Connexion

Actualités

Vlast

Salué par la critique outre-Manche, Vlast s’annonce comme une des deux locomotives de « L’Autre », nouvelle collection des éditions Bragelonne destinée à accueillir des ouvrages au carrefour des genres. Après la BCF, la science-fiction cœur de cible, le fantastique, la bit-lit et toute une ribambelle de titres en petites culottes, l’éditeur parisien s’apprête à exploiter le créneau des transfictions jadis arpenté par la collection « Interstices ». Une niche à laquelle, par un hasard du calendrier, les éditions Sonatine semblent aussi vouloir s’intéresser en donnant sa chance à un Fabrice Colin directeur éditorial avec « Super 8 » (ledit Colin qui avait déjà, en son temps, tenté l’expérience chez Points Seuil « Fantasy » avec un succès mitigé). Cela augure du meilleur pour la littérature qui rechigne à entrer dans les cases (et dans les bibliothèques des lecteurs). Reste à voir si la sélection tient toutes ses promesses…

Sur le papier, le synopsis du roman de Peter Higgins a le mérite d’intriguer. Il n’entretient hélas pas longtemps l’illusion. Dans une Russie soviétique qui ne dit pas son nom, dans un univers parallèle où les géants et d’autres créatures folkloriques côtoient les humains, où des entités non humaines sont tombées du ciel au cours d’une guerre extraterrestre, le Vlast étend son empire sur une bonne partie du continent, courbant sous le joug d’une dictature impitoyable une multitude de peuples. Engagée dans une guerre interminable contre l’Archipel, la fédération vacille pourtant, en proie au doute, à la pénurie et aux menaces de sédition fomentées par des groupuscules révolutionnaires.

Sur ce terreau rappelant à la fois l’histoire soviétique, quelque part entre les années 1930 et la Grande Guerre patriotique, la fantasy et le roman noir, Peter Higgins aurait pu broder un récit insolite. Il s’enferre dans un énième affrontement manichéen, où Bien et Mal sont convoqués, ici respectivement sous la forme d’entités élémentaires issues des mythes slaves et d’une intelligence extra-terrestre transformant les hommes en marionnettes. On n’échappe ainsi à aucun des poncifs inhérents aux différents genres auxquels l’auteur britannique s’abreuve. Des univers multiples puisés au sein de la science-fiction à la magie élémentaire de la fantasy, en passant par le flic désabusé par la corruption intrinsèque du système, il ne nous épargne rien, fusionnant les codes sans que l’on parvienne vraiment à adhérer à l’univers qu’il met en place. Certes, il faut lui reconnaître un certain talent pour dresser le portrait de Mirgorod, la ville du vice, bâtie sur les berges du delta du Mir au détriment de ses précédents habitants. La cité apparaît comme un personnage à part entière dont Higgins se complait à décrire les avenues froides balayées par les averses, les façades décrépites et les recoins sordides. Toutefois, le décor a toutes les apparences de la coquille creuse, hantée par une imagination réduite à la portion congrue. Les divers personnages sont transparents, dépourvus d’une vraie profondeur psychologique. L’intrigue passe-partout se contente d’égrainer mollement une succession de cliffhangers dont on finit par se désintéresser tant ils sont prévisibles et répétitifs.

Bref, Peter Higgins fait assaut de clichés pour accoucher d’un roman bancal, creux et terne. Le parfait remède contre l’envie de poursuivre l’aventure car, autre emprunt à la fantasy, Vlast s’avère le premier volet d’une trilogie dont le deuxième, au titre très orwel-lien de Truth and Fear, est d’ores et déjà disponible outre-Manche et dont le troisième, Radiant State, est annoncé pour 2015. Personnellement, je passerai mon tour.

intrabasses

Dès la septième ligne, une allusion à Ian Curtis. Voilà qui parle à toute une génération aujourd’hui quinqua : celle du punk, celle de l’auteur — un an de moins que le chanteur de Joy Division, dont l’ombre ne cessera de planer sur le roman.

