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Des dangers de fumer au lit

Après son monumental – dans tous les sens du terme – Notre part de nuit, Mariana Enriquez nous revient avec un recueil de nouvelles relativement court, douze textes, donc, qui conservent la même puissance évocatrice. On notera toutefois que bien qu’il s’agisse du troisième livre de l’autrice en français, nous sommes ici en présence du premier à avoir été publié en langue originale (en 2009), ce qui se ressent parfois à la lecture, tous les textes n’ayant pas la même force. Mais le terreau de base est déjà suffisamment fertile pour que ce recueil tienne toutes ses promesses, tant le mariage que nous propose Enriquez fonctionne admirablement, entre un fantastique relativement classique, peuplé de fantômes, de revenants et de molosses droit surgis de l’enfer, propice aux malédictions, et son ancrage dans la société argentine moderne et ses nombreuses misères sociales. L’Argentine de l’autrice, c’est celle des laissés-pour-compte, des oubliés, des pauvres gens… dont la vie, déjà bien terne, fait un pas de plus dans l’horreur à mesure que le surnaturel survient. Nulle échappatoire pour ces personnages, la plupart du temps féminins, qui ne sont au final que les facettes d’une seule et même détresse, celle de l’âme humaine dans nos sociétés modernes où les repères volent en éclats. Dès lors, les nouvelles d’Enriquez sont davantage à envisager comme des tranches de vie, des basculements dans l’horreur, que comme des récits ayant gentiment un postulat de départ, un développement et une fin, et toutes les explications rationnelles au milieu. Ce qui intéresse Enriquez, c’est surtout la réaction de ses protagonistes aux événements subis, effrayée, blasée ou volontariste, ainsi que l’évolution des relations entre eux. Tout cela afin de bâtir une certaine vision de l’horreur, mi-sociétale, mi-fantastique, avec une économie de moyens évidente. Si vous ne connaissez pas encore le travail de l’autrice, sa force vous marquera durablement ; si vous avez déjà lu ses ouvrages plus récents, vous verrez que Des dangers de fumer au lit en portait déjà, en 2009, tous les germes.

Comme un diamant dans ma mémoire

Comme un diamant dans ma mémoire s’inscrit dans le même univers de fantasy historique que La Mosaïque sarantine, Les Lions d’Al-Rassan, Le Dernier rayon du soleil et, surtout, Enfants de la terre et du ciel, dont il constitue d’ailleurs une forme de prélude (mais peut se lire de façon tout à fait indépendante, même si l’œil averti captera des références à Sarance ou à Dubrova). Inspiré par le tout début de la Renaissance italienne, il ne se déroule pourtant pas dans le même monde qu’un autre roman de Kay aux fondamentaux similaires, Tigane. Nul besoin d’être féru de l’histoire du pays pour reconnaître les analogies avec les condottieres, les grandes cité-états de l’époque (Seresse est Venise, Bischio est Sienne, etc.) ou leurs dynasties régnantes (les Sardis de Firente correspondent aux Médicis de Florence, par exemple).

Quasiment tout le récit n’est en fait qu’une longue analepse, un notable se remémorant les événements survenus un quart de siècle plus tôt, quand le monde a changé suite à la chute de Sarance, alors qu’il rencontrait une femme extraordinaire, et que le hasard le plaçait dans une position privilégiée pour observer la danse compliquée de deux seigneurs, les plus redoutables capitaines mercenaires de leur temps, entre respect mutuel et volonté farouche de se vaincre l’un l’autre. On pourrait ici penser aux Lions d’Al-Rassan, mais les deux livres sont suffisamment différents pour que la comparaison s’avère d’une pertinence limitée. On pense davantage à un roman, complètement Historique, celui-là, qui partage le ton doux-amer, la fin d’un monde, le long flashback et le fait de placer un personnage ordinaire au cœur des événements cruciaux et dans l’orbite des grands de son monde, à savoir Azteca de Gary Jennings.

