Connexion

Actualités

Fiction T3

Voilà donc le numéro 3 de la (nouvelle) revue Fiction, après un numéro 2 excellent si on fait abstraction des traductions des deux meilleures nouvelles de l'opus (Ian R. MacLeod massacré par Sophie Dabat, Paolo Bacigalupi pulvérisé par Noé Gaillard). Un numéro 3, donc, paru en mars, qui arbore une très chouette couverture de Lewis Trondheim et contient, heureusement, que deux textes absolument sans intérêt : « Dans la contemplation » de Julien « Daylon » Bouvet, immature et abscons, évoquant vaguement deux des nouvelles de David Calvo rassemblées dans son recueil plein de coquilles Acide organique (même éditeur) ; « Incident au déjeuner des canotiers » de Allen M. Steele, pochade ambiance « histoire de l'art » même pas marrante à la chute tellement téléphonée qu'elle pourrait être sponsorisée par Orange™ ou le 118 218. On trouvera aussi au sommaire toute une série de textes moyens, car sympas sans plus, dont les cinq petits textes de Jeffrey Ford, cinq longues phrases très pulps, qui n'arrivent pas à la cheville de la moindre des nouvelles de son second recueil The Empire of Ice Cream ; « Navices » de Francine Pelletier et Yves Meynard, certes bien écrit, mais même pas inédit est d'une banalité désespérante (Gene Wolfe en a écrit des dizaines du même tonneau) ; « Magie, marronniers et Maryanne » de Robert Sheckley, une nouvelle tellement apathique qu'elle semble post-mortem (sans parler de la traduction de Sophie Janod, toute pourrie). Le texte de Esther Friesner, lui, entre dans une autre catégorie, celle des nouvelles passionnantes mais ratées ; à noter que cette uchronie datant de 1992 annonçait étonnamment le roman Rihla de Juan Miguel Aguilera (Friesner avait là le sujet d'un bon roman, Aguilera l'a prouvé à sa place, elle en a fait une nouvelle peu satisfaisante ; ça peut arriver à tout le monde). Voilà pour le prout, le bof et le raté.

Reste le meilleur qui, il faut bien le dire, occupe la plus grosse partie de ce Fiction n°3. Tout d'abord Vandana Singh pour une visite fantomatique (et S.F) de « Dehli », un texte très profond qui dresse un portrait hallucinant (il n'y a pas d'autres mots) de l'Inde et répond, sans doute sans le vouloir, au « Calcutta, seigneur des nerfs » de Poppy Z. Brite (in Contes de la fée verte). Viennent ensuite Jim Dedieu et Laurent Queyssi qui réécrivent à la sauce X-files l'épopée des Pixies. Résultat, leur « Planet of sound » oscille entre le très sympathique et le franchement jubilatoire, en tout cas c'est une excellente surprise au moment où sort, chez le même éditeur, le premier roman de Laurent Queyssi Neurotwistin'. Autre formidable texte : « La nuit où ils ont enterré Road Dog » de Jack Cady, une novella typiquement « américaine » que j'avais mise au sommaire de mon anthologie Les Continents perdus, avant de la remplacer quasiment à la dernière minute par « Le train noir » de Lucius Shepard (qui avait plus besoin d'argent que Cady, décédé en 2004) ; on en profitera pour noter la très bonne traduction de Lionel Davoust, qui n'a pas dû s'amuser tous les jours vu la complexité de ce texte qui parle principalement de vieilles guimbardes yankees.

Côté fictions, la revue finit en feu d'artifice, avec un très bon texte de pure SF de Mary Rosenblum (d'ailleurs, je commence à me demander s'il y a des mauvais textes de cette autrice, car tout ce que j'ai lu d'elle jusqu'à ce jour m'a plu et le plus souvent impressionné) et une novella de Jerry Oltion où il est question de fusées Saturn V fantômes et d'un dernier/nouveau alunissage, un texte plein d'émotions, d'une puissante nostalgie, qui, malheureusement, a pas mal souffert à la traduction (Sophie Dabat a encore frappé, et si elle veut persévérer dans la traduction il va falloir qu'elle se mette GRANDEMENT à l'étude de l'anglais et du français).