Jeff Noon a choisi d’écrire ce récit comme on écrit des chansons. Sans majuscule, pas même aux noms propres ; avec des slashs à la place de points qui créent un effet de scansion. Il ne forme pas toujours des phrases, pas vraiment. Sa prose devient un fluide intense, vibrant et rythmé, drainant idées, sensations et impressions. Ce choix renforce considérablement l’écriture à la première personne, créant un puissant effet de caméra subjective. Actions, perceptions, réflexions s’enroulent en une spirale serrée autour de l’axe narratif d’Eliott, contribuant à transcender la simple littérature pour en faire une expérience où le lecteur est bien davantage impliqué. Par cette écriture séquentielle, Jeff Noon concentre ; parvient à dire le maximum en un minimum de mots.

L’histoire. Vers l’an 2000, à Manchester, le groupe Glam Damage formé de Jody, Donna et 2spot, respectivement DJ, chant et batterie, accueille Eliott Hill, bassiste. Ils doivent expérimenter, tester une nouvelle technique d’enregistrement sur un support liquide contenu dans un globe qu’il suffit de secouer pour remixer.

On est chez Noon, où la réalité pourrait bien être piégée ; l’homme est coutumier du fait. Après des romans comme Vurt, on ne sera pas surpris que la musique liquide se boive, se fume, se sniffe, se fixe. Après tout, le titre de la VO n’est-il pas Needles in the Groove ? Et ce-lui de la VF (bien trouvé) fait appel au préfixe « intra ». Le fixe musical a un effet chronolythique qui pourrait évoquer Michel Jeury, même si la réalité n’explose pas tant que ça. C’est en fait plus proche de la Buick Electra du Temps du twist de Joël Houssin (tout chaud réédité chez « Folio SF », ceci dit en passant). Tout un univers et des concepts qui n’auraient pas déplu à Roland C. Wagner, qui a su comme peu lier rock, SF et psychédélisme.

On peut croire tenir là une bonne fiction spéculative…

Mais lorsque la musique liquide vous projette à l’intérieur de la peau/cervelle d’Eliott jusqu’au 2/10/1977 pour la dernière soirée à l’Electric Circus où joue tout ce que Manchester compte de punk, Buzzcock, The Fall, Warsaw, ça bascule sur un hymne au rock mancunien. Et là, attention !

Ça parle d’amour. D’amours difficiles, glauques, punks. D’amours No Future et des larmes qui coulent avec. Quand vous revenez avec Eliott de votre trip punk, le roman a comme un raté, soudain bloqué en mode « arrêt sur image » comme ce terrible soir du 18 mai 80 où John Peel annonçait — « Bad news, lads… » — la mort de Ian Curtis sur l’antenne de la BBC. 2spot s’est (lui aussi) suicidé, comme son grand-père.

Pour comprendre, il va falloir y retourner. Pour sauver l’amour et le faire triompher de la culpabilité. La question porte désormais sur la relation entre les pères et les fils où l’amour et l’admiration se muent parfois en haine et où les mensonges que l’on se raconte à soi-même finissent par ériger de trop hauts murs. La musique est là comme catalyseur de la rupture.

Au final, intrabasses est une histoire de fantômes ; des vrais, pas de ceux issus de quelque conte fantastique, non, de ceux qui nous hantent pour de bon, nous interpellent sur notre vécu, nous rongent à toujours vouloir savoir si l’on aurait pu faire mieux, vivre mieux, être mieux. C’est une histoire sur les cadavres qu’il va bien falloir sortir des placards si l’on tient à ce que l’amour puisse retrouver une place dans une vie qui ne soit zombiesque.

Roman spéculatif et psychédélique, hymne à quarante années de la musique de Manchester dans sa première partie, intrabasses explose dans la seconde avec des questions intemporelles sur l’amour et l’admiration filiale qui peut si facilement se retourner comme un ruban de Mœbius. Questionnements qui appartiennent à la littérature générale et expliquent peut-être pourquoi cet extraordinaire roman a mis près de quinze ans pour traverser la Manche.

