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L'Homme démoli - Terminus les étoiles

Touche-à-tout de talent, Alfred Bester écrivit nombre de comics (Superman, Green Lantern) et de pièces radiophoniques (The Shadow, Charlie Chan), fut rédacteur en chef d'une revue glamour qui lui permettait d'approcher les actrices d'Hollywood, et ébranla en 1952 le monde tranquille de la science-fiction avec un roman novateur à tous points de vue, L'Homme démoli, lequel lui valut de recevoir le tout premier prix Hugo. Déjà, au début de sa carrière, la revue Thrilling Wonder Stories organisa un concours amateur dans le seul but de récompenser l'auteur débutant de 1939.

L'Homme démoli se situe dans un futur débarrassé du meurtre grâce à une police télépathe qui prévient le crime avant qu'il soit commis. Le coupable est promis à la démolition, à savoir une régression mentale et une reconfiguration des neurones jusqu'à la « renaissance ». À la tête d'un empire industriel, Ben Reich, hanté dans ses cauchemars par un homme sans visage, décide d'abattre son concurrent direct, auquel il a proposé une alliance commerciale. Alfred Bester reprend donc la vieille intrigue policière du crime parfait dans une société censée le rendre impossible. Il dissémine pour cela dans l'arrière-plan de sa société future des éléments qui serviront son intrigue : les extrapers déchus pour n'avoir pas respecté la déontologie des télépathes, les psychochansons qui manipulent l'auditeur avec des messages subliminaux, identiques aux ritournelles qui encombrent l'esprit mais se révèlent en l'occurrence pratiques pour masquer les pensées. Bester a surtout pris le temps de bien structurer un monde où cohabitent des télépathes, distinguant diverses classes en fonction de leurs capacités mentales, imaginant des codes et des règles qui donnent de l'épaisseur et de la crédibilité à sa société. Le space opera qui sévissait à l'époque parut aussitôt suranné. Bien sûr, d'autres facettes du roman retiennent l'attention : au niveau symbolique, chaque personnage représentant un certain type de société. À l'intrigue classique se superpose une dimension psychologique.

Le suspense est constant, Ben Reich dansant perpétuellement sur une corde raide. L'univers n'est plus détaillé d'entrée de jeu mais progressivement révélé, presque de façon incidente, procédé encore peu courant en S-F et qui participe de cette gymnastique mentale dont sont friands les lecteurs, réalisant les conséquences qui en découlent et l'impact non négligeable sur l'intrigue. Bester ne s'embarrasse pas de fioritures stylistiques : il va à l'essentiel, parsemant ses dialogues de courtes descriptions. Un humour discret mais omniprésent retient l'attention ; le texte est truffé de traits d'esprit et d'aphorismes qui le font pétiller, mais aussi rehaussé d'effets typographiques permettant de visualiser l'intrication des pensées, le tout dessinant des calligrammes dignes d'Apollinaire. Avec le recul du temps, l'ensemble, s'il abuse d'artifices, n'en reste pas moins détonant car cette accumulation fait précisément de ce roman mené tambour battant un véritable feu d'artifice.

Terminus les étoiles, moins percutant, repose, lui, sur la téléportation. Gully Foyle, mécanicien, est le seul survivant du Nomad, qui a explosé. Un vaisseau passe au large, qui ne s'arrête pas, malgré les signaux de détresse. Organisant sa survie, Foyle jure de retrouver les responsables. Dans un premier temps, Foyle s'enrichit, en vendant une partie de la cargaison du Nomad dont il connaît les coordonnées ; dans un second temps, il retrouve ceux qui l'ont abandonné à son destin pour les exécuter. On aura reconnu là la trame du Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas, emprunt revendiqué par Bester. Gully Foyle se téléporte (on dit « fugguer ») partout où les coupables se terrent, enquêtant dans le même temps sur le grand responsable, Presteign, puissant homme d'affaires disposant de sa propre milice, corrompu au-delà de toute mesure. Mais Foyle lui-même, accomplissant sa vengeance, reconnaît être devenu un monstre coupé de son humanité. Les péripéties s'enchaînent sans temps mort, un peu trop rapidement pour donner de la profondeur au roman.

La présente édition, dans une nouvelle traduction de Patrick Marcel, est complétée par une bibliographie des œuvres de Bester réalisée par Alain Sprauel. Si ces romans ont un peu vieilli, leur lecture reste indispensable pour juger de l'apport de Bester à la science-fiction. Bien que cherchant plus à éblouir qu'à convaincre, il n'en a pas moins révolutionné la façon d'écrire et d'aborder la S-F, comme en témoignent Serge Lehman et Neil Gaiman dans leurs préfaces.

Les Brigades fantômes

[Critique commune à Le Vieil Homme et la Guerre et Les Brigades fantômes.]

S'engager dans l'armée à soixante-quinze ans, alors qu'on a toujours été anti-militariste, relève forcément de motifs qui n'ont rien à voir avec les guerres que l'humanité en expansion mène dans la Galaxie contre diverses espèces extraterrestres. John Perry, à présent veuf, ne désire pas connaître le naufrage de la vieillesse : contre deux ans de service dans les Forces de défense coloniale, l'armée promet de lui rendre la jeunesse puis de l'expédier en « retraite » sur une colonie, le retour sur Terre étant interdit.

En fait de rajeunissement, John Perry reçoit un nouveau corps, cloné lors de l'engagement selon des méthodes de croissance accélérée et amélioré génétiquement : dans ses veines coule le SangmalinTM, qui donne une couleur verte à sa peau et assure une oxygénation optimale, et son esprit dialogue avec AmicerveauTM, un ordinateur jouant le rôle de pager mais aussi d'interface avec le corps, décuplant par exemple les capacités de réaction ou de précision.

Le temps de tester leur nouvelle enveloppe très performante avec des partenaires sexuels, les nouvelles recrues commencent un entraînement qui relativise l'excellence de ces formations. Les premiers combats achèvent de détruire les illusions. Il apparaît vite que l'engagement de deux ans n'a plus cours en temps de guerre ; or, les Terriens, non seulement sont engagés dans nombre de conflits, mais ne font rien pour y mettre fin : aucune négociation n'a jamais été envisagée, pas plus qu'on n'a tenté de comprendre le point de vue de l'ennemi. L'humanité se contente de poursuivre une politique d'expansion agressive sans pitié, ni stratégie élaborée pour limiter ses pertes. Le simple fait d'envisager une entente est considéré comme un acte de trahison. John Perry, qui a révélé, contre toute attente, un sens militaire lui valant de monter en grade, se demande quelle part d'humanité conservent en eux des soldats génétiquement améliorés et à l'esprit assisté par leur AmicerveauTM, capables de piétiner des êtres évolués hauts de cinq centimètres comme s'il s'agissait de fourmis. C'est ce type de questions éthiques et philosophiques que pose le premier volume — questionnement souligné par un sens de la dérision et un humour très second degré complètement gâché en VF par une traduction inepte. Des propos qui ne renouvellent pas ceux de La Guerre éternelle, le roman de Joe Haldeman auquel on ne peut s'empêcher de penser, Starship Troopers (de Robert Heinlein) étant l'autre référence qui vient à l'esprit ; le présent roman condense au contraire l'ensemble des préoccupations liées à ce type d'histoire, d'une manière fort habile, tout en développant un récit passionnant sans aucun temps mort.

Ces interrogations sont accentuées par la révélation d'escadrons fantômes encore plus déshumanisés. En effet, l'armée dispose malgré tout des candidats à la vie militaire qui seraient décédés avant leur incorporation : elle les clone et y introduit un esprit entièrement conçu pour la guerre. S'agit-il encore d'humains ? On comprend le secret entourant ces Brigades fantômes : comment réagir face à l'enveloppe physique de son épouse devenue une machine à tuer ? L'amélioration du processus conduit, dans le second volume, à disposer de soldats d'élite à peine nés : il est déstabilisant de croiser des individus apte à parler une minute après leur naissance, à marcher deux minutes plus tard et à mener l'interrogatoire d'un ennemi au bout de quinze jours. Pour beaucoup, un soldat des Brigades fantômes n'est qu'un Amicerveau logé dans un support biologique, qui est d'ailleurs transformé en engrais si l'esprit qui l'occupait a été transféré dans un autre corps.

L'un d'eux, Jared Dirac (tous portent des noms de scientifiques), a en outre reçu un second esprit, celui de Charles Boutin dont il est déjà le clone, un scientifique de la Recherche militaire accusé d'intelligence avec l'ennemi pour avoir donné aux Rraeys des informations sur l'Amicerveau. L'armée pense que si les Rraeys s'allient avec les Eneshans et les Obins, forçant l'humanité à combattre sur trois fronts à la fois, c'est grâce au rôle joué par Boutin. Pour maquiller sa fuite, Boutin a transféré son esprit dans un clone qu'il a abattu. Une prouesse dans la mesure où le transfert d'esprit ne pouvait s'effectuer que d'un corps à l'autre avant que le savant ne réussisse à stocker la conscience sur un support numérique. C'est parce qu'il n'a pas eu le temps de vider la mémoire de celui-ci que son esprit est une nouvelle fois transféré dans le corps du soldat Jared, soumis à haute surveillance en lisant ses pensées par le biais des Amicerveaux, une possibilité qu'on avait cachée aux soldats pour ne pas les inquiéter ; on espère qu'il retrouvera ainsi quelques-unes des informations permettant de savoir où Boutin se cache et connaître surtout la nature du complot ourdi contre les Terriens. Au fur et à mesure qu'il retrouve la mémoire de son hôte, Jared gagne en humanité en même temps qu'il devient apte à juger sa hiérarchie, laquelle n'a pas hésité, pour obtenir des renseignements, à inoculer à un extraterrestre prisonnier un poison nécessitant la prise d'un antidote à vie.