Pour ce qui est de la non-fiction, la revue nous réserve deux gros morceaux tout simplement passionnants ; un excellent article de Serge Lehman sur Oui-Oui, Nietzsche et la définition de la science-fiction, ainsi qu'une longue (c'est rien de le dire) interview de Ursula K. Le Guin que même un non-LeGuiniste de mon genre ne peut trouver que formidable.

Comme d'habitude, Francis Valéry achève (bang bang, you shot me down) ce numéro avec ses « Carnets rouges ». Tout ce qu'il dit sur la littérature va du passionnant à l'intéressant (y compris quand il écorche mon rewriting d'Un cas de conscience de James Blish). Quant à ce qu'il raconte sur Francis Valéry, sa vie, son œuvre, c'est franchement mois intéressant (même pour ceux qui le connaissent un peu ou plus que cela), mais bon, pour une fois, face à son militantisme, sa mauvaise foi au service de la bonne cause, on ira presque jusqu'à le pardonner.

Ce Fiction est un très bon numéro (un chouia moins percutant que le n°2), mais pitié les gars, de temps en temps publiez un truc qui déménage, qui arrache les portes de leur gonds, où ça gicle un minimum, parce que ce troisième opus c'est « Bergman et Mizoguchi évoquant l'imaginaire lors d'un pique-nique aux huîtres rincées et à la verveine froide » ; à l'époque de Quentin Tarantino, du viagra et de Takashi Miike, tant de contemplation, d'élan moral, de nostalgie et d'amour courtois laisse pantois. Comme chantait l'autre : « j'veux du cuir ». Et plus, si affinités.

Fantasy 2006

D'abord, intéressons-nous brièvement à la préface, où Stéphane Marsan ose écrire que le marché de la fantasy est « loin d'être saturé » (page 11), un point de vue pour le moins étonnant en ces temps où à peu près tous les libraires de France s'accordent à dire qu'il y a surproduction dans le secteur et sont donc contraints de faire de « l'office zéro » sur certains (petits) éditeurs comme l'Oxymore ou Nestiveqnen, en ces temps où les deux nouveaux bourdons de la ruche — Calmann-Lévy « fantasy » et la collection « Points fantasy » de poche du Seuil — découvrent les réalités d'un marché dominé de la tête et des épaules par la daube en tranches, ambiance Tolkien du pauvre. Au-delà de cette propaganda liminaire, on passera tout aussi vite sur les deux articles du même tonneau qui n'ont rien à faire dans une revue — « Bragelonne au Québec » et « La distribution : les niveaux de librairie » — pour s'intéresser à l'essentiel, les textes.

Et là, n'y allons pas par quatre chemins, on est bien loin d'arriver au niveau de Science-fiction 2006, l'autre revue des éditions Bragelonne. Il n'y a qu'un seul très bon texte au sommaire de ce Fantasy 2006 et il s'agit d'une nouvelle de littérature générale (ou de fantastique hyper-allusif, si vous préférez) : « La Plage du Xenos » de Graham Joyce, jolie et inquiétante routarderie en Grèce. Pour le reste, on notera la présence de quatre nouvelles sympathiques, sans plus, signées Sara Douglass, Michael Marshall Smith (une nouvelle fantastique une fois de plus), Erik Wietzel et Gudule. Et ensuite c'est la dégringolade : Mélanie Fazi ne fait rien ou presque de sa prometteuse histoire de maison anthropophage ; Magalie Ségura massacre stylistiquement son conte cruel « Esprits de la nuit », pourtant plein de bonnes idées ; Jérôme Camut et Nathalie Hug se cassent les dents en voulant décrire un vrai personnage interlope sans en avoir les capacités littéraires (n'est pas Jack O'Connell qui veut) ; Alexandre Malagoli nous propose un texte pas si mal raconté que ça, mais qui s'intégrerait parfaitement à la ligne fantasy des éditions Harlequin (à réserver aux embrasseuses d'oreiller et aux suceuses de chuppa chups parfum fraise). Et le pire reste à venir : Dave Duncan et Terry Brooks pour des nouvelles de fantasy 100% bragelonniennes, véritables catalogues des pires travers du genre : écriture minable, dialogues plats, monde décrit inconsistant, scènes d'actions poussives. La cerise sur le gâteau étant le texte de Raymond E. Feist et Janny Wurts, une version fauchée du Dernier magicien de Robin Hobb, une histoire de magie et de clodos aussi passionnante qu'un compte-rendu opératoire d'appendicite. Ajoutez à cela des traductions qui ne sont pas toujours heureuses (le début de la nouvelle de Michael Marshall Smith a pas mal souffert) et vous avez un produit conçu à la gloire de Bragelonne et en fin de compte ne s'adressant qu'aux fans absolus de cette maison d'éditions. On passe, sans regret, surtout si la nouvelle de Graham Joyce est au sommaire du recueil de l'auteur annoncé chez Bragelonne.

