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Vurt

« Dans les rues de Manchester, battues par la pluie et infestées d'ombreflics, errent les Chevaliers du Speed, une bande de déjantés accros aux plumes Vurt, la meilleure drogue qui se puisse rêver… » (extrait du quatrième de couverture).

Parmi ces déjantés se trouve Scribb, qui, lors d'une plongée dans le Vurt, a perdu sa sœur et amante (c'est ce qu'on appelle de l'inceste). Il a donc échangé, bien malgré lui, Desdémone contre un extraterrestre gélatineux portant le doux nom de Curious Yellow, car c'est la loi du Vurt, la loi de Hobart : toute chose abandonnée dans le Vurt est remplacée dans le monde réel par une chose de valeur équivalente. Pour Scribb, le présent et le futur sont d'une étonnante facilité et d'une vertigineuse complexité, il faut qu'il retrouve sa sœur, voilà pour la facilité, et elle est prisonnière du Vurt, voilà pour la complexité.

Vurt est un bon livre, moins complexe, moins barré que Pollen, mais tout de même très au-dessus de ce que les éditeurs de science-fiction nous proposent d'habitude. Evidemment, à ce stade de la critique, j'entends d'ici l'éditeur Mathias Echenay hurler que Jeff Noon écrit « trop bien » pour être catalogué dans la science-fiction, ou du moins être jugé à l'aune du genre. Soit, jugeons donc Vurt à l'aune de la littérature dite générale. Et là, le constat est sans appel : dans le genre bande de jeunes vivants en communauté et amateurs de baise, musique pop et défonce, Vurt fait pâle figure comparé au Trainspotting d'Irvine Welsh (disponible en poche au Seuil), à La Belle affaire du génialissime T.C. Boyle (disponible en poche chez Phébus) ou à Génération X de Douglas Coupland (disponible en poche chez 10/18). Ce qui est original dans Vurt, ce n'est pas le côté jeunes qui se défoncent et glandouillent, mais évidemment le fait qu'ils agissent ainsi en se connectant à un monde onirique répondant à des règles qui, bien qu'à géométrie variable, ont le bon goût d'exister. En conséquence, je dirais que Vurt est un bon livre de science-fiction (ou de fantasy urbaine, à la rigueur), très agréable à lire.

Reste que la traduction de ce bon livre me pose personnellement un problème, et je mets le doigt de façon ostentatoire sur l'adverbe « personnellement ». Il y a deux façons de traduire un roman anglo-saxon. La première c'est de rester au plus près du texte, de mettre de nombreuses notes de bas de page pour ne pas perdre les lecteurs tout en espérant que ceux-ci possèdent les rudiments d'anglais qui leur permettront d'apprécier l'ironie de certains noms de personnages (Curious Yellow, par exemple), des lieux ou des titres de chansons. C'est le choix qu'a fait Marc Voline, recevable, là n'est pas la question. Et puis il y a une seconde méthode, qui relève davantage de l'adaptation (Frodo devient Frodon, Bilbo devient Bilbon, etc.), c'est le choix qu'a récemment fait Michel Pagel en traduisant le faux-diptyque American Gods/Anansi Boys — ainsi Spider est devenu Mygal, Shadow est devenu Ombre, et j'en passe. En tant que lecteur (et surtout, en tant qu'éditeur), je préfère la seconde méthode, car je pars du principe qu'une traduction de l'anglais vers le français est un texte qui doit donner l'illusion d'avoir été écrit en français. Les traductions de Pollen et Vurt par Marc Voline ne sont pas de mauvaises traductions, mais un travail d'une grande compétence qui résulte d'un choix qui divise éditeurs et auteurs depuis l'aube des temps… et les divisera jusqu'à la fin de ces derniers.

Pour conclure, si vous n'avez jamais lu Jeff Noon, commencez par Vurt, la meilleure entrée en matière possible à la tempête sensorielle baptisée Pollen.

