Les révisions de Lovecraft
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Toute sa vie ou presque, H.P. Lovecraft a couru après l'argent ; il dira même de son divorce qu'il est dû à quatre-vingt-dix pour cent à ses difficultés financières ; on lira d'ailleurs à ce sujet « Un mari nommé H.P.L. » de Sonia H. Greene (pages 1184 à 1213 du tome 2 de l'intégrale « Bouquins »), un témoignage passionnant (et édifiant !) sur le Lovecraft de tous les jours, incapable de trouver un travail à New York pendant deux ans et ne supportant pas d'être entretenu par une épouse plus douée que lui pour les affaires. Un témoignage qui devient glaçant quand Sonia Greene, d'origine juive, évoque en addendum l'influence de Mein Kampf sur HPL et l'admiration qu'il vouait à Adolf Hitler… Très tôt dans sa carrière, dès 1918, Lovecraft fait des révisions, réécrit de la poésie épouvantable, redresse des textes boiteux, transforme en récit une idée et quelques notes éparses. Parfois, cela va encore plus loin : il écrit des textes complets qu'il ne signera pas, comme pour Houdini, ce qui donnera le très touristique et peu convaincant « Prisonnier des pharaons », nouvelle qui a toutefois l'avantage de montrer tout l'humour dont Lovecraft était capable (dire qu'il se paye Houdini, censé être le narrateur, est un euphémisme). Dans le lot de toutes ces révisions, effectuées jusqu'à la fin de sa vie, il y a, en proportion, assez peu de fantastique et de science-fiction, un « assez peu » (665 pages tout de même) que Francis Lacassin a compilé dans le tome 2 de l'intégrale « Bouquins » sous le titre « L'Horreur dans le musée », titre qui était aussi celui d'une précédente édition, partielle, en deux volumes, d'abord chez Christian Bourgois, puis en poche chez Pocket (où le tome 2 avait été renommé L'Horreur dans le cimetière). On précisera que le sommaire des deux volumes de l'édition Pocket diffère légèrement des sommaires de l'édition Christian Bourgois, et que ces deux éditions sont nettement moins complètes que la sé-lection « Bouquins ».
En anglais, on appelle un nègre littéraire « a ghostwriter », un écrivain fantôme. Invisible, mort, en retrait ? Un peu tout cela à la fois. Mais, dès qu'il touche au fantastique, Lovecraft est un mauvais nègre, dans le sens où il ne sait pas toujours rester en retrait, et beaucoup de ses révisions sonnent comme du Lovecraft pur jus, et parfois même du très bon. Y compris dans des textes anecdotiques comme « Horreur à Martin Beach », signé Sonia Greene ; on y retrouve aisément sa patte et, dans ce cas précis, sa passion pour les créatures maritimes gigantesques.
Il y a évidemment du bon et du moins bon dans ces 660 pages de révisions. Certains textes, bavards, sont interminables tant l'action et le mouvement y sont procrastinés (« Le Dernier examen », « L'Horreur venue des collines », « Le Tertre »), d'autres font preuve d'un racisme suffocant — l'histoire de jumeau maléfique « Cassius » par exemple. On trouve même une vibrante apologie de l'esclavagisme dans « La Chevelure de Méduse » (signée Zealia Bishop). Mais négliger cette sélection, à cause de sa qualité variable ou de son racisme intermittent, vous ferait passer à côté de quelques joyaux : « L'Homme de pierre », « L'Horreur dans le musée », « La Mort ailée », « La Malédiction de Yig ». Et de nouvelles certes moins réussies, mais qui restent longtemps en mémoire, à l’image de « Cendres », qui mêle avec une certaine espièglerie savant fou et ressorts du vaudeville.