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Ces choses que nous n'avons pas vues venir

C’est une vie qui s’écoule entre ces pages. Le narrateur est un enfant quand son père fuit la ville en prévision de la catastrophe millénariste qu’on avait annoncée. Il est un adolescent qui choisit de se débrouiller seul à la mort de ses grands-parents, dans une campagne isolationniste qui fait la chasse aux citadins en quête de nourriture. On le verra successivement fonctionnaire de la Gestion territoriale expulsant les gens menacés par des intempéries, chapardeur reclus au sommet de tours abandonnées ou caché dans une clairière, acoquiné avec une femme dont les ressources sont une garantie de survie, fonctionnaire délivrant des avantages à des réfugiés partant commencer une nouvelle vie, adepte du ménage à trois tant qu’il est bénéfique à sa sécurité, membre actif d’une communauté rurale, candidat à la citoyenneté d’un nouveau gouvernement basé sur l’engagement sincère et altruiste, guide touristique pour personnes en fin de vie.

Les causes de la catastrophe restent volontairement floues et varient au fil des chapitres : bug de l’an 2000, conflit politique, épidémie virale, modifications climatiques, de l’inondation à la sécheresse, perte de la fertilité masculine, versions qui entraînent chaque fois l’humanité sur une pente nouvelle. A la violence individualiste de la survie brute succèdent les rapports basés sur la méfiance quand sévit la maladie, sur la nécessaire union des forces dans une société en reconstruction, imposant une nouvelle partition de la cellule familiale lors du déséquilibre des sexes, etc. Si un lien se dessine, il est ténu, mais basé sur un lent et difficile redressement de la situation.

De même, chaque chapitre esquisse un tableau sans lien avec les précédents. On y retrouve le narrateur dans une situation nouvelle qui n’est pas explicitée, de laquelle on n’obtient que par déductions progressives un maigre aperçu du monde extérieur. Le lecteur n’est guère plus informé que des réfugiés débarquant dans un foyer de civilisation lui-même coupé du reste du monde. Mais peu importent les causes et le tableau d’ensemble. Connaître davantage la situation est sans intérêt quand la survie immédiate est en jeu.

Dans La Route, de Cormac McCarthy, la désolation est si accablante qu’elle conduirait au désespoir le plus absolu s’il n’y avait cet enfant pour lequel le père s’acharne à poursuivre son chemin. L’impression que le lecteur finit par retirer du présent roman est celle d’un monde réduit à l’essentiel, où le sens s’est perdu, mais qui finira par se redresser, peu importe comment ou à quel prix. On devine qu’il y aura de nombreux laissés-pour-compte. Le narrateur est un peu le miroir de nos sociétés foncièrement égocentriques, où l’individu est davantage préoccupé par son bien-être que celui de ses proches. Probablement aurait-il péri s’il n’avait été cet égoïste forcené, uniquement préoccupé par sa sécurité. Mais comme bien d’autres, c’est en fin de parcours qu’il mesure les errances de son individualisme et découvre que la sincérité, l’empathie et l’amour, à défaut de garantir la survie, aident à vivre. Il n’y a cependant nul jugement dans ce constat, juste une conclusion à laquelle, forcément, on parvient, peut-être en retrouvant l’image du père aimant et protecteur, fait pour dispenser réconfort et soulagement autour de lui.

Dans le registre de la science-fiction light comme il s’en publie hors collection spécialisée, qui a de l’Apocalypse une approche moins cérébrale mais plus sensitive, ce roman, le premier de son auteur, est une bonne surprise.

Itinéraires nocturnes

Sous la belle illustration de Martine Fassier — une boussole où les points cardinaux laissent place à des signes cabalistiques —, ce volume d’une taille raisonnable rassemble bien l’intégrale des nouvelles de Tim Powers : douze textes publiés en vingt-cinq ans. Mais si l’écrivain se montre plus prolifique sur la longue distance du roman, moindre quantité ne rime pas avec piètre qualité, et c’est un superbe recueil que propose Denoël.

Dès « Vers le bas de la colline », le décor est planté : la Californie de nos jours ou du moins d’une époque parallèle qui ressemble à la nôtre, et une galerie de personnages décalés, présentés de telle sorte que le lecteur les prendra sans doute d’abord pour des vampires. Puis « Turbulences » aborde le thème qui va devenir le plus constant, celui du fantôme, ou pour être moins limitatif, celui de la hantise. « La Better Boy », première de trois collaborations avec l’ami et le collègue de longue date, James Blaylock, poursuit dans la même veine (si l’on peut dire, la Better Boy en question étant… une tomate), tandis que « Par longs chemins », autre nouvelle cosignée, se révèle un étonnant conte de Noël.

Par parenthèse, Powers ne fait pas mystère de sa foi chrétienne, et celle-ci, plus encore que dans ses romans, je trouve, infuse ses nouvelles et les enrichit de subtile façon (et c’est un agnostique qui parle).