Neurotwistin’

Harry est une grenouille au cerveau modifié capable de parler. Mieux, Harry est capable de tenir une conversation, d'écrire des romans de gare et de tomber amoureux de sa secrétaire qui s'apprête à convoler en justes noces avec un… humain, cela va de soi. Harry, qui habite Paris, dans le 18e, et se promène parfois sur de grandes jambes cybernétiques, est connu dans le monde entier non seulement parce qu'il est doué de parole, mais aussi grâce à sa série Neurotwistin', des romans d'espionnage bas de gamme, psychépop, très Chapeau melon et bottes de cuir pour tout dire, dans lesquels Mary Gentle, Brian Taylor et les autres membres de l'unité 3 poursuivent un étrange terroriste, surnommé à juste titre « le Magicien ». Évidemment, Laurent Queyssi a bien potassé son Maître du haut château pour les nuls, et peu à peu se dessine un lien entre la genèse d'Harry la grenouille bavarde et les événements narrés dans sa série d'espionnage Neurotwistin'.

En mars et avril 2006, les Moutons électriques publiaient (selon leurs dires) deux premiers romans français : Manhattan Stories de Jonas Lenn et Neurotwistin' de Laurent Queyssi. Dans les deux cas, il y a déception et légère tromperie sur la marchandise : Manhattan stories est un recueil de quatre enquêtes avec un personnage et un décor récurrents ; Neurotwistin' est l'expansion maladroite, étonnamment falote, d'une nouvelle plutôt sympathique (publiée dans l'anthologie Passés recomposés, aux éditions Nestiveqnen). Malgré le syndrome du chewing-gum étiré au point d'en perdre toute saveur, subsistent quelques petites choses formidables dans Neurotwistin' version longue, des détails qui font mouche, des réflexions qui hisseraient le récit si celui-ci était présent, mais patatras !, d'histoire intéressante on ne trouve point dans ces 272 pages. La vie d'Harry est certes pleine d'anecdotes croustillantes, de tendresse (n'ayons pas peur du mot), mais elle laisse trop la place à sa série Neurotwistin', poussive, dont l'intrigue à logique floue tient plus des Monty Python victimes d'une gastro-entérite carabinée que de John Le Carré.

Neurotwistin', premier roman sympathique et raté, où apparaissent entre autres Kim Philby et Jerry Cornélius, peut cependant se targuer d'une qualité essentielle : il nous rappelle la vaillance de deux de ses nombreuses sources d'inspiration : Le Programme final de Michael Moorcock  et Les Puissances de l'invisible de Tim Powers. Au final, on oubliera sans mal ce premier roman anecdotique, tout en gardant à l'esprit que Laurent Queyssi est désormais un auteur à surveiller.

Tokyo

[Chronique commune à Birdman, L’Homme du soir et Tokyo.]

« Dans un terrain vague de la banlieue de Londres, une pelleteuse met à jour cinq cadavres de femmes atrocement mutilés. Un seul lien unit tous ces corps tailladés puis recousus : un oiseau a été enfermé vivant à l’intérieur de chaque cage thoracique. » Extrait du quatrième de couverture de Birdman.

« Aux abords de Brockwell Park, quartier résidentiel dans le sud de Londres, un garçon de neuf ans est enlevé à son domicile, en présence de ses parents, retrouvés ligotés et complètement déshydratés après trois jours de séquestration. La police pense aussitôt à un acte pédophile, d’autant plus que les enfants du voisinage évoquent un mystérieux “Troll”. » Extrait du quatrième de couverture de L’Homme du soir.

