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Le Courage de l'arbre

Énième conte philosophique sur les dangers de l’hyperconnexion ? Space opera picares­que avec une fuite en avant de son héroïne, Thyra, pour avoir refusé de commettre un meur­tre ? Ou ouvrage de propagande pour un nouveau parti réellement écologique encore à inventer ? Suivant les sensibilités de chacun, Le Courage de l’arbre pourra être un peu de tout ça. En y ajoutant un bon gros pensum en début de récit pour assimiler les concepts propres au monde futuriste imaginé par Léafar Izen et assené avec la finesse d’un cours de sciences économiques et sociales un lundi matin dès 8 h. Le premier tiers du roman est là pour vous expliquer en effet ce qu’est l’Égrégore, le Phytoïde de Katz et les autres particularités dans laquelle vit l’Hu­manité ayant conquis l’espace il y a près de 160 000 ans de cela. L’Égrégore est un réseau de communication permettant de relier les humains entre eux sans problème de distance numérique – imaginez un métavers télépathique remplis de jumeaux numériques des individus, toujours mis à jour de leurs sentiments, de leur savoir et de leurs mémoi­res, et capables d’interagir avec d’autres jumeaux individuels dont les corps sont à des années-lumière de là et ne pourront jamais, physiquement, se rencontrer (ou presque). Les individus peuvent choisir de façon temporaire ou définitive de se couper de cet Égrégore, mais cela revient à vivre de manière primitive et, en pratique, à se couper du reste de l’Humanité (dont la sphère d’influence est elle aussi baptisée Égrégore). Le Phytoïde de Katz est une création – ou une créature ? – extraterrestre à mi-chemin entre le minéral et le végétal capable de transformer presque n’importe quel terrain en lieu propice à la vie. Chaque phytoïde se présente sous la forme d’un arbre à double hélice (ou d’un brin d’ADN, géant si vous ne l’avez pas encore compris). Plantez-le sur n’importe quel bout solide flottant dans l’espace, et hop : il vous fournira oxygène, eau, nutriment et tout ce qu’il faut pour terraformer l’endroit en quelques siècles et y permettre l’installation de formes de vie terriennes à ses pieds.

Ajoutez à ça des considérations techniques sur les déplacements spatiaux, la difficulté de réaliser sa thèse en distanciel avec communication télépathi­que avec son directeur, et une bonne dose d’anthropologie sur ces « bons sauvages » qui ont rejeté volontairement la technologie, et vous aurez un début de roman assez roboratif. La suite s’avère plus classique, mê­me si les rebondissements sont assez diversifiés et que le retournement final peut remettre en question tout le reste, à la manière du « Je vois des gens qui sont morts » de Sixième Sens. Léafar Izen parsème d’ail­leurs son récit d’allusions à la pop culture (surtout issues de l’Imaginaire) et aux religions. Ce qui achèvera de séduire ceux et celles qui ont accepté de se laisser embarquer dans cet univers, mais qui risquera d’agacer ceux que le professeur Izen n’aura pas su accrocher dès le début, et qui somnolent au fond des pages en cherchant où les mènera l’intrigue. Le Courage de l’ar­bre a tout pour devenir culte pour certains ; pour d’autres, ce sera un énième pensum au paysage plus diversifié que La Horde du contrevent.

Opexx

OPEX est l’acronyme de l’armée française pour « opération extérieure ». Le texte de Laurent Genefort reprend cette idée en la généralisant : une opexx y consiste à envoyer des soldats vers des missions ailleurs dans l’Univers.

Dans un futur pas trop éloigné, l’espèce humaine a été admise sous un statut bâtard dans une communauté de civilisations extraterrestres : un droit d’accès limité à l’espace a été conféré à l’humanité, jugée en­core trop jeune ou trop peu mûre pour une pleine intégration. Ce droit se limite en grande partie à une contribution militaire : c’est ainsi que les premiers humains à quitter la Terre pour d’autres mondes – certains si lointains ou si différents qu’ils défient la com­préhension – ne sont autres que des soldats, et constituent un corps pouvant s’apparenter à des forces mercenaires telles que la garde varègue byzantine. La technologie limite autant que possible les interactions avec la vie extraterrestre – qu’elles soient biologiques ou intellectuelles – et lorsque cela ne suffit pas, l’esprit de corps mais aussi le nombre de contrats d’opexx restreint vien­nent garantir que les soldats ne se retranchent pas de l’humanité.

