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Actualités

“La Première ou dernière” : l'avis d'Elbakin

« L’univers s’enrichit, quelques zones d’ombre s’éclairent, et Noon continue de nous intriguer, tout auréolé de mystères. Yors demeure fidèle à lui-même, un conteur agréable à la gouaille toute personnelle et dont la personnalité transparaît dans la façon de raconter : sa voix contribue au charme du récit. Indéniablement, l’ensemble tient toujours aussi bien la route. Une lecture chaudement recommandée. » Elbakin.net

On reparle de “Noon du soleil noir” chez Just A Word

« Classique mais efficace, Noon du soleil noir signe un retour gagnant pour les Kloetzer avec une fantasy old school qui fera plaisir aux novices comme aux habitués. Une aventure sublimée à la fois par l’art du conteur des deux auteurs mais aussi par la sombre grandeur des illustrations qui l’accompagnent. » Just A Word

“Un an dans la Ville-Rue” : l'avis de Sometimes A Book

« Ainsi Un an dans la Ville-Rue est un texte déroutant, dans lequel on ne sait jamais vraiment où on nous emmène. On peut facilement passer à côté de ce texte, ne pas comprendre son propos, l’intérêt de l’histoire de Diego, se retrouver frustré du manque d’explications. On peut aussi y voir de nombreux clins d’œil et parallèles à notre monde, au métier d’auteur et aux littératures de l’imaginaire. On pourra ainsi s’amuser à décrypter ce qu’elle cache réellement. Pour ma part, après avoir été déroutée au départ, j’ai finalement apprécié ce voyage. » Sometimes A Book

Les Aventures du pilote Pirx

Première traduction française inédite de Lem en plus de trente ans, le recueil Les Aventures du pilote Pirx rassemble les dix nouvelles que l’auteur a consacrées à son personnage récurrent entre 1959 et 1971 – douze années lors desquelles la conquête de l’espace a fait des bonds de géants.

Dans un futur indéterminé, possiblement le XXIIe siècle, l’humanité a commencé à s’installer de par le Système solaire, voire au-delà. L’âge des pionniers a pris fin, mais il faut toujours des gens pour piloter les fusées. Pirx est de ceux-là. D’abord cadet de l’espace formé à l’astronavigation sur la Lune, puis pilote chevronné un brin blasé, Pirx est, en dépit d’un nom qui claque, surtout un gars normal, pas spécialement brillant, mais doué dès le départ d’un esprit pratique (« Le Test »). C’est cet esprit qui va lui permettre de comprendre et résoudre plusieurs problèmes ayant causé la mort de collègues (« La Patrouille », « Le Réflexe conditionnel »). À quelques reprises, il s’agit pour lui d’éviter une catastrophe (« L’Albatros », « Ananké »). On le sait, le vide de l’espace ne pardonne pas ; avaries et autres bugs ont très souvent une issue fatale. Dans le futur imaginé par Lem, les erreurs sont parfois d’origine mécanique, mais le plus souvent humaine. Au fil des nouvelles, on y croise quelques robots. D’abord tas de ferraille mais potentiellement hantés (« Terminus ») ou sujets à de gros dysfonctionnements (« La Traque »), on les voit progresser jusqu’à développer des capacités humaines (« L’Accident », et surtout « Le Procès », où Pirx doit déterminer qui, de son équipage, est un androïde « non-linéaire » et qui est humain).

Membre d’une génération perdue, Pirx est un héros désabusé. Au bout du compte, l’espace, c’est barbant — même si des surprises venues d’ailleurs demeurent possibles (« Le Récit de Pirx »). Lem, de moins en moins intéressé par la conquête de l’espace alors qu’il vieillissait, sait faire ressentir l’ennui de l’âge spatial. Immersives et mélancoliques, les dix nouvelles ont l’éclat dur du régolithe sous la lumière du soleil, avec un souci de réalisme marqué, et si certains détails techniques accusent le poids des ans, l’ensemble reste d’une lecture recommandable.