John Scalzi franchit, dans Les Brigades fantômes, un cran supplémentaire dans la perte d'humanité, du point de vue physique comme du point de vue moral. D'épineuses questions éthiques sur la légitimité de la violence, la définition de l'humain ou le contrôle d'autrui continuent d'être posées à travers ce roman fort prenant qui n'a jamais perdu de vue la dimension aventureuse de son récit ni l'indispensable touche d'humour. Même le projet de Boutin ressasse ces interrogations selon des perspectives inédites.

Pour Le Vieil homme et la guerre, son premier roman, John Scalzi a reçu le prix Campbell et a été nominé au Hugo. Des récompenses bien méritées, ce diptyque temporaire se révélant passionnant de bout en bout. En attendant la traduction du troisième opus de cette saga, The Last Colony, tout en priant pour que l'éditeur nous épargne cette fois une traduction de Bernadette Emerich.

Le Vieil Homme et la Guerre

[Critique commune à Le Vieil Homme et la Guerre et Les Brigades fantômes.]

S'engager dans l'armée à soixante-quinze ans, alors qu'on a toujours été anti-militariste, relève forcément de motifs qui n'ont rien à voir avec les guerres que l'humanité en expansion mène dans la Galaxie contre diverses espèces extraterrestres. John Perry, à présent veuf, ne désire pas connaître le naufrage de la vieillesse : contre deux ans de service dans les Forces de défense coloniale, l'armée promet de lui rendre la jeunesse puis de l'expédier en « retraite » sur une colonie, le retour sur Terre étant interdit.

En fait de rajeunissement, John Perry reçoit un nouveau corps, cloné lors de l'engagement selon des méthodes de croissance accélérée et amélioré génétiquement : dans ses veines coule le SangmalinTM, qui donne une couleur verte à sa peau et assure une oxygénation optimale, et son esprit dialogue avec AmicerveauTM, un ordinateur jouant le rôle de pager mais aussi d'interface avec le corps, décuplant par exemple les capacités de réaction ou de précision.

Le temps de tester leur nouvelle enveloppe très performante avec des partenaires sexuels, les nouvelles recrues commencent un entraînement qui relativise l'excellence de ces formations. Les premiers combats achèvent de détruire les illusions. Il apparaît vite que l'engagement de deux ans n'a plus cours en temps de guerre ; or, les Terriens, non seulement sont engagés dans nombre de conflits, mais ne font rien pour y mettre fin : aucune négociation n'a jamais été envisagée, pas plus qu'on n'a tenté de comprendre le point de vue de l'ennemi. L'humanité se contente de poursuivre une politique d'expansion agressive sans pitié, ni stratégie élaborée pour limiter ses pertes. Le simple fait d'envisager une entente est considéré comme un acte de trahison. John Perry, qui a révélé, contre toute attente, un sens militaire lui valant de monter en grade, se demande quelle part d'humanité conservent en eux des soldats génétiquement améliorés et à l'esprit assisté par leur AmicerveauTM, capables de piétiner des êtres évolués hauts de cinq centimètres comme s'il s'agissait de fourmis. C'est ce type de questions éthiques et philosophiques que pose le premier volume — questionnement souligné par un sens de la dérision et un humour très second degré complètement gâché en VF par une traduction inepte. Des propos qui ne renouvellent pas ceux de La Guerre éternelle, le roman de Joe Haldeman auquel on ne peut s'empêcher de penser, Starship Troopers (de Robert Heinlein) étant l'autre référence qui vient à l'esprit ; le présent roman condense au contraire l'ensemble des préoccupations liées à ce type d'histoire, d'une manière fort habile, tout en développant un récit passionnant sans aucun temps mort.

Ces interrogations sont accentuées par la révélation d'escadrons fantômes encore plus déshumanisés. En effet, l'armée dispose malgré tout des candidats à la vie militaire qui seraient décédés avant leur incorporation : elle les clone et y introduit un esprit entièrement conçu pour la guerre. S'agit-il encore d'humains ? On comprend le secret entourant ces Brigades fantômes : comment réagir face à l'enveloppe physique de son épouse devenue une machine à tuer ? L'amélioration du processus conduit, dans le second volume, à disposer de soldats d'élite à peine nés : il est déstabilisant de croiser des individus apte à parler une minute après leur naissance, à marcher deux minutes plus tard et à mener l'interrogatoire d'un ennemi au bout de quinze jours. Pour beaucoup, un soldat des Brigades fantômes n'est qu'un Amicerveau logé dans un support biologique, qui est d'ailleurs transformé en engrais si l'esprit qui l'occupait a été transféré dans un autre corps.

L'un d'eux, Jared Dirac (tous portent des noms de scientifiques), a en outre reçu un second esprit, celui de Charles Boutin dont il est déjà le clone, un scientifique de la Recherche militaire accusé d'intelligence avec l'ennemi pour avoir donné aux Rraeys des informations sur l'Amicerveau. L'armée pense que si les Rraeys s'allient avec les Eneshans et les Obins, forçant l'humanité à combattre sur trois fronts à la fois, c'est grâce au rôle joué par Boutin. Pour maquiller sa fuite, Boutin a transféré son esprit dans un clone qu'il a abattu. Une prouesse dans la mesure où le transfert d'esprit ne pouvait s'effectuer que d'un corps à l'autre avant que le savant ne réussisse à stocker la conscience sur un support numérique. C'est parce qu'il n'a pas eu le temps de vider la mémoire de celui-ci que son esprit est une nouvelle fois transféré dans le corps du soldat Jared, soumis à haute surveillance en lisant ses pensées par le biais des Amicerveaux, une possibilité qu'on avait cachée aux soldats pour ne pas les inquiéter ; on espère qu'il retrouvera ainsi quelques-unes des informations permettant de savoir où Boutin se cache et connaître surtout la nature du complot ourdi contre les Terriens. Au fur et à mesure qu'il retrouve la mémoire de son hôte, Jared gagne en humanité en même temps qu'il devient apte à juger sa hiérarchie, laquelle n'a pas hésité, pour obtenir des renseignements, à inoculer à un extraterrestre prisonnier un poison nécessitant la prise d'un antidote à vie.

John Scalzi franchit, dans Les Brigades fantômes, un cran supplémentaire dans la perte d'humanité, du point de vue physique comme du point de vue moral. D'épineuses questions éthiques sur la légitimité de la violence, la définition de l'humain ou le contrôle d'autrui continuent d'être posées à travers ce roman fort prenant qui n'a jamais perdu de vue la dimension aventureuse de son récit ni l'indispensable touche d'humour. Même le projet de Boutin ressasse ces interrogations selon des perspectives inédites.

Pour Le Vieil homme et la guerre, son premier roman, John Scalzi a reçu le prix Campbell et a été nominé au Hugo. Des récompenses bien méritées, ce diptyque temporaire se révélant passionnant de bout en bout. En attendant la traduction du troisième opus de cette saga, The Last Colony, tout en priant pour que l'éditeur nous épargne cette fois une traduction de Bernadette Emerich.

Ta-Shima

Sur la planète asiatico-tropicale Ta-Shima vit une société post-humaine divisée en deux castes : d'un côté les Shiro (des samouraïs, pour simplifier), et de l'autre les Asix (des Haïnus, sans doute, puisque Ta-Shima est une métaphore du Japon médiéval). Shiro et Asix, maîtres et esclaves ? Oui et non… disons plutôt deux groupes vivant en une symbiose déséquilibrée, l'un étant clairement au-dessus de l'autre.

C'est sur Ta-Shima qu'a grandi Lara, une Shiro. Forcée de fuir sa planète natale (du moins, l'a-t-elle cru), elle est devenue doctoresse dans l'extramonde sous le nom de Suvaïdar Huang. Mais à la suite du décès plutôt suspect de sa mère (qui était l'équivalent du shogun, mais un shogun progressiste), voilà que Suvaïdar est fortement priée de rentrer chez elle. Le voyage interstellaire, en compagnie de soldats, d'un érudit et d'un ambassadeur fraîchement nommée sera long, très long. Et tournera au drame avec le viol de Keri, une Asix victime de la concupiscence criminelle de cinq soldats aussi cons qu'une performance de Jackass.

Quel ennui ! Que de bavardages inutiles ! La virée est longue et les étapes aussi palpitantes qu'une balade autour d'un champ de cent hectares en pleine Beauce. Les 600 pages du pavé se découpent (à peu près) ainsi : 180 pages d'exposition mollassonne en guise de préliminaires, deux pages de viol, puis un flash-back assez fort sur l'épreuve du passage à l'âge adulte, puis 300 pages de remplissage, ou presque, et, enfin, 100 pages où l'auteur retrouve son intrigue (le meurtre de maman) pour y mettre un terme de façon fort discutable, tant sur le plan de la technique narrative que sur le plan politique.

