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Les escargots se cachent pour mourir

Le titre loufoque donne une idée du contenu : les deux romans (initialement parus au Fleuve Noir et depuis longtemps introuvables) qui nous sont ici proposés figurent parmi les pires que Pagel ait pu commettre. Les pires, c'est-à-dire les meilleurs pour les amateurs d'humour déjanté, où les loufoqueries tiennent lieu de ligne narrative et où les jeux de mots plus qu'approximatifs sont l'expression d'envolées lyriques.

Pour une Poignée d'helix pomatias, le livre aux cent notes de bas de page, met en scène un héros pour le moins particulier : Chris Malet est en effet capable de s'introduire dans les intrigues romanesques dont il modifie la trame pour le compte d'une très secrète agence gouvernementale. Sommé de changer une scène secondaire d'un roman gore louchant sur Jack l'Éventreur, où l'héroïne s'empoisonne avec des escargots de Bourgogne, dans un restaurant français qui plus est, il apprend qu'il est lui-même un personnage fictif créé par un certain Pagel dont les apparitions intempestives prouvent qu'il est bien décidé à ne pas laisser les produits de son imagination modifier son scénario à leur guise. Outre les nombreuses références à Chandler, Hammett, Fleming, Ramsey Campbell, ce roman est également truffé de private jokes renvoyant à la condition d'écrivain, que les nouvelles notes de bas de page explicitent parfois pour ceux qui n'auraient pas connu le paysage littéraire à l'époque de la première parution.

Plus classique dans sa trame, hommage référencé au space opera, Le Cimetière des astronefs utilise les poncifs et les stéréotypes du genre avec une verve rafraîchissante. Gaba, contrebandier avec scrupules, part à la recherche du cimetière des astronefs pour le compte du richissime Aykip D. Foot, où se trouverait la Campanule Cosmique ayant appartenu à John I. Mustgotothe, où seraient enfouies les notes ayant permis à ce P.D.G. de devenir immortel. Il embarque à bord de Betty, son vaisseau déglingué qui manifeste sa jalousie quand il prend à son bord une pulpeuse blonde recherchée pour meurtre. Les péripéties qui s'ensuivent valent les meilleurs romans de Brown et la conclusion ébouriffante n'est pas sans rappeler Philip K. Dick, dans un registre toutefois moins métaphysique.

Comme le signale l'auteur, dans une préface sans doute appelée à devenir un morceau d'anthologie, il est difficile de trouver plus stupide. Mais, revendiquant haut et fort son attachement aux séries populaires auxquels ces livres très référencés appartiennent, il ne s'en excuse même pas, vu le délassement qu'ils lui ont procuré, et que le lecteur partagera sans doute. En ricanant bêtement.

Le dragon aux plumes de sang

Seke, l'enfant recueilli sur Jezomine par Marmat Tchalé, et qu'on surnommait Qui-vient-du-bruit, fait son apprentissage en accompagnant le griot sur les mondes où l'homme s'est dispersé, afin de pouvoir chanter un jour l'origine de l'humanité et maintenir un lien entre les mondes. La tâche est moins évidente qu'il n'y paraît : le temps s'écoulant différemment pour les voyageurs ne permet de retourner sur un monde qu'au bout d'un ou plusieurs siècles. Mais, partout, le dragon aux plumes de sang étend son hégémonie : sur Frater 2, ses armées renversent le pouvoir établi. Seke, dérogeant à la tradition, s'éprend de la princesse Löte des Fresles et se porte à son secours, se séparant de son mentor. Un alignement de la Chaldria, la source d'énergie qui permet de se téléporter sur de grandes distances, le laisse seul sur Ozane, un monde où le peuple est pratiquement immortel grâce à la nanotechnologie mais subit également par ce biais le joug du pouvoir qui contrôle ainsi les citoyens. C'est en compagnie d'un griot peu amène qu'il poursuit sa route sur une nouvelle planète, jusqu'à ce que l'alignement chaldrien lui donne enfin la possibilité de revenir sur Venter, la planète des origines, où il devra recevoir la kharba, le consacrant définitivement griot.