Contes inoxydables

Le titre polonais est sans doute plus transparent que le français : Bajki robotów, « contes de robots ». En effet, le « inoxydable » du titre français, s’il joue sur le double sens du matériau et de la résistance au temps, concerne bien les protagonistes principaux de ces contes : qu’ils soient électribuns, happelopins ou astruands, ces robots ont créé une société autonome qui se passe très bien de l’être humain. Celui-ci n’a pas complètement disparu, il intervient même très ponctuellement, mais le surnom que lui donnent les robots, les « blêmards », montre bien tout le mépris que les êtres inoxydables lui vouent. Il faut dire que les robots de Lem ont des pouvoirs que ne pourront jamais posséder les humains : ils maîtrisent l’électricité, qui leur ouvre un éventail d’inventions et de technologies invraisemblables, mais cela va encore plus loin : ils sont capables de forger des planètes, des étoiles, des galaxies… bref, de jouer au démiurge, parfois inspiré, parfois un peu bricoleur sans conscience. Et leurs faits s’apparentent bien souvent à de la magie. Ce qui nous ramène à l’autre élément du titre, la notion de conte. Les récits ici réunis adoptent ainsi tous cette forme, avec la portée philosophique qu’on lui connaît ; car, tout robots qu’ils soient, les personnages reproduisent le comportement et les modes de pensée des hommes, avec une propension évidente au despotisme, à la ruse, la trahison, bref à tout un tas de penchants obscurs que Lem, avec sa misanthropie et un ton sarcastique que lui permet ce double décalage, décortique avec gourmandise et beaucoup d’humour pour dresser un tableau peu flatteur des travers de l’âme humaine. Pourtant, l’utopie est parfois à portée de main pince : si tous les éléments sont à disposition pour construire une société idéale durable, il y a toujours un caillou dans l’engrenage.

On ressort ainsi de ces Contes inoxydables avec l’impression d’avoir lu quelque chose de profondément original, issu du contraste entre des contes à la Grimm ou à la Perrault et des protagonistes robots aux facultés quasiment divines et hautement technologiques, frappé du ton iconoclaste de Lem. On conseillera néanmoins de lire sans précipitation, pour d’une part éviter les redites (tous les contes étant en effet construits sur le même principe, même si les éléments de l’intrigue diffèrent), d’autre part laisser le temps de mieux percevoir leur portée universelle, qui reste valable près de soixante ans après la parution originelle du recueil. En un mot : inoxydable.

Le Masque

Recueil de sept nouvelles ne partageant avec son homologue polonais que la novella-titre, Le Masque déçoit. Passons sur les anecdotiques deux textes les plus courts, pour nous concentrer sur les autres.

« La Formule de Lymphater » nous est livré sous la forme d’un demi-dialogue dont les répliques de l’autre interlocuteur n’auraient pas été retranscrites. La grande réputation de l’auteur vient sans aucun doute de certaines intuitions fulgurantes qu’il a pu avoir. Dans L’Invincible, il pressentait sans le nommer le concept de nanotechnologie plus de dix ans avant que Kim Eric Drexler n’en popularise l’idée. Il en va de même ici, bien avant Ray Kurzweil, avec cette fois l’idée omnisciente d’un dieu artificiel et l’obsolescence humaine qui en découle. Lem n’écrit pas de la hard SF mais pousse ses questionnements philosophiques bien au-delà de la simple conscience/révolte d’une pensée artificielle.

Dans « Cent trente-sept secondes », l’auteur envisage que le présent de la machine ne soit pas une interface instantanée entre passé et futur, mais qu’il ait une véritable durée, lui conférant une omniscience, limitée certes, à ce présent étendu. Le protagoniste de cette nouvelle n’est pas fou, mais il n’en est pas moins dépassé.

Dernier texte intéressant du recueil « La Vérité », raconté ici aussi après coup, par un protagoniste placé en détention. Des chercheurs en quête d’énergie recréent en laboratoire un plasma solaire et, ce faisant, découvrent dans cet environnement une forme de vie ultra-éphémère, mais produisent une catastrophe. Lem, encore très en avance sur son temps, offre dans l’histoire la plus scientifique du recueil une vision minimaliste d’ITER.

Dans la novella « Le Masque », on se situe dans la conscience émergente d’une entité qui s’avère être une femme traversant une salle de bal royale où elle noue une relation énigmatique avec un homme dans un dessein mystérieux. Elle s’interroge ; le lecteur aussi. Lorsqu’elle se découvre être bien autre chose qu’une femme et que son amant aussi, sa raison d’être lui est révélée au terme d’une métamorphose qui doit beaucoup à Kafka. Le texte aurait pu fonctionner, mais nul tenant ni aboutissant ne nous est livré, et le récit s’achève en queue de poisson.

