Gagnant concours PC
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Everett Singh est un jeune Anglais presque normal. Certes, son père originaire du Pendjab est un physicien de haute volée qui l’emmène à des conférences sur la nanotechnologie ou la société post-pétrole, certes, il porte en guise de prénom le nom de l’auteur de la théorie des mondes multiples, et certes, c’est un petit génie, notamment de l’informatique, mais il joue au foot et il adore Doctor Who. Alors, quand il voit son paternel, Tejendra, se faire enlever en plein Londres par trois types en noir sortis d’une grosse voiture, il doit bien se rendre à l’évidence : puisqu’il n’a rien d’un superhéros, il ne lui reste qu’à appeler la police.
Qui se révèle de prime abord aussi sceptique qu’inefficace, voire complice : Everett la soupçonne vite d’avoir modifié les photos du rapt qu’il a prises à la va-vite sur son portable et qu’il leur a confiées, afin de le faire douter — et faire douter sa mère divorcée — de la réalité de l’événement. Comme il soupçonne Paul McCabe, le patron de son père, qui, lors d’une visite de courtoisie, le prie de lui remettre tout dossier informatique que Tejendra aurait pu lui transmettre. Justement, l’ado reçoit bientôt de son père un courrier électronique, un envoi automatique sous condition, contenant un fichier, un programme : Infundibulum. Rien de moins qu’un annuaire du multivers, une sorte de répertoire de tous les univers parallèles. Son père travaillait sur le sujet. Everett le savait, mais croyait qu’il s’occupait de théorie pure. Or, il s’avère que les univers parallèles existent bien, qu’ils ont formé une coalition dissimulée au grand public, et que tout ne va pas pour les mieux dans le(s) meilleur(s) des mondes…
Nanti de cet outil infiniment précieux, et infiniment convoité, au point de menacer toute sa famille, notre jeune Anglais va donc partir à la recherche de son père disparu, ce qui va l’entraîner de monde en monde, en un tourbillon de paysages et de rencontres. Et si on voyage en dirigeable, c’est dans un univers électropunk qui n’a jamais connu l’ère de la vapeur…
En dire davantage serait déflorer ce roman jeunesse, le plus accessible — tranche d’âge oblige ? — de notre auteur. Si Ian McDonald fait montre de sa sensibilité habituelle aux cultures dites « exotiques », s’il joue quelque peu du langage en recourant — avec une parcimonie qui rassurera ceux que Le Fleuve des dieux avait laissés pantois, et en fournissant cette fois un lexique complet — à un obscur argot londonien s’il emploie des concepts, comme la physique quantique, qu’on n’a guère l’habitude de trouver dans des œuvres destinées à ce public, il donne un livre d’aventures, inventif, jouissif, pleinement assumé, un roman d’apprentissage classique — notre héros va, bien sûr, croiser une jeune fille aussi beautiful que kick-ass — qui réussit le pari de contenter ses fans tout en s’offrant le luxe (éventuel) de lui en gagner d’autres. C’est tout le mal qu’on lui souhaite, vu la grande qualité de ce début de série dont le deuxième volume aura paru en VO quand vous lirez ces lignes.
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Troisième recueil de nouvelles de Ian McDonald, Cyberabad Days prend place dans l’Inde des années 2040 décrite dans Le Fleuve des dieux. Des sept nouvelles du recueil, cinq sont parues entre 2005 et 2008 au sommaire d’anthologies ou de magazines tels qu’Asimov’s. A la différence du Fleuve…, les histoires ne prennent pas exclusivement place à Vârânaci : le cadre s’élargit, et les nouvelles se déroulent avant ou après les événements narrés dans le roman. On retrouve des constantes, comme le conflit Awadh-Bhârat, les moussons irrégulières, le soap opera Town and Country, ou la signature des Lois Hamilton destinées à restreindre le niveau d’intelligence des aeais. Voyons cela de plus près.
La nouvelle qui introduit le recueil, « Sanjeev and Robotwal-lah », débute lors du conflit fratri-cide entre le Bhârat et l’Awadh. Sanjeev est un garçonnet fasciné par ces robots guerriers pilotés par un combo humain-aeai. Il se lie d’amitié avec les pilotes desdits robots, qui ne sont autres que des garçons à peine plus âgés et plus matures que lui. Mais que faire lorsque la guerre s’achève ?
Les conflits sont parfois à une échelle plus réduite, comme à celle de familles dans « The Dust Assassin ». La jeune Padmini Jodhra est une arme. C’est du moins ce que son père lui a toujours répété. A Jaïpur, les familles Jodhra et Azad co-détiennent le monopole de l’eau, et les deux sont ennemis jurés. Lorsque les Azads massacrent les Jodhras, Padmini demeure la seule survivante de sa famille. Et voilà que le dernier descendant des Azads la demande en mariage… Pad-mini refuse, son admirateur insiste.
Il est aussi question d’amour et de mariage dans « An Eligible Boy ». Dans un pays où l’on compte quatre hommes pour une femme, Jasbir veut à tout prix trouver chaussure à son pied. Pour cela, il est prêt à se faire re-faire le visage, et même à accepter un coach spécialisé — et qui est plus qualifié qu’une aeai issue d’un soap opera ?
