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L'Archipel du rêve

Auteur à part dans une production anglaise déjà bien singulière, Christopher Priest poursuit son œuvre particulière, livrant inlassablement des textes curieux, décalés, souvent magnifiques et toujours exigeants.

Publié dans la collection « Lunes d'encre » (sous une couverture de Manchu non seulement inadaptée, mais franchement grotesque) comme la quasi-totalité des œuvres de l'auteur, L'Archipel du rêve est peut-être la meilleure manière d'aborder Christopher Priest dans ce qu'il a de plus délicat, de plus douloureux et de plus difficile à cerner. Si L'archipel du rêve est à mettre en rapport avec La Fontaine pétrifiante (en Folio « SF »), il apporte une vision différente de cette création littéraire aussi fascinante que dérangeante, via un positionnement encore plus ambivalent sur la nature de la réalité géographique décrite. On y retrouve le perpétuel décalage des personnages par rapport à une existence souvent subie, une douleur existentielle bien difficile à exprimer et une étrangeté générale à la fois inquiétante et curieuse. Bien plus proche de Kafka que d'un fantastique plus « traditionnel », L'Archipel du rêve est non seulement une réussite totale, mais également une interrogation pudique (malgré l'outrance sexuelle de certaines pages) sur l'âme humaine, via des personnages profonds, subtils et terriblement présents dans leurs faiblesses comme dans leur triste humanité.

S'il n'est évidemment pas question de résumer ici les sept nouvelles du recueil, il n'est pas inutile de préciser qu'il s'agit de la peinture d'un monde hors du temps, un archipel aux frontières peu définies qui sépare deux continents en guerre perpétuelle (celui-là même qui fait figure de construction mentale névrotique, et d'ailleurs fausse, dans La Fontaine pétrifiante). Pornographiques, violentes, subtiles et magnifiques dans l'art de l'ellipse, les nouvelles de L'Archipel du rêve relèvent de l'attente comme du changement. Attente de ce qui vient quand on décide de passer à l'acte (« La Négation », texte imposant dans lequel un jeune soldat apprenti poète finit par déserter dans la neige et le froid, lassé par une existence absurde et des patrouilles inutiles au pied d'un mur très kafkaien, censé protéger la région d'une hypothétique invasion ennemie — une nouvelle à mettre en rapport avec un certain Désert des tartares), attente du voyeur fasciné par la sexualité d'une peuplade mystérieuse dont il cherche à percer le secret (dans le très percutant « Le Regard », sublime parabole sur le voyeurisme et la frustration), changement de la jeune femme venue régler les différentes formalités suite au décès d'un oncle éloigné, et qui finira par vivre une aventure avec la policière chargée de sa surveillance (« La Cavité miraculeuse »), changement d'un déserteur ou d'un visiteur, attente des uns, des autres et de ceux dont on a peur, L'Archipel du rêve est une étonnante invitation au voyage. Un voyage difficile d'accès, à réserver aux plus motivés, mais dont la profondeur et la puissance descriptive livrent un Christopher Priest dans toute sa nudité crue (et paradoxalement pudique). Au final, on sort dérouté et envoûté du recueil, à l'image de ces personnages présents dans leur absence, et dont on a bien du mal à se défaire une fois la dernière page tournée. Une sorte d'apéritif délicieux au prochain ouvrage de l'auteur, The Separation, à paraître cette année en « Lunes d'encre ».

L’Algébriste

[Chronique de l'édition originale anglaise]

Écrivain aussi polymorphe que talentueux, Iain Banks réalise l'impossible en menant de front une carrière dans la S-F et une autre dans la littérature générale. À la lecture de ses œuvres dites « blanches » (d'Entrefer à Dead air en passant par A Song of stones), il est toutefois évident que Iain et Iain « M. » ont les mêmes préoccupations : projeter des personnages fouillés dans des situations extrêmes, révoltantes, douloureuses et cyniques. Tout récemment publié outre-manche, The Algebraist n'échappe pas à cette règle, pour un long roman de S-F pure et dure qui, hélas, ne tient pas la distance.