En attendant l'orage

Après Lignes de vie en septembre 2005, encensé par la critique, récompensé par le World Fantasy Award et que, pour ma part, je n'avais pas réussi à finir, vaincu par l'ennui, voilà que les éditions Bragelonne publient, quatre mois plus tard, un second livre de Graham Joyce : En attendant l'orage. Nous sommes en Dordogne et c'est l'été. Sept anglais envahissent une grande bâtisse transformée en villa de location ; il y a deux couples, la maîtresse d'un des hommes (celui qui a le plus d'argent), et deux enfants, dont une adolescente, Jessie, particulièrement perturbée et visiblement très impressionnable. Entre les cinq adultes, quelques jours suffisent pour que la tension monte ; les vacances sont alors menacées par un orage qui approche, des nuages noirs — mensonges, non-dits — qui s'accumulent et promettent une pluie pour le moins ravageuse. L'air sent la mort, le danger. Quelqu'un va mourir, mais qui ?

En attendant l'orage est à mon sens un des tout meilleurs romans de l'auteur, c'est aussi un des romans les plus typiques de la manière « Graham Joyce », c'est-à-dire une œuvre de littérature générale dans laquelle ont été distillés divers éléments fantastiques plus ou moins appuyés qui participent de l'intrigue plutôt que d'en peupler la périphérie. Evidemment, on pourrait faire quelques reproches à l'auteur, notamment d'avoir utilisé une ficelle de littérature de gare pour cacher aux lecteurs, le plus longtemps possible, l'identité du « professeur » de Jessie, mais bon, malgré cette ficelle qui manque d'élégance et quelques longueurs, En attendant l'orage s'impose surtout comme un excellent livre fantastique, cruel et pervers, un summum du suspens psychologique qui nous ramènerait presque à Henry James. On y découvre aussi un auteur-voyageur très à l'aise avec la description d'un pays qui n'est pas le sien, en l'occurrence la France (chose malaisée s'il en est, il suffit de se souvenir du pataud Bois de Merlin de Robert Holdstock).

On signalera en outre une traduction invisible et respectueuse, du travail d'orfèvre dû à une Mélanie Fazi en grande forme.

À une époque où de moins en moins de romans fantastiques sont publiés, à l'heure de la mort annoncée de la dernière collection poche dédiée au domaine (« Thriller fantastique » au Fleuve Noir), celui-ci est tout à fait recommandable.

Chroniques du premier âge

2033, la station orbitale Youri Gagarine reçoit un message en provenance du système de Proxima Centauri. Le projet Altneuland est lancé sous la direction du professeur Yacob Jungk, il sera entièrement financé par Grand Israël. Mais pour que le voyage vers Proxima Centauri soit possible, il faut que le Sun Beaver, un voilier photonique, soit équipé d'un bouclier contregravitique que seul Mouloud Kaldoun, un savant palestinien, est capable de mettre au point. Jungk l'Israélien et Kaldoun le Palestinien pourront-ils travailler ensemble ?