« La plus grande réussite d’un écrivain, c’est d’immerger totalement son lecteur dans un monde neuf et inconnu. Mo Hayder y parvient à la perfection avec Tokyo. Ce livre ensorcelant a un impact profond. Il est élégiaque et important. Et surtout, il continue de nous poursuivre  longtemps après avoir été refermé. » Michael Connelly, cité en quatrième de couverture de Tokyo.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le parcours de la belle anglaise Mo Hayder n’est pas un long fleuve tranquille. En 1978, à seize ans, en pleine période punk, elle quitte études et famille pour exercer divers petits boulots. Neuf ans plus tard, elle quitte l’Angleterre avec un aller simple pour Tokyo afin de devenir geisha (!), ce qu’elle réussit partiellement puisqu’elle exercera divers métiers au Japon, dont ceux d’hôtesse dans un club, de garde du corps, d’enseignante et de serveuse. De retour en Angleterre, elle fréquente médecins légistes et policiers (qu’on suppose au bout du rouleau) pour rédiger son premier roman, le traumatisant Birdman (une transposition contemporaine des crimes de Jack l’éventreur) qui, en 2000, sera l’événement du salon du livre de Francfort. Six ans plus tard, ses trois romans ont paru en France et Tokyo est récompensé, entre autre, par un accueil critique dithyrambique et le « Prix SNCF du polar européen ».

Pourquoi parler de Mo Hayder dans Bifrost ? Tout simplement parce que la littérature d’horreur (et ici, nous y sommes les deux pieds dans le plat) relève des littératures de l’imaginaire, comme l’a brillamment prouvé Thomas Harris. Souvenez-vous d’Anthony Hopkins tenant dans ses bras la belle Julianne Moore alors qu’ils sont entourés de sangliers sardes anthropophages les ignorant royalement — Cocteau revisité par Clive Barker ; Ridley Scott mettant en images, après Jonathan Demme et Michael Mann, l’univers ténébreux de Thomas Harris. Rien de normal dans un tel tableau digne de Goya, et par voie de conséquence c’est une ambiance anormale, flirtant franchement avec le surnaturel, qui s’impose.

Chez Mo Hayder, comme chez le père d’Hannibal Lecter, il est question de ténèbres, de perversions humaines, d’actes inavouables ou, pire, incompréhensibles. Birdman et L’Homme du soir forment un diptyque où l’on suit deux enquêtes de l’inspecteur Jack Caffery, un homme hanté par la disparition de son frère Ewan, alors qu’ils étaient enfants. L’ambiance nous ramène à l’excellente série policière anglaise Prime suspect, portée par une Helen Mirren (vue en fée Morgane dans Excalibur de John Boorman) glaçante. Birdman est un très bon premier roman, un excellent récit de chasse au serial killer.

L’Homme du soir, centré sur le démantèlement d’un réseau pédophile, est peut-être tout aussi réussi, mais, en ce qui me concerne, je me vois mal conseiller à qui ce soit la lecture de ce pavé de 550 pages où un père viole son fils puis maquille son crime odieux en enlèvement, où une ribambelle de taré(e)s échangent des photos de petites filles ou de petits garçons sur internet. L’horreur, il n’y a pas d’autre mot, d’autant plus qu’Hayder navigue dans un registre manipulateur assez complaisant, et au final si éprouvant qu’il en devient suspect. On notera toutefois que des trois romans de Mo Hayder, L’Homme du soir est celui qui utilise le plus de vocabulaire et de situations surnaturelles (notamment la dernière scène du roman).

Tokyo, troisième roman de l’auteur, est celui de la maturité. On y assiste, médusé (à moins d’être féru d’histoire extrême-orientale), à la résurrection d’un des plus grands massacres de l’ère moderne, celui de Nankin en 1937 — un massacre dont encore aujourd’hui on ne parle pas ou peu. Quatre cent mille morts selon les Chinois, quelques dizaines selon les japonais. On dit que les vainqueurs écrivent l’histoire (et si c’était vraiment le cas ?). Cette réflexion historique passionnera les lecteurs d’uchronie, quant à l’intrigue, solide et dense comme une bille d’acier, elle ne pourra que plaire aux amateurs de bons thrillers intelligents.

Il y a chez Mo Hayder des questionnements (sur la folie, l’Histoire et la nature de la réalité) qui nous rapprochent de Philip K. Dick ; des images « coup de poing dans l’estomac » qui nous ramènent à Thomas Harris, Clive Barker et Stephen King, évidemment. Sur le plan du simple style, Birdman est un roman très pauvre ; L’Homme du soir, moins simpliste, reste cependant dans l’habituel registre efficace et limpide du thriller à l’anglo-saxonne. Par contre, Tokyo est d’un autre niveau, d’une tout autre ambition. La barre a été fixée plus haut : l’écriture simple et limpide nous piège dans les rouages de l’intrigue pour mieux nous y broyer, du grand art, et sans doute le livre par lequel Mo Hayder entre dans la cour des grands. Un auteur à suivre de près.

