Le Feu primordial
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Un roman à ne pas commencer si vous avez quoi que ce soit d'urgent à faire… Parce qu'une fois ouverte la première page, avant même le début du récit proprement dit, une carte, un plan et une liste des personnages suffisent à vous dire que vous n'en lèverez plus le nez avant l'ultime ligne. Et c'est vrai.
Un sorcier du nom d'Urbain Grandier semble sévir dans la capitale, Vienne. Galen Dubell, sorcier banni du royaume d'Ile-Rien dix ans auparavant, a été rappelé, car le docteur Sûreté, sorcier de la Cour jusqu'alors, est décédé dans d'étranges circonstances… Au même moment débarque Kade, la demi-sœur à moitié fée du roi Roland, fille de la Reine de l'air et des ténèbres, venue régler ses comptes avec son frère et sa belle-mère, Ravenna, la reine douairière au courage exemplaire et à la forte personnalité, qui maintient le pouvoir dans le droit chemin avec un art consommé de la diplomatie… Fantoche faible et impressionnable, traumatisé dans l'enfance par son père Fulstan, Roland est entièrement sous l'influence de Denzil, noble aux mystérieuses machinations, qui le dresse contre la faction de Ravenna. Thomas Boniface, ancien amant de la reine douairière et capitaine de ses gardes, doit alors tenter de maintenir un semblant d'ordre en Ile-Rien et démêler les alliances et projets de chacun, alors que la Horde des fées noires lance l'assaut — aidée par qui ? — sur le palais… On se gardera d'en dire davantage, car le suspense est si parfaitement maintenu au long du récit que ce serait sacrilège que d'en dévoiler d'autres éléments.
L'ouverture du roman est pensée comme une pièce de théâtre : plan du décor — le palais de Vienne en Ile-Rien — et liste des personnages : vingt et un exactement, sans les figurants. Le drame se déroulera en à peine quelques jours, sans sortir ou presque de ce domaine, sans ajout de personnages… et sans le moindre répit pour le lecteur. Le récit est mené de main de maître, parfaitement ficelé et avec ce qu'il faut de respiration pour ne pas se réduire à un pur scénario de film d'action. Le décor, sans fausses notes, ne révolutionne pas l'univers de la fantasy, mais ne donne pas non plus trop dans le « Donjons et Dragons » : souvent, dans le cours du texte, on oublie que circulent ici fées et sorciers tant l'univers décrit acquiert de puissance réaliste. Un roman « de cape et de fées », sans vouloir faire dans le jeu de mots simpliste… Les dialogues ne sont pas dénués d'un certain humour et évitent le ton pompeux que pourrait réclamer la nature dramatique des événements et le genre du roman. Parfois, au début surtout, on se dit que ce pourrait être du Terry Pratchett : il règne dans le quartier brûlé des premières pages une ambiance d'Ankh-Morpork, encore renforcée par la remarque de Thomas sur le fait qu'on lui a adjoint un sorcier furieusement incompétent, que le lecteur baptiserait bien Rincevent. Ne confondons pas tout de même pas : le ton du récit reste sérieux, et, si humour il y a, il est bien souvent teinté de noirceur ironique.
Bref, sans chercher à renouveler les codes et canons propres à la fantasy, Martha Wells produit une œuvre parfaitement maîtrisée, palpitante, qui procure un réel plaisir de lecture — ce qui semble être le moins que l'on puisse attendre d'un livre et qui pourtant, en ces temps de production pléthorique, est loin d'être si courant… Vous savez donc ce qui vous reste à faire : ajouter Le Feu primordial à votre bibliothèque, tout simplement.