Dans « The Djinn’s Wife », c’est par une aeai que la jeune Esha est séduite. Et pas n’importe quelle aeai : A. J. Rao, star du soap Town and Country. Mais l’amour d’Esha est exclusif, aussi comment aimer une entité capable d’être multiple ? Et que faire lorsque les Lois Hamilton, restreignant le niveau des aeais, sont sur le point d’être signées et que les flics Krishna bouillent d’impatience d’excommunier à tour de bras les intelligences artificielles illégales ?
Les autres nouvelles du recueil sont plus humaines. Dans « Kyle meets the river », un garçonnet vit dans une bulle dorée : le quartier sécurisé où il habite pour raisons de sécurité, son père étant un haut fonctionnaire affecté à la reconstruction du Bhârat. Ce qui n’est pas une mauvaise idée, car les attentats ne sont pas rares à Vârânaci. Kyle se lie cependant d’amitié avec un autre gamin, Salim, qui lui fait découvrir le monde virtuel Alterre et, plus important encore, les rues grouillantes de vie de Vârânaci.
« La Petite Déesse » est doublement la première nouvelle du recueil à avoir été publiée : en anglais dans Asimov’s et en français dans le présent numéro de Bifrost. Elle raconte l’histoire d’une enfant aux tendances schizophrènes, élevée au rang de déesse vivante au Népal. Du moins, jusqu’à sa puberté… Mais les artifices pour retarder l’horloge biologique sont repérés et l’enfant-déesse est répudiée. Elle va suivre une descente aux enfers, jusqu’à, peut-être, une forme de rédemption. L’un des meilleurs textes du recueil, avec « Vishnu at the cat circus ».
Ce dernier texte (novella qui occupe le dernier tiers de Cyberabad Days) s’intéresse à une caste tout juste évoquée dans Le Fleuve des dieux : les Brahmanes, ces humains génétiquement améliorés. Vishnu est l’un d’eux. Fleuron de sa génération, il est bientôt confronté aux perspectives d’une post-humanité.
Une thématique commune à tout le recueil est de prendre pour point de vue celui des enfants. Une démarche que poursuivra d’ailleurs Ian McDonald avec Planesrunner, destiné à un lectorat jeunesse. Ce qui ne veut pas dire que Cyberabad Days s’adresse à un tel public, bien au contraire. Plus accessible que Le Fleuve des dieux, ce recueil reste exigeant. Et de très haute tenue : le sommaire suit une progression logique, tant en termes de chronologie que de longueur et de qualité.
Livre-compagnon, Cyberabad Days peut former une excellente introduction au Fleuve des dieux à qui serait effrayé par l’épaisseur du roman, d’autant que sa lecture n’est pas forcément indispensable pour comprendre le recueil. Pour qui a lu Le Fleuve… et se sent d’attaque pour lire en VO les récits, ce recueil développe les thématiques du roman et en aborde de nouvelles, avec un accent particulier porté sur l’humain. Un ouvrage qui prouve une nouvelle fois que Ian McDonald excelle sur le format de la nouvelle et de la novella, et dont on attend avec impatience la traduction en français.
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Istanbul, 2027. La journée promet d’être torride. Entre les deux rives du Bosphore, la rumeur de la circulation enfle comme à l’accoutumée. Chacun vaque à ses activités, ne prêtant guère d’attention à la déflagration qui retentit. Un attentat dans le tramway au centre de Necatibey Cadessi. Car même si le vieil homme malade de l’Europe a cédé la place à une nation technologiquement avancée et intégrée à l’Union européenne, les anciens démons du chaos hantent toujours les rues populeuses de la cité. Toutefois, l’événement ne provoque aucune réelle émotion. Tout au plus un lâcher de microbots de la police qui s’empressent de prélever des échantillons d’air, de chercher des traces de substances chimiques et de scanner le visage des victimes choquées et celui des témoins de la scène du crime. Pas de quoi chasser des actualités le futur match Galatasaray contre Arsenal, ni déstabiliser la routine de la Bourse de la Terreur. Sur ce marché virtuel où tout un chacun peut investir des kudos, la monnaie artificielle y ayant cours, Georgios Ferentinou dresse chaque matin la liste des potentialités pouvant se réaliser. Attablé en compagnie des membres d’une communauté grecque vieillissante, il amasse les gains fictifs de ses paris successifs, s’amusant du caractère prévisible de la psychologie humaine. Retiré de la vie universitaire, il vit désormais reclus dans un petit appartement aménagé dans un ancien couvent de derviches où ses maigres relations sociales se cantonnent aux visites de Can Durukan, le fils de ses voisins. Un gosse élevé dans la ouate par ses parents à cause d’une maladie orpheline mortelle, mais bigrement en avance sur son âge et de surcroît doté d’un joujou technologique très agile : un Bitbot pouvant se transformer en singe, en rat, en oiseau ou en serpent selon les désirs de l’enfant. Un