L'Homme du soir

[Chronique commune à Birdman, L’Homme du soir et Tokyo.]

« Dans un terrain vague de la banlieue de Londres, une pelleteuse met à jour cinq cadavres de femmes atrocement mutilés. Un seul lien unit tous ces corps tailladés puis recousus : un oiseau a été enfermé vivant à l’intérieur de chaque cage thoracique. » Extrait du quatrième de couverture de Birdman.

« Aux abords de Brockwell Park, quartier résidentiel dans le sud de Londres, un garçon de neuf ans est enlevé à son domicile, en présence de ses parents, retrouvés ligotés et complètement déshydratés après trois jours de séquestration. La police pense aussitôt à un acte pédophile, d’autant plus que les enfants du voisinage évoquent un mystérieux “Troll”. » Extrait du quatrième de couverture de L’Homme du soir.

« La plus grande réussite d’un écrivain, c’est d’immerger totalement son lecteur dans un monde neuf et inconnu. Mo Hayder y parvient à la perfection avec Tokyo. Ce livre ensorcelant a un impact profond. Il est élégiaque et important. Et surtout, il continue de nous poursuivre  longtemps après avoir été refermé. » Michael Connelly, cité en quatrième de couverture de Tokyo.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le parcours de la belle anglaise Mo Hayder n’est pas un long fleuve tranquille. En 1978, à seize ans, en pleine période punk, elle quitte études et famille pour exercer divers petits boulots. Neuf ans plus tard, elle quitte l’Angleterre avec un aller simple pour Tokyo afin de devenir geisha (!), ce qu’elle réussit partiellement puisqu’elle exercera divers métiers au Japon, dont ceux d’hôtesse dans un club, de garde du corps, d’enseignante et de serveuse. De retour en Angleterre, elle fréquente médecins légistes et policiers (qu’on suppose au bout du rouleau) pour rédiger son premier roman, le traumatisant Birdman (une transposition contemporaine des crimes de Jack l’éventreur) qui, en 2000, sera l’événement du salon du livre de Francfort. Six ans plus tard, ses trois romans ont paru en France et Tokyo est récompensé, entre autre, par un accueil critique dithyrambique et le « Prix SNCF du polar européen ».

Pourquoi parler de Mo Hayder dans Bifrost ? Tout simplement parce que la littérature d’horreur (et ici, nous y sommes les deux pieds dans le plat) relève des littératures de l’imaginaire, comme l’a brillamment prouvé Thomas Harris. Souvenez-vous d’Anthony Hopkins tenant dans ses bras la belle Julianne Moore alors qu’ils sont entourés de sangliers sardes anthropophages les ignorant royalement — Cocteau revisité par Clive Barker ; Ridley Scott mettant en images, après Jonathan Demme et Michael Mann, l’univers ténébreux de Thomas Harris. Rien de normal dans un tel tableau digne de Goya, et par voie de conséquence c’est une ambiance anormale, flirtant franchement avec le surnaturel, qui s’impose.

Chez Mo Hayder, comme chez le père d’Hannibal Lecter, il est question de ténèbres, de perversions humaines, d’actes inavouables ou, pire, incompréhensibles. Birdman et L’Homme du soir forment un diptyque où l’on suit deux enquêtes de l’inspecteur Jack Caffery, un homme hanté par la disparition de son frère Ewan, alors qu’ils étaient enfants. L’ambiance nous ramène à l’excellente série policière anglaise Prime suspect, portée par une Helen Mirren (vue en fée Morgane dans Excalibur de John Boorman) glaçante. Birdman est un très bon premier roman, un excellent récit de chasse au serial killer.