Avec « Journal », on racle le fond. Ce « Journal » est celui d’une entité super divine qui, mieux que Dieu, a non seulement créé le monde, mais en a créé des millions. Lem nous livre là des pages de galimatias eschatologique, se paie des paragraphes de mots enfilés comme des perles, jusqu’à l’explication finale dans les trois dernières pages. Sans ce dernier texte, le recueil aurait peut-être été acceptable, mais il y a des limites à tout ! Du moins, il devrait y en avoir à l’arrogance intellectuelle, ne serait-ce que pour lui éviter de sombrer dans un ridicule aussi achevé.

Éden

Suite à une erreur de manœuvre, une fusée s’écrase sur Éden, le monde qu’elle était venue explorer. L’engin, désormais planté dans le sol planétaire, est fort détérioré mais ses six membres d’équipage sont indemnes. Docteur, coordinateur, physicien, chimiste, cybernéticien, ingénieur : tous ne seront jamais désignés que par leur fonction. Cette façon de procéder semble profondément empreinte de socialisme : l’individu, caractérisé par un nom qui le singularise entre tous, est passé par profits et pertes et se voit ici restreint à sa seule identité professionnelle et fonctionnelle. Parfois un prénom se glisse dans les dialogues, mais jamais au fil de la narration. Pour les lecteurs de ce côté-ci du Rideau de Fer, ce procédé manifeste la plus indéniable étrangeté. On pourrait croire qu’au sein d’un équipage aussi restreint, les fonctions soient bien définies alors que ce n’est pas clair du tout, rendant les personnages interchangeables. Psychologiquement, les caractères ne sont pas plus marqués, comme si chacun des six cosmonautes n’était qu’un reflet des autres.

Le cadre de ce planet opera, éden, n’est nullement en reste en matière d’étrangeté. Est-ce une flore ou une faune qu’ils découvrent ? Quant aux éléments de civilisation auxquels les explorateurs se voient confrontés, ils les laissent bien plus dubitatifs encore. On s’étonnera qu’il n’y ait ni biologiste ni sociologue dans l’équipe, mais si leur mission reste d’explorer et de comprendre éden, ils doivent néanmoins faire face à leur situation de naufragés.

On trouvera au fil du roman maintes tournures de phrases étranges donnant à penser que les traducteurs n’ont peut-être pas le français pour langue maternelle, mais on ne saurait tout leur imputer. Lem dit et ne montre point, faisant fi du show, don’t tell. L’auteur ne nous permet pas de visualiser l’action, se révèle avare de métaphores ainsi que de comparaisons alors qu’il est particulièrement prolixe en descriptions. Un choix narratif malheureux. Qui est certainement à l’origine de son désamour avec la SF anglo-saxonne au sein de laquelle Dick seul ou presque trouvait grâce à ses yeux – parce que l’un des procédés caractéristiques de la SF dickienne est la réification des métaphores. Bien sûr, les personnages sont ici des scientifiques, ou des techniciens, et s’ils devaient effectivement publier dans une revue à comité de lecture, les figures de style n’y auraient pas leur place. Mais Lem semble avoir perdu de vue qu’il écrivait un roman. Plus la science veut se vulgariser, plus elle doit recourir aux tropes, aux images, faire littérature, afin que le public ciblé élargi puisse s’édifier une représentation mentale. Pire encore, Lem procède de même lorsque son propos s’avance sur les terrains politiques ou philosophiques.

En conséquence de quoi, la lecture d’Eden n’a rien d’agréable. On est en permanence à côté. Reste une curiosité littéraire toute empreinte d’étrangeté. Juste pour (ne pas) voir.

La Voix du maître

Comme il le déclare en ouverture, à la manière modeste d’un Isaac Asimov, Stanislas Lem expérimente avec La Voix du maître une forme d’hybridation de la littérature et de la philosophie, sorte de philosophie fiction mâtinée d’une bonne dose de science et d’épistémologie. Le présent roman est en effet le genre de récit qu’il ne convient pas de lire d’un œil distrait tant les digressions abondent, déclinant moult réflexions stimulantes et concepts vertigineux. D’aucuns resteront sans doute désemparés devant la profusion et la densité des idées déployées comme une arborescence touffue ne se laissant pas conquérir sans quelques efforts. La Voix du maître dénote surtout de la volonté de son auteur à faire sens en épuisant toutes les hypothèses afin de traiter le plus rationnellement possible de son sujet. Et s’il use de la boîte à outils de la science-fiction, c’est en la dépouillant de ses ornements les plus clinquants, les plus ostentatoires selon son goût, préférant les idées aux images, l’analyse minutieuse à la narration débridée, la raison à l’émotion.