engin lui permettant d’espionner le voisinage, en particulier la Géorgienne dont les petites culottes sèchent sur le toit et les deux frères squattant la partie délaissée du couvent. Pas vraiment sympathiques, ces lascars. L’aîné cherche à professer un islam à la fois plus proche du Coran et des besoins du peuple, pendant que le cadet traîne sa médiocrité entre emploi minable et mosquée. Ils aimeraient bien mettre tout le monde dehors, histoire de rétablir l’intégrité du tekke derviche, chassant les activités impies qui le souillent, notamment les deux maisons de thé à ses abords et la boutique d’art religieux qui en occupe le rez-de-chaussée. Encore faut-il qu’ils réussissent à agrandir le cercle de leurs fidèles sans trop attirer l’attention de la police. Pas de chance, Necdet, le cadet, était dans le tram au moment de l’attentat…
Une nouvelle fois, on est happé par le talent de portraitiste de Ian McDonald. Cette faculté à immerger le lecteur dans un monde foisonnant et à le faire littéralement vivre grâce à une accumulation de détails et d’informations. Sur ce point, La Maison des derviches apparaît beaucoup plus abordable que Le Fleuve des dieux, où l’avalanche de termes indiens pouvait agacer et faire lâcher prise, malgré un glossaire ajouté en fin de roman par l’éditeur. Ici, l’auteur britannique nous projette dans une Turquie futuriste, à la fois proche et éloignée. Le contexte s’avère d’emblée plus limpide, même si certaines subtilités du mysticisme soufi peuvent échapper à notre compréhension. Istanbul apparaît comme un personnage à part entière du roman de McDonald. L’auteur en restitue de manière pointilliste et poétique l’épaisseur historique, l’agitation incessante, la noria des porte-conteneurs et tankers sur le Bosphore, le brouhaha hypnotique de la circulation, mais aussi la quiétude toute méditerranéenne, mâtinée d’Orient, de ses petites places à l’écart des grands boulevards encombrés. A mille lieues de la ville musée, figée dans les clichés convenus, il brosse le portrait d’une agglomération oscillant entre modernité et passé, tradition et boom économique. Une cité partagée entre les tropismes européen et anatolien. En somme, il fait ressentir tout le poids de la multitude et de la diversité de cette métropole colorée et fascinante.
A l’instar du Fleuve des dieux, La Maison des derviches entremêle plusieurs trames attachées à l’itinéraire intime de six personnages. D’une manière directe ou indirecte, toutes sont liées à une intrigue flirtant avec la géopolitique et l’histoire d’Istanbul. Cependant, même si Ian McDonald joue avec les ressorts du thriller, il le fait d’une façon nonchalante, sans s’embarrasser des gimmicks inhérents au genre, prenant son temps pour ajuster les pièces d’un récit comparable à une mosaïque byzantine.
La part consacrée à la SF peut paraître anecdotique. Pourtant, La Maison des derviches recèle quelques extrapolations stimulantes comme cette arme nanotechnologique permettant d’insuffler artificiellement la foi religieuse ou ce transcripteur apte à coder de l’information dans l’ADN humain. Et puis, rien que pour le plaisir de découvrir une Istanbul futuriste, transfigurée par l’imagination de l’auteur britannique, le voyage vaut vraiment le coup.
Vous l’aurez donc compris, La Maison des derviches s’annonce comme un des incontournables de la rentrée 2012. Après l’Inde, le Brésil et l’Afrique, Ian McDonald poursuit avec succès son tour d’horizon des mondes émergents de l’avenir.
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[Critique commune à Chaga, Kirinya et "Tendeléo".]
Après l’Irlande et avant les pays émergents (Inde, Brésil, Turquie), la science-fiction de Ian McDonald s’était intéressée à l’Afrique avec deux épais romans, Chaga et Kirinya. Chaga commence lorsque, en ce début de XXIe siècle, le système solaire est victime d’une invasion extraterrestre ayant vraisemblablement commencé du côté de Saturne, lorsqu’une substance noirâtre a recouvert Japet et lorsque Hypérion a disparu. Quelques temps plus tard, c’est l’hémisphère Sud de notre planète qui est victime d’un bombardement : des astéroïdes s’écrasent et libèrent une substance qui transforme l’environnement en un mélange évoquant des récifs coralliens et la jungle tropicale. « Des choses ressemblant à d’autres choses. Rien qui parût une chose en soi. » Un paysage radicalement étranger, extraterrestre. L’un de ces astéroïdes s’est écrasé au sommet du Kilimandjaro. Dévalant les flancs du volcan à raison de cinquante mètres par jour, la substance, que l’on surnomme le Chaga (d’après le nom d’une tribu africaine), a commencé son expansion. Une expansion inexorable car rien ne semble pouvoir arrêter ce fléau, ni le feu ni l’acide… Rien. Tout au long de sa lente avancée, les populations partent en exode.