Roman mal construit, donc, mais aussi mal écrit, car Adriana Lorusso ne sait pas comment raconter son histoire (point de vue de Suvaïdar ? narration omnisciente ? point de vue de tartempion ?) ; elle jongle sans cesse entre les différentes techniques d'écriture et le résultat final ne donne pas grand-chose (sans compter quelques redites et des contradictions qu'une lecture attentive aurait dû éliminer). Il n'y a pas de ton. Aucune « petite musique ». Rien qui vous pousse à continuer votre lecture.

Malgré ce constat amer, on trouve des choses intéressantes dans ce premier roman d'Adriana Lorusso : la transposition (déformée) de la société japonaise sur une planète extraterrestre ; les liens Asix/Shiro ; la problématique de l'eugénisme tel qu'il est pratiqué par les Shiro. Mais tout ça ne suffit pas à retenir l'attention du lecteur. Adriana Lorusso croit sans doute que tout ce qu'elle raconte est intéressant, malheureusement ce n'est pas le cas ; et là où 250 pages auraient suffi (et auraient probablement donné un livre proche de ce que fait Karen Traviss chez le même éditeur — La Cité de Perle, Transgression), elle nous en inflige 600.

À la lecture de ce roman, deux chefs-d'œuvre de la science-fiction me sont venus à l'esprit : Emphyrio de Jack Vance et Les Maîtres-chanteurs d'Orson Scott Card. Des réminiscences signifiantes, car il y a chez Card et Vance (qu'on aime ou pas leurs opinions politiques) un talent qui fait grandement défaut à Lorusso, celui de conteur.

Au final, Ta-Shima — bravo pour la couverture à se vomir sur la langue ! — est probablement le plus beau pétard mouillé du premier semestre 2007 ; en tout cas, un livre qui n'aurait jamais dû paraître avant d'avoir été débroussaillé au Gravely 5665.

Fiction T6

Que ce soit en le lisant de la fin vers le début, ou du début vers la fin, rien n'y fait : ce numéro de Fiction (nouvelle série) est très décevant. On passera vite sur le nombre de coquilles et de maladresses de traduction (punks, voyous donc, traduits par punks, par exemple) — scories difficilement supportables et qui semblent désormais être la marque de fabrique de la revue et, plus généralement, de la maison d'édition qui la publie.

C'est Paolo Bacigalupi qui ouvre le bal en nous décrivant une société dans laquelle les gens se régénèrent de temps en temps pour ne pas mourir. Afin d'éviter tout problème de surpopulation, les enfants sont traqués par des brigades d'intervention qui leur explosent la tête d'un coup de Granger (la version bacigalupienne du Royster DiRollien) et les mères hors-la-loi sont emprisonnées. Ce qui aurait pu être le texte le plus fort de ce numéro est un des plus décevants ; contrairement à Thierry Di Rollo, Bacigalupi ne sait pas mettre au diapason fond et forme et gâche sa plus belle trouvaille (le magasin de jouets d'objets de collection). Son héros inconsistant donne un point de vue terriblement convenu sur des événements atroces et le face à face final, « téléphoné », mou du bulbe (pour être poli), est si peu en prise sur ce qu'on appelle parfois « la lave des sentiments » qu'il flanque tout l'édifice par terre… Bacigalupi a écrit au pathos et à l'auto-apitoiement ce qui aurait dû être tracé au scalpel ; dommage, car ce nouvel auteur américain vient de prouver récemment son grand talent avec les nouvelles « The Calorie Man » et « Yellow Card Man ».

Suivent deux petites pochades de Patrice Duvic (écrites old school, presque à la Sheckley). Le texte où l'auteur met en scène un malade du cancer qui teste la thérapie génique m'a serré la gorge tant il est autobiographique.

On passera vite sur les quatre biographies aliénées de Frédéric Jaccaud, bien écrites, mais ne suscitant qu'un ennui poli ; la nouvelle de Léo Henry (même punition, même motif) ; le récit graphique de Daylon (qu'on aurait pu sous-titre « écrire, photographier et mettre en page pour ne rien dire ») ; les vieilleries de Theodor Storm (massacré à la traduction), Edwin Page Mitchell et Robert Duncan Milne ; les sympathiques fonds de tiroir d'Alfred Bester et Theodore Sturgeon ; « Que ça parle de la mer » (quel titre à la con !) de Jeffrey Ford, ennuyeux à mourir ; afin de privilégier plutôt « La Maison du chat noir » de Yumiko Kurahashi, « L'enfant de Mars » de David Gerrold, « Echo » de Elizabeth Hand et « Du thé et des hamsters » de Michael Coney.

Yumiko Kurahashi décrit dans son texte, très court, la fascination d'un couple pour une cassette vidéo témoignant d'une fantastique étreinte amoureuse — étrange zoophilie pour cette jolie nouvelle érotique, marquante, qui évoque l'œuvre de Yôko Ogawa.

On change de continent et de décor avec « L'enfant de Mars » de David Gerrold, son texte le plus connu (vieux d'une dizaine d'années, maintenant), qu'il a ensuite transformé en roman et qui, récemment, a été porté à l'écran avec John Cusack dans le rôle principal (celui du père). Dans cette œuvre aux trois visages, on suit un homme seul (gay ou non, selon la version) qui décide d'adopter un enfant et qui, après un véritable parcours du combattant, se voit confier la garde de Dennis — un garçon de huit ans convaincu d'être un martien. Même si on ignore que cette histoire est tirée d'une histoire vraie (celle de David et Dennis Gerrold), le texte publié dans Fiction fonctionne très bien, faisant vibrer les cordes des sentiments. L'auteur a réussi sur une quarantaine de pages, à l'aide d'une écriture très sobre, à capturer la magie de l'enfance, mais aussi les dégâts souvent irréversibles des maltraitances. Poignant. Une belle réussite.

« Echo » d'Elizabeth Hand se rattache à son cycle de nouvelles situées à Mars Hill ou aux alentours ; il s'agit d'un texte court, contemplatif, une fin du monde qui rappelle The City not long after de Pat Murphy, mais sans en avoir la verve évocatrice. Pour diverses raisons, il m'a semblé que ce texte était une lettre écrite à John Crowley. Les gens dotés d'un mauvais fond jugeront sans doute que c'est « beau et chiant comme un film de Wim Wenders ».

Réjoui à l'idée de lire un texte du trop rare Michael Coney (malheureusement mort trop jeune, en 2005), j'ai été légèrement déçu par « Du thé et des hamsters », colosse aux pieds d'argile, qui s'effondre stupidement quand Madame Masterson, vieille bique dans toute sa splendeur, tombe tête la première dans le puits de la rédemption.

Un numéro très décevant donc, qui semble s'adresser à la génération de lecteurs qui a précédé la mienne. À emprunter… pour lire le texte de David Gerrold.

10 000 litres d’horreur pure

Si les lois sur le copyright me l'avaient permis (et mon rédac' chef, aussi, ce qui est une autre paire de manches car il est beaucoup plus dangereux que la plus vicieuse des lois sur la propriété intellectuelle), c'est avec un immense plaisir que j'aurais reproduit ci-après l'intégralité de l'avant-propos de Thomas Gunzig sobrement intitulé « Petite introduction en guise de justification », ce texte de cinq pages étant la plus belle déclaration d'amour au cinéma d'horreur qu'il m'ait été donné de lire. Si belle, que d'un coup je me dis que les gens qui n'aiment pas les films d'horreur, et souhaiteraient les voir disparaître des vidéoclubs et des chaînes satellites, sont des terroristes, des criminels de mauvais goût et probablement des êtres instables qu'il conviendrait de surveiller étroitement.

Allez, inutile de résister, un petit extrait de cette « Petite introduction en guise de justification » : « De cette époque bénie pour la formation de l'imaginaire, je me souviens de quelques chocs telluriques dont les concrétions solides sont encore aujourd'hui présentes, pareilles à des cicatrices dont on serait fier. Je me souviens du Suspiria de Dario Argento, les images étaient sombres, le sang était d'un noir épais ou d'un improbable rouge orangé. Je me souviens de la musique des Goblins. Je me souviens de mon premier rape and revenge : La Dernière maison sur la gauche et de La Colline a des yeux de Wes Craven. La plus belle révélation pour nos petits esprits, c'était que tout était possible, tout était faisable, tout était montrable et surtout que rien n'était interdit. » (page 7)

Après ce superbe avant-propos commence le livre (c'est-à-dire le massacre) : cinq jeunes crétins, aussi passionnants qu'un jeu télévisé, décident de passer le week-end dans une cabane pourrie, perdue au bord d'un lac. Il y a Patrice, chimiste puceau dont la sœur a disparu des années plus tôt dans la même cabane ; JC, le beau gosse plein aux as dont le principal projet pour le week-end sera d'arriver, enfin, à sodomiser sa copine Kathy (archétype, quant à elle, de la pétasse estudiantine superficielle), et il y a Marc et Ivana, un gentil couple (avec arbalète) un peu paumé dans cette galère. Et, dehors, rôde quelqu'un ou quelque chose de bien décidé à…

Comme dirait l'autre : « Ça va cogner fort, ça va aller vite et nul n'en sortira indemne. »

10 000 litres d'horreur pure, qui aurait pu aussi s'appeler « 250 pages de plaisir coupable pour fans d'Evil Dead et clones de Kevin Williamson », se dévore, à tel point que, hop, une fois arrivé au générique de fin, on rembobine le slasher pour se repasser les meilleurs passages au ralenti, une relecture-gourmandise par ci, un petit échantillon sanguin par là. Evidemment, ce n'est pas exempt de défauts (Gunzig a un péché mignon : surdoué de l'écriture, il cède facilement à la facilité), ni de coquilles. Par ailleurs, Gunzig n'aime pas finir ses romans, alors il les finit un peu « à la va comme je te pousse dans les escaliers pleins de clous à tétanos », en se disant probablement un truc du genre : « Sur un malentendu, ça devrait passer. »

Mais en fait tout cela importe peu, voilà un livre (malin, très malin) qui n'est pas d'une ambition folle, mais qui réserve du plaisir, un vrai et grand plaisir de lecture.