Le narrateur de cette histoire possède une particularité conduisant à faire sauter les verrous que constituent ces précautions. Le danger ne l’effraie pas – ni celui de la guerre sur une terre étrangère, à laquelle tous ces soldats sont de toute façon habitués… ni ceux que représentent les pathogènes et les con­taminants produits par une biologie différente – et il finit en réalité par apprécier les opexx. Non pour la possibilité d’accomplir son travail, ni même pour le plaisir de toucher un salaire conséquent, mais bel et bien parce qu’elles sont l’occasion pour lui de voir du pays et de toucher du doigt d’autres réalités que la sienne. Et cela marche : ces autres réalités le contaminent… au point où il sera peut-être le premier être humain à s’intégrer pour de vrai à cette communauté de civilisations qui n’admet pas tout à fait l’humanité…

La guerre est, selon von Clau­sewitz, la continuation de la po­litique par d’autres moyens. Ce que Laurent Genefort nous ra­conte ici, c’est une histoire où la guerre est peut-être le point de départ d’une politique nouvelle. Le narrateur d’Opexx est-il le premier déserteur interstellaire… ou bien le premier élément de preuve au dossier d’une intégration pleine de l’hu­manité à une communauté d’in­telligences ? C’est dans cette question laissée sans réponse que le texte trouve son intérêt, et prend son individualité par rapport à un Points chauds : si le nouvel état des choses y est là aussi imposé à l’humanité, peut-être que celle-ci saura se l’approprier plutôt que de finir par l’admettre… Et c’est dans cette possibilité qu’Opexx devient un texte aussi positif que fascinant.

Les Enfants de la Terreur

À peine proclamée, la Première République avait fait preuve d’une ambition infinie de réfor­mes, allant jusqu’à changer la façon de mesurer les distances – le système métrique servant d’épine dorsale au système inter­national des unités – et celle du temps. Johan Heliot aime les uchronies, et c’est donc en toute logique, au fil des jours de l’an VIII du calendrier révolutionnaire, qu’il égrène l’intrigue de sa nouvelle histoire. La chute de Robespierre – Thermidor – n’a pas eu lieu, la Terreur se prolonge : si la Révolution française accouche du monde moderne, on sait que dans notre Histoire cela s’est fait à coups de guillotine – à l’époque présentée comme une façon humaine et sur­tout égalitaire de mettre fin à la vie d’un in­désirable, qu’il soit noble, traître ou simple malfaiteur… et donc, Johan Heliot imagine ici que la raison déraisonnable des amis de Robespierre aurait pu engendrer une mon­strueuse aberration, celle de l’entreprise in­dustrielle d’extermination, avec pas moins de cent quarante années d’avance.

La cruauté de ce passé alternatif est mise en exergue par les destins croisés de différents personnages, dont certains historiques. Le lecteur suivra donc les enquêtes convergentes que conduisent le Chevalier d’Éon et le Marquis de Sade. C’est dans le traitement de ces derniers que l’œuvre fait sourciller une première fois : justice est rendue au goût avéré du premier pour le travestissement, mais il est attribué à un désordre psychologique relevant de la dissociation de personnalité entre un pôle masculin et un pôle féminin nommé Geneviève ; le second, quant à lui, troque les plaisirs dits « libertins » à l’époque au profit de ceux de la table – ce qui est avéré aussi, le « Divin Mar­quis » étant devenu obèse à la fin du XVIIIe siècle –, mais conduit une vie de famille recomposée stupéfiante de banalité. L’u­chronie politique se complique donc d’une possible composante individuelle, et c’est bel et bien celle-ci qui vient déranger la sus­pension d’incrédulité.