Chaga raconte l’histoire de Gaby McAslan, jeune et ambitieuse journaliste envoyée à Nairobi par la chaîne SkyNet pour couvrir l’évènement et la gestion de la crise par l’UNECTA, l’autorité onusienne censée gérer les mouvements de population et tenter de contenir le Chaga. Tenter aussi de comprendre cette substance protéiforme, voir s’il est possible d’en tirer des applications. Dans le même temps, à la place du satellite Hypérion apparaît un Big Dumb Object de même masse, mais considérablement plus flexible et qui se recompose à mesure qu’il dérive vers la Terre, jusqu’à se transformer en un immense cylindre creux, divisé en plusieurs chambres, prêt à accueillir… quoi ? qui ? Les créateurs du Chaga ?
Kirinya se déroule une quinzaine d’années après les événements narrés dans Chaga. Gaby Mc-Aslan et sa fille Selena vivent tranquillement dans une communauté d’artistes au sein du Chaga, mais les effets de l’invasion n’en finissent pas de se faire sentir : les divisions nationales ont cessé d’exister et l’Afrique s’est recomposée. Reste à faire valoir ses droits auprès des puissances occidentales. La mère et la fille vont se battre pour faire entendre les voix africaines, Gaby avec sa notoriété de journaliste, Selena au sein de multiples groupements armés. Toutes deux suivront peu à peu des chemins divergents.
Grossièrement résumé, la série « Chaga », c’est The Blob en Afrique, avec un zeste de Rama. Tous les éléments sont réunis pour en faire des romans-catastrophe emplis de bruit et de fureur, mais Ian McDonald déjoue les attentes et centre Chaga sur les péripéties amoureuses de Gaby McAslan et Kirinya sur l’aspect politique de l’invasion. Sense of wonder et sentiments d’horreur sont bel et bien là, mais atténués — ce que l’on pourra regretter. Le protéiforme Chaga demeure en marge, informe menace bien moins dangereuse que les humains et notamment les puissances occidentales, résolues à ne pas laisser échapper une seule miette de pouvoir. Malgré la relative ancienneté des romans (Chaga date de près de vingt ans), l’analyse que fait McDonald de la situation africaine ne semble hélas guère avoir vieilli. Il n’est sûrement pas anodin que cette invasion alien, qui recompose et recrée la nature, débute dans la zone géographique considérée comme le berceau de l’humanité. Et si c’est là une nouvelle colonisation de l’Afrique, au moins don-ne-t-elle une chance à ses habitants.
Il en reste néanmoins que Chaga et Kirinya semblent former une série de transition entre la trilogie irlandaise (Roi du matin, reine du jour, Heart, Hands and Voices et Sacrifice of Fools) et la séquence du « Nouvel Ordre Mondial » (les romans indien, brésilien, turc). Si l’essentiel des enjeux concerne l’Afrique, les protagonistes, eux, sont occidentaux — Gaby McAslan vient d’Irlande du Nord. Une trilogie africaine inachevée, donc, et que Ian McDonald ne semble pas pressé de terminer. Si ces deux romans sont tout à fait dignes d’intérêt, ils souffrent néanmoins de longueurs et ne parviennent pas toujours à passionner. Tout à l’inverse de « Tendeléo ». Petit bijou, cette novella montre que Ian McDonald excelle dans la forme médiane. Publiée dans la non moins excellente anthologie Faux rêveur (qui, accessoirement, comporte de très bons textes de Stephen Baxter, Kim Newman ou encore James Lovegrove), « Tendeléo » prend le contre-pied de Chaga et Kirinya et donne la parole à une Kenyane (la Tendeléo du titre), dont l’existence, jusqu’alors heureuse, va être bouleversée par l’arrivée du Chaga à proximité de son village. Des camps de réfugiés de Nairobi jusqu’à Manchester, Tendeléo va être ballottée par des forces qui la dépassent jusqu’au cœur du Chaga.
En attendant de voir peut-être Chaga et Kirinya traduits un jour sous nos latitudes, on conseillera sans réserve la lecture de « Tendeléo », formidable introduction/spin-off à la saga du « Chaga », cette variation intelligente sur le thème éculé de l’invasion extraterrestre.
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[Critique commune à Chaga, Kirinya et "Tendeléo".]
Après l’Irlande et avant les pays émergents (Inde, Brésil, Turquie), la science-fiction de Ian McDonald s’était intéressée à l’Afrique avec deux épais romans, Chaga et Kirinya. Chaga commence lorsque, en ce début de XXIe siècle, le système solaire est victime d’une invasion extraterrestre ayant vraisemblablement commencé du côté de Saturne, lorsqu’une substance noirâtre a recouvert Japet et lorsque Hypérion a disparu. Quelques temps plus tard, c’est l’hémisphère Sud de notre planète qui est victime d’un bombardement : des astéroïdes s’écrasent et libèrent une substance qui transforme l’environnement en un mélange évoquant des récifs coralliens et la jungle tropicale. « Des choses ressemblant à d’autres choses. Rien qui parût une chose en soi. » Un paysage radicalement étranger, extraterrestre. L’un de ces astéroïdes s’est écrasé au sommet du Kilimandjaro. Dévalant les flancs du volcan à raison de cinquante mètres par jour, la substance, que l’on surnomme le Chaga (d’après le nom d’une tribu africaine), a commencé son expansion. Une expansion inexorable car rien ne semble pouvoir arrêter ce fléau, ni le feu ni l’acide… Rien. Tout au long de sa lente avancée, les populations partent en exode.