Les thèmes principaux sont, comme le titre l’indique, la mémoire, ainsi que l’influence des choix ou d’étranges coups de pouce du hasard dans le tour que prendra sa vie, ainsi que la façon dont décisions et circonstances façonnent nos êtres, nos vies. Le fait que certains événements ou rencontres déterminants se passent à des carrefours n’est d’ailleurs en rien fortuit. Comme d’habitude, la puissance de certaines scènes (l’arrivée de la nouvelle de la chute de Sarance, la mort de deux personnages), le soin à rendre vivants les protagonistes (notamment féminins) et la beauté de la langue (le ton doux-amer, mélancolique, très réussi, s’adapte à merveille à la nature du récit et à ses thèmes) ensorcellent le lecteur, même si on ne placera pas ce titre au sommet de la bibliographie de Kay. Ce qui ne signifie pas qu’on ne puisse le recommander vivement. On notera l’importance moindre de l’art(isanat) que dans ses autres romans, et l’inclusion de quelques éléments sociétaux plus modernes dans une reconstitution historique rigoureuse, inhabituels chez l’auteur.

Ces guerres qui nous attendent

À l’intention de celles et ceux à qui aurait échappé la « saison 1 » de Ces guerres qui nous attendent (cf. Bifrost n° 109), rappelons qu’il s’agit là non pas d’un feuilleton télévisuel, mais d’une entreprise livresque. Initiée par le ministère français des Armées, celle-ci réunit (sans surprise) des militaires, mais aussi des universitaires ainsi que des artistes, tous et toutes étant chargés de spéculer sur les formes à venir de la guerre. Se sont notamment portés volontaires pour mettre en mots et en images ces conflits du futur des figures fameuses de l’Imaginaire francophone telles que Laurent Genefort, Romain Lucazeau, et François Schuiten. Tous trois font partie de la Red Team Défense (soit l’escouade civile participant de la susdite entreprise, les militaires formant quant à eux la Blue Team) ayant œuvré à cette « saison 2 »de guerres susceptibles d’éclater entre 2030 et 2060…

Ainsi que l’annonce sans ambiguïté l’inscription par les éditions des Équateurs de cet ouvrage dans leur collection dévolue aux documents, il n’est en réalité pas question ici de littérature. Du moins si l’on entend celle-ci comme un art narratif s’appuyant sur un usage esthétique de l’écriture. La faute n’en incombe pas aux écrivains venus en renfort de la Red Team, et dont Bifrost a régulièrement salué l’indéniable talent littéraire. Mais ce n’est manifestement pas ce dernier qui a intéressé le ministère des Armées en les recrutant. Au terme de la lecture de cette deuxième livraison des Guerres qui nous attendent, force est de constater que n’y a été mobilisée que la seule propension spéculative de ces écrivains de SF. Il ne leur a pas été demandé d’écrire des nouvelles, encore moins des romans, mais des scénarii tenant plutôt du jeu de rôles que du cinéma, des séries télévisées (auxquelles renvoie mercantilement le qualificatif de « saison ») ou de la bande dessinée. Les hypothèses avancées quant à une possible « guerre écosystémique» et une seconde placée sous le signe de la « basse énergie» sont présentées sous la forme de synopsis adoptant le même et immuable schéma allant des causes aux conséquences du conflit, en passant par son déroulement. À ces trames événementielles s’ajoutent des documents apocryphes tels que des extraits de presse ou bien d’un «Manuel du combattant énergétique». S’y joint une poignée d’illustrations achevant d’apparenter l’ensemble à cet agrégat de pistes narratives et de fragments d’univers qu’est un scénario de JDR…

Placée sous le signe d’une écriture d’inspiration ludique, cette « saison 2 » des Guerres… génèrera un intérêt proportionnel à la capacité des lecteurs et lectrices à se prêter au jeu théorique qui y est proposé. Mais si les unes et les autres sont avant tout en quête de plaisir littéraire, la lecture de ces spéculations risque de s’avérer frustrante…

“Sweet Harmony” : l'avis de Yuyine

« En bref, Sweet Harmony est une très bonne novella qui interroge les faux-semblants, les préjugés et la société du paraître dans un récit d’anticipation qui va au-delà de ce qu’il semble proposer de prime abord. Le récit se dévore sans peine grâce à une construction en aller-retour passé-présent qui nous permet de déconstruire nous aussi nos idées reçues. » Yuyine

“Instanciations” en précommande

La précommande est maintenant ouverte pour Instanciations ! Ce mini-recueil thématique et inédit de Greg Egan, traduit par Francis Lustman et illustré par Aurélien Police, sortira le 29 février.

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Le Magicien de Mars

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 119
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