Si le lecteur fait fi de ces im­pressions, il lui sera possible de comprendre le schéma de l’au­teur. La Terreur est, de nos jours encore, un moment controversé d’une époque troublée : Ther­midor lui succède, puis le 18 Brumaire. Ici, la prolongation de cette même Terreur, et donc, de la cruauté du sort qu’elle inflige à ses enfants, quel que soit leur âge, épargne Thermidor à la France, mais pas le coup d’État du 18 Brumaire à l’Europe. En filigrane, la question qui fâche : puisque c’est de la Terreur que naissent les cauchemars, est-ce la Révolution qui a mal tourné à un moment ou bien était-elle viciée dès l’origine ? L’interrogation semble discutable, car la Révolution et ses affres ne se résument pas à un trait d’union sanglant entre l’Ancien Régime et l’Empire : c’est avec ce qui ressemble à un parti pris que Les Enfants de la Terreur pourra s’aliéner certains de ses lecteurs…

Humanum in silico

Humanum in silico se présente comme le premier volume d’une anthologie thématique annuelle, baptisée Horizon perpétuel. Au sommaire, pas moins de 30 textes, dont un bon tiers signés de parfaits inconnus, con­sacrés aux « machines intelligentes » sous toutes leurs formes, qu’il s’agisse de robots plus ou moins sophistiqués ou d’IA plus ou moins bienveillantes. Un corpus aussi consé­quent permet d’aborder le sujet sous quantité d’angles : passer du traditionnel affrontement entre l’homme et la machine à son union, envisager les robots par le biais de la médecine, de la sexualité ou de la religion, raconter une histoire du point de vue d’un humain ou d’une intelligence artificielle, alter­ner entre utopie fragile et dystopie pérenne ou, le plus souvent, décrire un monde où l’homme a disparu. L’une des qualités de cette anthologie est qu’elle évite pour l’essentiel les redites, ce qui n’est pas une mince affaire.

On lui reconnaîtra également volontiers une qualité d’ensemble plus que correcte. Hormis trois ou quatre nouvel­les franchement pénibles parce que verbeuses au-delà du raisonnable, le reste se lit sans déplaisir. Le vrai souci, c’est qu’aucun de ces textes ne sort vraiment du lot, ni sur la forme – à l’exception sans doute du court « Eugénisme » de luvan, à la langue joliment suggestive – ni surtout sur le fond. Il se dégage de manière systémati­que une impression de déjà lu, le sentiment d’avoir affaire au mieux à une variation sur une histoire familière. D’ailleurs, à quelques ajustements lexicaux près, la plupart de ces nouvelles auraient pu être écrites il y a cinquante ans ou plus. Même les rares auteurs à s’essayer à l’humour – l’ambiance générale est nettement à la gravité, voire à la componction – peinent à susciter l’enthousiasme.

On aimerait être bien plus emballé pour défendre un travail collectif somme toute fort honorable et qui, en outre, fait la part belle aux débutants. Mais tout cela manque trop d’imagination et d’inventivité pour être autre chose qu’anecdotique. Dommage. On retentera l’an prochain.

Focus P.-J. Hérault

Après douze volumes de rééditions pu­bliés par les éditions Critic depuis dix ans, on pensait avoir fait le tour de l’œuvre de P.-J. Hérault, à quel­ques fonds de tiroir près. Un préjugé que la parution de Ré­gression vient contredire de belle manière. Initialement sorti chez Rivière Blanche en 2004, ce roman met en scène une civilisation médiévale et raciste, où les Livides im­posent leur domination aux Tannés. Seule exception : le comtat libre de Darik, où les deux ethnies vivent en harmonie. Mais lorsque le récit commence, la cité est tombée et ses élites ont été massacrées. Unique survivant de sa famille, Roderick fuit désespérément, sans grand espoir d’échapper à ses poursuivants. Jusqu’à ce qu’il fasse une dé­couverte qui va bouleverser non seulement sa propre vie, mais celle de tous ses contemporains… Dé­marré comme un roman de fantasy, Régression prend très vite une tournure SF qui le rapproche, par ses enjeux et la situation de son héros, de « Cal de Ter », la première et plus célèbre série de P.-J. Hérault. Rode­rick se trouve soudain doté de con­naissances et de pouvoirs qui vont lui permettre non seulement de se venger, mais surtout de transformer radicalement la société dans son ensemble. Le romancier évite que son récit ne soit trop caricatural et linéaire en faisant de lui un personnage qui doute en permanence, à la fois de ses objectifs, mais aussi de sa capacité à les mener à bien. L’ensemble, s’il n’est pas toujours exempt d’une certaine naïveté, se lit comme un très chouette roman d’aventure teinté de réflexions politiques et historiques qui font écho au reste de l’œuvre de l’auteur.