En cours de route, il aura appris que le dragon destructeur sort du cœur de l'homme « chaque fois que nous établissons une distance entre l'être et le possible, entre le réel et l'idéal » et qu'il ne peut être vaincu que par la tolérance et l'amour. Cette morale un peu convenue, bien dans la manière de l'auteur, reste cependant digeste grâce aux nombreuses péripéties qui l'enrobent et à l'exotisme qui la colore, sans oublier le coup de théâtre final. Mais c'est peut-être bien parce que, chez Bordage, l'aventure est au rendez-vous avec des personnages et des situations qui ne manquent ni de force ni d'originalité, que le dévoilement de ce qui justifie l'intrigue provoque une légère déception.

Un ami de la terre

« Pour être un ami de la terre, il faut se résoudre à être un ennemi du peuple. »

2025. Le monde est ravagé par des tempêtes d'une rare violence. Là où les cieux ne se déchaînent pas, il ne reste que des étendues désertiques et à jamais stériles. Eh oui, notre bonne vieille Terre n'est plus ce qu'elle était : quatre-vingt-cinq pour cent des espèces animales ont disparu et le niveau de pollution est tel que l'Homme a dû changer de façon de s'alimenter, de picoler (saké pour tout le monde !) et de se vêtir…

Perdu dans ce décor apocalyptique et moisi, Tyrone Tierwater, soixante-seize ans, survit en s'occupant des animaux de la star de rock Maclovio Pulchris : hyènes, lions, pécaris et renarde de Patagonie… Pour cette tâche (qui consiste surtout à ramasser les chiens écrasés et à pelleter de la merde), il est aidé par Chuy, un réfugié guatémaltèque qui baragouine le californien comme une pute de Tijuana. Dans les années 80-90 (à l'époque où l'on pouvait encore crier au loup), Ty a été un écoguerrier relativement médiatique. Son engagement lui a coûté très cher (pas mal de prison pour cols blancs), mais lui a aussi permis de rencontrer Andrea, une activiste cintrée dont il est immédiatement tombé amoureux (imparable, c'est une vraie blonde). À l'époque de leur rencontre, Ty s'occupait de sa fille de treize ans, Sierra, née d'un premier mariage, qu'il avait dû élever en solo suite au décès accidentel de son épouse, Jane. Avec Andrea, l'ami Teo et Sierra, Ty a participé à des actions radicales censées dénoncer les conséquences de la déforestation. Mais le combat a pris fin : il y a eu le drame qui a coûté la vie à Sierra, la séparation avec Andrea… une vie qui s'effondre.

Alors, quand des années plus tard, en 2025 donc, Andrea refait surface avec son amie April Wind (« quel nom hippie à la con ! »), Ty se méfie… Et il a bien raison, car Andrea et April ont l'intention de faire fortune en racontant l'histoire de la dernière héroïne du XXe siècle : Sierra Tierwater. Et pour arriver à leur fin, elles ont besoin des souvenirs de celui qui a torché la gamine, éduqué l'adolescente et vu mourir la jeune fille.

Digne héritier de Voltaire, T.C. Boyle est, à mon humble avis, l'auteur de deux des plus grands romans de la fin du XXe siècle : Water Music et La Belle affaire (tous deux disponibles chez Phébus). Humoriste des plus doués pour la critique sociale, il change carrément de décor avec cet Ami de la Terre, s'attaquant frontalement à la science-fiction écologique, là où d'autres écrivains issus du mainstream se seraient contentés d'effleurer le sujet. Il y a du John Irving dans ce livre (le ton amusé et désabusé), mais aussi une saveur contre-culture et anti-WASP qui rappelle sans cesse le Neal Stephenson de Zodiac. Un Ami de la Terre n'est pas seulement une attaque en règle contre les pollueurs-sauveurs-d'emplois, la middle-class américaine et les écologistes flower-power végétaliens à la léchouille-moi-le-nœud, c'est surtout le portrait d'un homme qui a perdu sa femme, puis sa fille, et qui, malgré toute cette douleur accumulée, a décidé de survivre, d'assister à la fin du spectacle ; le portrait d'un écolo qui a des érections, des problèmes de transit (donc du temps pour lire) et qui n'hésite pas à s'envoyer des steaks de deux centimètres et demi d'épaisseur.