Chroniques du premier âge n'est pas un recueil, à vrai dire il y en a trois dans le même livre (donc deux de trop, de mon point de vue). Le premier se compose des textes suivants : « Amériques », « Bereshit », « Mihrab », « Elohim », « Game over », « La Dernière mission de Lise Reinhardt », « Nouveau monde » (« L'Ile des femmes », bien que faisant partie de cette séquence, ne s'y intègre pas de façon satisfaisante). Ce premier recueil, que l'on appellera Altneuland pour simplifier, est tout simplement formidable. Original dans sa narration, ambitieux dans sa construction, il rend un hommage jouissif à la science-fiction de Robert Heinlein (un des personnages s'appelle Robert Anson Opperman) et d'Arthur C. Clarke (2001, l'Odyssée de l'espace n'est jamais loin). Grâce à son implacable originalité (le futur de la conquête spatiale vu et perçu à l'aune du conflit israélo-palestinien) et à la portée de son propos (le nationalisme est la déchéance d'un peuple), Altneuland s'impose comme une des pièces maîtresses de la science-fiction d'expression française. Riches en images, en dilemmes moraux et surtout en émotions, ces sept textes prouvent non seulement la grande intelligence de leur auteur, sa culture immense, mais aussi un sens de la littérature des plus réjouissants. Francis Valéry est à la science-fiction d'expression française, ce que Francis Berthelot est au fantastique moderne francophone. Un summum. Quel dommage que Francis Valéry ait peu publié (écrit ?) de textes de ce genre ces dix dernières années. D'autant plus dommage que si Altneuland était un mur, il est clair qu'il pourrait encore monter plus haut, aller plus loin ; tout n'a pas été écrit sur cette histoire de voilier photonique, loin s'en faut.

Le second recueil, très marqué par la vague Interzone des années 90 (Greg Egan, Paul J. McAuley, Eric Brown) est constitué de trois textes qui se mélangent (du bout des doigts) à ceux précédemment cités : « Petite Afrique », « Projet mimes » et « La Cinquième tribu ». Aucun de ces textes ne convainc totalement : « Petite Afrique » n'est pas assez développé et laisse en chemin une partie des implications de son intrigue ; « Projet mimes », une histoire de commercialisation de clones, est trop prévisible ; « La Cinquième tribu » est écrit dans un style futuro-Manchette assez gonflant, et son histoire, passionnante, aurait mérité d'être beaucoup plus développée (il y a du Paul J. McAuley dans ce texte, celui du recueil The Invisible Country, notamment dans les scènes mettant en scène les requins).

Et puis il y a le reste, un troisième recueil disparate, un spicilège farci d'expérimentations littéraires et de textes abscons qui hachurent et massacrent l'ensemble. Ces textes souvent publiés originellement sous le pseudonyme de F. Paul Doster n'apportent rien ou presque au formidable Altneuland. Le plus réussi reste « L'Exil intérieur », sorte de fragment nombriliste à la Marguerite Duras qui parle des mystères de la création littéraire, se lit très bien et touche sa cible. Pour le reste, c'est anecdotique, comme l'amusant « Un-Homme-Au-Foyer™ », ou sans aucun rapport probant avec Altneuland : « Babylone », « Izkor », « L'Ile des femmes ».

Ceux qui n'ont pas lu Altneuland (Editions de l'Hydre, 1995) ou Les Voyageurs sans mémoire (Encrage, 1997), dans lequel se trouvaient déjà tous les grands textes de ce recueil, peuvent se jeter sur celui-ci — huit nouvelles formidables, ça ne se refuse pas. Quant aux autres, il ne leur reste plus qu'à attendre le grand retour en science-fiction de Francis Valéry. Espérons que ce ne sera pas dans dix ans.

Critiques Bifrost 37

Retrouvez toutes les chroniques de livres du Bifrost n°37 sur l'onglet Critiques !

Cosmicomics 04-2012

Bandes dessinées et comics font leur retour en Bifrostie, dans la nouvelle rubrique mensuelle du blog, Cosmicomics, sous la plume experte de Philippe Boulier !

Couve Tau Zéro

Découvrez l'illustration de couverture quasi-définitive de Tau Zéro de Poul Anderson par Manchu !

JHB 25/04

À lire dans le Journal d'un Homme des Bois : le retour de Francis Valéry en sa cabane au fond de la forêt…

BO S02E06

Dans l'espace, personne ne vous voit vous taper la honte. Et cette semaine dans la Bibliothèque Orbitale, Philippe Boulier a lu deux ouvrages dédiés aux genres cinématographiques les plus inavouables : Extrêmes ! et Nazisploitation !

Parution Bifrost 66

Bifrost 66 est désormais disponible dans toutes les bonnes librairies mais aussi sur belial.fr en papier et en numérique.

Ça vient de paraître

Au-delà du gouffre

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 120
PayPlug