Les textes se succèdent — je ne les citerai pas tous —, créant des échos charmeurs entre diverses situations émouvantes, et il apparaît que l’auteur a raffiné son art de conteur, sa maîtrise de la narration, au point qu’entre les trois qui concluent cette intégrale, « Le Réparateur de bibles », « Une âme dans une bouteille » et « L’Heure de Babel », je serais bien en peine de choisir mon préféré. Au fil de ce sommaire, on aura admiré un talent unique, brouillant volontiers les frontières entre les genres ; le fantastique, qui prédomine, se mêle ainsi, à l’occasion, de science-fiction, notamment de voyage ou de glissement temporel.

Tim Powers, sous des dehors un peu sages, aime à dynamiter le réel en des explosions ralenties. Faire d’une pareille entreprise de démolition une série d’œuvres d’art, c’est un pari, pleinement réalisé ici.

Évadés de l'enfer

Si Ted Chiang et Clive Barker collaboraient sur un scénario filmé par John Carpenter pour la série Supernatural, le résultat ressemblerait à ce roman.

La référence au cinéaste américain n’est pas fortuite. Escape from Hell !, titre original du livre, évoque clairement Escape from New York — en français New York 1997 (et pour les plus jeunes d’entre vous : non, il ne s’agit pas d’un film historique). Duncan pousse l’hommage jusqu’à reprendre la structure même du film : il s’agit bien de fuir un lieu clos, une vaste prison.

L’intrigue suit quatre personnes : un clochard, Eli (l’allusion au prophète biblique n’est pas innocente), une pute, Belle, un tueur à gages, Seven (merci David Fincher ; rappelons que ce film-là se basait sur les sept péchés capitaux) et un jeune gay, Matthew (forme anglaise du nom de l’Evangéliste qu’on appelle en français Matthieu). Morts de mort violente, ils ont abouti, par un même bac, en Enfer.

Pourquoi sont-ils là ? Pour un mécréant comme moi (et, j’imagine, Hal Duncan), seul Seven paraît justement condamné — Eli s’est suicidé après avoir perdu sa famille, son travail, bref, effectué sa propre descente aux enfers, Belle est une victime avant tout, et Matthew a pour seul tort d’aimer les garçons. Mais de fait, selon une lecture littérale de la Bible, ils méritent tous leur châtiment.

Et l’Enfer décrit n’a rien de commun avec la vision quasi-romantique que peuvent offrir des traitements aussi différents que la mythologie gréco-romaine, l’œuvre de Dante ou le Manuel des plans de ce bon vieux D&D. Non, le Monde souterrain croqué au fusain et au sang par l’écrivain écossais ressemble au nôtre, en un peu plus cruel, injuste et vulgaire. On y « soigne » Matthew. Eli découvre qu’il comprend des exclus. Belle s’y retrouve violée à répétition, et exploitée par un flic ripou. Et Seven… passons. Quant à l’équivalent halluciné de la téléréalité dans cet univers-là, il faut le voir (pardon, le lire) pour le croire.

Nos quatre protagonistes, qui révolté, qui pressé par le hasard, vont unir leurs forces pour s’échapper. Chemin faisant, ils dénicheront un allié de poids et découvriront l’identité du vrai maître des Enfers. J’avoue : j’en ai ri de plaisir.

Ludique et barré, mais ciselé et plus profond qu’il n’y parait, Evadés de l’enfer ! a la séduction canaille. Duncan lui prévoit deux suites. Prions (si j’ose dire) pour qu’il leur donne bientôt chair et encre.

Le Châtiment des flèches

Dans le roman historique Le Prince et le moine de Róbert Hász (Viviane Hamy - 2007), on découvrait la Hongrie du Xe siècle grâce au voyage d’un moine bénédictin, Stéphanus de Pannonie, missionné par le pape pour rencontrer les tribus magyars et tenter de les fédérer contre un empire germanique en pleine expansion.

Le Châtiment des flèches de Fabien Clavel nous ramène, mais par le biais de la fantasy, à la même période, aux mêmes tribus de la puszta (nu, vide — la steppe, pour parler clairement) et à la même sphère de problématiques politico-religieuses. Si dans le livre de Hász le combat qui opposait les chamanes magyars à l’Eglise catholique était avant tout spirituel et philosophique, chez Clavel il en va tout autrement, fantasy oblige. Là où Hász s’intéressait principalement au voyage de Stéphanus de Pannonie, Clavel recule sa caméra et embrasse tout un territoire, toute une période historique, s’éloignant ainsi, autant que faire se peut, de l’habituelle fantasy pseudo-celtique.