Thomas « Evil » Day

Mickey Monster

[Critique commune à Cold Gotha, Tous ne sont pas des monstres, Mastication, Question de mort, Délires d’Orphée, Léviatown et Mickey Monster.]

« Il arrive que l’œil capture une silhouette, celle d’un monstre sur un mur de béton, que l’oreille entende un hurlement surgissant d’une impasse. On se dit que c’est la fatigue, le stress de la vie moderne, et l’esprit reprend le dessus, pour retourner à la routine rassurante. En général, c’est ce qu’il faut faire, parce que la vie est banale, qu’elle n’a rien d’extraordinaire. Mais parfois il y a un monstre dans le béton, et l’horreur se déchaîne dans l’impasse. Alors on ne peut compter que sur le Club Van Helsing. » (Texte du rabat de droite.)

Voici donc les sept premiers volumes du Club Van Helsing, une collection créée et dirigée par Guillaume Lebeau et Xavier Mauméjean qui rappelle un peu L’Agence Arkham de Francis Valéry (série publiée il y a quelques années aux défuntes éditions DLM et dont, logiquement, au vu de la qualité des textes qui la composaient, personne ne se souvient). Première bonne surprise concernant Le Club Van Helsing : les livres sont jolis, avec leur couvertures N&B, leur pelliculage sélectif et leurs rabats.

Mais qu’est-ce que le Club Van Helsing ?

Ceux qui, comme moi, ont commencé par la lecture du Maud Tabachnik Tous ne sont pas des monstres, mais qui, contrairement à moi, n’ont pas poursuivi la série, ne pourront guère répondre à cette question, car le club de chasseurs de monstres n’y apparaît pas, à part une rencontre londonienne (et inutile) entre le personnage principal, Nathan, et Hugo Van Helsing, entrevue falote à laquelle on ajoutera une inscription sur une tombe et c’est à peu près tout. Pour le reste, nous avons affaire à un texte éclaté en nombreux points de vue qui évoque les pires pages paranoïaques de Philippe de Villiers, Maurice G. Dantec et Dan Simmons : d’un côté de sales arabes de merde financés par Ben Laden (ah ah ah !) invoquent un Djinn en banlieue ; de l’autre, face à l’incurie des forces de maintien de l’ordre françaises, incurie qui pourrait bien provoquer la fin de notre monde occidental aux si belles valeurs (le pognon avant tout !), un super-héros juif (un peu con, mais ça c’est mon point de vue) va à Prague où il réveille le golem du Rabbi Löw. Le bien (les Juifs), le mal (les Arabes), la banlieue qui flambe à cause du noyautage terroriste islamiste (et surtout pas du chômage, du culte de l’argent facile et du racisme ambiant) ; un tel concentré de clichés pro-israéliens et anti-islamistes laisse pantois et il n’en faut pas plus pour jeter cet étron tiède à la poubelle en espérant que les éboueurs (probablement issus de l’immigration) ne tarderont pas à passer. C’est sûr qu’avec des textes de cet acabit, au mieux maladroits, au pire manichéens et simplistes, on progresse sur la voie de la tolérance et de l’intégration. A boycotter avec force ! Même si les intentions de Tabachnik (connue pour ses engagements politiques) étaient probablement bien moins puantes que son livre.

Ça ne s’arrange guère avec Cold Gotha de Guillaume Lebeau où Hugo Van Helsing joue au chasseur de vampires en Californie. L’auteur a visiblement trop regardé 24 heures chrono et trop lu la sous littérature de Tom Clancy ; résultat, il se prend pour un auteur de best-sellers américain et nous inonde de marques (Paul Smith, Vuitton, Converse, Yohji Yama-moto…), de détails techniques inutiles (« … les trois moteurs Honeywell TFE731-60 se turent », page 8), de calibres divers et variés (« un SABR calibre 5,56 mm. Lance-roquettes 20 mm semi-automatique alimenté par chargeur », page 23). Au final, ça ressemble à « Bécassine vient de découvrir les possibilités infinies d’Internet et écrit son SAS », et les seules fois où on rit, c’est face au sérieux imperturbable de ce mini-thriller-vampirique ennuyeux, plus con que le Da Vinci Code et rempli jusqu’aux marges de « Mossberg 500 », d’« Igla-S développé par KBM Mashynostroeniya », de « GT-500KR 1968 ». On imagine sans mal ce que donnerait une scène de cul écrite par Lebeau : « Il déroula sur les 144 premiers millimètres de sa verge en expansion sanguine un préservatif Durex nervuré, modèle straightpussy, marque déposée, n°de lot Fr-0666252134. Puis il soupesa ses testicules d’un diamètre de 3,81 cm à droite, 3,92 à gauche, avant de pénétrer Belinda avec un angle de 37,2° (le matin ?)… ». Allez, zou, poubelle !

Arrivé à la seconde fournée, un choix cornélien s’impose : soit lire le Bizien sur les loups-garous, soit lire le Heliot sur le sphinx. Après une courte hésitation, j’attaque le Bizien, qui commence très très mal : « Le personnage de cette histoire est raciste, homophobe et sanguinaire. Si l’auteur a eu grand plaisir à narrer ses aventures, il est évident qu’il ne partage aucunement ses idées », page 5. Si c’est si évident, pourquoi l’écrire ? Il me semblait que depuis la parution de La Mort est mon métier de Robert Merle, ce type de justifications ambiance « les lecteurs sont tellement cons, surtout levons toute ambiguïté » était devenue totalement inutile. Il faut croire que non… Quant au texte, il met en scène, sans grand panache, Vuk, ex-légionnaire et vétéran serbe qui massacre la moitié des vampyres et lycanthropes du sous-Paris, pour le compte de Winston Lester Kobayashi Takakura, à moins que ça ne soit pour celui d’Hugo Van Helsing. Ecriture coup de poing et bâclée (on dirait un Blade — pas le vampire, l’autre), scènes d’action nombreuses mais sans enjeux, récit sans véritable horizon d’attente : Mastication c’est Underworld 2 sans Kate Beckinsale, une aventure plus Kronenbourg  que glamour, saupoudrée d’une bonne dose du jeu de rôle Vampire — la Mascarade… Une série B un brin rock’n’roll, pleine de clins d’œil cinéma, de blagues foirées ; un textaillon (équivalent littéraire du gravillon) qui se laisse lire, dans le métro par exemple, mais qu’on oubliera sitôt la dernière page tournée. Pas scandaleux, jamais enthousiasmant. En tout cas, un texte qui est bien plus à sa place, chez Baleine, que les deux précédents.

Passons maintenant au cas Johan Heliot : Question de mort.

Big B. est un monstre, énorme, surarmé. Il se promène dans un Hummer avec, à l’arrière, une créature qui n’est ni un chien ni un singe et ne semble consommer que des sauces en sachet.

Big B. est un justicier qui travaille comme chasseur de monstres pour le compte d’Hugo Van Helsing, ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, d’avoir une vision de la justice particulière : « Partout, on trouvait des clones de ce mec, qui veillaient à ce que leurs contemporains appliquent à la lettre les lois et règlements édictés pour le bien de la collectivité. Partout, ils cassaient les burnes aux dangereux terroristes du quotidien qui ne ramassaient pas les merdes de chiens ou traversaient aux feux rouges. Ces citoyens incarnaient les valeurs morales du pays avec une fierté d’autant plus imbécile qu’elle représentait le plus haut degré d’engagement politique dont ils étaient capables. » (Page 36.)

Big B. est à la poursuite du Sphinx et de ses deux assesseurs. Un sphinx qui découpe ses victimes quand celles-ci ne savent pas répondre à ses énigmes, un monstre qui n’hésite pas à faire des snuff movies qu’il balance ensuite sur l’Internet.

Première réussite du Club Van Helsing, Question de mort est une série B très marquée par les films d’horreur des années 70 et du début des années 80 (Massacre à la tronçonneuse, Evil dead, Vendredi 13, La Colline a des yeux…) Ce portrait d’une Amérique dégénérée évoque le célèbre épisode de la saison 4 de la série X-Files, « La Meute » (« Home » en VO). On est là face à un texte d’ambition restreinte, mais bien écrit, bien mené et plein d’humour (parfois pipi-caca — les lecteurs de Stephen King ne seront pas dépaysés). Adepte d’une littérature populaire de qualité, Johan Heliot semble être le seul des quatre premiers auteurs à avoir trouvé l’esprit Van Helsing, c’est-à-dire l’esprit X-Files, pour simplifier.