Adoptant le registre du monologue autobiographique, La Voix du maître traite d’un lieu commun de la SF : le premier contact avec une forme d’intelligence extraterrestre. Celui-ci est ici à sens unique puisque transmis sous la forme d’un message capté via un flux de neutrinos. Information ou simple bruit intergalactique, message destiné à l’humanité afin de tester son intelligence ou bribe d’une transmission perdue dans l’éther, le mystère ne résiste pas aux interrogations d’un Stanislas Lem très inspiré, toujours aussi pessimiste quant à la faculté humaine à s’autodétruire, guerre froide oblige, mais surtout très intéressé par la démarche scientifique, la philosophie et la métaphysique. En conséquence, la tension dramatique est intellectuelle, les cliffhangers étant remplacés par de longues digressions consacrées au rôle de la science, à son détournement dans un but de domination et aux conflits entre scientifiques, véritables guerres picrocholines aux buts absurdes. Bref, l’optimisme ne guide pas un auteur navré de constater que nos connaissances se réduisent à des croyances fragiles entre les mains de décideurs avides de pouvoir, mais qui ne renonce pas pour autant au sarcasme et à la critique. Le choix de l’intelligence.

Incontestablement ambitieux et dense, La Voix du maître ravira sans doute les amateurs de H.G. Wells ou d’Olaf Stapledon par l’ampleur des spéculations et thématiques, elles-mêmes très appréciées des lecteurs de science-fiction, en dépit des réserves de l’auteur pour le genre.

Mémoires trouvés dans une baignoire

Mémoires trouvés dans une baignoire se présente comme un texte retrouvé dans les ruines du Dernier Pentagone d’Ammer-Que, un témoignage unique sur la période du néogène – peu ou prou la nôtre en temps de guerre froide, située juste avant l’ère chaotique qui précéda la naissance de l’éclairée Fédération Terrienne.

On y suit les aventures d’un « espion », convoqué dans ce Saint des Saints pour une tâche de la plus haute importance. Problème : il ne sait pas quelle est sa mission, et il lui sera impossible d’obtenir jamais des instructions précises sur ce qu’on attend de lui. Ordre de mission codé, perdu, volé, retrouvé, le narrateur erre dans un complexe souterrain objectivement délirant qui semble n’avoir pour fonction que d’obscurcir ce qui devrait être clair – par paranoïa sans doute, par une forme d’absurdité intrinsèque aussi, qui tient tant au pouvoir qu’à la volonté même de le conserver ou de l’accroître. Le narrateur n’obtiendra jamais de réponse claire aux questions qu’il se pose ; le lecteur non plus.

Avec Mémoires…, Lem aborde dans un même texte ses deux thèmes centraux : l’incommunicabilité et les limites humaines. Dans un monde où tout est code, où même les messages décodés sont encore codés voire ont été rédigés de façon à paraître codés, où tout se dit à mots couverts, autrement dit où rien d’explicite n’est énoncé, aucune communication n’est possible et aucune information utile n’est transférée. Si d’habitude c’est entre humains et aliens que la communication est impossible, ici c’est même entre humains que la paranoïa et ses conséquences l’empêchent. Au fil d’une errance de moins en moins contrôlée dans les couloirs, ascenseurs, salles d’archive ou de torture de l’Édifice, le narrateur est projeté de traître potentiel en officier ivre, d’espion probable en espion certain ; épopée en sous-sol qui fait d’un homme raisonnable un paranoïaque convaincu que tous ses mouvements ont été prévus à l’avance et qu’il doit faire le contraire de ce qu’on attend de lui pour… pour quoi justement ?

Dans une ambiance entre Kafka pour l’administration et Calvino pour l’absurde, Lem, après avoir fait un sort au capitalisme contemporain dans le prologue, s’en prend autant au Grand Jeu qu’au complexe militaire. En dépit du prologue – qui servit à berner la censure –, difficile de ne pas voir ici une critique des régimes politiques de l’Est, par un Polonais qui sait ce que signifie de vivre dans un pays où on peut être espionné en permanence. Car même si, à voir comment s’observent et s’espionnent mutuellement l’Édifice et l’Anti-Édifice dans une lutte sans fin qui perd tout sens quand chacun est retourné et travaille pour l’autre en faisant mine de ne pas le faire, on pense à la fin de ce Dr Folamour (1964) qui renvoyait capitalisme et communisme dos à dos, c’est surtout ici une machine autophage folle spécialisée dans la création puis la destruction d’ennemis intérieurs que décrit Lem, et alors c’est à L’Évangile du bourreau (1990) des frères Vaïner qu’on est renvoyé, ou à La Vie des autres (2006) si on veut être moins radical dans ses références.

