Survivants des arches stellaires
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Troisième et ultime volet de l’intégrale des nouvelles situées dans l’univers des Chroniques des Nouveaux Mondes (qui comprend en outre un certain nombre de romans), après les plutôt décevants Le Voyageur solitaire et Les Chants de glace, Survivants des arches stellaires en est aussi — et de loin — le plus épais, puisque l’on passe d’un format d’environ 100 pages pour les deux tomes précédents à un peu plus de 200 pour celui-ci. Cela s’explique sans peine par le caractère conclusif de ce dernier, qui comprend dans sa première moitié, à l’instar de ses prédécesseurs, quatre nouvelles (dont une inédite, cette fois, qui donne son titre au recueil), mais aussi, dans sa seconde moitié, une chronologie et un lexique valant pour l’ensemble du cycle. Ce qui, à vrai dire, ne fait que souligner davantage le caractère un brin bâtard de cette publication en trois volumes, là où un tome unique se serait sans aucun doute révélé plus pertinent (mais il est vrai que l’on serait alors largement sorti des standards des « Trois souhaits »)…
Rappelons brièvement le principe des Chroniques des Nouveaux Mondes. Il s’agissait à l’origine d’un projet remontant à l’aube des années 1980, et destiné à établir une passerelle entre les arts, puisque les textes de Jean-Marc Ligny devaient être inspirés par les astronefs créés par Jacques Lelut. Si ce premier projet composite n’a pu aboutir, notre auteur, alors mercenaire au Fleuve Noir, n’en a pas moins développé un vaste univers de space opera constituant une véritable « histoire du futur » sous l’influence — revendiquée — de classiques du genre, tels notamment Les Seigneurs de l’Instrumentalité de Cordwainer Smith (ceci pour l’inspiration essentielle ; mais, dans le détail, on trouve d’autre réminiscences des plus variées : on évoque ainsi, dans ce dernier recueil, les planètes Tralfamadore et Tatooïne, et on rappelle l’existence de personnages nommés Al-Azred ou encore Dard DeVille… et tant qu’on est à mentionner les hommages sous forme de jeux de mots moisis, citons également Ville d’Argyre). Il pondit ainsi plusieurs nouvelles et romans situés dans cet univers, et ActuSF se lança récemment dans la réédition de l’intégrale des premières, devenues fort difficiles à se procurer. Survivants des arches stellaires vient donc clore le cycle pour ce qui est des nouvelles, mais la chronologie interne au cycle connaît des événements postérieurs, et un roman se dé-roule après la dernière nouvelle de ce recueil (qui en constitue dans un sens une introduction — il s’agit des Oiseaux de lumière, coécrit avec Mandy).
Les deux premières nouvelles du recueil, « La Ballade de Silla » et la très brève « Eros », semblent devoir être envisagées en-semble, du fait de leur parenté thématique. Elles jouent en effet toutes deux la carte de l’érotisme (la première fut d’ailleurs publiée dans Eros Millenium chez J’ai Lu, une anthologie dirigée par… Jean-Marc Ligny), pour un résultat plutôt médiocre. C’est d’autant plus regrettable dans le cas de « La Ballade de Silla » que les bonnes idées de science-fiction ne manquent pas dans ce texte (qui fait effectivement beaucoup penser — au-delà des emprunts improbables à Vonnegut — à Cordwainer Smith) contant la passion de la libre-fille Silla pour Ogoun, le chaman d’Ogoun Ferraille, groupe que l’on avait déjà pu voir dans la nouvelle éponyme des Chants de glace. Hélas, l’ensemble est de plus ou moins bon goût, et les bonnes idées sont parfois (souvent) sabordées par un traitement qui ne semble pas à la hauteur des ambitions du texte, problème récurrent de ce recueil. Mais qui ne se pose pas, cependant, pour « Eros », texte trop bref et téléphoné (autre problème récurrent) absolument dénué d’intérêt.
Les choses semblent s’améliorer avec « Survivants des arches stellaires », la plus longue nouvelle du recueil, inédite. L’idée de base est excellente : une arche stellaire, avec à son bord des passagers cryogénisés, a été lancée il y a de cela quatre-vingt dix ans à destination d’une planète inconnue afin de la coloniser, mais quand elle arrive à bon port, c’est pour découvrir que ce monde a déjà été colonisé par l’humanité du fait des progrès technologiques considéra-bles réalisés entre-temps… grâce aux Pléia-dims, extraterrestres à l’origine du grand exode après la terrible « Guerre de trois secondes » (la meilleure nouvelle, sans aucun doute, des Chants de glace, et probablement de l’ensemble du cycle), et donc du départ de cette même arche stellaire ; on se doute que l’arrivée de ces nouveaux colons complètement déphasés ne va pas sans poser de problèmes… La nouvelle démarre ainsi pour le mieux, et est placée d’emblée sous le signe du sense of wonder ; on en obtient confirmation, sur la planète Tatooine, avec les magnifiques réalisations glaciaires de l’artiste Ern Lanklud, et notam-ment son splendide Albatros, vaisseau de glace en cours de construction, ou encore son astroport transparent. Hélas, une fois de plus, Jean-Marc Ligny gâche ces très bonnes bases, ici essentiellement en procédant à un resserrement de l’intrigue du macrocosme au microcosme ; et le sense of wonder de céder la place à une amourette fort convenue… Frustrant. Ajoutons au passage que l’écriture laisse à désirer par endroits — mais c’est vrai de l’ensemble du recueil —, ce qui nous vaut quelques vérités essentielles (p. 48 : « Et des surprises, ils allaient en avoir — mais pas du genre auquel ils s’attendaient. ») et autres gags douteux (p. 54 : « Ce n’est pas la Foire du Drone. »)
Pas grand-chose à dire sur « Aux portes de l’Enfer », déjà brièvement évoquée, et qui, avec son personnage de droïde Nexus-4 rêveur, évoque vaguement — et sans brio — les mânes d’Asimov et de Dick.
Pour ce qui est de la deuxième moitié du recueil, on ne s’attardera pas sur le très barbant « Lexique » — si ce n’est pour souligner qu’il est lacunaire… Par contre, les « Repères historiques sur Les Chroniques des Nouveaux Mondes », chronologie s’étendant du début du XXIIe siècle à 2435, sont du plus grand intérêt. C’est triste à dire, mais c’est sans doute dans cette énumération froide de dates et d’événements que réside en fin de compte véritablement le sense of wonder et, pour tout dire, le très mince intérêt de ce recueil, sans cela aussi médiocre que les précédents, voire plus mauvais encore. On voit ici toute l’ampleur et le brillant qu’auraient pu, et même dû, avoir les Chroniques des Nouveaux Mondes ; ici, effectivement, on a envie de penser aux Seigneurs de l’Instrumentalité, à l’Histoire du Futur, etc. Mais cela ne fait que souligner davantage encore l’impression de triste gâchis laissée globalement par les nouvelles du cycle, à quelques rares exceptions près…
A l’heure de faire le bilan, on a envie de dire que la montagne a accouché d’une souris. C’est dire si ces Chroniques des Nouveaux Mondes sont dispensables ; Survivants des arches stellaires, hélas, ne déroge pas à cette règle, et ne fait que confirmer, et même souligner par un vilain paradoxe, le peu d’intérêt de l’ensemble.