L’Homme du soir, centré sur le démantèlement d’un réseau pédophile, est peut-être tout aussi réussi, mais, en ce qui me concerne, je me vois mal conseiller à qui ce soit la lecture de ce pavé de 550 pages où un père viole son fils puis maquille son crime odieux en enlèvement, où une ribambelle de taré(e)s échangent des photos de petites filles ou de petits garçons sur internet. L’horreur, il n’y a pas d’autre mot, d’autant plus qu’Hayder navigue dans un registre manipulateur assez complaisant, et au final si éprouvant qu’il en devient suspect. On notera toutefois que des trois romans de Mo Hayder, L’Homme du soir est celui qui utilise le plus de vocabulaire et de situations surnaturelles (notamment la dernière scène du roman).

Tokyo, troisième roman de l’auteur, est celui de la maturité. On y assiste, médusé (à moins d’être féru d’histoire extrême-orientale), à la résurrection d’un des plus grands massacres de l’ère moderne, celui de Nankin en 1937 — un massacre dont encore aujourd’hui on ne parle pas ou peu. Quatre cent mille morts selon les Chinois, quelques dizaines selon les japonais. On dit que les vainqueurs écrivent l’histoire (et si c’était vraiment le cas ?). Cette réflexion historique passionnera les lecteurs d’uchronie, quant à l’intrigue, solide et dense comme une bille d’acier, elle ne pourra que plaire aux amateurs de bons thrillers intelligents.

Il y a chez Mo Hayder des questionnements (sur la folie, l’Histoire et la nature de la réalité) qui nous rapprochent de Philip K. Dick ; des images « coup de poing dans l’estomac » qui nous ramènent à Thomas Harris, Clive Barker et Stephen King, évidemment. Sur le plan du simple style, Birdman est un roman très pauvre ; L’Homme du soir, moins simpliste, reste cependant dans l’habituel registre efficace et limpide du thriller à l’anglo-saxonne. Par contre, Tokyo est d’un autre niveau, d’une tout autre ambition. La barre a été fixée plus haut : l’écriture simple et limpide nous piège dans les rouages de l’intrigue pour mieux nous y broyer, du grand art, et sans doute le livre par lequel Mo Hayder entre dans la cour des grands. Un auteur à suivre de près.

Birdman

[Chronique commune à Birdman, L’Homme du soir et Tokyo.]

« Dans un terrain vague de la banlieue de Londres, une pelleteuse met à jour cinq cadavres de femmes atrocement mutilés. Un seul lien unit tous ces corps tailladés puis recousus : un oiseau a été enfermé vivant à l’intérieur de chaque cage thoracique. » Extrait du quatrième de couverture de Birdman.

« Aux abords de Brockwell Park, quartier résidentiel dans le sud de Londres, un garçon de neuf ans est enlevé à son domicile, en présence de ses parents, retrouvés ligotés et complètement déshydratés après trois jours de séquestration. La police pense aussitôt à un acte pédophile, d’autant plus que les enfants du voisinage évoquent un mystérieux “Troll”. » Extrait du quatrième de couverture de L’Homme du soir.

« La plus grande réussite d’un écrivain, c’est d’immerger totalement son lecteur dans un monde neuf et inconnu. Mo Hayder y parvient à la perfection avec Tokyo. Ce livre ensorcelant a un impact profond. Il est élégiaque et important. Et surtout, il continue de nous poursuivre  longtemps après avoir été refermé. » Michael Connelly, cité en quatrième de couverture de Tokyo.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le parcours de la belle anglaise Mo Hayder n’est pas un long fleuve tranquille. En 1978, à seize ans, en pleine période punk, elle quitte études et famille pour exercer divers petits boulots. Neuf ans plus tard, elle quitte l’Angleterre avec un aller simple pour Tokyo afin de devenir geisha (!), ce qu’elle réussit partiellement puisqu’elle exercera divers métiers au Japon, dont ceux d’hôtesse dans un club, de garde du corps, d’enseignante et de serveuse. De retour en Angleterre, elle fréquente médecins légistes et policiers (qu’on suppose au bout du rouleau) pour rédiger son premier roman, le traumatisant Birdman (une transposition contemporaine des crimes de Jack l’éventreur) qui, en 2000, sera l’événement du salon du livre de Francfort. Six ans plus tard, ses trois romans ont paru en France et Tokyo est récompensé, entre autre, par un accueil critique dithyrambique et le « Prix SNCF du polar européen ».