Problème : en dépit de la volonté satirique et de l’abondance de néologismes – due à la papyrolyse qui mit fin au néogène et initia l’ère chaotique – ce n’est que rarement drôle (tout le contraire de Dr Folamour), et c’est de surcroît bien trop long. On comprend vite le mécanisme et, de scène peu drôle en scène ennuyeuse, on se prend à espérer que le chemin complet sera court en sachant bien qu’hélas il ne le sera pas.

Fiasco

Futur. L’Euridyce, un vaisseau scientifique géant, est envoyé de la Terre pour tenter d’établir un premier contact avec une civilisation dont des traces radio ont été détectées sur Quinta, la cinquième planète de l’étoile Zêta de Harpie. À quelques années-lumière de sa destination, l’Eurydice se place en attente dans le voisinage d’un trou noir et envoie l’Hermès, un astronef équipé tant pour le contact que pour le combat, faire ce qu’on nommerait aujourd’hui le « dernier kilomètre ». À son bord, un équipage réduit, au sein duquel on compte le rescapé d’une mission titanienne et un physicien qui est aussi prêtre dominicain. Les intentions, inspirées par le programme SETI, sont pacifiques ; mais quand le vaisseau arrive à proximité de Quinta, l’équipage comprend vite qu’une guerre est en cours entre entités politiques quintaniennes, et, de là, rien ne va tourner comme prévu.

On retrouve dans Fiasco le thème central de l’œuvre de Lem, à savoir l’incommunicabilité insurmontable entre humains et aliens ; thème traité ici avec un pessimisme extrême qui tient sans doute tant à la situation polonaise de l’époque qu’aux derniers instants de la course aux armements entre les USA et l’URSS.

Pris dans un engrenage de théorie des jeux et d’approche minimax, les Quintaniens, invisibles sauf par ce que leurs infrastructures stratégiques disent d’eux, considèrent ces nouveaux venus dans la partie seulement comme des adversaires à éliminer, ne serait-ce que pour éviter qu’ils s’allient à « l’autre camp ». En dépit de la bonne volonté des humains de l’Hermès, il ne sera jamais possible de vaincre la méfiance des sociétés quintaniennes, rendue structurelle par des décennies de guerre. Quant au point de Schelling – cette solution que des joueurs incapables de communiquer peuvent déduire pour se rejoindre —, il ne sera jamais découvert, faute de culture commune indiquant les solutions acceptables pour l’autre. Il ne sera même pas vraiment possible — sauf à la toute fin – de contacter directement les Quintans autrement que par des manœuvres de plus en plus agressives et éloignées de l’objectif initial. Comme si la folie guerrière se répandait telle une peste au sein même de l’équipage de l’Hermès, et que la main tendue devienne celle d’un bourreau, au fil d’une « riposte graduée » qui monte aux extrêmes jusqu’au fiasco donnant son titre au roman.

Entre Schelling et MacNamara, théoriciens de la guerre froide et de la course aux armements, Lem démontre que la belligérance au long cours façonne l’intégralité tant des infrastructures physiques que de la superstructure mentale des sociétés ; qu’au bout d’un certain temps il n’y a plus de société en guerre mais seulement des sociétés de guerre dont le moindre aspect est déterminé par le conflit ; triste constat fait par un homme de l’Est au crépuscule de quarante ans de guerre froide.

On peut trouver que beaucoup de scènes sont un peu trop longues, on peut s’interroger même sur l’utilité de l’introduction qui ramène Pirx le pilote. Mais que de beauté et de réflexion dans ce roman. Que de poésie dans les descriptions des paysages titaniens. Que de précision dans les mécanismes géologiques qui les expliquent. Que de plaisir aussi à voir longuement développées les théories scientifiques qui sous-tendent le texte (même si, parfois, il faut suspendre son incrédulité pour admettre les pouvoirs colossaux que le contrôle de la gravité donne aux humains) ou les discussions théologiques qu’amène l’existence de nouveaux « prochains ». Que de terreur même lorsqu’on voit une lune détruite pour lancer l’Eurydice, puis une autre ensuite pour appuyer un argument ; et quelle ironie de voir que, malgré cette puissance quasi-divine maîtrisée par l’humanité, l’Autre reste intrinsèquement inatteignable. Comme le disait Wittgenstein : « Si un lion pouvait parler, nous ne le comprendrions pas. »

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