Très éloigné de l'univers désormais classique de la Culture, The Algebraist prolonge l'œuvre de Banks dans un cadre inattendu, mais somme toute logique. Si certains passages relèvent de la fracture humaniste la plus poignante, si la profonde détresse des anti-héros est magnifiquement bien rendue par une plume aussi exercée qu'intelligente, il ne faut pas oublier qu'à l'instar du cycle de la Culture, The Algebraist est avant tout une parodie. Une parodie subtile, décalée, jamais évidente ou grotesque, mais une parodie quand même. On retrouve ici humour et distance salutaire avec le sujet qui caractérisent les productions anglaises, pour le plus grand bonheur des amateurs du genre. Mais si The Algebraist est effectivement drôle, au sens où il aligne (en les tordant subtilement) tous les poncifs du space opera le plus basique, il est aussi épouvantablement ennuyeux et fatiguant. Si certains moments d'anthologie prouvent que l'on a bel et bien affaire à Iain Banks, ces trop rares bouffées d'oxygène ne sauraient masquer l'amère réalité. Oui, The Algebraist est long, long, désespérément long, et surtout bancal. Mal construit, mal fichu, mal conçu, ce livre est sans doute le premier vrai ratage du brillant écossais.

Dans un futur éloigné (vers l'an 4000, tout de même) qui a vu moult évolutions, révolutions et décadences (dont une violente guerre contre les machines, appelées abominations), l'Humanité fait désormais partie de la grande famille pan-galactique. En coexistence pacifique avec d'autres races intelligentes, les hommes vivent tranquillement sous le gouvernement central du Mercatoria, véritable empire dont la cohésion culturelle et politique est assurée par un gigantesque réseau de trous de vers éparpillés dans tout l'univers connu. En parallèle de ce quotidien somme toute assez optimiste, on trouve la très étrange et très ancienne race des Dwellers (littéralement, « les habitants »). Curieuses créatures flottantes et remarquablement intelligentes, les Dwellers habitent la quasi-totalité des géantes gazeuses de l'univers, vivent plusieurs milliards d'années, aiment les hallucinogènes et parlent le galactique couramment. Aussi agacées qu'attirées par les espèces rapides (dont les humains) qui naissent, se font la guerre et meurent le temps d'un battement d'œil, ils possèdent manifestement une connaissance sans limite et peuvent à juste titre s'offrir le luxe de prendre leur temps.

Tout ne serait qu'ordre et beauté si quelques hordes de rebelles (les beyonders, les terroristes locaux, en quelque sorte) ne troublaient régulièrement ce calme et cette volupté. Très attachés au sabotage en général et à la destruction des trous de vers en particulier, ces rebelles posent de graves soucis au Mercatoria : détruire un portail revient en effet à couper du monde tout un système, et remplacer ledit portail implique l'acheminement d'un nouveau vers le système attaqué, un acheminement effectué par des vaisseaux relativistes qui naviguent à une vitesse inférieure à celle de la lumière. De fait, si le système visé est à quelques milliers d'années-lumière du premier système raccordé au réseau, il peut s'écouler plusieurs millénaires avant que la communication instantanée ne soit rétablie.

C'est ce genre de catastrophe qui arrive à un petit système dont tout le monde se fiche éperdument. Potentat local brusquement propulsé maître absolu du royaume, l'Archimenditre Luciferous en profite pour installer une sorte de gouvernement fasciste spatio-médiéval (ce qui donne lieu à de réjouissantes scènes de tortures, absolument démesurées et donc amusantes) ouvertement expansionniste et franchement désagréable pour les autres.

Bien décidé à conquérir le système voisin (qui vient d'être coupé du monde à son tour), l'abominable Luciferous se lance dans une vilaine croisade qui va bientôt le dépasser, lui et ses sbires. Car dans ce système voisin se trouve la géante gazeuse Nasqueron. Dûment habitée par son quota de Dwellers, Nasqueron est étudiée de près par une caste d'humains, les Seers — dont Fassin Taak, qui développe une amitié particulière avec les Dwellers. Par un hasard fâcheux qui n'arrive que dans les romans, Fassin Taak met la main sur un bout d'information qui peut changer la face du monde : la première piste sérieuse qui pourrait (éventuellement, et avec beaucoup de si) mener à la découverte de la mythique liste des Dwellers : un réseau parallèle de trous de vers mis au point par les Dwellers dans le plus grand secret. Chargé par des instances bureaucratiques délirantes de récupérer cette fameuse liste, Fassin Taak mène donc son enquête, alors que la menace de Luciferous se rapproche et que le système entier semble bel et bien parti pour l'éradication la plus sauvage…

Résumons.