Une fois passées les premières pages, franchement médiocres, Le Châtiment des flèches s’impose comme une jolie surprise : il se dévore (je me suis surpris à en lire la moitié le premier soir), les personnages sont globalement réussis (une mention à Gisela, fascinante enfant plongée par un mariage dans la violence du monde adulte), les scènes d’action aussi, ainsi que certaines scènes d’ambiance (la découverte de la tente de la chamane).

Malheureusement, outre les calamiteuses premières pages, il reste quelques défauts au niveau de l’écriture et de la narration, écueils qui nous font regretter que la direction littéraire de l’ouvrage n’ait pas été plus énergique.

a) Les dialogues sont parfois théâtraux et didactiques jusqu’au ridicule ; l’auteur ne nous inflige pas une langue ancienne réinventée (Dieu merci !), mais n’arrive pas toujours à trouver le ton juste qui permettrait au lecteur de se fondre dans l’époque décrite et de s’y installer (le même défaut caractérisait Tancrède d’Ugo Bellagamba, ce qui n’a pas empêché ledit Tancrède d’avoir deux prix à défaut de connaître un véritable succès commercial). A la décharge de Fabien Clavel, on dira que rien n’est plus dur en littérature que de trouver justement ce « ton juste », cette musique.

b) L’auteur hésite, surtout au début, entre le point de vue omniscient didactique (très scolaire, ringard) du roman historique à l’ancienne, et une narration plus moderne, plus légère, plus fantasy, où alternent les scènes à défaut des points de vue.

c) Le style, hétérogène, pique un peu les yeux, notamment lors des passages de descriptions de rivière dans lesquels l’auteur franchit allégrement le fossé qui sépare le magnifique du grotesque.

En l’état, Le Châtiment des flèches est un solide divertissement et marque un jalon décisif dans la carrière d’un auteur qui n’a de cesse de progresser sans être encore arrivé à pleine maturité. Ceux qui s’intéressent vraiment à la Hongrie des XXIe siècles préféreront l’ouvrage de Róbert Hász. Ceux qui veulent lire une fantasy francophone différente peuvent sans trop hésiter se plonger dans cet ouvrage original aux défauts mineurs et aux souffles historique et fantastique bel et bien présents.

Zone Est

En moins de cinq ans et essentiellement trois romans, parus au Diable Vauvert et à la « Série Noire » chez Gallimard, Marin Ledun a déjà acquis une réputation flatteuse dans le domaine du polar. Bien qu’étiqueté thriller, son dernier livre en date, Zone Est, relève quant à lui de la science-fiction. L’auteur avait déjà titillé le genre dans Marketing viral, où il était beaucoup question de biotechnologies et de nanosciences développées dans des buts peu avouables, et même si l’intrigue faisait parfois usage de ficelles assez grosses pour amarrer une péniche, le roman proposait quelques développements intéressants sur le sujet. Cette fois, Ledun franchit le pas sans retenue en situant son action trente-cinq ans dans le futur, après qu’un nanovirus a décimé une bonne partie de la population mondiale. Dans l’ancienne vallée du Rhône, désormais ceinte d’une muraille infranchissable, trois millions de personnes survivent tant bien que mal en multipliant les injections de vaccins, les greffes d’organes artificiels et de prothèses diverses. Thomas Zigler est de ceux-là. Il subsiste en vendant ses services aux plus offrants : piratage informatique, vol, filature, il ne s’embarrasse guère de considérations morales lorsqu’il s’agit d’assurer sa survie. Moins il en sait sur les objectifs réels de ses commanditaires et mieux il se porte. Pourtant, lors de sa dernière mission, il ne peut ignorer la découverte qu’il a faite en délestant de sa mémoire l’homme qu’on l’a chargé de retrouver : l’image d’une femme sans aucune prothèse, une humaine biologique, venue de l’autre côté du mur. Une impossibilité absolue, à moins que tout ce que Thomas a toujours su de la Zone Est ne soit un mensonge.

Même avec la meilleure volonté du monde, il n’y a pas grand-chose à sauver de ce roman. Pas son univers, qui ne tient pas debout un instant. Les origines de la Zone Est sont bâclées en quatre pages, sans qu’on sache comment l’immense muraille qui l’entoure (deux cent vingt kilomètres de long sur quatre-vingt de large tout de même) a été bâtie, ni surtout à quoi elle était censée servir à l’origine. Du coup, toute l’organisation sociale qui en découle apparait arbitraire et sans le moindre fondement. Ledun tentera bien quelques explications supplémentaires dans les dernières pages, à ce point invraisemblables que même son narrateur ne pourra les prendre au sérieux, concluant par un lumineux « un enfant de quatre ans ne pourrait avaler une couleuvre pareille ! ». Effectivement.