Vient ensuite Délire d’Orphée de Catherine Dufour, le mieux écrit des sept, sans aucun doute, mais paradoxalement le plus ennuyeux. On y suit Senoufo Amchis, tueur de cachalot, engagé par Hugo Van Helsing pour détruire une carapace de tortue d’un coup de harpon. Si ce petit livre est un joli portait de chasseur de monstres, c’est surtout une novella ultra linéaire, sans surprise aucune, dont l’histoire (d’adultère…) tient sur un ticket de métro plié en deux. Dans ses moments les plus inspirés, Dufour livre de belles pages sur Londres, la mer, le désir ; le reste du temps, elle étire comme elle le peut la matière d’une novelette. Dommage.

Mickey Monster de Denis Bretin et Laurent Bonzon (auteurs du Masque qui signent Bretin & Bonzon) surprend. D’abord, parce que c’est le Club Van Helsing qui respecte le plus la bible de la série. Ensuite, parce que cet hommage appuyé aux séries Z (plusieurs sont d’ailleurs planquées ici et là, au détour d’une description ou d’un dialogue) fonctionne à 100%. En deux mots, Mickey Monster est un remake de Blob (avec Steve McQueen) et Gremlins (le personnage du narrateur est inventeur, comme le papa acheteur du mogwai). Ce court roman a une petite musique, très agréable. L’ambition n’est pas bien haute, mais le résultat est tout à fait sympathique. Et je me suis même surpris à éclater de rire deux ou trois fois ; notamment lors de la scène de la demande en mariage, tout à fait savoureuse, faisandée comme il se doit. Malgré quelques failles scénaristiques dignes d’Ed Wood, ce Club Van Helsing est un petit bijou, crétin et jouissif, parfum Braindead. Dans la même veine que le Heliot, mais en plus marrant.

Quant à Leviatown de Philip Le Roy, c’est plus ou moins Notre-Dame des ténèbres de Fritz Leiber réécrit par Chuck Norris ou Steven Seagal. Même à doses homéopathiques (3-4 pages, le soir) ce concentré de ninjâneries, de blagues de mercenaires et de citations cinématographiques est insupportable. Extrait :

« Desert Eagle .50 Action Express, déclara Samsonite. Le calibre le plus puissant au monde pour une arme de poing semi-automatique. A faire passer du .44 Magnum pour une crotte de nez.

– ‘Utain cha fait mal conach’ ! se plaignit Mendez

– Le fait qu’il y ait écrit GROS CON sur ton front et DESERT EAGLE sur mon flingue devrait pousser tes deux petites noix à se casser et toi avec. » (page 27.)

Au final, de ces sept premiers Club Van Helsing, on retiendra le Johan Heliot, maîtrisé et plaisant, et l’hommage de Bretin & Bonzon à tous les Attaque de la moussaka géante, Blob et autres tomates tueuses. Pas de quoi sauter au plafond, surtout à dix euros le petit livre.

Léviatown

[Critique commune à Cold Gotha, Tous ne sont pas des monstres, Mastication, Question de mort, Délires d’Orphée, Léviatown et Mickey Monster.]

« Il arrive que l’œil capture une silhouette, celle d’un monstre sur un mur de béton, que l’oreille entende un hurlement surgissant d’une impasse. On se dit que c’est la fatigue, le stress de la vie moderne, et l’esprit reprend le dessus, pour retourner à la routine rassurante. En général, c’est ce qu’il faut faire, parce que la vie est banale, qu’elle n’a rien d’extraordinaire. Mais parfois il y a un monstre dans le béton, et l’horreur se déchaîne dans l’impasse. Alors on ne peut compter que sur le Club Van Helsing. » (Texte du rabat de droite.)

Voici donc les sept premiers volumes du Club Van Helsing, une collection créée et dirigée par Guillaume Lebeau et Xavier Mauméjean qui rappelle un peu L’Agence Arkham de Francis Valéry (série publiée il y a quelques années aux défuntes éditions DLM et dont, logiquement, au vu de la qualité des textes qui la composaient, personne ne se souvient). Première bonne surprise concernant Le Club Van Helsing : les livres sont jolis, avec leur couvertures N&B, leur pelliculage sélectif et leurs rabats.

Mais qu’est-ce que le Club Van Helsing ?

Ceux qui, comme moi, ont commencé par la lecture du Maud Tabachnik Tous ne sont pas des monstres, mais qui, contrairement à moi, n’ont pas poursuivi la série, ne pourront guère répondre à cette question, car le club de chasseurs de monstres n’y apparaît pas, à part une rencontre londonienne (et inutile) entre le personnage principal, Nathan, et Hugo Van Helsing, entrevue falote à laquelle on ajoutera une inscription sur une tombe et c’est à peu près tout. Pour le reste, nous avons affaire à un texte éclaté en nombreux points de vue qui évoque les pires pages paranoïaques de Philippe de Villiers, Maurice G. Dantec et Dan Simmons : d’un côté de sales arabes de merde financés par Ben Laden (ah ah ah !) invoquent un Djinn en banlieue ; de l’autre, face à l’incurie des forces de maintien de l’ordre françaises, incurie qui pourrait bien provoquer la fin de notre monde occidental aux si belles valeurs (le pognon avant tout !), un super-héros juif (un peu con, mais ça c’est mon point de vue) va à Prague où il réveille le golem du Rabbi Löw. Le bien (les Juifs), le mal (les Arabes), la banlieue qui flambe à cause du noyautage terroriste islamiste (et surtout pas du chômage, du culte de l’argent facile et du racisme ambiant) ; un tel concentré de clichés pro-israéliens et anti-islamistes laisse pantois et il n’en faut pas plus pour jeter cet étron tiède à la poubelle en espérant que les éboueurs (probablement issus de l’immigration) ne tarderont pas à passer. C’est sûr qu’avec des textes de cet acabit, au mieux maladroits, au pire manichéens et simplistes, on progresse sur la voie de la tolérance et de l’intégration. A boycotter avec force ! Même si les intentions de Tabachnik (connue pour ses engagements politiques) étaient probablement bien moins puantes que son livre.

Ça ne s’arrange guère avec Cold Gotha de Guillaume Lebeau où Hugo Van Helsing joue au chasseur de vampires en Californie. L’auteur a visiblement trop regardé 24 heures chrono et trop lu la sous littérature de Tom Clancy ; résultat, il se prend pour un auteur de best-sellers américain et nous inonde de marques (Paul Smith, Vuitton, Converse, Yohji Yama-moto…), de détails techniques inutiles (« … les trois moteurs Honeywell TFE731-60 se turent », page 8), de calibres divers et variés (« un SABR calibre 5,56 mm. Lance-roquettes 20 mm semi-automatique alimenté par chargeur », page 23). Au final, ça ressemble à « Bécassine vient de découvrir les possibilités infinies d’Internet et écrit son SAS », et les seules fois où on rit, c’est face au sérieux imperturbable de ce mini-thriller-vampirique ennuyeux, plus con que le Da Vinci Code et rempli jusqu’aux marges de « Mossberg 500 », d’« Igla-S développé par KBM Mashynostroeniya », de « GT-500KR 1968 ». On imagine sans mal ce que donnerait une scène de cul écrite par Lebeau : « Il déroula sur les 144 premiers millimètres de sa verge en expansion sanguine un préservatif Durex nervuré, modèle straightpussy, marque déposée, n°de lot Fr-0666252134. Puis il soupesa ses testicules d’un diamètre de 3,81 cm à droite, 3,92 à gauche, avant de pénétrer Belinda avec un angle de 37,2° (le matin ?)… ». Allez, zou, poubelle !

Arrivé à la seconde fournée, un choix cornélien s’impose : soit lire le Bizien sur les loups-garous, soit lire le Heliot sur le sphinx. Après une courte hésitation, j’attaque le Bizien, qui commence très très mal : « Le personnage de cette histoire est raciste, homophobe et sanguinaire. Si l’auteur a eu grand plaisir à narrer ses aventures, il est évident qu’il ne partage aucunement ses idées », page 5. Si c’est si évident, pourquoi l’écrire ? Il me semblait que depuis la parution de La Mort est mon métier de Robert Merle, ce type de justifications ambiance « les lecteurs sont tellement cons, surtout levons toute ambiguïté » était devenue totalement inutile. Il faut croire que non… Quant au texte, il met en scène, sans grand panache, Vuk, ex-légionnaire et vétéran serbe qui massacre la moitié des vampyres et lycanthropes du sous-Paris, pour le compte de Winston Lester Kobayashi Takakura, à moins que ça ne soit pour celui d’Hugo Van Helsing. Ecriture coup de poing et bâclée (on dirait un Blade — pas le vampire, l’autre), scènes d’action nombreuses mais sans enjeux, récit sans véritable horizon d’attente : Mastication c’est Underworld 2 sans Kate Beckinsale, une aventure plus Kronenbourg  que glamour, saupoudrée d’une bonne dose du jeu de rôle Vampire — la Mascarade… Une série B un brin rock’n’roll, pleine de clins d’œil cinéma, de blagues foirées ; un textaillon (équivalent littéraire du gravillon) qui se laisse lire, dans le métro par exemple, mais qu’on oubliera sitôt la dernière page tournée. Pas scandaleux, jamais enthousiasmant. En tout cas, un texte qui est bien plus à sa place, chez Baleine, que les deux précédents.