Nous avons un empire galactique, des trous de vers, des rebelles, des méchants méchants, des aliens étranges et un homme, seul, désespérément seul, qui part à la recherche d'une vérité cosmique destinée à changer l'univers dans son ensemble. Oui, bon. Et alors ?

Et alors, rien. L'accumulation de poncifs est finalement bien vue, et malgré l'absurdus ambiant, Iain Banks réussit à faire croire à son histoire, ce qui est déjà beaucoup. Reste que les plupart des récits et contre récits ne sont qu'ébauchés ou, au contraire, surdéveloppés. Ainsi, de cette mythique guerre contre les machines, le lecteur n'apprend quasiment rien. Du système gouvernemental du Mercatoria, le lecteur sait tout, ou presque. Du passé de Fassin Taak et de l'étrange destin qui le lie aux autres personnages, on aimerait bien en savoir davantage, mais Banks coupe quand il ne faut pas et s'étire là où la brièveté ferait mouche… Tour à tour récit quasi ethnologique, polar délirant ou pathétique histoire d'amour, The Algebraist ne fait qu'effleurer son monde et évite scrupuleusement le statut de très grand roman. Livré à lui-même et manifestement lâché par son éditeur, Banks livre une structure narrative déroutante et ratée, passant d'une alternance entre personnages à de longues descriptions, avant de reprendre le premier principe vers la page 350, tout en s'adonnant au flash-back dans un manque de cohésion générale pour le moins pénible. Au final, The Algebraist n'est qu'un patchwork d'excellentes histoires et de trouvailles amusantes, entrecoupées de longueurs presque insupportables. Avec quelques mois de travail et une bonne paire de ciseaux, The Algebraist aurait touché juste et fait office de chef-d'œuvre. Il n'est malheureusement, et à notre grand regret, pas autre chose qu'un roman poussif, mal raconté, long et globalement épuisant.

Les garçons de l'été

Avec Les garçons de l'été, vous allez vous retrouver avec, entre les mains, un recueil de vingt-cinq nouvelles du maître Bradbury. Dix-huit nouvelles récentes, et sept inédites. N'allez cependant pas chercher ici des textes « de genre ». Avec seulement trois nouvelles flirtant vaguement avec la science-fiction (deux machines à voyager dans le temps, « Donnant donnant » et « L'Accumulateur F.Scott/Tolstoï/Achab », et un voyage sur Alpha du Centaure avec Laurel et Hardy), c'est plutôt du côté du réalisme magique et de la littérature générale qu'il faut aller chercher. Et encore, réalisme magique est une expression souvent trop forte, tant il faudrait plutôt parler de merveilleux, de rêve éveillé, de fantasmagorie.

Avec la délicatesse, l'humour et l'humanité qui caractérisent cet auteur, Ray Bradbury nous offre ici un recueil d'images, d'émotions, de mots. Une poésie douce-amère, une constatation sur le temps qui passe et les émotions qu'il recouvre, de l'enfance à la vieillesse et retour. Il donne surtout l'impression d'un travail de l'auteur sur la vie et les hommes en général. Non pas un arrêt, un regard en arrière après une longue vie bien remplie, mais plutôt une halte sur le bord du chemin, le temps de souffler avant de reprendre la route.