L’intrigue est à peine moins mal fichue. Les évènements semblent parfois s’enchainer dans la plus grande improvisation, accumulant les scènes d’action répétitives et vaines, certains protagonistes changent leurs motivations au gré des besoins de l’auteur, et les incohérences ne manquent pas. Il est ainsi amusant de voir le narrateur perdre deux doigts et une phalange au cours d’une fusillade, puis, quelques minutes plus tard, escalader à la corde un mur de plusieurs dizaines de mètres de haut tout en flinguant à tout va ses adversaires postés aux fenêtres.

La description de ce monde clos post-apocalyptique, avec ses créatures mutantes, ses cyborgs et ses décors sordides a un côté paradoxalement assez désuet, une esthétique années 80 empruntant dans le meilleur des cas aux univers les plus sinistres de Druillet, et le plus souvent aux nanards futuristes du cinéma-bis italien de l’époque. On pense aussi aux quelques tentatives cyberpunk auxquelles une poignée d’auteurs français s’est essayée il y a une vingtaine d’années, sans succès. Dans le genre, Marin Ledun est encore moins convaincant.

Tout cela est d’autant plus triste que le roman aborde des thèmes tout à fait dans l’air du temps : les manipulations de l’industrie pharmaceutique, un système qui s’emballe et échappe à tout contrôle, difficile d’être plus dans l’actualité. Sauf que la volonté de dénoncer de l’auteur, aussi sympathique soit-elle, ne s’appuie que sur du vide, une construction dépourvue de toute vraisemblance et un pire fantasmé sans le moindre lien avec la réalité. On l’aura compris : Zone Est est un ratage complet.

Les Yeux d'opale

Imaginez deux mondes que tout oppose. D’un côté Opale, univers médiéval/féodal classique, où le clergé occupe une place prépondérante et où une partie de la population, les chimars, est méprisée, voire persécutée à cause de ses différences physiques. De l’autre Onyx, planète prospère bénéficiant de technologies très avancées et entièrement gérée par des IA. Une société paradisiaque pour les uns, libres de vivre dans l’oisiveté et l’insouciance, une dictature du bonheur insupportable pour les autres, qui n’en peuvent plus d’être sans cesse infantilisés par les entités virtuelles chargées de veiller à leur bien-être. C’est le cas d’Angus et de son père, Vince. Avec quelques autres, ils prennent place à bord d’un vaisseau devant les conduire sur une nouvelle planète à coloniser. Mais durant le voyage, ils s’emparent de l’appareil et neutralisent son IA. Les voici désormais libres de s’installer où ils veulent, loin de l’univers qui les a vus naître. Sauf que les choses ne se passent pas exactement comme prévu et que c’est sur Opale que leur vaisseau s’écrase. Et c’est ainsi que deux mondes que tout oppose se rencontrent.

Pour son premier roman, Bénédicte Taffin refuse de choisir entre science-fiction et fantasy et préfère mélanger les deux genres, tout en rendant hommage aux auteurs qui l’ont fait rêver, de Frank Herbert à Marion Zimmer Bradley. Les deux univers qu’elle met en scène n’ont certes rien de très original, mais ils constituent un cadre confortable qui lui permet de déployer tous ses talents de conteuse. Et ils ne sont pas de trop pour mener à bien un projet de sept cent pages sans baisse de régime notable. De ce point de vue, le pari est remporté haut la main.

On sent l’auteur plus à l’aise lorsqu’il s’agit de décrire le monde bigarré et somme toute assez sensuel d’Opale, plutôt que celui aseptisé d’Onyx. Ça tombe bien, c’est là que l’essentiel du récit va se dérouler. L’intrigue principale se concentre sur le royaume de Kindar, et plus particulièrement sur l’histoire de la fille de son souverain, Héléa. Née d’une mère chimar, elle est mal vue par l’entourage de son père, le clergé local et les monarques voisins. Aussi, lorsque le roi meurt brusquement et que son frère disparaît, beaucoup refusent de la voir monter sur le trône. Alors que la situation devient pour elle intenable, l’arrivée inattendue des Onyxiens va tout remettre en question.

Héléa est un personnage intéressant et attachant. Plongée brutalement dans une situation à laquelle elle n’était pas préparée, et qui ne va cesser d’évoluer de manière inattendue, elle réagit le plus souvent avec une grande lucidité et s’impose petit à petit dans un rôle auquel elle n’était pourtant pas destinée. De l’enfant privilégiée qu’elle était, il lui faut s’affirmer comme une adulte responsable, amenée à jouer un rôle crucial dans l’histoire de son monde.

A bien des égards, les Onyxiens dans leur ensemble font figure de grands enfants. Choyés et protégés depuis toujours par leurs IA et les robots qui les entouraient, les voilà confrontés à un monde sauvage dont ils ignorent les règles. Même un phénomène aussi naturel qu’une grossesse leur est tout à fait étranger et constitue à leurs yeux une chose répugnante. Là aussi, face à une série de dangers de plus en plus mortels, il leur faudra très vite grandir, et beaucoup n’y survivront pas.