Pourquoi parler de Mo Hayder dans Bifrost ? Tout simplement parce que la littérature d’horreur (et ici, nous y sommes les deux pieds dans le plat) relève des littératures de l’imaginaire, comme l’a brillamment prouvé Thomas Harris. Souvenez-vous d’Anthony Hopkins tenant dans ses bras la belle Julianne Moore alors qu’ils sont entourés de sangliers sardes anthropophages les ignorant royalement — Cocteau revisité par Clive Barker ; Ridley Scott mettant en images, après Jonathan Demme et Michael Mann, l’univers ténébreux de Thomas Harris. Rien de normal dans un tel tableau digne de Goya, et par voie de conséquence c’est une ambiance anormale, flirtant franchement avec le surnaturel, qui s’impose.

Chez Mo Hayder, comme chez le père d’Hannibal Lecter, il est question de ténèbres, de perversions humaines, d’actes inavouables ou, pire, incompréhensibles. Birdman et L’Homme du soir forment un diptyque où l’on suit deux enquêtes de l’inspecteur Jack Caffery, un homme hanté par la disparition de son frère Ewan, alors qu’ils étaient enfants. L’ambiance nous ramène à l’excellente série policière anglaise Prime suspect, portée par une Helen Mirren (vue en fée Morgane dans Excalibur de John Boorman) glaçante. Birdman est un très bon premier roman, un excellent récit de chasse au serial killer.

L’Homme du soir, centré sur le démantèlement d’un réseau pédophile, est peut-être tout aussi réussi, mais, en ce qui me concerne, je me vois mal conseiller à qui ce soit la lecture de ce pavé de 550 pages où un père viole son fils puis maquille son crime odieux en enlèvement, où une ribambelle de taré(e)s échangent des photos de petites filles ou de petits garçons sur internet. L’horreur, il n’y a pas d’autre mot, d’autant plus qu’Hayder navigue dans un registre manipulateur assez complaisant, et au final si éprouvant qu’il en devient suspect. On notera toutefois que des trois romans de Mo Hayder, L’Homme du soir est celui qui utilise le plus de vocabulaire et de situations surnaturelles (notamment la dernière scène du roman).

Tokyo, troisième roman de l’auteur, est celui de la maturité. On y assiste, médusé (à moins d’être féru d’histoire extrême-orientale), à la résurrection d’un des plus grands massacres de l’ère moderne, celui de Nankin en 1937 — un massacre dont encore aujourd’hui on ne parle pas ou peu. Quatre cent mille morts selon les Chinois, quelques dizaines selon les japonais. On dit que les vainqueurs écrivent l’histoire (et si c’était vraiment le cas ?). Cette réflexion historique passionnera les lecteurs d’uchronie, quant à l’intrigue, solide et dense comme une bille d’acier, elle ne pourra que plaire aux amateurs de bons thrillers intelligents.

Il y a chez Mo Hayder des questionnements (sur la folie, l’Histoire et la nature de la réalité) qui nous rapprochent de Philip K. Dick ; des images « coup de poing dans l’estomac » qui nous ramènent à Thomas Harris, Clive Barker et Stephen King, évidemment. Sur le plan du simple style, Birdman est un roman très pauvre ; L’Homme du soir, moins simpliste, reste cependant dans l’habituel registre efficace et limpide du thriller à l’anglo-saxonne. Par contre, Tokyo est d’un autre niveau, d’une tout autre ambition. La barre a été fixée plus haut : l’écriture simple et limpide nous piège dans les rouages de l’intrigue pour mieux nous y broyer, du grand art, et sans doute le livre par lequel Mo Hayder entre dans la cour des grands. Un auteur à suivre de près.