Passons maintenant au cas Johan Heliot : Question de mort.

Big B. est un monstre, énorme, surarmé. Il se promène dans un Hummer avec, à l’arrière, une créature qui n’est ni un chien ni un singe et ne semble consommer que des sauces en sachet.

Big B. est un justicier qui travaille comme chasseur de monstres pour le compte d’Hugo Van Helsing, ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, d’avoir une vision de la justice particulière : « Partout, on trouvait des clones de ce mec, qui veillaient à ce que leurs contemporains appliquent à la lettre les lois et règlements édictés pour le bien de la collectivité. Partout, ils cassaient les burnes aux dangereux terroristes du quotidien qui ne ramassaient pas les merdes de chiens ou traversaient aux feux rouges. Ces citoyens incarnaient les valeurs morales du pays avec une fierté d’autant plus imbécile qu’elle représentait le plus haut degré d’engagement politique dont ils étaient capables. » (Page 36.)

Big B. est à la poursuite du Sphinx et de ses deux assesseurs. Un sphinx qui découpe ses victimes quand celles-ci ne savent pas répondre à ses énigmes, un monstre qui n’hésite pas à faire des snuff movies qu’il balance ensuite sur l’Internet.

Première réussite du Club Van Helsing, Question de mort est une série B très marquée par les films d’horreur des années 70 et du début des années 80 (Massacre à la tronçonneuse, Evil dead, Vendredi 13, La Colline a des yeux…) Ce portrait d’une Amérique dégénérée évoque le célèbre épisode de la saison 4 de la série X-Files, « La Meute » (« Home » en VO). On est là face à un texte d’ambition restreinte, mais bien écrit, bien mené et plein d’humour (parfois pipi-caca — les lecteurs de Stephen King ne seront pas dépaysés). Adepte d’une littérature populaire de qualité, Johan Heliot semble être le seul des quatre premiers auteurs à avoir trouvé l’esprit Van Helsing, c’est-à-dire l’esprit X-Files, pour simplifier.

Vient ensuite Délire d’Orphée de Catherine Dufour, le mieux écrit des sept, sans aucun doute, mais paradoxalement le plus ennuyeux. On y suit Senoufo Amchis, tueur de cachalot, engagé par Hugo Van Helsing pour détruire une carapace de tortue d’un coup de harpon. Si ce petit livre est un joli portait de chasseur de monstres, c’est surtout une novella ultra linéaire, sans surprise aucune, dont l’histoire (d’adultère…) tient sur un ticket de métro plié en deux. Dans ses moments les plus inspirés, Dufour livre de belles pages sur Londres, la mer, le désir ; le reste du temps, elle étire comme elle le peut la matière d’une novelette. Dommage.

Mickey Monster de Denis Bretin et Laurent Bonzon (auteurs du Masque qui signent Bretin & Bonzon) surprend. D’abord, parce que c’est le Club Van Helsing qui respecte le plus la bible de la série. Ensuite, parce que cet hommage appuyé aux séries Z (plusieurs sont d’ailleurs planquées ici et là, au détour d’une description ou d’un dialogue) fonctionne à 100%. En deux mots, Mickey Monster est un remake de Blob (avec Steve McQueen) et Gremlins (le personnage du narrateur est inventeur, comme le papa acheteur du mogwai). Ce court roman a une petite musique, très agréable. L’ambition n’est pas bien haute, mais le résultat est tout à fait sympathique. Et je me suis même surpris à éclater de rire deux ou trois fois ; notamment lors de la scène de la demande en mariage, tout à fait savoureuse, faisandée comme il se doit. Malgré quelques failles scénaristiques dignes d’Ed Wood, ce Club Van Helsing est un petit bijou, crétin et jouissif, parfum Braindead. Dans la même veine que le Heliot, mais en plus marrant.

Quant à Leviatown de Philip Le Roy, c’est plus ou moins Notre-Dame des ténèbres de Fritz Leiber réécrit par Chuck Norris ou Steven Seagal. Même à doses homéopathiques (3-4 pages, le soir) ce concentré de ninjâneries, de blagues de mercenaires et de citations cinématographiques est insupportable. Extrait :

« Desert Eagle .50 Action Express, déclara Samsonite. Le calibre le plus puissant au monde pour une arme de poing semi-automatique. A faire passer du .44 Magnum pour une crotte de nez.

– ‘Utain cha fait mal conach’ ! se plaignit Mendez

– Le fait qu’il y ait écrit GROS CON sur ton front et DESERT EAGLE sur mon flingue devrait pousser tes deux petites noix à se casser et toi avec. » (page 27.)

Au final, de ces sept premiers Club Van Helsing, on retiendra le Johan Heliot, maîtrisé et plaisant, et l’hommage de Bretin & Bonzon à tous les Attaque de la moussaka géante, Blob et autres tomates tueuses. Pas de quoi sauter au plafond, surtout à dix euros le petit livre.

Délires d'Orphée

[Critique commune à Cold Gotha, Tous ne sont pas des monstres, Mastication, Question de mort, Délires d’Orphée, Léviatown et Mickey Monster.]

« Il arrive que l’œil capture une silhouette, celle d’un monstre sur un mur de béton, que l’oreille entende un hurlement surgissant d’une impasse. On se dit que c’est la fatigue, le stress de la vie moderne, et l’esprit reprend le dessus, pour retourner à la routine rassurante. En général, c’est ce qu’il faut faire, parce que la vie est banale, qu’elle n’a rien d’extraordinaire. Mais parfois il y a un monstre dans le béton, et l’horreur se déchaîne dans l’impasse. Alors on ne peut compter que sur le Club Van Helsing. » (Texte du rabat de droite.)

Voici donc les sept premiers volumes du Club Van Helsing, une collection créée et dirigée par Guillaume Lebeau et Xavier Mauméjean qui rappelle un peu L’Agence Arkham de Francis Valéry (série publiée il y a quelques années aux défuntes éditions DLM et dont, logiquement, au vu de la qualité des textes qui la composaient, personne ne se souvient). Première bonne surprise concernant Le Club Van Helsing : les livres sont jolis, avec leur couvertures N&B, leur pelliculage sélectif et leurs rabats.

Mais qu’est-ce que le Club Van Helsing ?

Ceux qui, comme moi, ont commencé par la lecture du Maud Tabachnik Tous ne sont pas des monstres, mais qui, contrairement à moi, n’ont pas poursuivi la série, ne pourront guère répondre à cette question, car le club de chasseurs de monstres n’y apparaît pas, à part une rencontre londonienne (et inutile) entre le personnage principal, Nathan, et Hugo Van Helsing, entrevue falote à laquelle on ajoutera une inscription sur une tombe et c’est à peu près tout. Pour le reste, nous avons affaire à un texte éclaté en nombreux points de vue qui évoque les pires pages paranoïaques de Philippe de Villiers, Maurice G. Dantec et Dan Simmons : d’un côté de sales arabes de merde financés par Ben Laden (ah ah ah !) invoquent un Djinn en banlieue ; de l’autre, face à l’incurie des forces de maintien de l’ordre françaises, incurie qui pourrait bien provoquer la fin de notre monde occidental aux si belles valeurs (le pognon avant tout !), un super-héros juif (un peu con, mais ça c’est mon point de vue) va à Prague où il réveille le golem du Rabbi Löw. Le bien (les Juifs), le mal (les Arabes), la banlieue qui flambe à cause du noyautage terroriste islamiste (et surtout pas du chômage, du culte de l’argent facile et du racisme ambiant) ; un tel concentré de clichés pro-israéliens et anti-islamistes laisse pantois et il n’en faut pas plus pour jeter cet étron tiède à la poubelle en espérant que les éboueurs (probablement issus de l’immigration) ne tarderont pas à passer. C’est sûr qu’avec des textes de cet acabit, au mieux maladroits, au pire manichéens et simplistes, on progresse sur la voie de la tolérance et de l’intégration. A boycotter avec force ! Même si les intentions de Tabachnik (connue pour ses engagements politiques) étaient probablement bien moins puantes que son livre.

Ça ne s’arrange guère avec Cold Gotha de Guillaume Lebeau où Hugo Van Helsing joue au chasseur de vampires en Californie. L’auteur a visiblement trop regardé 24 heures chrono et trop lu la sous littérature de Tom Clancy ; résultat, il se prend pour un auteur de best-sellers américain et nous inonde de marques (Paul Smith, Vuitton, Converse, Yohji Yama-moto…), de détails techniques inutiles (« … les trois moteurs Honeywell TFE731-60 se turent », page 8), de calibres divers et variés (« un SABR calibre 5,56 mm. Lance-roquettes 20 mm semi-automatique alimenté par chargeur », page 23). Au final, ça ressemble à « Bécassine vient de découvrir les possibilités infinies d’Internet et écrit son SAS », et les seules fois où on rit, c’est face au sérieux imperturbable de ce mini-thriller-vampirique ennuyeux, plus con que le Da Vinci Code et rempli jusqu’aux marges de « Mossberg 500 », d’« Igla-S développé par KBM Mashynostroeniya », de « GT-500KR 1968 ». On imagine sans mal ce que donnerait une scène de cul écrite par Lebeau : « Il déroula sur les 144 premiers millimètres de sa verge en expansion sanguine un préservatif Durex nervuré, modèle straightpussy, marque déposée, n°de lot Fr-0666252134. Puis il soupesa ses testicules d’un diamètre de 3,81 cm à droite, 3,92 à gauche, avant de pénétrer Belinda avec un angle de 37,2° (le matin ?)… ». Allez, zou, poubelle !