Malgré quelques longueurs, quelques erreurs de traduction flagrantes et quelques facilités, Un Ami de la Terre est un grand livre, sinon de science-fiction, pour le moins d'anticipation, publié hors collection, dans lequel on assiste à plusieurs scènes déjantées, dont une chasse à la hyène assez slapstick. Voilà un roman engagé (comme quoi il en reste) où le bon sens l'emporte (presque) toujours sur le dogmatisme. À ranger entre Zodiac, déjà cité, et Le Monde englouti de J. G. Ballard. Merci monsieur Boyle, tout le plaisir a été pour moi.

Shutter Island

« Nous sommes dans les années cinquante. Au large de Boston, sur un îlot nommé Shutter Island se dresse un groupe de bâtiments à l'allure de forteresse. C'est un hôpital psychiatrique. Mais les pensionnaires d'Ashecliffe Hospital ne sont pas des patients ordinaires. Tous souffrent de graves troubles mentaux et ont commis des meurtres particulièrement horribles. » Voilà pour le décor, décrit avec brio en quatrième de couverture. Quant à l'intrigue de ce « shocker » à la Seven, vous n'êtes pas prêts de l'oublier. À la faveur de la nuit, une patiente ayant assassiné ses trois enfants — Rachel Solando — a disparu, ou plutôt, on n'a retrouvé dans sa cellule vide qu'une feuille de papier sur laquelle elle avait écrit le code suivant :

« La loi des 4
je suis 47
ils étaient 80
+ vous êtes 3
nous sommes 4
mais
qui est 67 ? »

Commence alors pour les agents du F.B.I. dépêchés sur les lieux, Teddy Daniels et Chuck Aule, une enquête éprouvante, susceptible de mettre à mal leur santé mentale. Car la problématique est simple pour ces marshals : ou Rachel Solando a quitté sa cellule par des moyens surnaturels ou tout le monde ment sur Shutter Island. Et si tout le personnel soignant et le directeur de l'établissement sont de mèche, pourquoi ont-ils demandé l'aide, urgente, du F.B.I et inventé une histoire aussi tarabiscotée de disparition en chambre close ?

Avec Shutter Island, Dennis Lehane propose à ses lecteurs, de plus en plus nombreux, un suspense entièrement construit à partir d'éléments typiques des séries B horrifiques : l'île isolée en pleine tempête, le téléphone coupé, une communauté de thérapeutes aux motivations inavouables ou du moins obscures, un hôpital psychiatrique inquiétant divisé en trois blocs hiérarchisés (le bloc A pour les patients dangereux, le bloc B pour les patients très dangereux ; quant au bloc C… chut, pas un mot). Là où un Graham Masterton ou un Garfield Reeves-Stevens nous aurait proposé un sympathique livre pour le week-end d'Halloween, Lehane donne dans le magistral, se hausse au niveau de La Ligne Verte de Stephen King, notamment en renforçant son intrigue par une bonne dose de pertinence psychologique et en la rythmant par des coups de théâtre dignes d'un Michael Connelly en grande forme. Quant à ces scènes que l'on ne comprend pas très bien, qui semblent illogiques ou incongrues, eh bien… disons que, comme chez Dick, la réalité n'est pas ce que l'on voit ou ce que l'on croit, la réalité est autre et il faudra aller jusqu'au bout de ce roman pour comprendre. Voilà tout simplement un des meilleurs thrillers des dix dernières années ; trois cents pages denses et tendues à bloc (chirurgical ?) que vous avalerez en deux nuits maximum. Pour le principe, on regrettera les quelques erreurs de typo et les maladresses de traduction (surtout chapitre 17) qui entachent cette édition grand format relativement bon marché.

Dennis Lehane — superstar du nouveau thriller américain — est l'auteur de sept romans dont cinq appartiennent à la série « Patrick Kenzie et Angela Gennaro ». Parmi ces sept ouvrages, on conseillera tout particulièrement le roman one-shot Mystic River que Clint Eastwood a brillamment porté à l'écran avec Kevin Bacon, Sean Penn et Tim Robbins dans les rôles principaux.