Dans le même temps, comme elles l’avaient fait il y a deux ans avec Naufragés de l’espace (critique in Bifrost n° 98), les édi­tions Critic proposent une an­thologie de textes inspirés par les romans de P.-J. Hérault, et plus particulièrement consacrée à un thème au cœur de nombre de ses textes : la guerre et son absurdité. Ses récits sont ra­contés du point de vue d’individus contraints de se battre, mais ne sachant le plus souvent ni pourquoi (Noëmie Lemas, Arnauld Pontier), ni même contre qui (Florestan De Moor, Emmanuel Delporte), des individus qui se mettent à douter d’eux-mêmes (Floriane Soulas, Ketty Steward) ou qui voient ressurgir un passé de cauchemar dont ils espéraient être enfin débarrassés (émilie Querbalec, Marine Sivan). L’ensemble est plutôt réussi, quoiqu’un peu trop classique pour être vrai­ment enthousiasmant.

La Fin des Hommes

On peut raisonnablement supposer que Christina Sweeney-Baird a vécu une année 2020… intéressante. En janvier, elle signait un contrat pour son premier roman, La Fin des hommes, une histoire de pandémie mondiale. Deux mois plus tard, la covid la clouait au lit. Par la suite, elle a sans doute suivi avec un intérêt tout particulier l’évolution de la maladie et son impact sur nos sociétés. Dans tous les cas, en écrivant ce livre, elle n’imaginait certainement pas que le public le lirait à l’aune de son propre vécu de ces deux dernières années.

Certes, le virus que décrit Sweeney-Baird est très différent du nôtre. Plus sélectif – il ne touche que les individus de sexe masculin, quel que soit leur âge –, mais beaucoup plus mortel, dans neuf cas sur dix environ. L’effondrement de pans entiers de la société n’en est que plus rapide et spectaculaire, en particulier dans les domaines occupés en grande majorité par des hommes, et la géo­politique s’en trouve réécrite à grande échelle, d’une manière bien plus radicale que ce que nous avons pu connaître. Reste que notre réel ne vient que rarement contredire la vraisemblance des faits que met en scène la romancière. Il est permis de tiquer lorsqu’elle décrit, au plus fort de la pandémie, un rendez-vous romantique dans un bar à cocktail, mais ces moments sont peu nombreux. Pour le reste, son récit sonne le plus souvent juste, qu’elle évoque les errements et les mensonges des autorités, les absurdités administratives, la paranoïa et le complotisme en ligne ou les violences conjugales.

L’une des principales réussites du roman est de s’intéresser autant aux grands bouleversements mondiaux qu’aux tragédies les plus intimes, en mêlant le plus souvent les uns aux autres. Par l’entremise d’une douzaine de narratrices – et d’un occasionnel narrateur – Sweeney-Baird met en lumière tout le tragique de ces destins brisés, ainsi que le deuil, la colère et la culpabilité qui en résultent, sans jamais perdre de vue sa vision d’ensemble des événements, jusqu’à l’émergence d’une so­ciété nouvelle, potentiellement meilleure que la précédente. Dans un registre que la science-fiction a beaucoup visité depuis au moins Le Dernier homme de Mary Shelley, La Fin des hommes, sans être particulièrement innovant dans sa forme ou son propos, peut se targuer d’une qualité constante de bout en bout.

Un an dans la Ville-Rue

Imaginez une ville composée de millions de pâtés de maisons (combien exactement ? Nul ne le sait), formant une Avenue limitée d’un côté par les Voies (ferrées), de l’autre par le Fleuve, artères de tran­sport permettant à de mystérieux bienfaiteurs d’acheminer aux différents Arrondissements, qui ne produisent rien, tout ce dont ils ont besoin. Au-delà de ces deux artères vitales, il y a l’Autre Rivage et le Mauvais côté des Voies, séjour des âmes des morts que viennent chercher les Psychopompes planant sans cesse dans les airs sous les rais des deux « soleils » éclairant cet étrange monde. Dont les habitants humains savent qu’ils n’en sont pas les bâtisseurs, ne connaissent ni le début ni la fin de ce ruban d’asphalte, peut-être infini, et sont incapables de créer la moindre technologie (niveau début du XXe siè­cle), tout juste de la réparer ou de l’adapter.