Arrivé à la seconde fournée, un choix cornélien s’impose : soit lire le Bizien sur les loups-garous, soit lire le Heliot sur le sphinx. Après une courte hésitation, j’attaque le Bizien, qui commence très très mal : « Le personnage de cette histoire est raciste, homophobe et sanguinaire. Si l’auteur a eu grand plaisir à narrer ses aventures, il est évident qu’il ne partage aucunement ses idées », page 5. Si c’est si évident, pourquoi l’écrire ? Il me semblait que depuis la parution de La Mort est mon métier de Robert Merle, ce type de justifications ambiance « les lecteurs sont tellement cons, surtout levons toute ambiguïté » était devenue totalement inutile. Il faut croire que non… Quant au texte, il met en scène, sans grand panache, Vuk, ex-légionnaire et vétéran serbe qui massacre la moitié des vampyres et lycanthropes du sous-Paris, pour le compte de Winston Lester Kobayashi Takakura, à moins que ça ne soit pour celui d’Hugo Van Helsing. Ecriture coup de poing et bâclée (on dirait un Blade — pas le vampire, l’autre), scènes d’action nombreuses mais sans enjeux, récit sans véritable horizon d’attente : Mastication c’est Underworld 2 sans Kate Beckinsale, une aventure plus Kronenbourg  que glamour, saupoudrée d’une bonne dose du jeu de rôle Vampire — la Mascarade… Une série B un brin rock’n’roll, pleine de clins d’œil cinéma, de blagues foirées ; un textaillon (équivalent littéraire du gravillon) qui se laisse lire, dans le métro par exemple, mais qu’on oubliera sitôt la dernière page tournée. Pas scandaleux, jamais enthousiasmant. En tout cas, un texte qui est bien plus à sa place, chez Baleine, que les deux précédents.

Passons maintenant au cas Johan Heliot : Question de mort.

Big B. est un monstre, énorme, surarmé. Il se promène dans un Hummer avec, à l’arrière, une créature qui n’est ni un chien ni un singe et ne semble consommer que des sauces en sachet.

Big B. est un justicier qui travaille comme chasseur de monstres pour le compte d’Hugo Van Helsing, ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, d’avoir une vision de la justice particulière : « Partout, on trouvait des clones de ce mec, qui veillaient à ce que leurs contemporains appliquent à la lettre les lois et règlements édictés pour le bien de la collectivité. Partout, ils cassaient les burnes aux dangereux terroristes du quotidien qui ne ramassaient pas les merdes de chiens ou traversaient aux feux rouges. Ces citoyens incarnaient les valeurs morales du pays avec une fierté d’autant plus imbécile qu’elle représentait le plus haut degré d’engagement politique dont ils étaient capables. » (Page 36.)

Big B. est à la poursuite du Sphinx et de ses deux assesseurs. Un sphinx qui découpe ses victimes quand celles-ci ne savent pas répondre à ses énigmes, un monstre qui n’hésite pas à faire des snuff movies qu’il balance ensuite sur l’Internet.

Première réussite du Club Van Helsing, Question de mort est une série B très marquée par les films d’horreur des années 70 et du début des années 80 (Massacre à la tronçonneuse, Evil dead, Vendredi 13, La Colline a des yeux…) Ce portrait d’une Amérique dégénérée évoque le célèbre épisode de la saison 4 de la série X-Files, « La Meute » (« Home » en VO). On est là face à un texte d’ambition restreinte, mais bien écrit, bien mené et plein d’humour (parfois pipi-caca — les lecteurs de Stephen King ne seront pas dépaysés). Adepte d’une littérature populaire de qualité, Johan Heliot semble être le seul des quatre premiers auteurs à avoir trouvé l’esprit Van Helsing, c’est-à-dire l’esprit X-Files, pour simplifier.

Vient ensuite Délire d’Orphée de Catherine Dufour, le mieux écrit des sept, sans aucun doute, mais paradoxalement le plus ennuyeux. On y suit Senoufo Amchis, tueur de cachalot, engagé par Hugo Van Helsing pour détruire une carapace de tortue d’un coup de harpon. Si ce petit livre est un joli portait de chasseur de monstres, c’est surtout une novella ultra linéaire, sans surprise aucune, dont l’histoire (d’adultère…) tient sur un ticket de métro plié en deux. Dans ses moments les plus inspirés, Dufour livre de belles pages sur Londres, la mer, le désir ; le reste du temps, elle étire comme elle le peut la matière d’une novelette. Dommage.

Mickey Monster de Denis Bretin et Laurent Bonzon (auteurs du Masque qui signent Bretin & Bonzon) surprend. D’abord, parce que c’est le Club Van Helsing qui respecte le plus la bible de la série. Ensuite, parce que cet hommage appuyé aux séries Z (plusieurs sont d’ailleurs planquées ici et là, au détour d’une description ou d’un dialogue) fonctionne à 100%. En deux mots, Mickey Monster est un remake de Blob (avec Steve McQueen) et Gremlins (le personnage du narrateur est inventeur, comme le papa acheteur du mogwai). Ce court roman a une petite musique, très agréable. L’ambition n’est pas bien haute, mais le résultat est tout à fait sympathique. Et je me suis même surpris à éclater de rire deux ou trois fois ; notamment lors de la scène de la demande en mariage, tout à fait savoureuse, faisandée comme il se doit. Malgré quelques failles scénaristiques dignes d’Ed Wood, ce Club Van Helsing est un petit bijou, crétin et jouissif, parfum Braindead. Dans la même veine que le Heliot, mais en plus marrant.

Quant à Leviatown de Philip Le Roy, c’est plus ou moins Notre-Dame des ténèbres de Fritz Leiber réécrit par Chuck Norris ou Steven Seagal. Même à doses homéopathiques (3-4 pages, le soir) ce concentré de ninjâneries, de blagues de mercenaires et de citations cinématographiques est insupportable. Extrait :

« Desert Eagle .50 Action Express, déclara Samsonite. Le calibre le plus puissant au monde pour une arme de poing semi-automatique. A faire passer du .44 Magnum pour une crotte de nez.

– ‘Utain cha fait mal conach’ ! se plaignit Mendez

– Le fait qu’il y ait écrit GROS CON sur ton front et DESERT EAGLE sur mon flingue devrait pousser tes deux petites noix à se casser et toi avec. » (page 27.)

Au final, de ces sept premiers Club Van Helsing, on retiendra le Johan Heliot, maîtrisé et plaisant, et l’hommage de Bretin & Bonzon à tous les Attaque de la moussaka géante, Blob et autres tomates tueuses. Pas de quoi sauter au plafond, surtout à dix euros le petit livre.

Question de mort

[Critique commune à Cold Gotha, Tous ne sont pas des monstres, Mastication, Question de mort, Délires d’Orphée, Léviatown et Mickey Monster.]

« Il arrive que l’œil capture une silhouette, celle d’un monstre sur un mur de béton, que l’oreille entende un hurlement surgissant d’une impasse. On se dit que c’est la fatigue, le stress de la vie moderne, et l’esprit reprend le dessus, pour retourner à la routine rassurante. En général, c’est ce qu’il faut faire, parce que la vie est banale, qu’elle n’a rien d’extraordinaire. Mais parfois il y a un monstre dans le béton, et l’horreur se déchaîne dans l’impasse. Alors on ne peut compter que sur le Club Van Helsing. » (Texte du rabat de droite.)

Voici donc les sept premiers volumes du Club Van Helsing, une collection créée et dirigée par Guillaume Lebeau et Xavier Mauméjean qui rappelle un peu L’Agence Arkham de Francis Valéry (série publiée il y a quelques années aux défuntes éditions DLM et dont, logiquement, au vu de la qualité des textes qui la composaient, personne ne se souvient). Première bonne surprise concernant Le Club Van Helsing : les livres sont jolis, avec leur couvertures N&B, leur pelliculage sélectif et leurs rabats.

Mais qu’est-ce que le Club Van Helsing ?