Certains textes sont de véritables perles poétiques, claires et limpides (« Filet de basket » ; « Le 19e trou »), d'autres ressemblent à des cartes postales (« Là où règne le vide… »). D'autres encore sont une succession de mots à la limite du compréhensible, un travail sur le langage poétique qui rend souvent le texte difficile à saisir, où le lecteur doit lutter pour trouver un sens, sens qui, malgré tout, lui échappe parfois (« One-woman show » ; « Les Bêtes »). L'humour n'est pas exempt, mais un humour blême, qui cache bien souvent l'amertume et la tristesse (« La Grande tournée d'adieu de Laurel et Hardy… » ; « Nettoyage par le vide »). L'œil et la plume de Ray Bradbury s'allient pour nous offrir un monde étrange et irréel, à la limite du fantastique.

Un recueil magnifique, qui défie le temps, à lire les rares fois où l'on est en paix avec le monde et avec soi, par une froide soirée d'automne au coin du feu. Un peu de frissons, et beaucoup de nostalgie.

L'éveil de la magie

Il y a des jours où j'en veux vraiment à mon rédac'chef. Normalement, c'est un boss correct. Il connaît bien son équipe, il sait comment on travaille, qui aime quoi, qui est capable de faire telle ou telle critique, la routine, quoi… Alors, normalement, quand je reçois un mail lapidaire qui me dit qu'il a besoin de tel papier sur tel livre, « et fissa pour hier ! », j'ai confiance. La plupart du temps, j'ai d'ailleurs raison. Et puis soudain, PAF ! Non, pas le chien, mais L'Eveil de la magie. Et là, je m'interroge : sur le sens de la vie, sur la santé mentale de mon rédac'chef, des trucs du genre : « Mais qu'est-ce que je t'ai fait, Olivier ? Tu as quelque chose à me reprocher ??? »

J'ai essayé de lire ce bouquin. Je le jure sur la tête pleine de poils de mon chat. J'ai essayé ; pas pu ; plus fort que moi. Gah… J'ai dû m'arrêter à la page 200 : j'avais les yeux qui pleuraient, le nez qui saignait et les oreilles qui bourdonnaient. Et maintenant, je suis au lit avec un cas de clichéite aigu !

Mais bon, n'écoutant que mon courage, armée des 200 premières pages et de la quatrième de couverture, je vais tout de même essayer de vous donner un vague aperçu.

Alors voilà. On a l'empire d'Elda, composé de deux peuples. Au Nord, dans les glaces, les Eyrains à la peau pâle, qui croient en Sur, le dieu de la mer. Dans le Sud, on a les Istriens à la peau sombre, qui croient en Falla, la déesse du feu au tempérament plus que colérique. Les premiers vendent leurs femmes, les seconds les voilent de la tête aux pieds. Ces deux peuples sont ennemis depuis toujours — leur haine héréditaire s'est nourrie de nombreuses guerres — et le Roi d'Elda a bien du mal à faire respecter la dernière trêve en date. Le seul endroit où leurs querelles soient mises entre parenthèses se trouve à la frontière des deux territoires. La Plaine de Tombelune est un bout de terre déclaré neutre car sacré pour ces deux peuples : elle représente à la fois le Temple de Sur et le Temple de Fella, situés sur le Mont Sacré. C'est à cet endroit que se tient chaque année la Grande Foire, qui permet malgré tout aux Eyrains et aux Istriens de commercer. Hum, bon. On a aussi l'Héroïne. Katla est Eyraine, belle, dix-neuf ans, garçon manqué, rousse, farouche et rebelle. C'est sa première Grande Foire, et d'entrée de jeu, elle viole un des principaux tabous du lieu, à savoir grimper sur le Mont Sacré (la conne !).

Pour la suite, je pense que vous pouvez remplir les trous par vous-même, ayant déjà lu ça quelque part une bonne demi-douzaine de milliers de fois. Parce que moi, j'ai calé. Et ne vous inquiétez pas si mon résumé ne raconte rien : le livre non plus. Figurez-vous que sur la quatrième de couverture, il est dit que l'on va brûler l'Héroïne pour ce fameux sacrilège, commis au tout début du livre. Qu'on se rassure : à la page 200, il n'est toujours rien arrivé à la donzelle. Quant aux personnages principaux, ils ne sont toujours pas sortis de cette maudite foire !