Les chimars jouent un rôle important dans le récit. Considérés par le reste de la population comme des démons, il s’agit en réalité de mutants, dont les particularités physiques peuvent prendre de très nombreuses formes, s’apparentant même dans certains cas à des superpouvoirs (invisibilité, téléportation, etc.). Lorsqu’elle les met en scène, Bénédicte Taffin fait d’eux des sortes de X-Men médiévaux, un rôle sans doute incongru mais plutôt amusant dans l’utilisation qu’elle en fait.

Au terme de ce roman, nombre de questions restent en suspens, et de nouvelles pistes sont lancées. Autant dire qu’il y aura un deuxième tome aux aventures du royaume de Kindar, et sans doute plus si affinités. Par ses thématiques et le classicisme de son univers, Les Yeux d’Opale s’adresse avant tout à un public jeune. N’empêche que, même aux âges avancés qui sont les nôtres, il n’est pas interdit d’y trouver un authentique plaisir de lecture, et de reconnaitre en Bénédicte Taffin une conteuse de grand talent.

La Vie sexuelle des super-héros

En règle générale, littérature et super-héros ne font pas bon ménage. Hormis une poignée de réussites comme la nouvelle « Ubermensch ! » de Kim Newman, les tentatives sont peu nombreuses et rarement concluantes. Dernier à s’y être cassé les dents, Austin Grossman, dans son roman Un jour je serai invincible, se montrait incapable de choisir entre relecture moderne à la Watch-men et hommage naïf à l’âge d’or du genre.

Publié dans la prestigieuse « NRF » des éditions Gallimard, La Vie sexuelle des super-héros de l’Italien Marco Mancassola nous est vendu comme une « vaste fresque post 11 septembre » (de nos jours, la moitié des romans qui paraissent sont de vastes fresques post 11 septembre. Il serait temps qu’un éditeur courageux ose enfin publier le premier livre de recettes de cuisine ou de conseils en bricolage post 11 septembre) et comme « le récit de la fin d’un monde, celui des super-héros, et d’une civilisation ». C’est dire si on n’est pas là pour rigoler avec des andouilles bariolées portant leur slip par-dessus leur justaucorps.

La particularité de ce roman est de mettre en scène de véritables super-héros, dont même les non lecteurs de comics auront sans doute déjà entendu parler : Batman, Superman, Mr. Fantastic, Mystique ou Namor. L’idée est a priori séduisante. En réalité, les personnages de Mancassola ne partagent guère que le nom et quelques vagues superpouvoirs avec ceux dont ils sont censés s’inspirer. Dans le cas de Batman, on est même tenté de mettre l’erreur de casting sur le compte d’une coquille, tant le portrait qui nous en est fait rappellerait plutôt Jason Bateman, le héros d’American Psycho.

Le roman se déroule vingt ans après que les super-héros sont passés de mode et que tout ce petit monde s’est diversement reconverti : Mr. Fantastic est consultant pour la NASA, Mystique et Namor animent un show à la télévision, Superman tente de passer le flambeau à la nouvelle génération. Tous sont de vieilles gloires et ont troqué leurs aventures épiques contre de ternes existences. Et sexuellement les choses ne vont guère mieux. L’ancien leader des Quatre Fantastiques s’est entiché d’une jeune femme de trente ans sa cadette, Batman, après la mort de son amant Robin, enchaine les conquêtes d’un soir, Mystique se cantonne aux plaisirs solitaires. Allant du pathétique au sordide, leurs peines de cœur laissent sourdre une profonde lassitude qui va très vite contaminer l’ensemble du roman et provoquer chez le lecteur bâillements et soupirs.

Quel objectif espérait atteindre Mancassola avec ce livre ? Briser quelques tabous ? Voilà plus de quarante ans que les super-héros se marient et font des enfants, vingt ans qu’ils révèlent en public leur homosexualité. Et pour ce qui est des pratiques moins avouables — le supposé clou du spectacle ici est un fist-fucking pratiqué tout en délicatesse sur Batman —, on se tournera plus volontiers vers l’œuvre du scénariste Garth Ennis qui, de The Pro à The Boys, n’aime rien tant que de leur faire subir les derniers outrages.

L’auteur ne semblant pas porter le moindre intérêt à l’univers des comics, on se demande pourquoi avoir choisi de mettre en scène de tels personnages, plutôt que quelques stars déchues des médias ou du show-biz. D’ailleurs, la seule partie du roman qui fonctionne est celle délaissant les super-héros pour s’intéresser à l’histoire d’une mère de famille ordinaire sacrifiant sa vie à ses enfants. Dans cette partie, Mancassola parvient enfin à sortir le lecteur de sa torpeur et à éveiller quelques émotions.

