette remisé au placard arc et carquois, son souvenir demeure vivace chez certains. Diane va en prendre conscience en rencontrant un jeune homme énigmatique, Tredekeiles, qui va lui faire découvrir les bas-fonds de Londres et les hommes qui luttent à ses côtés pour perpétuer le combat de son père. Mais c’est de manière plus insidieuse que la légende va petit à petit prendre pied dans le récit, s’intégrer dans son décor urbain et donner une tournure plus fantastique au roman. Car l’histoire de Robin est intrinsèquement liée à la forêt de Sherwood, ce que les Londoniens vont découvrir avec stupéfaction.

Et puis, une aventure de Robin des Bois ne serait pas envisageable sans la présence du shérif de Nottingham. Il est bien là, mais dans un rôle plutôt inattendu. Si sa haine pour son vieil ennemi n’a pas faibli, il éprouve en revanche des sentiments bien plus tendres envers Diane, en qui il croit retrouver sa fille disparue prématurément. D’où le comportement ambigu et parfois contradictoire qu’il va jouer tout au long du roman.

Qu’il s’amuse à mettre en scène les truculents compagnons de Robin ou qu’il expose les côtés les plus abjects de la vie londonienne du XIIIe siècle, qu’il s’intéresse aux premiers émois amoureux de sa jeune héroïne ou qu’il la projette au cœur des combats, Jérôme Noirez se montre d’une inspiration et d’une maîtrise égales. La Dernière flèche constitue ainsi un divertissement de choix, à la fois hommage intelligent aux œuvres qui l’ont inspiré et roman d’aventures trépidant.

[Lire aussi l'avis de Bruno Para dans le Bifrost n°59.]

Ça vient de paraître

Au-delà du gouffre

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 120
PayPlug