Fruit quintessentiel de la new wave littéraire dans ce qu’elle a produit de meilleur et de plus réussi, intrabasses est une expérience magistrale qui vous prend par les tripes bien davantage qu’un simple roman où l’on traverse les générations du rock, du skiffle des débuts à la dance music, pour s’interroger sur les fondamentaux de la vie, au-delà de ce que la musique lui apporte. La grosse claque. Pas lu un truc pareil depuis longtemps…

M. Pénombre, libraire ouvert jour et nuit

Voici un livre à la mode. On ne dit pas souvent cela de romans, comme si toute littérature était définitivement hors d’atteinte de ce phénomène. Bien sûr, « on » ne veut pas que le livre soit un simple produit mercantile parmi des foisons d’autres. Non, cela ne saurait être. Le Livre, c’est la Culture même, avec les majuscules. Parfois, on ne semble pas bien loin d’une mystique du livre.

M. Pénombre, libraire ouvert jour et nuit est un roman qui prend place dans l’univers du livre ; comme l’excellent Club Dumas d’Arturo Perez-Reverte. Une quête sur et dans les livres, une société secrète, des grimoires codés… Tous les ingrédients d’un bon bouillon de bouquin sont réunis. Ce roman a été pensé, conçu, pour plaire largement.

Tout commence par l’embauche de Cley Jannon comme libraire de nuit dans l’officine de M. Pénombre, à San Francisco. Un bien étrange endroit où les étagères croulant sous les livres se perdent à des hauteurs vertigineuses auxquelles on accède en grimpant comme des singes à des échelles. On y trouve bien quelques livres à vendre, de la biographie de la star locale, Steve Jobs, à des trilogies de fantasy, mais surtout, au fond du fond : d’étranges ouvrages uniques et cryptés que de non moins étranges lecteurs viennent emprunter au cœur de la nuit. Cley est curieux, et le voilà se mettant en tête d’y comprendre quelque chose, se lançant ainsi sur la piste de la confrérie du Sacré Caractère aidé en cela par des amis aussi opportuns que nombreux…

C’est un roman dont on se dit qu’il ne casse pas trois pattes à un canard mais que, mine de rien, on ne lâche pas. On tient à aller au bout de l’histoire, à en connaître le fin mot.

S’il y a dans ce roman un incontestable amour des choses anciennes et des livres en particulier, s’y niche aussi une volonté de réconcilier cet amour avec les technologies les plus modernes, et ce n’est pas un hasard si Robin Sloan travaillait dans l’industrie du Net avant de s’adonner à l’écriture.

Enfin, si M. Pénombre est un roman sans méchant (Corvina, qui tient le rôle du grand méchant loup, en guise de la psychopathe de service, n’a guère plus à offrir qu’un brin de psychorigidité…), par sa construction, sa structure, ses personnages, sa quête du secret de l’immortalité et ses diverses péripéties, est bel et bien une fantasy contemporaine avec ce qu’il faut de merveilleux, quoique pas forcément celui auquel on s’attend.

Voici un livre bien fait, intelligent, brillant même, agréable, sympathique, bon sans aucun doute, dépourvu des fulgurances qui sont la marque des chefs-d’œuvre mais exempt de défaut, bref, un divertissement très réussi. Rien que cela, mais c’est déjà beaucoup.

Quand les ténèbres viendront

Dix raisons irréfutables de réserver la meilleure place à Quand les ténèbres viendront, l’intégrale dans votre bibliothèque :

1. Ce volume respecte enfin l’intégrité du mythique recueil Nightfall and other stories, autrefois scindé en trois volumes dans la collection « Présence du futur » (Quand les ténèbres viendront, L’Amour vous connaissez ? et Jusqu’à la quatrième génération). Un soin particulier a été apporté à la conservation de la (fort correcte) traduction originelle et à la couverture admirablement illustrée par Manchu.

2. Le recueil offre au lecteur un large panorama du travail d’Asimov, s’étendant de 1941 à 1967. Il permet donc de mesurer l’évolution de son style, passant de très mauvais à passable, l’intéressé avouant lui-même, p. 9 : « En ce qui concerne l’Art d’écrire, je suis un barbare absolu. » Sacré lui !