C'est long, c'est lent, c'est vide et pénible. Les décors sont quasi absents, les descriptions sont de l'ordre du mobile pour lit de bébé. Les personnages sont creux comme du bambou, et leurs interactions et les situations dans lesquelles ils sont empêtrés ressortent à tel point du cliché qu'on s'en trouve presque gêné pour l'auteure. L'histoire est tellement conventionnelle qu'elle pourrait haut la main gagner le championnat du plus gros poncif de l'année. Même la magie, pourtant censée être au cœur du débat (c'est dans le titre), se fait si discrète qu'on en oublie presque qu'elle existe. Le seul espoir qu'il reste à ce livre, c'est un changement radical, un demi-tour à 180 degrés, quelque chose, n'importe quoi, qui le rendrait intéressant dans les 167 pages restantes. J'en doute… Et dire qu'il s'agit du premier tome d'une trilogie !

Désolée ami lecteur, mais si tu veux te risquer dans cette contrée sauvage et dangereuse pour la santé mentale, se sera sans moi. Je reste sous ma couette à soigner mon clichéum severitus à coup de lait Corse (2/3 de lait chaud, 1/3 de Cointreau). Petit Papa Noël, toi qui descend sur la blancheur immaculée de nos toits ardoisés… pour la suite de la saga, oublie-moi !

Le Supernaturaliste

Cosmo Hill, orphelin de 14 ans, est « prisonnier » du pensionnat de Satellite City, une ville entièrement autonome et gérée à partir d'un satellite de la multinationale Myishi. Il subit les sévices des gardiens et sert surtout, comme les autres orphelins, de cobaye à des expériences scientifiques. Mais un jour, l'occasion de fuir lui est offerte. Après un accident effroyable, il est recueilli par une bande de trois « supranaturalistes ». Leur mission : détruire des créatures bleues, invisible du commun des mortels, excepté des supernaturalistes, et qui suceraient l'énergie des humains. Mais les apparences sont trompeuses. Obstacles, manipulations et faux-semblants vont éclater au visage de Cosmo.

On ne peut pas dire qu'Eoin Colfer soit un optimiste. Sa première trilogie, Artemis Fowl, fort sombre, proposait en guise de héros (anti-héros, plutôt) un gamin au cœur rongé par la haine qui allait se découvrir une humanité au fil des pages. Son nouveau personnage, Cosmo, est aussi un écorché vif. Cobaye dans son orphelinat, il ne survit que grâce aux sentiments de vengeance (vis à vis de ses bourreaux) qui l'habitent, et le maigre rêve d'un bout de soleil. Encore faudrait-il que le paysage le lui permette. Et c'est loin d'être le cas avec Satellite City, qui tient davantage du bubon urbain à la Blade Runner que de la petite ville de campagne. Bref, peu d'espoir, et ça ne s'arrange pas au fil des pages. Car pour survivre, Cosmo devra combattre, tuer, risquer sa vie. Pas de répit pour les héros chez Eoin Colfer !

Colfer signe ici un livre d'action où le but du jeu est de trouver le nid des méchants. Tout ne se révélera pas aussi simple, mais l'ambiance shoot'em up n'est pas loin. La technologie a la part belle, les scènes de combat sont très détaillées et tous les personnages sont d'une maturité effrayante. De quoi vous filer le frisson sur un futur pareil — à croire que l'auteur a pris parti de nous montrer le pire pour nous faire regretter le mieux. La ruse fonctionne-t-elle ? Le livre se lit en tout cas d'une traite et avec grand plaisir. Quant aux dernières lignes de l'ouvrage, elles présument d'une éventuelle suite. À bientôt donc, Cosmo !

Le Mensonge du siècle

Un français résidant aux États-Unis et fréquentant une école de très bonne réputation après avoir gagné un concours, ça fait tache. Mais quand ce même frenchie de 14 ans ose en plus sauver la Terre d'une destruction totale voulue par des extraterrestres belliqueux que personne n'attendait alors qu'une fausse invasion extraterrestre était, elle, prévue par le gouvernement américain pour détourner l'attention de la population de la bourde monumentale qu'avait causé le président en attaquant un pays minuscule après avoir invoqué des prétextes fallacieux, alors là…

Du délire total, je vous dis ! Fabrice Colin s'est fait plaisir, et ça se lit.