D’une pauvreté d’imagination affligeante, pas spécialement bien écrit, La Vie sexuelle des super-héros se lit au mieux avec un ennui poli, du genre dont il est nécessaire de s’armer pour aller prendre le café chez mémé un dimanche après-midi de novembre.

Les Loups de Prague

On avait découvert Olivier Paquet à la fin des années 90 dans les pages de Galaxies, où il publia une demi-douzaine de textes dont le très réussi « Synesthésie », Grand Prix de l’Imaginaire 2002 catégorie nouvelles. L’année suivante, Jacques Chambon publiait dans la collection « Imagine », chez Flammarion, son premier roman, Structura Maxima, qui vaut avant tout pour l’originalité de son univers, un monde clos empruntant son esthétique au mouvement futuriste italien du début du XXe siècle. Un démarrage prometteur, donc, mais depuis l’auteur semblait avoir mis de côté ses activités littéraires, et il aura fallu patienter huit ans avant de le retrouver en librairie.

Les Loups de Prague se déroule dans un futur indéterminé, à une époque où les nations ont disparu au profit de Villes-Etats. A Prague, une dictature militaire est en place depuis huit ans, appuyant son pouvoir sur une technologie de pointe. Vaclav, journaliste à la télévision locale, a rejoint un groupe de résistants baptisé VIRUS. Au cours d’une action terroriste qui tourne mal, il tombe sur des membres de la Guilde du crime, l’organisation qui régnait sur la ville avant l’arrivée de l’armée. Miroslav Vlk, leader du clan des loups, invite Vaclav à réaliser un reportage sur lui et ses hommes.

Dans un premier temps, la situation que nous décrit l’auteur semble familière, les rôles de chacun clairement définis : un pouvoir totalitaire d’un côté, une force d’opposition de l’autre. Mais, à travers le regard de Vaclav, on découvre au fil du récit des enjeux plus sibyllins et des protagonistes aux motivations plus ambiguës. Paquet s’intéresse en premier chef à la Guilde et aux différents clans qui la composent, en particulier celui des loups. Ses membres n’ont rien de révolutionnaires idéalistes : leur unique ambition n’est pas de libérer Prague mais d’en reprendre le contrôle afin de poursuivre leurs activités criminelles. La Guilde constitue une organisation complexe, obéissant à des règles immuables fondées sur l’honneur et une stricte séparation des rôles de chacun, et où les rapports de force entre ses différents composants aboutissent parfois à des règlements de compte sanglants. Les clans eux-mêmes sont structurés selon une hiérarchie précise, et ses membres empruntent leur comportement à l’animal-totem qui symbolise leur groupe. La plupart des personnages que l’on croise sont ainsi réduits à quelques traits de caractères semblables, primaires, et l’auteur peine à les distinguer les uns des autres. Mais lorsqu’il accorde davantage de place à certains d’entre eux, comme c’est le cas pour Miroslav et sa compagne Plume, il parvient à leur donner une consistance bienvenue.

Les Loups de Prague souffre néanmoins de plusieurs défauts gênants, à commencer par son personnage central, Vaclav. Présenté dans un premier temps comme un grand reporter et opposant politique au régime en place, il se révèle très vite être un individu veule, fade, changeant de point de vue au gré du vent ou des pressions qu’il subit. Sa présence est d’autant plus agaçante que son regard candide sur les évènements n’apporte pas grand-chose à l’histoire et à la manière dont nous pouvons la percevoir.

Plus ennuyeux, le romancier gère assez mal les révélations concernant Prague et la manière dont les militaires l’ont transformée de manière radicale. L’auteur ne s’intéresse pas à ses habitants, vagues silhouettes atones à peine présentes dans le récit — même la femme et le fils de Vaclav n’ont aucune existence —, mais à la métamorphose de la ville en un organisme inédit. Très tôt dans le récit, l’auteur évoque l’existence du projet Gaïa, et l’on comprend que cette expérience est liée au drame personnel qu’a vécu le leader de la Guilde, la mort de sa fille. Mais la nature exacte de cette expérience et ses effets concrets dans toute leur démesure n’apparaissent que dans le dernier tiers du livre. Tout à coup, la ville cesse d’être le décor terne et anonyme décrit jusqu’alors, et l’écriture de Paquet se met au diapason, donnant une vision toute autre de cet univers. Dommage que ce changement soit si tardif. A croire que l’auteur lui-même, à force de tâtonnements, n’est parvenu à cerner le véritable propos de son histoire que dans ses derniers chapitres.

Les Loups de Prague n’est pas un mauvais roman, il a du rythme et quelques belles idées. Mais en l’état, il a un fort goût d’inachevé, et l’on reste sur l’impression d’être passé à côté d’un très bon livre.