Rihla

Ne vous arrêtez pas à la couverture (peu inspirée), voilà un livre enthousiasmant qui donne au chroniqueur envie de commencer sa critique par une accroche du genre « Rihla est un formidable roman d'aventures à lire de toute urgence ! », « achetez ce livre ! » ou encore « quel plaisir de lecture ! ». Mais ne mettons pas le diplôme avant les examens et intéressons-nous à l'histoire qui nous est contée sur plus de 500 pages d'une densité rare… Nous sommes en l'an 890 de l'Hégire (le XVe siècle de l'ère chrétienne) et la reine de Castille n'a pas encore réussi à venir à bout du royaume de Grenade. Ce qui ne saurait tarder. En ces temps de guerres religieuses, où la croix des Catholiques risque fort de remplacer le croissant des Maures sur les hauteurs des cités du sud de l'Espagne, un savant arabe, Lisán, découvre des tablettes de plomb extrêmement anciennes. Celles-ci le mettent sur la piste d'un continent inconnu qui se trouverait à mi-chemin entre l'Europe et Cipango. Reste à armer un bateau capable de supporter ce long voyage et à prendre la mer pour naviguer bien au-delà des colonnes de Melquart, sur des mers que l'on dit sillonnées par des monstres. Au vu du contexte politique, c'est à Gênes que Lisán trouve un argentier assez fou pour financer cette aventure et la tenter avec lui. Mais Lisán a sans doute mal choisi son allié (ou pire, a été choisi par celui-ci). En effet, son armateur mamelouk, Baba, est en fait un ancien voïvode venu de Tara Romaneasca : un guerrier capable de parler aux démons. Ce voïvode fuit un passé où il a fait empaler des centaines de personnes, parfois innocentes. Mais ce n'est pas la fuite qui le pousse vers l'ouest, non, Baba est à la recherche d'un démon ancien, d'un djinn malfaisant qu'il se croit prédestiné à détruire…

Voyage au long cours, tempête, naufrage sur une île tropicale, attaques d'hommes-tigres et de démons, sacrifices humains, champignons hallucinogènes sacrés, entités datant de l'époque du Minotaure et de Talos, voïvode issu de la même lignée que Vlad Dracul… Avec ce second roman en solo après La Folie de dieu, Juan Miguel Aguilera confirme son talent. Mieux, il a progressé dans quasiment tous les compartiments de l'écriture romanesque et s'est permis de réécrire le voyage de Christophe Colomb en y introduisant de la magie, et en remplaçant le navigateur italien par un arabe s'alliant à un voïvode roumain. Tout comme dans La Folie de dieu, il y a dans cet ouvrage une conscience méditerranéenne incontournable, mais aussi un sens du voyage et des saveurs qui rappelle les meilleurs romans d'aventures : ceux de Jack London, Joseph Conrad et Schoendorfer (principalement L'Adieu au roi, son chef-d'œuvre méconnu). À lire, à offrir, à faire découvrir, car Rihla est un livre-plaisir, un livre rare.

La Révolte des rats

2049, les milices de Pim Head prennent le pouvoir ; en fait le reçoivent du président de la Fédération Européenne durant une émission de télévision (comment ne pas penser à l'arrivée au pouvoir d'Hitler ou au Sarkozy Show permanent qu'est devenu TF1). La guerre entre les libéraux (attention méchants !) et les hypercommunistes (et autres fumeurs de foin ultra-gauchistes écolos anti-fachos) peut commencer : manifestations, sabotages, piratages informatiques, etc.