3. Ces vingt nouvelles sont présentées par le truculent Isaac Asimov lui-même, autant d’anecdotes croustillantes et délicieusement vantardes qui ne manqueront pas de séduire le gaulois en chacun de nous. On constatera aussi à quel point la frontière est mince entre la mise en valeur d’une nouvelle et l’auto-torpillage en règle de celle-ci.

4. La variété des textes permet de mieux cerner le génie particulier de l’auteur : peu doué pour les portraits et les dialogues (« Vide-C », « Les Mouches »), Asimov devient vertigineux lors des grandes fresques où le détail importe moins que la vue d’ensemble (« En une juste cause… »).

5. Asimov, pour un mâle du milieu du xxe siècle, considère les femmes avec une certaine modernité : il dénonce avec humour d’absurdes conventions sociales féminines (« Quelle belle journée ! »), utilise une biologiste prestigieuse pour personnage (« Hôtesse ») et mouche par deux fois le chantre de la bimbo décérébrée, Hugh Hefner, patron de l’institution Playboy (« L’Amour, vous connaissez ? », « Les Yeux ne servent pas qu’à voir »).

6. « Quelle belle journée ! » met de bonne humeur et donne envie de lâcher son écran pour aller faire un petit tour dans le bon air ensoleillé. Précieux.

7. Asimov était un visionnaire. La plupart de ces nouvelles le prouvent.

8. Tout en restant sérieux, Asimov fait rire. Ce qui est trop rare en SF (« La Machine qui gagna la guerre », « Personne ici, sauf… » entre autres).

9. Gilles Dumay, éditeur du présent ouvrage, n’a pu que souffrir en travaillant à cette réédition. Ne déclarait-il pas au site Actusf : « Asimov c’est la Barbara Cartland de la science-fiction, en moins littéraire » ? Ne laissons pas cet effort éditorial demeurer vain.

10. Nous avons tous dans notre entourage quelque adolescent qu’on aimerait initier à la SF. Par sa simplicité et son charme suranné, Quand les ténèbres viendront conviendra parfaitement à cette tâche et pourrait même réveiller le gamin qui sommeille en vous.

Bastards

Décidément, le « troisième âge » n’est plus ce qu’il était ! Trois jeunes voyous new-yorkais l’ont appris à leurs dépens lorsqu’ils ont tenté de dépouiller une vieille dame. Sans hésitation, à coups de sarcloir de jardinage et aidée de son chat caché dans son cabas, la mamie s’est débarrassée de ses agresseurs en deux temps trois mouvements. Trois cadavres dans les rues de la Grosse Pomme. Et ce ne sont pas les derniers, loin de là…

Ce fait divers, assez banal dans une aussi grande métropole, attire cependant l’attention d’Alexander Byrd, un jeune écrivain talentueux en panne d’inspiration. Son dernier ro-man semble l’avoir vidé. A moins que ce ne soit le Pulitzer qui l’a accompagné ? En tout cas, suivant les conseils de Colum McCann, il part à la poursuite de Cat-Oldie, cette mystérieuse vieille femme au chat — et ainsi relancer une lutte à mort entre services secrets… sans parler de forces incroyables de puissance comme de cruauté.

Délaissant les guerres menées avec les armées, les soldats, les chars d’assaut de Rainbow Warriors, Ayerdhal embarque son héros dans l’ombre des conflits sans existence officielle ; oubliant les couloirs de l’ONU et le continent africain, il concentre son action en un lieu mythique (New York) ; mettant de côté un certain réalisme, il tisse son récit d’un fil de magie piquée de mythes égyptiens. Tout cela donne naissance à un roman foisonnant, mené tambour battant et sans temps mort. D’ailleurs, la structure adoptée est celle des séries télévisées : des épisodes rapides à lire, avec une scène pré-générique et un cliffhanger. Ça va vite, trop vite parfois, et un léger retour en arrière est le bienvenu pour reprendre son souffle, faire le point sur les différents protagonistes et leurs buts.