Chaga raconte l’histoire de Gaby McAslan, jeune et ambitieuse journaliste envoyée à Nairobi par la chaîne SkyNet pour couvrir l’évènement et la gestion de la crise par l’UNECTA, l’autorité onusienne censée gérer les mouvements de population et tenter de contenir le Chaga. Tenter aussi de comprendre cette substance protéiforme, voir s’il est possible d’en tirer des applications. Dans le même temps, à la place du satellite Hypérion apparaît un Big Dumb Object de même masse, mais considérablement plus flexible et qui se recompose à mesure qu’il dérive vers la Terre, jusqu’à se transformer en un immense cylindre creux, divisé en plusieurs chambres, prêt à accueillir… quoi ? qui ? Les créateurs du Chaga ?
Kirinya se déroule une quinzaine d’années après les événements narrés dans Chaga. Gaby Mc-Aslan et sa fille Selena vivent tranquillement dans une communauté d’artistes au sein du Chaga, mais les effets de l’invasion n’en finissent pas de se faire sentir : les divisions nationales ont cessé d’exister et l’Afrique s’est recomposée. Reste à faire valoir ses droits auprès des puissances occidentales. La mère et la fille vont se battre pour faire entendre les voix africaines, Gaby avec sa notoriété de journaliste, Selena au sein de multiples groupements armés. Toutes deux suivront peu à peu des chemins divergents.
Grossièrement résumé, la série « Chaga », c’est The Blob en Afrique, avec un zeste de Rama. Tous les éléments sont réunis pour en faire des romans-catastrophe emplis de bruit et de fureur, mais Ian McDonald déjoue les attentes et centre Chaga sur les péripéties amoureuses de Gaby McAslan et Kirinya sur l’aspect politique de l’invasion. Sense of wonder et sentiments d’horreur sont bel et bien là, mais atténués — ce que l’on pourra regretter. Le protéiforme Chaga demeure en marge, informe menace bien moins dangereuse que les humains et notamment les puissances occidentales, résolues à ne pas laisser échapper une seule miette de pouvoir. Malgré la relative ancienneté des romans (Chaga date de près de vingt ans), l’analyse que fait McDonald de la situation africaine ne semble hélas guère avoir vieilli. Il n’est sûrement pas anodin que cette invasion alien, qui recompose et recrée la nature, débute dans la zone géographique considérée comme le berceau de l’humanité. Et si c’est là une nouvelle colonisation de l’Afrique, au moins don-ne-t-elle une chance à ses habitants.
Il en reste néanmoins que Chaga et Kirinya semblent former une série de transition entre la trilogie irlandaise (Roi du matin, reine du jour, Heart, Hands and Voices et Sacrifice of Fools) et la séquence du « Nouvel Ordre Mondial » (les romans indien, brésilien, turc). Si l’essentiel des enjeux concerne l’Afrique, les protagonistes, eux, sont occidentaux — Gaby McAslan vient d’Irlande du Nord. Une trilogie africaine inachevée, donc, et que Ian McDonald ne semble pas pressé de terminer. Si ces deux romans sont tout à fait dignes d’intérêt, ils souffrent néanmoins de longueurs et ne parviennent pas toujours à passionner. Tout à l’inverse de « Tendeléo ». Petit bijou, cette novella montre que Ian McDonald excelle dans la forme médiane. Publiée dans la non moins excellente anthologie Faux rêveur (qui, accessoirement, comporte de très bons textes de Stephen Baxter, Kim Newman ou encore James Lovegrove), « Tendeléo » prend le contre-pied de Chaga et Kirinya et donne la parole à une Kenyane (la Tendeléo du titre), dont l’existence, jusqu’alors heureuse, va être bouleversée par l’arrivée du Chaga à proximité de son village. Des camps de réfugiés de Nairobi jusqu’à Manchester, Tendeléo va être ballottée par des forces qui la dépassent jusqu’au cœur du Chaga.
En attendant de voir peut-être Chaga et Kirinya traduits un jour sous nos latitudes, on conseillera sans réserve la lecture de « Tendeléo », formidable introduction/spin-off à la saga du « Chaga », cette variation intelligente sur le thème éculé de l’invasion extraterrestre.
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[Critique commune à Chaga, Kirinya et "Tendeléo".]
Après l’Irlande et avant les pays émergents (Inde, Brésil, Turquie), la science-fiction de Ian McDonald s’était intéressée à l’Afrique avec deux épais romans, Chaga et Kirinya. Chaga commence lorsque, en ce début de XXIe siècle, le système solaire est victime d’une invasion extraterrestre ayant vraisemblablement commencé du côté de Saturne, lorsqu’une substance noirâtre a recouvert Japet et lorsque Hypérion a disparu. Quelques temps plus tard, c’est l’hémisphère Sud de notre planète qui est victime d’un bombardement : des astéroïdes s’écrasent et libèrent une substance qui transforme l’environnement en un mélange évoquant des récifs coralliens et la jungle tropicale. « Des choses ressemblant à d’autres choses. Rien qui parût une chose en soi. » Un paysage radicalement étranger, extraterrestre. L’un de ces astéroïdes s’est écrasé au sommet du Kilimandjaro. Dévalant les flancs du volcan à raison de cinquante mètres par jour, la substance, que l’on surnomme le Chaga (d’après le nom d’une tribu africaine), a commencé son expansion. Une expansion inexorable car rien ne semble pouvoir arrêter ce fléau, ni le feu ni l’acide… Rien. Tout au long de sa lente avancée, les populations partent en exode.