Bankgreen

Après sept romans, deux recueils de nouvelles et plus de vingt ans d’écriture, Bankgreen marque une évolution importante dans la carrière de Thierry Di Rollo. Après la science-fiction, le fantastique et le roman noir (lorsque vous lirez ces lignes sera paru son second polar et premier « Série Noire », Préparer l’enfer), il s’attaque ici pour la première fois à la fantasy, et le résultat est tout à fait étonnant, car sa manière d’aborder le genre est très différente de son approche de la S-F. Alors que dans un cas, en fin connaisseur du genre, il lui suffisait d’un roman à l’autre de recycler les mêmes tropes pour donner corps à ses visions d’avenir, ici au contraire il fait montre d’une candeur inattendue et ignore tous les poncifs propres à la fantasy, donnant ainsi naissance à un univers aussi unique que riche.

Parmi les nombreux personnages qui habitent ce roman, le premier d’entre eux est Bankgreen, monde sauvage, immense, partagé entre un continent unique — Pangée — et une mer en grande partie inexplorée — GrandEau. Y cohabitent plus ou moins bien (plutôt moins) plusieurs races : les Digtères et les Arfans, les deux principales cultures à s’y être développées, en constante rivalité ; les Shores, esclaves consentants des deux autres peuples ; les Katémens qui, pour ne pas subir le même sort, se sont réfugiés à bord du Nomoron, navire à la fois fabuleux et cauchemardesque — comme si les sept cercles de l’Enfer de Dante avaient trouvé refuge dans les cales du Nauti-lus — sillonnant GrandEau ; les énigmatiques êmuls qui ont accompagné les Katémens dans leur exil maritime ; et les Runes, aussi vieilles que le monde lui-même, observant et manipulant sans cesse tout ce petit monde. A cela s’ajoutent une faune et une flore des plus exotiques.

Et puis il y a Mordred, le dernier des va-raniers, un être que beaucoup croient im-mortel sous l’armure qu’il ne quitte jamais, arpentant sans relâche ce monde qui n’est pas tout à fait le sien, semant dans son sillage chaos et destruction. Mordred a le pouvoir de savoir comment ceux qu’il croise vont mourir, et ce n’est jamais de manière paisi-ble.

« Sur Bankgreen, tout a une raison », répètent à l’envi ses habitants. Il est vrai que le hasard tient peu de place dans les évènements qui nous sont décrits. L’intrigue déroule un plan minutieusement élaboré, dont les ramifications s’étendent sur près de deux siècles, et où la plupart des protagonistes jouent leur partition sans être conscient des réels enjeux en cours. Le roman raconte la fin d’un cycle, à l’échelle de la planète, et l’histoire de ceux qui l’ont mené à son terme.

La mort est omniprésente dans Bankgreen. Brutale le plus souvent, subite, inévitable. « La mort répond à la première et à la dernière des logiques, celle de la nécessité. » Mais c’est toujours à son aune que chaque personnage définit ce qu’est sa vie. Et pour chacun elle revêt une signification différente : paradoxale pour Mordred, issu d’une race de quasi immortels et pourtant dernier de ses représentants ; absurde pour les membres de l’escorte initiatique qui l’accompagne, obligés de s’entretuer afin que le dernier d’entre eux puisse connaître un sort tout aussi funeste ; source inépuisable de haine pour Niobo, l’enfant que Mordred a pris sous son aile après avoir tué ses parents ; obsédante pour Silmar, le capitaine du Nomoron, qui a pourtant encore plusieurs siècles devant lui. Des Shores qui s’épuisent dans les mines aux Runes dont la longévité ne se mesure pas, les habitants de Bankgreen ne sont pas plus égaux devant la mort que devant la vie, et chaque espèce vit dans un rapport au temps différent. Mais pour tous le temps avance, celui des changements proches et irréversibles. Sur Bankgreen, tout a une raison, parce que tout a une fin.

Par-delà la noirceur de Bankgreen, on éprouve pourtant une véritable jubilation à sa lecture. En creux, le roman est aussi une ode à la vie, dans toute sa variété et sa luxuriance. D’une écriture toujours aussi précise et affutée, Thierry Di Rollo nous donne à voir un monde d’une incroyable richesse, sauvage et envoutant. Plus qu’un simple cadre aux aventures qui s’y déroulent, il est le personnage central du roman, en même temps que le terrain de jeu idéal pour permettre au romancier de déployer tous ses talents. Je serais surpris que cette rencontre s’arrête là.

Utopiales 2010

C’est la deuxième année que les jeunes éditions ActuSF, via leur collection « Les Trois souhaits », prennent en charge l’anthologie officielle du festival des Utopiales de Nantes, et, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’affiche est belle.

Enfin, l’affiche…

Entendons-nous bien : le programme. Sûrement pas la couverture scato-phallique et vomitive d’un Philou Druillet qu’on a quand même connu nettement plus en forme (aux environs du XIVe siècle).