Derrière un roman destiné aux ados où il injecte des éléments de la culture américaine de base, grossissant le trait pour en démontrer le grotesque, Colin livre un pamphlet contre l'hégémonie d'outre-Atlantique et expose un vrai discours politique. Certes, il n'assène pas de vérités inconnues, mais, par l'humour, il se permet des piques bien senties à l'encontre de l'Oncle Sam et de ses sbires. Tout le monde y trouvera son compte, car les influences et les références sont multiples. Le cinéma catastrophe est passé à la moulinette avec des clins d'œil à Independence Day et, surtout, au monument de l'humour noir de Tim Burton, Mars Attacks. Coca-Cola a le droit à ses paires de claques et la littérature de masse en prend pour son grade. Le pauvre Paolo Coelho sert même de livre de pensées au président des Etats-Unis et, quand on voit le QI du président, on se rend compte du respect que peut avoir Colin pour cet auteur.

Colin s'attaque même aux comportements des ados en peignant des personnages drôles mais aussi parfois un peu bêta. Les amourettes sont foireuses, les quiproquos sont légions, les incompréhensions totales, un vrai capharnaüm ! Et quand on se dit que l'avenir du monde repose sur les épaules d'un ado dégingandé, on se prend à prier sans s'en apercevoir.

Furieusement insolent et hilarant, ce roman totalement déjanté est un plongeon dans l'humour et la satire intelligente. De la réflexion mêlée au plaisir vrai. Purement jouissif.

La Dernière Tempête

La Disparition n'est déjà plus qu'un vieux souvenir pour Lisa et ses amis. Désormais, ils doivent faire face aux autres enfants. Mais aussi aux quelques adultes qui ont survécu à l'événement. Certains sont manipulateurs, comme le gourou qui régnait sur le Dôme. Mais cela aussi est loin maintenant. Plus préoccupante est l'avancée de la tempête. Le froid, la neige, la mort sont en marche et poussent les enfants à s'exiler vers le Sud. Un sud illusoire qui devrait endiguer le malheur et fournir un havre de paix à nos héros. Mais la réalité est autre…

Les héros de cette trilogie ont énormément souffert au fil des pages. Après avoir perdu leurs parents ou leurs proches, après avoir subi les folies despotiques d'un fou, les voilà confrontés à la vengeance de la nature. On ne pourra reprocher à Gilles Fontaine de ne pas avoir fait évoluer ses personnages au fil de l'histoire. Chacun d'entre eux a dû faire face à des dilemmes qui l'ont amené à réfléchir sur sa condition, et surtout sur sa vision de l'avenir, certains ayant même pensé à mettre fin à leurs jours pour s'épargner plus de souffrances. Mais n'est-ce pas là le chemin de la facilité ?

Dans ce troisième et dernier tome, la lutte pour la survie est encore plus âpre que dans les précédents : la Nature elle-même semble bien décidée à mettre un terme à la race humaine. À cette dernière de savoir ce qu'elle est prête à sacrifier, mais aussi à reconstruire… Charge donc aux personnages, malmenés physiquement et moralement, de trouver la force de surmonter les épreuves une à une…

Cette trilogie est un vrai survival où action et psychologie font bon ménage, un bon livre (trois en fait, qui viennent d'être réédité en coffret) à glisser entre toutes les mains.

Tracés du vertige

Sous-titré Trente Nouvelles pour redéfinir l'imaginaire de demain, cette anthologie se définit comme l'équivalent contemporain des Dangereuses Visions de Harlan Ellison qui éclatèrent en 1967 comme un coup de tonnerre. Les auteurs phare sont cités sur la couverture : Dan Simmons (l'ascension du K2 de l'Everest en compagnie d'un extraterrestre mérite l'effort de la lecture), Stephen Baxter (intéressante histoire d'humains clonés et à durée de vie limitée), Larry Niven (une discussion convenue avec des extraterrestres à propos de l'évolution d'espèces intelligentes), Gene Wolfe (qui reprend la trame usée du « Prix du danger » de Sheckley, avec un certain brio cependant), Ursula Le Guin (brillant récit d'une race construisant une cité pour ses ennemis), Gregory Benford (qui allie science et religion à partir d'un simple décalage lunaire), Joe Haldeman (peu convaincant récit à chute autour d'un serial killer pas comme les autres), Michael Marshall Smith (un texte fantastique basé sur le voyeurisme, digne d'un Richard Matheson) et Michael Moorcock (qui reprend à son compte le surréaliste personnage d'Engelbrecht de Maurice Richardson le temps d'une curieuse conversation avec Dieu).