Mais la sauce prend car l’auteur, en vieux (enfin, pas tant que ça) routier, connaît son affaire. Il sait multiplier les personnages, leurs liens, sans pour autant ralentir l’action. Il sait créer des êtres vivants, pas des caricatures. Cat-Oldie et sa famille nombreuse sont un régal : conflits générationnels, haines larvées, alliances fluctuantes. Tout y est, épicé par la présence de Bast et sa silhouette féline. De plus, on s’attache tellement à Alexander Byrd qu’on en oublie les invraisemblances d’une telle histoire, la facilité avec laquelle il se laisse embarquer dans ce déferlement. Enfin, Ayerdhal se fait plaisir, comme à son lecteur, en peuplant son roman de figures célèbres. Son héros a pour amis les écrivains Paul Auster et Siri Hustvedt. Norman Spinrad et, surtout, Jérôme Charyn mettent la main à la pâte et risquent leur vie pour aider Alexander. Et ce dernier rencontre Cat-Oldie devant la tombe de Houdini, dont l’ombre tutélaire plane en permanence sur le récit.

Bastards est d’abord un roman jouissif car il est vif et gourmand, foisonnant et intense. Ayerdhal parie sur le goût d’aventures et la culture littéraire de son lecteur, et il fait bien. New York, effrayante, se révèle un terrain de jeu idéal pour cette guerre froide entre le Bien et le Mal. Une lecture à conseiller,  même aux allergiques à la gent féline. 

Exquise planète

Exquise planète est un ouvrage collectif construit comme un « cadavre exquis » par les trois scientifiques et le romancier susnommés. L’idée de départ était de créer un monde scientifiquement crédible et d’y faire évoluer une biosphère afin de montrer la diversité des formes planétaires et biologiques possibles. A l’heure de la découverte d’exoplanètes toujours plus nombreuses, il n’était pas inintéressant de dépasser l’anthropocentrisme par l’exemple ; les quatre auteurs s’y attèlent.

Hasard du calendrier, Exquise planète est publié alors que nous venons de découvrir la planète Kepler 186f qui ressemble beaucoup à la Terre, mais encore plus à « l’exquise planète » avec une gravité de 0,9 et un soleil de type Naine rouge.

Bien qu’amusant avec sa description de la naissance d’un système planétaire puis d’un mécanisme évolutionnaire (cette partie 2 étant la plus réussie), le livre n’est guère convaincant en raison de la combinaison périlleuse entre un faible (166) nombre de pages et la technique du cadavre exquis qui découpe le texte en quatre parties consécutives mais brèves.

L’impression est celle d’un patchwork décousu, d’autant que la troisième partie, où sont imaginées des histoires alternatives à notre Terre, paraît hors sujet. Le livre se termine avec une nouvelle racontant un contact colons humains/autochtones dans lequel Bordage fait du Bordage.

On peut lire pour une première approche de l’évolution.

Les Vaisseaux d'Omale

Avec Les Vaisseaux d’Omale, Laurent Genefort poursuit sa visite du monde d’Omale, immense sphère de Dyson créée, il y a bien longtemps, par les mystérieux Vangks qui y exilèrent d’innombrables races intelligentes. Revenues, sous l’effet de l’isolation, à un niveau technologique bien inférieur à celui de leur arrivée, les races ou « reh » vivent sur de « Grandes Aires », adaptées à leur besoin physiologique, et doivent y cohabiter avec une ou deux voisines.

L’action des Vaisseaux d’Omale débute vers 1600 CC, alors que les « rehs » retrouvent la voie de la science et que les regards des savants se tournent de nouveau vers le ciel.

Après des siècles de guerre, le pacte de Loplad a garanti la paix entre les Humains, les belliqueux Chiles, et les très empathiques Hodgqins. En dépit d’un cosmopolitisme qui se développe, la méfiance n’a pourtant pas complètement disparu, et les préjugés, parfois exprimés violemment, demeurent ; néanmoins de grandes villes triples existent, et la coopération, entre scientifiques notamment, progresse.