Ceux qui, comme moi, ont commencé par la lecture du Maud Tabachnik Tous ne sont pas des monstres, mais qui, contrairement à moi, n’ont pas poursuivi la série, ne pourront guère répondre à cette question, car le club de chasseurs de monstres n’y apparaît pas, à part une rencontre londonienne (et inutile) entre le personnage principal, Nathan, et Hugo Van Helsing, entrevue falote à laquelle on ajoutera une inscription sur une tombe et c’est à peu près tout. Pour le reste, nous avons affaire à un texte éclaté en nombreux points de vue qui évoque les pires pages paranoïaques de Philippe de Villiers, Maurice G. Dantec et Dan Simmons : d’un côté de sales arabes de merde financés par Ben Laden (ah ah ah !) invoquent un Djinn en banlieue ; de l’autre, face à l’incurie des forces de maintien de l’ordre françaises, incurie qui pourrait bien provoquer la fin de notre monde occidental aux si belles valeurs (le pognon avant tout !), un super-héros juif (un peu con, mais ça c’est mon point de vue) va à Prague où il réveille le golem du Rabbi Löw. Le bien (les Juifs), le mal (les Arabes), la banlieue qui flambe à cause du noyautage terroriste islamiste (et surtout pas du chômage, du culte de l’argent facile et du racisme ambiant) ; un tel concentré de clichés pro-israéliens et anti-islamistes laisse pantois et il n’en faut pas plus pour jeter cet étron tiède à la poubelle en espérant que les éboueurs (probablement issus de l’immigration) ne tarderont pas à passer. C’est sûr qu’avec des textes de cet acabit, au mieux maladroits, au pire manichéens et simplistes, on progresse sur la voie de la tolérance et de l’intégration. A boycotter avec force ! Même si les intentions de Tabachnik (connue pour ses engagements politiques) étaient probablement bien moins puantes que son livre.

Ça ne s’arrange guère avec Cold Gotha de Guillaume Lebeau où Hugo Van Helsing joue au chasseur de vampires en Californie. L’auteur a visiblement trop regardé 24 heures chrono et trop lu la sous littérature de Tom Clancy ; résultat, il se prend pour un auteur de best-sellers américain et nous inonde de marques (Paul Smith, Vuitton, Converse, Yohji Yama-moto…), de détails techniques inutiles (« … les trois moteurs Honeywell TFE731-60 se turent », page 8), de calibres divers et variés (« un SABR calibre 5,56 mm. Lance-roquettes 20 mm semi-automatique alimenté par chargeur », page 23). Au final, ça ressemble à « Bécassine vient de découvrir les possibilités infinies d’Internet et écrit son SAS », et les seules fois où on rit, c’est face au sérieux imperturbable de ce mini-thriller-vampirique ennuyeux, plus con que le Da Vinci Code et rempli jusqu’aux marges de « Mossberg 500 », d’« Igla-S développé par KBM Mashynostroeniya », de « GT-500KR 1968 ». On imagine sans mal ce que donnerait une scène de cul écrite par Lebeau : « Il déroula sur les 144 premiers millimètres de sa verge en expansion sanguine un préservatif Durex nervuré, modèle straightpussy, marque déposée, n°de lot Fr-0666252134. Puis il soupesa ses testicules d’un diamètre de 3,81 cm à droite, 3,92 à gauche, avant de pénétrer Belinda avec un angle de 37,2° (le matin ?)… ». Allez, zou, poubelle !

Arrivé à la seconde fournée, un choix cornélien s’impose : soit lire le Bizien sur les loups-garous, soit lire le Heliot sur le sphinx. Après une courte hésitation, j’attaque le Bizien, qui commence très très mal : « Le personnage de cette histoire est raciste, homophobe et sanguinaire. Si l’auteur a eu grand plaisir à narrer ses aventures, il est évident qu’il ne partage aucunement ses idées », page 5. Si c’est si évident, pourquoi l’écrire ? Il me semblait que depuis la parution de La Mort est mon métier de Robert Merle, ce type de justifications ambiance « les lecteurs sont tellement cons, surtout levons toute ambiguïté » était devenue totalement inutile. Il faut croire que non… Quant au texte, il met en scène, sans grand panache, Vuk, ex-légionnaire et vétéran serbe qui massacre la moitié des vampyres et lycanthropes du sous-Paris, pour le compte de Winston Lester Kobayashi Takakura, à moins que ça ne soit pour celui d’Hugo Van Helsing. Ecriture coup de poing et bâclée (on dirait un Blade — pas le vampire, l’autre), scènes d’action nombreuses mais sans enjeux, récit sans véritable horizon d’attente : Mastication c’est Underworld 2 sans Kate Beckinsale, une aventure plus Kronenbourg  que glamour, saupoudrée d’une bonne dose du jeu de rôle Vampire — la Mascarade… Une série B un brin rock’n’roll, pleine de clins d’œil cinéma, de blagues foirées ; un textaillon (équivalent littéraire du gravillon) qui se laisse lire, dans le métro par exemple, mais qu’on oubliera sitôt la dernière page tournée. Pas scandaleux, jamais enthousiasmant. En tout cas, un texte qui est bien plus à sa place, chez Baleine, que les deux précédents.

Passons maintenant au cas Johan Heliot : Question de mort.

Big B. est un monstre, énorme, surarmé. Il se promène dans un Hummer avec, à l’arrière, une créature qui n’est ni un chien ni un singe et ne semble consommer que des sauces en sachet.

Big B. est un justicier qui travaille comme chasseur de monstres pour le compte d’Hugo Van Helsing, ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, d’avoir une vision de la justice particulière : « Partout, on trouvait des clones de ce mec, qui veillaient à ce que leurs contemporains appliquent à la lettre les lois et règlements édictés pour le bien de la collectivité. Partout, ils cassaient les burnes aux dangereux terroristes du quotidien qui ne ramassaient pas les merdes de chiens ou traversaient aux feux rouges. Ces citoyens incarnaient les valeurs morales du pays avec une fierté d’autant plus imbécile qu’elle représentait le plus haut degré d’engagement politique dont ils étaient capables. » (Page 36.)

Big B. est à la poursuite du Sphinx et de ses deux assesseurs. Un sphinx qui découpe ses victimes quand celles-ci ne savent pas répondre à ses énigmes, un monstre qui n’hésite pas à faire des snuff movies qu’il balance ensuite sur l’Internet.

Première réussite du Club Van Helsing, Question de mort est une série B très marquée par les films d’horreur des années 70 et du début des années 80 (Massacre à la tronçonneuse, Evil dead, Vendredi 13, La Colline a des yeux…) Ce portrait d’une Amérique dégénérée évoque le célèbre épisode de la saison 4 de la série X-Files, « La Meute » (« Home » en VO). On est là face à un texte d’ambition restreinte, mais bien écrit, bien mené et plein d’humour (parfois pipi-caca — les lecteurs de Stephen King ne seront pas dépaysés). Adepte d’une littérature populaire de qualité, Johan Heliot semble être le seul des quatre premiers auteurs à avoir trouvé l’esprit Van Helsing, c’est-à-dire l’esprit X-Files, pour simplifier.

Vient ensuite Délire d’Orphée de Catherine Dufour, le mieux écrit des sept, sans aucun doute, mais paradoxalement le plus ennuyeux. On y suit Senoufo Amchis, tueur de cachalot, engagé par Hugo Van Helsing pour détruire une carapace de tortue d’un coup de harpon. Si ce petit livre est un joli portait de chasseur de monstres, c’est surtout une novella ultra linéaire, sans surprise aucune, dont l’histoire (d’adultère…) tient sur un ticket de métro plié en deux. Dans ses moments les plus inspirés, Dufour livre de belles pages sur Londres, la mer, le désir ; le reste du temps, elle étire comme elle le peut la matière d’une novelette. Dommage.

Mickey Monster de Denis Bretin et Laurent Bonzon (auteurs du Masque qui signent Bretin & Bonzon) surprend. D’abord, parce que c’est le Club Van Helsing qui respecte le plus la bible de la série. Ensuite, parce que cet hommage appuyé aux séries Z (plusieurs sont d’ailleurs planquées ici et là, au détour d’une description ou d’un dialogue) fonctionne à 100%. En deux mots, Mickey Monster est un remake de Blob (avec Steve McQueen) et Gremlins (le personnage du narrateur est inventeur, comme le papa acheteur du mogwai). Ce court roman a une petite musique, très agréable. L’ambition n’est pas bien haute, mais le résultat est tout à fait sympathique. Et je me suis même surpris à éclater de rire deux ou trois fois ; notamment lors de la scène de la demande en mariage, tout à fait savoureuse, faisandée comme il se doit. Malgré quelques failles scénaristiques dignes d’Ed Wood, ce Club Van Helsing est un petit bijou, crétin et jouissif, parfum Braindead. Dans la même veine que le Heliot, mais en plus marrant.

Quant à Leviatown de Philip Le Roy, c’est plus ou moins Notre-Dame des ténèbres de Fritz Leiber réécrit par Chuck Norris ou Steven Seagal. Même à doses homéopathiques (3-4 pages, le soir) ce concentré de ninjâneries, de blagues de mercenaires et de citations cinématographiques est insupportable. Extrait :

« Desert Eagle .50 Action Express, déclara Samsonite. Le calibre le plus puissant au monde pour une arme de poing semi-automatique. A faire passer du .44 Magnum pour une crotte de nez.

– ‘Utain cha fait mal conach’ ! se plaignit Mendez

– Le fait qu’il y ait écrit GROS CON sur ton front et DESERT EAGLE sur mon flingue devrait pousser tes deux petites noix à se casser et toi avec. » (page 27.)

Au final, de ces sept premiers Club Van Helsing, on retiendra le Johan Heliot, maîtrisé et plaisant, et l’hommage de Bretin & Bonzon à tous les Attaque de la moussaka géante, Blob et autres tomates tueuses. Pas de quoi sauter au plafond, surtout à dix euros le petit livre.

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