François Muratet est un écrivain engagé, un rien rebelle, il a des « idéaux d'emprunt » à défaut d'avoir des idées personnelles et semble sincère dans sa démarche littéraire socialisante (hommage appuyé au Talon de fer de Jack London, mélangé avec quelques chansons de Zebda et un poil de S-F politique française de la fin des seventies). Mais son ouvrage, tout à fait lisible à défaut d'être hautement recommandable, est d'une naïveté politique permanente (à côté, La Lune seule le sait de Johan Heliot fait figure du Prince de Machiavel). La vision que Muratet donne du monde de 2049 et des événements qui ont forgé ledit monde (pages 13 à 15) est si peu crédible que l'on se demande pourquoi l'auteur a jugé nécessaire de placer son récit à cette date. Quant aux descriptions de piratages informatiques (grotesques), de progrès médicaux et scientifiques (bonjour les couvertures de Science et Vie junior), impossible d'y croire… Le futur du professeur d'histoire-géographie Muratet est en carton-pâte ; c'est un mauvais décor de théâtre. Ce qui pourrait être acceptable — Sheckley a fait bien pire — si la pièce était passionnante ; ce n'est pas le cas. Les trajectoires de Dark, Olof, Visnya, Kalim et Alf ne sont en rien palpitantes, leurs propos sont creux et parfois d'une connerie abyssale. Et il y a pire dans cet ouvrage que l'éditeur ne recule pas à définir comme un mélange de Dantec, d'Asimov, d'Orwell avec des scènes d'action à la Matrix : les passages « américains »… où Los Angeles ressemble à Oléron-plage et l'Amérique à un mauvais épisode de l'Agence tous risques.

Tout cela est bien malheureux, car j'aurais préféré expliquer pourquoi La Révolte des rats a sa place entre Le Talon de fer de Jack London et Tous à Zanzibar de John Brunner. D'autant qu'il n'y a quasiment plus d'auteurs francophones écrivant de la science-fiction prospective, osant se colleter avec le futur proche. Un domaine dans lequel le dernier livre qui mérite votre attention est sans conteste le recueil de nouvelles de Sylvie Denis : Jardins virtuels, bien plus riche en idées et en visions que les quatre cent vingt pages et les cent quatre chapitres de La Révolte des rats.

Ecstasy

C'est en rencontrant à New York un SDF d'origine japonaise du nom de Yasaki que Miyashita va passer de l'autre côté du miroir et pénétrer, plus ou moins à l'insu de son plein gré, dans une jeu de rôles grandeur nature ; une partie obscure à laquelle participent trois joueurs professionnels : Yasaki ; Keiko Kataoka, une maîtresse de cérémonie sado-masochiste ; et Reiko, une actrice résidant à Paris qui fut l'esclave sexuelle de Yasaki quand celui-ci était encore un richissime réalisateur de comédies musicales. Au fil de son voyage au bout de la nuit, Miyashita va découvrir un monde réservé aux riches, un monde où la sexualité ne se conçoit pas uniquement en terme de rapports sexuels, mais où interviennent aussi la honte, les désirs contre-nature, la violence, la frustration sexuelle poussée à son paroxysme et la drogue bien entendu, la plus excitante de toutes : l'ecstasy.

Ecstasy (écrit en 1993) est à ce jour le livre le plus pornographique de Murakami Ryû. Le milieu insolite dans lequel l'auteur fait pénétrer ses lecteurs est décrit avec une précision impressionnante, presque toujours complaisante (on sent qu'il y a une véritable volonté jusqu'au-boutiste dans chacune des scènes décrites, chaque dialogue ; comme si Murakami Ryû jouait avec les pulsions voyeuristes de ses lecteurs et tentait de les mener au-delà de leurs limites, ce qui fonctionne très bien puisqu'on a pas envie de lâcher le livre avant de savoir où tout cela mène). Rien ne nous est épargné : lavements, viols, bondage, fascination pour le nazisme et ses icônes ; comme dans Salo ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini, les excréments jouent un rôle central dans l'univers fantasmatique des trois principaux protagonistes. Au fil de son récit qui ressemble à un piège élaboré avec patience, Murakami Ryû ne fait aucune concession. Et au final, le passage où la pauvre Mei est purement et simplement poussée au suicide est terrifiant, éprouvant, surtout quand les joueurs se demandent, étonnés : « Mais pourquoi s'est-elle suicidée ? Tout ça n'est qu'un jeu. »

Ecstasy est le premier volet d'une trilogie qui, si on en croit le quatrième de couverture, se poursuivra avec Melancholia (disponible au moment ou vous lisez ces lignes) et Thanatos, dont les parutions sont prévues pour 2003 et 2004. Il est étonnant de voir à quel point cette œuvre, pour le moment inachevée, fonctionne en quelque sorte comme une œuvre de fantasy : il y a un jeune homme un peu naïf à qui l'on confie une quête, des magiciens (ici Yasaki et Keiko Kataoka), une forme de magie (le sadomasochisme associé à la prise de drogue), un monde secret (celui des palaces à 2000 dollars la nuit), des énigmes, des épreuves à accomplir pour progresser dans la quête, etc. Il y même un grand méchant qui guette : le risque permanent de mourir en faisant une surdose ou un arrêt cardiaque. Et d'autres « forces du mal », plus fugaces, comme la police, les journalistes…