C’est dans l’une de ces villes triples qu’un Aezir, membre d’une étrange race spatiale, propose aux trois « rehs » un rendez-vous, dans cinq ans, pour partir explorer les planétoïdes intérieurs de la Sphère et peut-être comprendre mieux ceux qui l’ont créée. Hasard programmé, des scientifiques hodgqins sont justement en train de terminer la mise au point de vaisseaux spatiaux. L’expédition sera conduite par une scientifique humaine à la passion dévorante, Ipis, qui va diriger d’une main de fer sa petite troupe d’Humains et d’Hodgqins — plus bigarrée encore par la suite — vers l’infini et au-delà, à la rencontre des Aezirs et d’un peu du secret des Vangks.

Les Vaisseaux d’Omale offre aux lecteurs une incursion en profondeur dans l’aire hodgqine, sans doute la « reh » restée la plus mystérieuse dans le « cycle d’Omale ». On y découvre un peuple bien plus loin de nous que ne le sont les Chiles : biotechnologie, reproduction à trois sexes, empathie si vive qu’elle pousse à « l’occultation », ce moment récurrent durant lequel les Hodgqins se ferment au monde pour intégrer les faits dans leur être. Le long voyage en gwilume, sorte d’engin steampunk entre train et téléphérique, permet au lecteur, à travers le regard d’Ipis, de découvrir un monde profondément étranger, par ses habitants comme par son écologie. La longueur de ce voyage fait bien sentir combien les humains quittent leur biotope et s’enfoncent dans celui des Hodgqins, êtres amicaux mais radicalement différents. A l’issue de ce trajet et de maintes tribulations, arrivés à la base spatiale, les membres de l’expédition et quelques pièces rapportées finiront par décoller, à bord d’un vaisseau bioformé bien artisanal, afin d’honorer leur rendez-vous et d’augmenter leurs connaissances en rencontrant des êtres encore plus étranges que tous ceux qu’ils connaissent.

Les Vaisseaux d’Omale est un roman d’aventure prenant. Il offre au lecteur une vraie occasion de dépaysement. Le texte est d’une lecture rapide, agréable, et il n’a pas de défaut rédhibitoire ; ce qui ne l’empêche pas d’en avoir d’ennuyeux. Privilégiant l’action, Genefort fait trop rapide. Les périls qu’affronte l’expédition surgissent puis sont résolus en quelques lignes, les personnages, mis à part Ipis, sont peu développés et disparaissent parfois longuement du texte lorsqu’ils n’ont pas de rôle à y jouer, certains fils, enfin, sont largement sous-exploités, au point qu’on se demande s’il n’aurait pas mieux valu s’en passer pour allonger le reste. L’impression d’ensemble est celle d’un très bon plan détaillé auquel manque encore du développement et de l’approfondissement. Il est rare de dire qu’un roman devrait avoir plus de pages ; c’est le cas ici.

Le Royaume de Dieu

[Critique commune à La Main tendueLe Royaume de DieuLe Pense-bête et Vent d'est, vent d'ouest.]

Entre février et mars 2014, la collection « Dyschroniques » du Passager clandestin nous a proposé pas moins de quatre titres signés par de grands noms de la SF américaine. Comme il se doit, ces titres sont d’une qualité et d’un intérêt très divers.

Le plus faible (en qualité, mais pas en intérêt) est sans doute celui de Poul Anderson. Il met en scène de façon molle et terriblement démonstrative une idée bien tranchante qui, en 1950, relevait de la formidable intuition. Anderson avait pressenti un des effets pervers de la mondialisation : qu’au xxie siècle il y aurait (au moins) un Starbuck’s café et un McDonald’s dans chaque grande ville de la planète. Evidemment, il décrit ici le phénomène à l’échelle de la galaxie.

« Le Royaume de Dieu » de Damon Knight est bâti lui aussi sur une idée formidable : un extraterrestre à trois jambes débarque aux USA et provoque un choc empathique à l’origine de décès et de diverses catastrophes. Le plus saisissant dans ce texte longuet, qui manque terriblement de crédibilité sur la fin, c’est d’y (re)trouver en concentré quasiment toute l’œuvre de Roland C. Wagner. On côtoie dans ce « Royaume de Dieu » l’humour particulier de Damon Knight et sa faiblesse assez coutumière en matière de narration. Malheureusement, la traduction française, infecte, n’a pas été purgée de ses plus grosses erreurs.