Non, non, le programme, donc ; voyez plutôt : Juan Miguel Aguilera, Thomas Day, Vincent Gessler, Ian McDonald, Justine Niogret, Larry Niven, Lucius Shepard et Peter Watts, c’est tout de même plutôt alléchant. Du beau monde.

On ne félicitera par contre guère ActuSF pour ce qui est du travail éditorial, qu’on qualifiera gentiment de « léger », et ce dès la quatrième de couverture, qui fait, au choix, de Thomas Day ou de Justine Niogret un anglo-saxon… Première d’une série de petites boulettes un brin gênantes, même si pas insurmontables la plupart du temps : Ian McDonald que l’on tient à prénommer Iain, Peter Watts dont la nouvelle « Les Choses » se voit traduite par « La Chose » au prix d’un contresens fâcheux (bravo Roland Wagner), ou encore, gag, comme si les présentations des auteurs n’étaient pas déjà assez succinctes comme ça (généralement, cinq lignes et hop !), des oublis, ainsi dans celle de Larry Niven (p. 96), pour lequel on annonce « une mythique phrase d’ouverture : »… qu’on ne lira jamais. Sans parler, bien sûr, des coquilles, relativement nombreuses. Bref, pas terrible sous cet angle, pour le moins.

Mais heureusement il y a les textes, et, autant le dire de suite, le niveau est dans l’ensemble bon à très bon (si l’on excepte la préface de Pierre Bordage, dont on ne retiendra pas grand-chose, si ce n’est quelques louables intentions anti-ghettoïsantes). Le thème, « Frontières », était pour le moins vaste, et susceptible de très nombreuses interprétations ; il n’a du coup guère constitué une contrainte pour les auteurs, et, pour y rattacher les nouvelles, il faudrait parfois se livrer à un petit exercice de capillotraction… Mais peu importe au final, tant c’est la qualité qui prime.

Commençons par les textes les moins intéressants du lot — relativement —, qui n’ont cepen-dant rien de dégradant. Ainsi du texte d’ouverture, la longue nouvelle de Vincent Gessler — doublement primé lors du festival pour son premier roman Cygnis  — intitulée « Miroirs du ciel ». Une science-fiction de paysages et de mœurs, qui fait penser plus qu’à son tour à Jack Vance et surtout Ursula K. Le Guin par sa dimension ethnologique… mais la comparaison, sans surprise, joue un peu en défaveur du jeune auteur suisse, quand bien même le texte reste d’une lecture agréable et riche en images fortes. On classera de même parmi les textes simplement bons celui de Juan Miguel Aguilera, « La Fête de la comète », qui nous plonge dans les jours sombres de l’Allemagne hitlérienne, avant la seconde Guerre mondiale : joli cadre (le Bauhaus, les duels, etc.), très bien utilisé, mais la nouvelle n’en est pas moins un peu frustrante. Celle de Larry Niven, « Reviens, Carol ! », tranche sur le reste du recueil par sa dimension old school franchement assumée, qui peut désarçonner les lecteurs les moins indulgents ; mais, sous ses dehors farfelus, cette histoire de téléportation contient de vraies bonnes idées de science-fiction et mérite en définitive le détour. Quant à la nouvelle de Justine Niogret, « Les Rivages extrêmes de la mer intérieure », on ne lui confèrera certes pas le prix de l’originalité foudroyante — une civilisation post-apocalyptique souterraine… —, mais elle reste des plus lisibles, très visuelle, et en fin de compte tout à fait convaincante.

Jusque-là, c’est déjà bien. Mais il y a mieux encore. A commencer par Peter Watts, dont « La Chose » (voir plus haut…) est un hommage bienvenu au film éponyme de John Carpenter — probablement son chef-d’œuvre, soit dit en passant —, vu cette fois à travers les yeux de la créature extraterrestre. C’est très bien ficelé, très bien vu, et tout à fait passionnant. Un superbe texte, ensuite, « Le Vieux Cosmonaute et l’ouvrier du bâtiment rêvent de Mars », de Ian McDonald ; deux points de vue qui se mêlent, un rêve et une réalité, pour un texte déstabilisant au premier abord, mais qui se révèle au final d’une poésie et d’une beauté remarquables. Thomas Day retourne ensuite à ses premières amours exotico-gores avec « La Ville féminicide », texte glauque et brillant sur les « mortes de Juárez » ; un des textes les plus en phase avec la thématique (supposée…) du recueil, qui ne saurait laisser indifférent. Et il faut en-fin évoquer Lucius Shepard, dont « Le Chasseur de jaguar » est une fascinante nouvelle fantastique, superbement écrite et délicieusement ambiguë.

Quatre textes au pire moyens, sinon bons, quatre autres très bons voire excellents : le bilan est clair. Utopiales 2010, en dépit de ses imperfections éditoriales aux échos d’amateurs, est une anthologie plus que recommandable ; elle vaut même sacrément le détour.

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