L'Espace de la révélation
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Les Presses de la Cité ont pris la bonne habitude de nous livrer de la S-F pure et dure. On leur doit la Trilogie Martienne de Kim Stanley Robinson, la « trilogie séquelle » de Fondation par Bear, Benford et Brin, et d'autres romans de Benford. Elles nous offrent ici, sous la signature jusqu'alors inconnue d'Alastair Reynolds, un grand space opera.
Bien que fort de 700 pages, force est d'admettre que l'ouvrage n'impressionne pas que par son poids. On ouvre et on commence à lire en se disant que c'est plutôt bien, éminemment lisible et puis, mine de rien, au fil des pages qui défilent, on se retrouve ferré. On s'aperçoit que c'est très bien fichu, très professionnel. Ça s'articule autour de trois personnages principaux, Dan Sylveste, Ana Khouri et Ilya Volyova, d'un nombre limité de figures secondaires, Sajaki, Hegazi, Pascale et Calvin Sylveste, respectivement femme et père numérisé de Dan, de quelques personnages de troisième plan et d'un élément, « le Voleur de Soleil », qui, bien qu'actif, ne saurait être qualifié de personnage. Deux planètes, un artefact et surtout un vaisseau spatial leur servent de théâtre. Trois lignes narratives pour commencer, dont deux se rejoignent rapidement, puis une seule avant même que le roman ne soit mis à l'équerre. Comme quoi il n'y a nul besoin de pléthore de lieux ni d'une foultitude de personnages où se perdent le lecteur et qui, à mon sens, servent à masquer l'indigence d'une intrigue et de son cadre. On notera que Reynolds n'utilise guère que les patronymes de ses personnages, y compris des femmes, à l'exception de Pascale et Calvin afin d'éviter les confusions possibles ; l'effet qui en découle cadre fort bien avec le récit et ses protagonistes. Il n'a pas davantage éprouvé le besoin de conférer de profondeur particulière aux personnages, ce n'est pas un drame mais un roman d'action. Jamais il ne le perd de vue. Il entretient savamment le suspense en sautant d'un personnage à l'autre au moment critique à la manière du David Brin d'Elévation. Le procédé n'est peut-être pas de la plus grande finesse et pourra irriter les amateurs d'élégance raffinée, certes. Mais il marche. L'ambition littéraire, la virtuosité stylistique, l'élégance de la construction ne sont en rien les préoccupations majeures de l'auteur. Le propos est de nous conter une bonne histoire de S-F. Et Alastair Reynolds s'y entend à merveille.
L'action dope le récit et le propulse au sein d'un « background » particulièrement dense, d'une richesse de science-fiction peu commune. À l'instar de Ventus, ce roman n'est pas idéal pour amener à la S-F de nouveaux lecteurs. L'usage pointu qui y est fait de la quincaillerie nécessite une culture S-F qui dépasse Star Wars de cent coudées. Ce serait comme de s'initier à l'alpinisme en s'attaquant au K2. Oui, vraiment, une certaine familiarité avec la S-F est requise. Autant le savoir… (mais comme vous avez fourré votre long nez entre les pages de Bifrost…)
Plusieurs aspects de ce gros roman renvoient aux grands space operas qui l'ont précédé : Inexistence, le tout aussi imposant ouvrage de David Zindell récemment réédité, ou Un Feu sur l'abîme de Vernor Vinge. On retrouve des éléments présents dans le cycle du « Centre Galactique » de Gregory Benford, notamment le respect de la vitesse de la lumière par les astronefs. Plus marquant, Reynolds exploite l'idée de machines intelligentes cherchant à éradiquer toute vie organique de la galaxie. Les Berserkers chers à Fred Saberhagen ne cessent de progresser. Reynolds puise son histoire à double titre dans le passé ; celui des personnages revient comme un retour de flamme tandis que l'Humanité — dont la survie est en cause, comme dans tout space op' qui se respecte — s'inscrit dans une histoire galactique vertigineuse. L'humanité est d'ailleurs plus divisée que jamais, à la manière dont on peut la voir dans Étoiles Mourantes d'Ayerdhal et Dunyach. Bref, en un mot comme en cent, Reynolds a intégré à son roman tout ce qui court l'espace science-fictif actuel, y compris ce qu'il faut de génétique et de nanotechnologie. Voilà qui risque de constituer un mur pour le lecteur inexpérimenté, mais sera un mets de choix pour les autres.
C'est un nouveau jalon dans l'évolution du genre qui se pose après « Les Fulgurs » d'E. E. "Doc" Smith et La Poussière dans l'œil de Dieu de Larry Niven et Jerry Pournelle. C'est moins écrit que L'Anneau de Ritornel de Charles L. Harness ou Hypérion et tout n'est certes pas parfait dans ce livre. Le final, notamment, déçoit un peu. Sans aller jusqu'à dire qu'il est tiré par les cheveux, il manque d'envergure, de souffle. Tombe un peu à plat. À la lueur de la fin, et bien qu'elle tienne debout et retombe sur ses pattes, l'intrigue paraît un peu branlante. Rien de rédhibitoire toutefois. On aurait préféré mieux, sans pouvoir dire quoi sinon que le deus ex machina est malvenu et que, pour une fois, on aurait souhaité une fin ouverte et peut-être plus grave. Bien des défauts subsistent et nombre d'imperfections émaillent le récit sans jamais porter atteinte au plaisir de lecture, balayés qu'ils sont par le torrent de l'action. En fait, ils ne se révèlent qu'à posteriori, quand on revient sur le livre pour en parler.
L'Espace de la révélation n'est pas un ouvrage que l'on va lire pour s'esbaudir devant sa facture. Ce n'est pas de la littérature snob. C'est un divertissement pour lecteur de S-F chevronnés. Ça aurait pu être mieux, mais, comme chacun sait, le mieux est l'ennemi du bien et l'ennemi mortel du très bien. Aussi nous satisferons nous de « pu être mieux », et pas qu'un peu…