« Le Pense-bête » de Fritz Leiber, dans lequel on côtoie, non sans déplaisir, certains des tics d’écriture de l’auteur, son humour parfois voisin de celui de Fredric Brown, son personnage masculin principal typique, très proche de celui de Notre-Dame des ténèbres, ne restera pas dans les annales pour son originalité ou sa maîtrise narrative (sans parler de la traduction française : à dégueuler). Leiber prend son temps, se perd un peu dans cette histoire d’invention qui tourne mal et d’humanité qui vit sous terre. Pas désagréable, parfois surprenant, « Le Pense-bête » a surtout un intérêt historique — il ravira ceux qui se passionnent pour l’histoire de l’informatique vue à travers la SF et ses jalons, tels que « Un logique nommé Joe »Neuromancien ou Les Mailles du réseau.

« Vent d’est, vent d’ouest » de Frank M. Robinson est une histoire de terre polluée où il est interdit de fumer, de se promener en voiture (équipée d’un moteur à combustion interne), où les climatiseurs ne se contentent pas de climatiser l’air, ils le filtrent. Le texte est construit autour d’une petite enquête policière (qui ne tient pas vraiment la route, mais peu importe), enquête qui nous permet de découvrir cette horrifiante Californie asphyxiée façon Pékin aux heures de pointe. Le meilleur des quatre volumes critiqués ici (et aussi le plus récent de la sélection : 1972).

Voilà une collection qui continue d’être très intéressante, notamment en proposant des perspectives culturelles et historiques à chaque fin de volume, chouette idée, mais il faudrait que les traductions soient mieux relues, corrigées avec plus de vigueur, voire refaites pour les plus calamiteuses.

Vent d'est, vent d'ouest

[Critique commune à La Main tendue, Le Royaume de Dieu, Le Pense-bête et Vent d'est, vent d'ouest.]

Entre février et mars 2014, la collection « Dyschroniques » du Passager clandestin nous a proposé pas moins de quatre titres signés par de grands noms de la SF américaine. Comme il se doit, ces titres sont d’une qualité et d’un intérêt très divers.

Le plus faible (en qualité, mais pas en intérêt) est sans doute celui de Poul Anderson. Il met en scène de façon molle et terriblement démonstrative une idée bien tranchante qui, en 1950, relevait de la formidable intuition. Anderson avait pressenti un des effets pervers de la mondialisation : qu’au xxie siècle il y aurait (au moins) un Starbuck’s café et un McDonald’s dans chaque grande ville de la planète. Evidemment, il décrit ici le phénomène à l’échelle de la galaxie.

« Le Royaume de Dieu » de Damon Knight est bâti lui aussi sur une idée formidable : un extraterrestre à trois jambes débarque aux USA et provoque un choc empathique à l’origine de décès et de diverses catastrophes. Le plus saisissant dans ce texte longuet, qui manque terriblement de crédibilité sur la fin, c’est d’y (re)trouver en concentré quasiment toute l’œuvre de Roland C. Wagner. On côtoie dans ce « Royaume de Dieu » l’humour particulier de Damon Knight et sa faiblesse assez coutumière en matière de narration. Malheureusement, la traduction française, infecte, n’a pas été purgée de ses plus grosses erreurs.

« Le Pense-bête » de Fritz Leiber, dans lequel on côtoie, non sans déplaisir, certains des tics d’écriture de l’auteur, son humour parfois voisin de celui de Fredric Brown, son personnage masculin principal typique, très proche de celui de Notre-Dame des ténèbres, ne restera pas dans les annales pour son originalité ou sa maîtrise narrative (sans parler de la traduction française : à dégueuler). Leiber prend son temps, se perd un peu dans cette histoire d’invention qui tourne mal et d’humanité qui vit sous terre. Pas désagréable, parfois surprenant, « Le Pense-bête » a surtout un intérêt historique — il ravira ceux qui se passionnent pour l’histoire de l’informatique vue à travers la SF et ses jalons, tels que « Un logique nommé Joe », Neuromancien ou Les Mailles du réseau.