Avec ce livre tour de force (Ecstasy est construit autour d'un dialogue entre Miyashita et Keiko qui fait près de 150 pages), Murakami Ryu frappe de nouveau très fort ; on attend la suite, si ce n'est avec impatience, du moins avec une certaine curiosité (malsaine, évidemment). Reiko, Yasaki et Keiko n'ont pas fini de livrer leurs secrets, Miyashita en a fait les frais, et la partie continue.

Les Sphères de cristal

Si la majorité des romans de David Brin a été publiée en France, ses nouvelles, en revanche, n'ont que rarement été traduites — moins d'une dizaine, ici ou là, en presque vingt ans. Sans être excessivement prolifique dans le domaine, il en a pourtant signé une bonne quarantaine, regroupées dans trois recueils (le dernier paru aux États-Unis en début d'année).

Les Sphères de cristal nous proposent de découvrir neuf nouvelles (dont seulement deux ont déjà été publiées précédemment dans notre pays), sélectionnées et commentées par l'auteur lui-même. Extrêmement diverses par la taille, le ton et la qualité, on remarque néanmoins après-coup qu'une bonne moitié du recueil est consacrée à la même interrogation : sommes-nous seuls dans l'univers ? La nouvelle donnant son titre au livre offre une explication empreinte d'une certaine poésie au fait qu'aucune race extraterrestre ne nous ait jamais rendu visite. Brin situe l'action dans un futur lointain, où c'est au tour de l'homme de jouer aux explorateurs cosmiques et de découvrir sa place dans l'univers. Autre très bon texte, quoique nettement plus pessimiste, « Les Dipneustes » conte la découverte par une expédition terrestre d'artefacts étrangers dans la ceinture d'astéroïdes entre Mars et Jupiter, laissant à penser que nous n'avons pas toujours été seuls dans ce coin de l'univers. Dans ces deux nouvelles, David Brin parvient, tout en gardant sa rigueur scientifique habituelle, à nous émerveiller par ses extrapolations.

Dans deux autres textes, l'auteur s'intéresse aux rencontres du troisième type sur un ton nettement plus humoristique. « Chhuut… » décrit l'arrivée sur Terre d'une race aussi avancée que bienveillante, et offre un moyen astucieux aux humains de ne pas se sentir écrasés par tant de perfection. « Ces Yeux-là », tout en réfutant point par point les thèses défendues par les ufologues, s'amuse à mettre en scène une poignée d'E.T. farceurs. Le court article qui suit cette nouvelle, « Que dire à un ovni », ne fait que paraphraser le texte qui le précède. Dans un registre plus sérieux, « Troisième et sixième sens » s'intéresse également à un alien, coincé bien contre son gré sur Terre. Long, verbeux, c'est probablement le moins bon texte du recueil.

Encore un texte humoristique : « Feu rouge », amusante fable écologique dans laquelle il est question d'expansion de l'univers, de motards cosmiques et de respect de l'environnement…

« Thor contre Captain America » est l'autre grosse déception de ce recueil. Il s'agit d'une uchronie dans laquelle l'Allemagne est sur le point de gagner la Deuxième Guerre Mondiale, grâce à l'intervention des dieux nordiques, Odin et Thor en tête. Malgré un point de départ amusant, ce récit souffre d'une intrigue banale et devient carrément détestable lorsqu'il aborde la question des camps d'extermination.

En revanche, « L'Épidémie de générosité » est un fort bon texte, décrivant dans le détail le modus operandi d'un virus d'un genre nouveau. Nouvelle d'autant plus réussie que son narrateur est un personnage cynique et sans scrupules, ce qui renforce encore l'idée développée ici par Brin.

Le recueil se termine par le texte le plus récent de cette sélection, « Les Pierres de pondération », décrivant un futur assez fascinant où cohabitent humains modifiés, intelligences artificielles et personnes simulées, et s'interrogeant sur l'égalité des droits de tout ce beau monde. Une excellente conclusion pour un recueil qui, malgré quelques faiblesses, demeure d'un fort bon niveau.