À ces personnalités se joignent des auteurs de littérature générale comme Joyce Carol Oates (avec une aussi étonnante que cruelle remise de diplômes) ou David Morrell (l'auteur de Rambo signe un beau chassé-croisé d'entraide filiale et paternelle sur le thème de la cryogénie), de fantastique comme Kate Koja (dans une fructueuse collaboration avec Barry Malzberg), voire des débutantes comme Laura Whitton (plus intéressante sur la colonisation de mondes habités que la nouvelle d'Ardath Mayar). D'autres prestigieux auteurs de S-F sont présents : Thomas Disch (dont l'univers informatique post — moderne est, chez lui, réellement dépaysant), Paul di Filippo (dont le loufoque tombe à plat), Kit Reed (qui ne parvient pas à intéresser le lecteur à l'ambiguë relation du malfrat à sa garde du corps), Rudy Rucker et John Shirley (avec une étonnante idée de poche quantique nanomatricielle permettant de s'enfermer à ses risques et périls dans une dimension où le temps s'écoule différemment), etc. Quelques heureuses surprises viennent de noms peu connus comme « Des Visiteurs uniques » de James Patrick Kelly, « Entre les disparitions » de Nina Kiriki Hoffman.

À peu près tous les thèmes sont abordés, avec différents traitements, classiques ou modernes (un peu). Il n'y a cependant rien de neuf ni de fracassant dans cette anthologie : nombre de ces récits auraient pu être écrits il y a vingt ans ou plus. Il faudra en outre apprendre à fermer les yeux sur les nombreuses coquilles et fautes de frappe qui gâchent la lecture de cet ouvrage dépourvu de correcteur, même informatique (ni non plus d'ailleurs de noms d'auteur dans son sommaire !!). Entendons-nous bien : la grande majorité des textes sont bons, voire très bons, mais leur somme ne débouche pas sur la bombe littéraire censée remodeler le paysage de la science-fiction, comme l'espérait Sarrantonio qui fait, en passant, baisser la qualité de l'ensemble avec sa propre nouvelle, quelconque. Ce ne sont pas les auteurs qui ont manqué leur coup, mais Sarrantonio qui peine à redéfinir l'imaginaire de demain, comme le fit Ellison à l'aide de commentaires marquant des refus et des enthousiasmes balisant un nouvel imaginaire. Ceux de Sarrantonio ne donnent le vertige que par leur vacuité : le tracé n'est pas lisible car aucun trait ne vient relier les trente points que représentent les nouvelles d'auteurs prestigieux. À sa décharge pourra-t-on reconnaître qu'il est moins aisé à décrypter de nos jours qu'à la fin des sixties. Peut-être ne fallait-il pas convoquer des auteurs de littérature qui vont effectivement au-delà de ce qu'ils ont écrit à ce jour, mais n'abordent que les rivages déjà arpentés par les Indiens de la S-F. L'anthologie est à recommander aux amateurs de S-F désirant lire des récits de qualité, à condition de refuser d'y voir un manifeste pour l'imaginaire de demain. Ellison peut dormir tranquille. Ses Dangereuses Visions ont peut-être vieilli, pas sa réputation.

Les super-héros et la science

Les auteurs en conviennent : les auteurs de comics se préoccupent avant tout de l'histoire et pas de la science. Parce qu'ils ne respectent pas les lois physiques les plus simples, les super-héros sont justement un bon moyen d'aborder des points scientifiques : les rapports entre masse et force physique, la physiologie de l'araignée, les questions de gravité et de trous noirs, la probabilité d'une vie extraterrestre, qui est l'occasion de disserter sur l'équation de Drake. On en apprendra également beaucoup sur la genèse des super-héros, chaque chapitre consacré à Superman, Hulk ou Spiderman étant introduit par une présentation du personnage, des auteurs et des éditeurs.