« Vent d’est, vent d’ouest » de Frank M. Robinson est une histoire de terre polluée où il est interdit de fumer, de se promener en voiture (équipée d’un moteur à combustion interne), où les climatiseurs ne se contentent pas de climatiser l’air, ils le filtrent. Le texte est construit autour d’une petite enquête policière (qui ne tient pas vraiment la route, mais peu importe), enquête qui nous permet de découvrir cette horrifiante Californie asphyxiée façon Pékin aux heures de pointe. Le meilleur des quatre volumes critiqués ici (et aussi le plus récent de la sélection : 1972).

Voilà une collection qui continue d’être très intéressante, notamment en proposant des perspectives culturelles et historiques à chaque fin de volume, chouette idée, mais il faudrait que les traductions soient mieux relues, corrigées avec plus de vigueur, voire refaites pour les plus calamiteuses.

Aucun homme n'est une île

« L’écrivain ne bandait plus.
Pas plus pour les femmes que pour les livres ou la vie en général
. » (p. 9)

Cet écrivain c’est Ernest Hemingway, Prix Nobel de littérature, grand amoureux de Cuba, de la guerre, de la chasse, de la pêche et de la tauromachie. Alors qu’il s’apprête à se faire sauter la cervelle avec son fusil de chasse, Hemingway apprend que les Américains viennent de débarquer à Cuba et qu’ils ont repoussé dans la jungle Fidel Castro et le commandante Guevara. Alors naît en lui une idée, un moyen de partir sur un dernier grand coup d’éclat : rejoindre les barbudos dans l’Escambray et interviewer Castro, qu’il connaît, et Guevara, qui le fascine. Mis au courant des projets de l’écrivain, la CIA lui colle aux basques un « photographe », Hooper, qui aura pour mission d’éliminer les deux chefs de la revolución. Le long voyage au cœur des ténèbres, d’abord en voiture, puis en bateau, peut commencer.

Avec Aucun homme est une île, Christophe Lambert tente d’une certaine façon de retrouver le succès commercial de La Brèche, qui doit être, encore aujourd’hui, son plus grand coup d’éclat en littérature adulte. Ici, le point de divergence de l’uchronie est l’annulation de l’opération de la (célèbre) Baie des cochons, et la mise au point d’un meilleur plan pour récupérer Cuba. Les débuts du roman sont époustouflants : le suicide avorté d’Hemingway, la rencontre à La Havane de l’écrivain et de l’agent de la CIA qui se fait passer pour son photographe, la partie d’échecs qui oppose Ernesto Guevara au cameraman Nestor. On est pris dans le récit, pris à la gorge, et on ne lâche pas. Puis vers la page 60 (sur 280) le roman entame son inexorable descente, rien de catastrophique, mais à l’exception du chapitre 22 (pp. 189 à 195 — qui n’est pas aussi réussi qu’il aurait pu l’être, en plus), on ne ressent plus cette puissance évocatrice, idéale, que Christophe Lambert avait su insuffler dans les premières pages, les premiers chapitres. Plus embêtant, le lecteur n’a de cesse d’être héliporté en pleine guerre du Viêt-Nam. Comment ne pas rapprocher la remontée du fleuve qu’entreprennent Hooper et Hemingway de celle d’Apocalypse Now, comment ne pas penser au Viêt-Nam quand interviennent les hélicoptères Huey ?

Aucune homme est une île pâtit sans doute d’être raconté dans l’ordre chronologique : la partie d’échecs aurait fait un dernier chapitre parfait. La critique peut sembler sévère ; elle est surtout injuste. Christophe Lambert a depuis longtemps toutes les armes pour signer un chef-d’œuvre (attendu, donc) ; pendant soixante pages, on a vraiment cru le tenir entre les mains.

Il n’y a rien de plus rageant qu’une belle allumeuse qui s’ennuie au lit.

Ça vient de paraître

À lire à ton réveil

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 118
PayPlug