Rhapsody

Rhapsody, ancienne prostituée, a décidé de changer de branche socioprofessionnelle et de devenir baptistrelle, une sorte de magicienne chanteuse lyrique. Alors qu'elle progresse sur cette voie difficile, Michael, un de ses anciens clients, la fait mander. Refusant de retomber dans la prostitution et surtout dans les bras de Michael, chef de la pègre d'Easton, Rhapsody prend la fuite et rencontre à cette occasion Achmed le Serpent et le géant Grunthor. Poursuivis par les hommes de Michael, l'étonnant trio prend la route de l'Arbre-Monde, grâce aux racines duquel ils vont pouvoir s'échapper une fois pour toutes de l'île perdue de Serendair. Au contact de ces deux étranges compagnons de route, Rhapsody va peu à peu comprendre que ceux-ci fuient le Shing, un ennemi pour le moins énigmatique, peut-être le plus dangereux qui soit…

Depuis vingt ans maintenant, les éditions Pygmalion publient de la fantasy ; du très bon (Kay, Martin, Hobb), du pas bon (Bradley), et du « sans intérêt » (Coe, Flewelling). Rhapsody appartient clairement à la troisième catégorie. S'il fallait sauver quelque chose de ce premier roman pataud, de cette (inter)minable fuite souterraine et « racinaire », ce seraient les personnages d'Achmed le Serpent, ambigu, difforme et fascinant, et de Grunthor, sympathique ogre au goûteux sens de l'humour. Pour le reste, entre deux morceaux de bravoure plutôt bien menés, mais trop rares, tout est atroce ou raté :

1/ L'histoire, simpliste, maladroite, qui ferait passer le scénario de La Quête de l'Oiseau du temps pour Guerre et Paix.

2/ Le rythme, asthmatique en phase terminale.

3/ La construction, qui se pose là dans le registre du ni fait ni à faire, avec son prologue de soixante ( !) pages que l'on résumera par : « Gwydion, projeté sept siècles dans le passé, rencontre Emily un soir de bal champêtre. Tous deux âgés de quatorze ans ont le coup de foudre et finissent par jouer à saucisse dure dans pucelle pas farouche, même si c'est pas bien avant le mariage. » Trois pages auraient suffi, et encore, je suis d'humeur généreuse.

4/ Le monde décrit n'a rien à voir avec le Moyen-âge, ni de près ni de loin. Comme tant d'autres, Elizabeth Haydon veut faire de la fantasy médiéval(isant)e sans avoir la moindre idée de ce qu'était le monde médiéval occidental. Son manque patent de culture historique est tout simplement insupportable, d'autant plus qu'il nuit ici à la cohérence du récit.

5/ Sans oublier la traduction, qui va du potable au totalement scandaleux, à tel point qu'on se demande si quelqu'un l'a relue.

En ces temps de surabondance en fantasy, sincèrement, je ne vois AUCUNE raison de conseiller ce livre, premier d'une longue série. On préféra donc chez Pygmalion les trois séries suivantes : La Tapisserie de Fionavar (trois volumes), Le Trône de fer (dix volumes à ce jour, et ce n'est pas encore fini), L'Assassin royal (treize volumes à ce jour, et ça continue) ; trois excellents cycles réédités en poche aux éditions J'ai Lu.

Critiques Bifrost 38

Retrouvez sur l'onglet Critiques toutes les chroniques de livres du Bifrost n°38 !

BOS02E07

Bloqué dans son isoloir cosmique, Philippe Boulier vote Thomas Day dans la Bibliothèque Orbitale, avec la lecture de son recueil Women in chains et de son roman inédit Du sel sous les paupières !

Fleur

En attendant la sortie de Points Chauds et Aliens, mode d'emploi, Laurent Genefort nous fait une fleur : une nouvelle inédite, située dans l'univers des deux ouvrages, à télécharger gratuitement ou à lire en ligne  !

Précommande Aliens & Points Chauds

Point chauds, le nouveau roman de Laurent Genefort et Aliens, mode d'emploi, l'indispensable manuel de survie en situation de contact ET sont désormais disponible à la précommande !

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Au-delà du gouffre

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 120
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