Rock Stars

Les éditions Nestiveqnen aiment les anthologies thématiques. Celle-ci vise à célébrer les noces d'un vieux couple : la science-fiction et le rock. Et en dix-sept textes, elle nous offre une vision assez variée et représentative des liens existant entre eux.

Les groupes et tendances ayant inspiré les auteurs sont particulièrement divers, et l'on va du blues et du rock'n'roll des origines à l'industriel ou même au rap, en passant par le progressif, le punk ou le heavy metal. Certains s'inspirent d'une chanson (« Quelques grains de riz » de Thierry Di Rollo, dont la fascination du narrateur pour la Eleanor Rigby des Beatles relève de la folie furieuse), d'autres de la vie d'une rock star (« La Route de Memphis » de Michel Pagel, qui nous révèle enfin ce que le King Presley est réellement devenu après sa disparition), d'autres encore mettent en scène leur amour pour tel ou tel genre, non sans une certaine nostalgie souvent (le rock progressif très seventies des héros de David Bischoff dans « Songe d'une nuit de solstice », celui, contemporain, d'Hendrix et Joplin célébré par Brian Stableford dans « Le Dit de Judas »).

Certains écrivains proposent une lecture plus libre du thème imposé. On peut difficilement parler de rock pour qualifier la musique que décrit Jean-Marc Ligny dans « Les Chants de glace », forme artistique multimédiatique d'un futur lointain, celui de ses Chroniques des Nouveaux Mondes. Le rock ne fournit qu'un fond sonore à la réflexion de Mélanie Fazi sur la création artistique (« En Forme de dragon ») ou au vagabondage meurtrier du narrateur de Patrick Eris (« Doctor Jeep »). Quant à Jean-Jacques Killian, il a préféré se concentrer sur un objet emblématique du rock, dans son texte judicieusement baptisé « Stratocaster ».

Denis Labbé et Johan Heliot ont choisi de situer leurs histoires dans un cadre atypique. « Rhapsodie métallique » de Labbé fait jouer en concert un groupe de heavy metal dans un univers de fantasy. Une union logique, tant le heavy metal s'est inspiré de la fantasy dans son imagerie ou dans ses paroles, qui donne un résultat tout à fait amusant. Dommage que l'histoire ne soit qu'anecdotique. Johan Heliot a choisi, dans « À la Bastille, Gabba Gabba Hey ! », de ressusciter les Ramones dans un futur gouverné par la Société du Spectacle, et de leur faire rencontrer un agitateur d'une autre époque, Aristide Bruant. C'est sans surprise l'un des meilleurs textes du recueil.

Globalement, la qualité varie assez d'un texte à l'autre. En bas de tableau, certains pêchent par leur exécution (« Nitro » de Jess Kaan, qui ressemble davantage à un extrait de roman en cours d'écriture qu'à une véritable nouvelle) ou par leur manque d'originalité (le Rencontre du Troisième Type remixé par Pink Floyd que nous offre Jean-Michel Calvez dans « Analogies » me paraît trop prévisible, malgré ses multiples révélations finales). Même chose pour les dystopies futuristes de Léo Lamarche (« Le Code-barre de l'Antéchrist ») ou Laurent Fétis (« Trancers »).

Outre le texte de Johan Heliot, déjà cité, la meilleure nouvelle de ce recueil me semble être « La Chair dans la machine » de Brian Hodge. S'inspirant d'un genre qui pourtant ne m'intéresse pas du tout — le rock industriel — , il nous donne à lire ici une réflexion très pertinente sur ce qui constitue l'essence de ce style musical, sa raison d'être, et le pousse à son paroxysme en y intégrant un élément purement S-F.

Au final, Patrick Eris a su nous proposer une anthologie d'assez bonne qualité, et surtout d'une grande variété. En revanche, mauvais point pour sa préface qui, en plus d'être trop courte pour être réellement intéressante, réussit l'exploit de ne jamais citer le nom de Roland C. Wagner, qui reste quand même le plus rock'n'roll des écrivains de S-F français.

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