Chaga raconte l’histoire de Gaby McAslan, jeune et ambitieuse journaliste envoyée à Nairobi par la chaîne SkyNet pour couvrir l’évènement et la gestion de la crise par l’UNECTA, l’autorité onusienne censée gérer les mouvements de population et tenter de contenir le Chaga. Tenter aussi de comprendre cette substance protéiforme, voir s’il est possible d’en tirer des applications. Dans le même temps, à la place du satellite Hypérion apparaît un Big Dumb Object de même masse, mais considérablement plus flexible et qui se recompose à mesure qu’il dérive vers la Terre, jusqu’à se transformer en un immense cylindre creux, divisé en plusieurs chambres, prêt à accueillir… quoi ? qui ? Les créateurs du Chaga ?
Kirinya se déroule une quinzaine d’années après les événements narrés dans Chaga. Gaby Mc-Aslan et sa fille Selena vivent tranquillement dans une communauté d’artistes au sein du Chaga, mais les effets de l’invasion n’en finissent pas de se faire sentir : les divisions nationales ont cessé d’exister et l’Afrique s’est recomposée. Reste à faire valoir ses droits auprès des puissances occidentales. La mère et la fille vont se battre pour faire entendre les voix africaines, Gaby avec sa notoriété de journaliste, Selena au sein de multiples groupements armés. Toutes deux suivront peu à peu des chemins divergents.
Grossièrement résumé, la série « Chaga », c’est The Blob en Afrique, avec un zeste de Rama. Tous les éléments sont réunis pour en faire des romans-catastrophe emplis de bruit et de fureur, mais Ian McDonald déjoue les attentes et centre Chaga sur les péripéties amoureuses de Gaby McAslan et Kirinya sur l’aspect politique de l’invasion. Sense of wonder et sentiments d’horreur sont bel et bien là, mais atténués — ce que l’on pourra regretter. Le protéiforme Chaga demeure en marge, informe menace bien moins dangereuse que les humains et notamment les puissances occidentales, résolues à ne pas laisser échapper une seule miette de pouvoir. Malgré la relative ancienneté des romans (Chaga date de près de vingt ans), l’analyse que fait McDonald de la situation africaine ne semble hélas guère avoir vieilli. Il n’est sûrement pas anodin que cette invasion alien, qui recompose et recrée la nature, débute dans la zone géographique considérée comme le berceau de l’humanité. Et si c’est là une nouvelle colonisation de l’Afrique, au moins don-ne-t-elle une chance à ses habitants.
Il en reste néanmoins que Chaga et Kirinya semblent former une série de transition entre la trilogie irlandaise (Roi du matin, reine du jour, Heart, Hands and Voices et Sacrifice of Fools) et la séquence du « Nouvel Ordre Mondial » (les romans indien, brésilien, turc). Si l’essentiel des enjeux concerne l’Afrique, les protagonistes, eux, sont occidentaux — Gaby McAslan vient d’Irlande du Nord. Une trilogie africaine inachevée, donc, et que Ian McDonald ne semble pas pressé de terminer. Si ces deux romans sont tout à fait dignes d’intérêt, ils souffrent néanmoins de longueurs et ne parviennent pas toujours à passionner. Tout à l’inverse de « Tendeléo ». Petit bijou, cette novella montre que Ian McDonald excelle dans la forme médiane. Publiée dans la non moins excellente anthologie Faux rêveur (qui, accessoirement, comporte de très bons textes de Stephen Baxter, Kim Newman ou encore James Lovegrove), « Tendeléo » prend le contre-pied de Chaga et Kirinya et donne la parole à une Kenyane (la Tendeléo du titre), dont l’existence, jusqu’alors heureuse, va être bouleversée par l’arrivée du Chaga à proximité de son village. Des camps de réfugiés de Nairobi jusqu’à Manchester, Tendeléo va être ballottée par des forces qui la dépassent jusqu’au cœur du Chaga.
En attendant de voir peut-être Chaga et Kirinya traduits un jour sous nos latitudes, on conseillera sans réserve la lecture de « Tendeléo », formidable introduction/spin-off à la saga du « Chaga », cette variation intelligente sur le thème éculé de l’invasion extraterrestre.