La vulgarisation scientifique à laquelle prétendent les auteurs reste cependant… vulgaire, voire peu scientifique. Bien des points ne présentent qu'un intérêt limité : la question du clonage n'est l'occasion que d'une pâle présentation de l'ADN. Si l'évolutionnisme, abordé au niveau de la lutte des créationnistes américains pour discréditer la théorie, retient l'attention (44 % d'Américains, selon un sondage Gallup, croient encore que Dieu a créé l'homme il y a moins de dix mille ans), on reste plus circonspect sur la théorie du singe aquatique qui permet aux auteurs de suggérer que l'évolution humaine aurait pu se poursuivre sous l'eau et que Namor et Submariner « ne sont peut-être pas si impossibles qu'il n'y paraît. » Après avoir démontré certains exploits de super-héros impossibles, selon les lois physiques immuables, il est peut-être téméraire d'affirmer qu' « avec les progrès étourdissants de la science, ce qui paraît aujourd'hui impossible sera peut-être atteint demain. »

Le même manque de rigueur dans les parties non-scientifiques fera bondir les amateurs de S-F : « les pulps de science-fiction furent les parents pauvres des comics. » Quant au paradoxe temporel du Voyageur imprudent de Barjavel, il est ici attribué à « Even the heir », paru dans Weird Science en 1952.

Tout n'est pas inintéressant dans cet ouvrage, mais bien des affirmations péremptoires en gâchent la lecture. On lui préférera de loin D'Où viennent les pouvoirs de Superman ? (chez EDP Sciences) de Roland Lehoucq, qui dissertait beaucoup plus sérieusement et avec néanmoins plus d'humour qu'ici, sur les propriétés physiques du super-héros.

Coïncidence

En se penchant sur les faits divers (dans Le Degré zéro de l'écriture), Roland Barthes avait déjà noté que ce qu'on retenait dans ceux-ci tenait à l'étonnement qu'ils suscitent et à la suspicion sous-jacente du hasard se confondant avec le destin. Les coïncidences troublantes participent de cette pensée magique et c'est pour en avoir été victime que Georges, un auteur de livres ésotériques, décide d'enquêter sur le sujet. Au passage, le lecteur a droit à un bel aperçu des coïncidences extraordinaires recensées par l'auteur, comme la fameuse comparaison des biographies de Lincoln et Kennedy. L'esprit critique et rationaliste de Georges table sur des phénomènes de synchronicité mais s'efface progressivement devant la difficulté à justifier les coïncidences, non pas qu'elles soient impossibles, mais parce que leur quantité les rend suspectes. À force de les traquer, ne finit-on pas par les provoquer ? Ainsi, il découvre sur de vieilles photos de famille un enfant jumeau dont il ignorait tout. Parvenant à retrouver sa trace, il apprend qu'il aurait été donné par ses parents à un couple ami sans enfants. Mais ce jumeau est un escroc qui a la pègre aux trousses. Ce dernier saisit là une bonne occasion d'échanger sa vie avec celle de l'écrivain qui n'y voit pas malice et devient la victime des tueurs à gage…

C'est ici que tout dérape. L'intrigue, qui semblait prendre la voie d'un thriller forcément décevant vu les fantastiques attentes du début, débouche sur un vertige spéculatif qui n'est pas sans rappeler Simulacron 3 de Daniel Galouye et Le Maître du haut-château de Dick. Malgré une lenteur de mise en place, la narration est suffisamment bien menée pour soutenir l'intérêt. Coïncidence se révèle cependant un cran en-dessous de L'Homme qui se prenait pour lui-même et Superstition (également chez J'ai Lu), deux des quatre romans (Ambrose est aussi l'auteur de Cyber Killer, disponible au Livre de Poche) traduits à ce jour de ce scénariste de cinéma (D.a.r.y.l., Amityville 3) qui excelle dans la remise en question de la réalité.

Ça vient de paraître

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Le dernier Bifrost

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