Diego Patchen est un écrivain de Cosmos-Fiction (traduisez : Science-Fiction), genre regardé de haut car tentant d’imaginer des univers aux fondamentaux autres (chose amu­sante, ces contextes très exotiques pour leur auteur correspondent en fait souvent aux fondamentaux de notre propre monde !). Père malade, amoureuse exubérante, ami dans la panade, carrière littéraire qui finit enfin par décoller, nous suivons ses « aventures » finalement assez ordinaires, alternant tragique et comique, découvrant peu à peu la Ville-Rue. Attention toutefois au lecteur qui chercherait dans ce roman une explication aux mystères qu’il pose : il n’en trouvera au­cune. Car l’essentiel ne réside ni dans leur résolution, ni vraiment dans l’intrigue. Le vrai intérêt de Un an dans la Ville-Rue est à la fois son contexte original, son style exquis et le miroir qu’il tend à la SF (celle-ci, ancrée dans le Réel, imagine l’Ailleurs, alors qu’ici, Diego, résidant dans l’Ailleurs, fantasme le Réel), et peut-être surtout à ceux qui l’écrivent et la publient. C’est avant tout une ode (peut-être autobiographi­que) à notre genre préféré dont il s’agit.

Le lectorat français connaît fort peu, et souvent mal, Paul Di Filippo, auteur pourtant fondamental dans tous les genres en -punk et critique incontourna­ble. La faute à une édition fran­çai­se découragée par la complexité de sa prose, dont quiconque l’a déjà lue en anglais, tel votre serviteur, peut attester. Il faut donc rendre l’hommage qu’il mérite à Pierre-Paul Durastanti, à la fois pour être venu à bout des complexités (et il y en a !) de ce court roman, mais aussi pour avoir forgé une version française à l’élégance rarissime, ainsi qu’au Bélial’, qui va permettre à une nouvelle génération de découvrir Di Filippo.

Sans doute un peu moins apte à toucher un large public que le récent Le Serpent de Claire North (cf. Bifrost n° 106), Un an dans la Ville-Rue est pourtant clairement, lui aussi, un des meilleurs crus de la collection « Une heure-lumière ».

“Corsaire de l'espace” dans la Yozone

« Rien ne semble ici impossible, place à l’aventure guidée par les sentiments personnels sans réelles considérations pour les risques encourus. On y va, hardi les cœurs, advienne que pourra ! Et ça fonctionne ! » La Yozone

Chaman

Un an après son incursion dans notre futur à moyen terme, Kim Stanley Robinson a décidé de repartir dans le passé… quelque trente-deux mille années avant notre ère. À cette époque, la Glaciation de Würm bat son plein, et en Europe, l’homo sapiens coexiste avec les Néandertaliens. On y suit les pas de Loon (qui tient son nom d’un oiseau, le plongeon huard), apprenti shaman de sa tribu de chasseurs-cueilleurs. Le roman débute avec le rite de passage de Loon, deux semaines de survie en solitaire dans la nature, et s’achève avec le jeune homme devenu shaman. Entre les deux, quelques péripéties et pas mal d’ennui au fil de cet épais roman.

KSR n’a pas son pareil pour immerger le lecteur dans des mondes autres – la préhistoire, en l’espèce – d’une manière crédible. La question de l’utopie est présente depuis longtemps dans le travail de notre auteur. Ici, il met en scène une manière d’utopie préhistorique : les conflits y sont présents mais se résolvent rarement dans la violence ; le plus important reste l’entraide et la survie dans une nature qui ne pardonne guère. Pour autant, les humains représentés par Robinson n’ont rien de brutes : ils connaissent la médecine et savent concevoir des outils. Néanmoins, l’écriture est absente de cette société, et l’oral y tient donc une importance cruciale – sans oublier les peintures rupestres.

Toutefois, sous l’aspect romanesque, Shaman reste une déception : la première moitié est longuette, le quotidien et les amourettes de Loon ne suscitant guère d’émois ; la seconde moitié reprend du poil de la bête et réserve plus de place à l’action et l’aventure. L’ensemble laisse une impression mitigée : l’intention est louable, mais l’exécution décevante.

Ça vient de paraître

Au-delà du gouffre

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 120
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