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En découvrant le moyen de ressusciter les morts, Adam Tesler a offert à l’humanité une immortalité assortie de conditions drastiques : à moins d’avoir eu, vivant, les moyens de s’offrir sa résurrection, chaque mort doit à la communauté des vivants autant d’années de travail que nécessaire pour rembourser son « traitement »… De fait, la Tesler-Thanos corporada règne sur les vivants comme sur les morts. Ces derniers, dénués de droits, parqués chaque nuit dans des nécrovilles forcément surpeuplées, ont inventé une société nouvelle, décomplexée et exubérante, à la mesure de leurs corps artificiels aux capacités étonnantes.
Ce premier novembre 2063, alors que les vaisseaux des Morts-Libres, qui dans les profondeurs de l’espace ont su se libérer de l’assujettissement imposé par la Tesler-Thanos, entament ce qui pourrait bien être l’offensive décisive contre les forces terrestres, cinq amis doivent se retrouver au Terminal Café de Saint-Jean, la plus grande des nécrovilles, pour célébrer le carnaval de la Nuit des Morts. Mais au cours de cette nuit où tout pourrait bien basculer pour l’ensemble de l’humanité, chacun trouvera au contact des morts bien plus que la fête exotique escomptée. Car dans le monde de Nécroville, la peur de la mort n’a pas disparu, elle a juste changé de nature. Dans cette société où les morts poussent jusqu’à l’absurde les comportements de l’occident contemporain, chaque récit, par son style et son thème, dépeint une conception différente de la vie et du rapport à la mort, dans un cadre où la technologie a rendu ces notions au mieux confuses…
Santiago, neurochimiste ayant élevé la création de drogues nouvelles au rang d’art, désormais insensible à ses propres substances, cherche un dérivatif à ce handicap en côtoyant la mort. Trinidad, terrorisée à l’idée de rencontrer dans la nécroville son ancien amour, surmonte peurs et souvenirs et découvre ce qu’il est advenu des vieilles religions — comme toujours chez Ian McDonald, les mutations sociales s’accompagnent de mutations radicales de la spiritualité. Camaguey, condamné à très court terme et responsable de la Grande Mort — définitive — de son amante, cherche à admettre sa propre mort annoncée. Toussaint, le fils d’Adam Tesler, refuse son héritage et tourne lui aussi autour de sa mort en remodelant sa chair ; pris en otage, il va mener des terroristes au cœur de la corporada, révélant ainsi les enjeux dystopiques de cet avenir nanotechnologique. Yo-Yo, enfin, cyber-avocate déchue du barreau, accepte d’enquêter pour le compte d’une morte sur son assassinat ; ses démêlés avec des puissances qui la dépassent offrent à l’auteur l’occasion d’un polar dans la grande tradition cyberpunk, et jettent une lumière crue sur la réalité sociale d’un système poussé au bord de la rupture.
Malheureusement, si l’auteur développe brillamment les réflexions autour de la mort qui sous-tendent l’essentiel des fils narratifs, il ne parvient jamais vraiment à mener de front ces cinq récits. Les relations entre ces personnages pourtant fouillés et crédibles ne sont jamais clairement établies, et à trop vouloir brouiller les pistes pour rendre compte de la complexité du monde des nécrovilles, McDonald perd souvent son lecteur entre les péripéties des destins de héros auxquels il est bien difficile de s’attacher malgré leur profonde humanité.
Trop touffu et exubérant sous un humour omniprésent, souffrant d’une structure mal maîtrisée, Nécroville recèle cependant suffisamment de lucidité, de trouvailles savoureuses, d’images ou d’idées fortes pour permettre à ce monde fascinant d’échapper à l’oubli. Mais il rend toutefois mieux compte du potentiel de Ian McDonald que de son extraordinaire talent.
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Hearts, Hands and Voices est un roman qui, dès ses premières lignes, vous plonge dans un univers radicalement autre, un futur lointain dans lequel, pour paraphraser Clarke, la technologie est à ce point avancée qu’à nos yeux elle est indiscernable de la magie. Un monde dans lequel tout semble possible, où biologie et technologie s’entremêlent sans cesse pour donner naissance à des visions sidérantes : maisons ou véhicules vivants, arbres recueillant les mânes des anciens, anges et autres créatures plus difficilement identifiables, le roman ne cesse de donner vie à de telles images.
L’histoire quant à elle est beaucoup plus classique : c’est celle de Mathembe et de sa famille. Mathembe est une jeune muette, non pas à cause d’une quelconque déficience physique, mais parce qu’elle a choisi de ne pas parler. Elle a développé d’autres méthodes de communication avec ses proches, en particulier son grand-père, décédé depuis un an mais qui vit toujours au sein de l’Arbre Ancestral de son village, et Hradu, son frère, jeune activiste dont les sympathies pour un groupe de rebelles à l’ordre établi vont bientôt se retourner contre sa famille.
Si la technologie en usage dans cet univers a des siècles d’avance sur la nôtre, le modèle social qu’on y découvre apparaît en revanche totalement archaïque. La religion occupe une place prépondérante dans cette société, et même dans le paisible village où vit la famille de Mathembe, il existe une séparation nette entre Confessors d’un côté et Proclaimers de l’autre, séparation d’autant plus stricte que l’appartenance d’un individu à une confession ou à l’autre induit également ses convictions politiques : les premiers sont nationalistes, les seconds soutiennent les forces impériales. Et rien ni personne ne semble pouvoir ou vouloir remettre en question cet ordre des choses.
