Europe n° 909-910
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Avec le centième anniversaire de la disparition du créateur du capitaine Nemo, on assiste à une véritable déferlante de publications à sa gloire. Elles sont évidemment d’intérêt très variable, et il faut bien avouer que les ouvrages de circonstance joliment illustrés mais vides de contenu critique sont plus nombreux que les études érudites et réellement informatives. Ce numéro double d’Europe (le troisième du genre) fait heureusement partie de la seconde catégorie. On y trouve une collection d’articles pointus et inédits par des spécialistes incontestés — Jean-Pierre Picot, Jacques Goimard, Piero Gondolo Dela Riva, Roger Bozzetto, Volker Dehs, Lauric Gillaud, Olivier Dumas, et la liste n’est pas close —, complétée par deux rééditions fort bien venues de textes dus aux grands verniens Marc Soriano et François Raymond, celui de ce dernier ayant jadis servi de préface à une réédition de Sans dessus dessous dans l’élégante collection « Marginalia » publiée par Glénat, à sa grande époque. Jean-Pierre Picot, maître d’œuvre du numéro, a fourni un travail remarquable, mais je me permettrai de regretter l’absence d’une contribution de Daniel Compère, un de nos plus grands verniens, et la présence d’un texte de Tony Faivre. Non que les compétences de cet immense connaisseur du fantastique et de l’ésotérisme soient en cause, bien au contraire : en voyant son nom au sommaire, je me suis dit que le château des Carpates allait trembler sur ses bases et me faisais une fête de lire sa contribution. Or, il ne s’agit que de quelques souvenirs sans intérêt, de toute évidence un article de circonstance rédigé à la va-vite. Tony Faivre nous doit une sacrée revanche…
Les approches développées dans ce numéro sont extrêmement diverses. On notera cependant une attirance des intervenants pour les textes de jeunesses restés longtemps inédits, ainsi que les versions originales des romans de Verne, avant leur modification sous l’influence de son éditeur Hetzel ou, carrément, leur réécriture par son fils Michel Verne. Pour plusieurs de ces chercheurs — Jean-Pierre Picot et Olivier Dumas en tête —, les textes « originaux » sont supérieurs aux versions publiées du temps d’Hetzel (père et fils) et il est indispensable de supprimer ces dernières et de les remplacer, chez les éditeurs modernes, par les textes vierges de toute intervention extérieure. Je serais, pour ma part, beaucoup moins radical. Les romans de Verne peuvent souvent être considérés comme des collaborations entre Verne et Hetzel (l’entreprise des Voyages extraordinaires est une entreprise commune, et les romans de Verne des romans de commande, on semble parfois l’oublier), et les suggestions du célèbre éditeur ne sont pas toujours aussi saugrenues que l’on veut bien le dire. La conclusion des Aventures du capitaine Hatteras telle que nous la connaissons aujourd’hui, montrant l’aventurier devenu fou et interné, marchant obsessionnellement dans la direction du Nord (une idée d’Hetzel), me semble bien supérieure à celle prévue originellement par Verne qui voulait le faire disparaître dans le cratère du volcan imaginaire sensé occuper la position exacte du pôle, et la version modifiée par Michel Verne de La Chasse au météore, avec l’introduction du pittoresque personnage de Zéphyrin Xirdal, est beaucoup plus savoureuse que la version originale, aujourd’hui publiée chez Folio (Philippe Curval a d’ailleurs ironisé sur cette substitution dans une nouvelle déjà fameuse, « Décalage temporel »).
L’article qui m’a le plus amusé ? Celui de William Butcher qui, en consultant le manuscrit original de Vingt mille lieues sous les mers, y a découvert quelques passages supprimés bien quelconques qu’il s’obstine à juger géniaux, et croit prouver que Verne avait, à l’origine, voulu faire du capitaine Nemo un… Écossais ! La démonstration laisse un peu rêveur. Mais quelque chose me dit que l’on n’a pas fini de voir les textes de Verne torturés pour leur faire dire un peu tout et n’importe quoi. N’est-ce pas la rançon de la gloire ?