Focus Richard D. Nolane
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Richard D. Nolane, alias Olivier Raynaud, est membre de ce cénacle bien spécifique à Notre club, celui des érudits de l’Imaginaire. Une érudition plus particulièrement orientée vers les champs de l’anglo-saxonnie ancienne : disons de la guerre de Sécession à la Seconde Guerre mondiale, bien qu’il puisse s’aventurer en deçà ou au-delà, à l’occasion. Nolane est rédacteur en chef de Wendigo, et directeur de la collection « RDN Books », chez L’Œil du Sphinx. Afin d’accroître l’espace dédié aux fictions vintages, il a par ailleurs créé la petite structure éditoriale OR, où il propose des fascicules de 48 pages, dont deux sont déjà parus.
Un Professeur d’égyptologie a tout pour ravir les amateurs de littérature populaire victorienne. Guy Boothby (1867-1905) naquit en Australie dans un milieu aisé et devint un prolifique auteur de genre qui s’inspira de ses pérégrinations de jeunesse pour donner de la couleur à ses récits. Il publia du sentimental, du policier, de l’aventure, et Richard D. Nolane a ici réuni ses neuf textes relevant de l’Imaginaires. Il y a un intérêt certain à lire ces récits d’un autre temps, qui donnent à voir une époque révolue où la France et l’Angleterre disposaient d’empires coloniaux sur lesquels le soleil jamais ne se couchait, et où il était impératif de savoir lire – l’unique média étant les journaux papier. Le village global conçu par Marshall McLuhan n’avait pas encore vu le jour, et la révolution Gutenberg étendait son emprise sur toute la face du monde. La majorité des gens ne se rendait guère à la ville la plus proche qu’une fois l’an, pour la foire, et qui partait à destination du Tonkin ou de l’Argentine le faisait sans songer au retour. Java, l’Amazonie ou le Yukon étaient autant d’autres mondes. On lisait donc foison d’aventures exotiques écrites par des auteurs qui n’y étaient pas davantage allés que leurs lecteurs – aujourd’hui, qui n’a pas vu l’Inde, le Japon, l’Égypte, même la Lune et Mars, à défaut d’y être allé ? Et croire aux fantômes ne condamnait pas au ridicule. Il faut donc adopter la posture intellectuelle idoine pour aborder les textes de Boothby.
Ces récits nous sont toujours livrés de manière indirecte. Le personnage auquel le lecteur a affaire est le plus souvent assis, occupé à boire ou à fumer en racontant l’histoire survenue à un tiers ou pendant qu’on la lui conte. Il est parfois précisé que ce n’est guère plausible. Un intermédiaire est ainsi posé entre le lecteur et les faits, de sorte que l’affabulation n’est jamais totalement exclue – nul besoin ici d’une quelconque suspension de l’incrédulité. Une manière de rédiger qui n’offre pas la même possibilité d’identification que l’écriture directe ayant désormais cours.
Dans cette livraison du Wendigo, la sixième en une douzaine d’années, Nolane mentionne ses homologues Joseph Altairac et Jean-Pierre Laigle trop tôt disparus. Un article du second sur Robert E. Howard conclut ce numéro. Sans oublier nombre de repères biographiques et bibliographiques sur les auteurs abordés. Les dix textes présentés ici vont de « Un visiteur céleste » (1871) de Amelia Shackleford, qui avait complétement disparu du domaine littéraire, à « Terreur sur la ligne » (1947) de Leroy Yerxa. Cette livraison abrite aussi deux auteurs français : E. M. Laumann et Georges Normandy. « Le Tombeau de glace » (1915) de A. E. W. Mason, aujourd’hui connu par les esthètes pour son roman Les Quatres plumes blanches, est une aventure alpestre assez proche de « L’Abominable homme des glaces » (1923) que G. A. Wells publia dans le premier numéro de Weird Tales et que l’on lira dans Outré et Macabre !, où il complète un texte de Alpheus Hyatt Verill. L’autre fascicule, Kraken !, se consacre à la cryptozoologie et au célèbre monstre marin. Si les cartes n’étaient plus des portulans mentionnant « ici, il y a des dragons », le public d’alors voulait encore croire que bien des êtres des plus étranges existent à l’autre bout du monde.
Le joli travail patrimonial que constituent ces publications, qui n’intéresseront certes pas tout le monde, ne manque pas d’attraits au regard de l’esprit curieux des sources de nos genres aimés, et passer à côté serait bien dommage.