Hearts, Hands and Voices raconte la lente prise de conscience de Mathembe des lois qui régissent le monde dans lequel elle vit. Jetée sur les routes avec ses proches à la suite d’une attaque terroriste, ballottée de camp de réfugiés en mégalopole exubérante, son champ de vision va s’élargir au fil de ses rencontres, lui permettant de se défaire progressivement du carcan idéologique qu’elle porte depuis sa naissance. Le portrait que fait Ian McDonald de cette Terre future est celui d’une humanité tétanisée par la révolution technologique qui l’a frappée, incapable d’inventer une nouvelle façon de vivre, et qui s’est recroquevillée derrière une carapace de certitudes et de convictions confortables. Dans ce contexte, Mathembe apparaît comme la porteuse d’un espoir de voir enfin ce vieux monde disparaître au profit d’un nouveau.
D’une richesse inouïe, tant du point de vue de l’écriture que de l’univers qu’il décrit, Hearts, Hands and Voices ne souffre que d’une intrigue qui, à force de digressions et d’apartés, se délite quelque peu dans sa seconde moitié. Cela n’en reste pas moins une expérience étourdissante, l’un des plus beaux et des plus dépaysant voyages que la science-fiction a pu offrir à ses lecteurs.
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L’Irlande, ses mythes, sa magie, ses mystères. Trois générations : 1913, 1930, fin des années 80. Trois destins de femmes, Emily Desmond, Jessica Caldwell et Enye MacColl, unies par un terrible secret. Le roman débute avec la novella « Craigdarragh » et le destin de la jeune Emily Desmond. Pour cette entrée en matière, Ian McDonald a fait le choix de la forme épistolaire. La nouvelle est fragmentée par les points de vue des différents protagonistes, au travers de lettres, coupures de presse, extraits de journaux intimes… Début du XXe siècle, le Dr Edward Garret Desmond, astro-nome, croit découvrir dans le passage de la comète Bell des extraterrestres en provenance d’Altaïr. Malgré l’opposition de la haute société scientifique qui le ridiculise, et porté par sa croyance d’avoir fait la plus grande découverte de tous les temps, Desmond va tout mettre en œuvre pour communiquer avec le vaisseau, au point de dilapider la fortune familiale. Sa femme, Caroline, riche héritière et maîtresse de maison, ne vit que pour ses poèmes. Sa fille, Emily, jeune adolescente en pleine puberté, délaissée par ses parents, se détache peu à peu de la réalité au contact du petit peuple, de la Chasse sauvage, des léprechauns, des fées grégaires et autres créatures. Mythe ? Réalité ? Fantasme ? Une narration de l’isolement et de la perdition. La destinée d’Emily est au cœur du roman. On retrouve ici une référence à l’affaire des fées de Cottingley et aux articles de Sir Arthur Conan Doyle dans sa veine spiritualiste. La deuxième nouvelle, « Le Front des mythes », relate l’histoire de Jessica, jeune mythomane dublinoise pleine d’ironie. Elle est la fille cachée d’Emily. En quête d’identité, entourée de son père adoptif, de son psychanalyste et de deux mystérieux compères buveurs de thé, nous la suivrons à la recherche de ses origines, entre Dublin et les terres de Craigdarragh. Enfin, le dernier texte, « Shekinah », est plus proche de l’esprit manga. Nous plongeons dans le Dublin de la fin des années 80, aux côtés de Enye MacColl. Publicitaire le jour, elle s’arme de ses katanas la nuit et se shoote à coup de « doses de réalité » pour combattre les incarnations de créatures mythiques qu’elle est la seule à voir. Son combat devra passer par l’apprentissage de la voie divine pour aboutir. Il y a une forme d’espièglerie et de jubilation dans l’écriture de McDonald tant il construit, déconstruit et reconstruit les genres qu’il aborde. Le fantastique, la fantasy, la SF/manga. Une écriture tout en rupture. Un exercice de style plein de maîtrise pour une œuvre de jeunesse mais aussi une analyse critique des mondes imaginaires décrits par ses prédécesseurs à l’approche plus classique. D’aucuns trouveront la manœuvre un peu arrogante, narcissique et futile, d’autres se délecteront de cette prétention affichée avec beaucoup d’habileté et de savoir-faire, déjà. Car oui, avec cette œuvre, Ian McDonald a pris sa place. Mais bien plus encore que cette méta-écriture, il y a avant tout une histoire riche, une œuvre exigeante, une intrigue fine et complexe, des personnages troublants et puissants qui marquent votre imaginaire. C’est aussi un hommage poignant et objectif à l’Irlande, à son histoire, à sa construction. Le fruit d’une confrontation sublimée entre mythe et réalité. Comme une sorte d’Irish crossroads. Ian McDonald est un conteur exceptionnel et nous livre ici un livre rare et indispensable à tout fan qui se respecte. Fin de la propagande !
[Lire aussi la chronique d'Olivier Legendre dans le Bifrost n° 54]