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Des monstres littéraires

Un certain François, individu dont la seule caractéristique notable est la voix si particulière, quitte la France pour Montevideo. Il laisse derrière lui un recueil de dix-sept textes étranges : le présent Des monstres littéraires. Dans ces dix-sept nouvelles (dix-huit si l’on compte l’introduction du narrateur), il est tour à tour question d’un homme affligé d’une maladie qui le fait se dissoudre dans l’eau ; d’un éditeur désœuvré qui écrit sur des vitres la description de ces mêmes vitres, prélude à son grand œuvre romanesque ; d’un autre encore qui cherche jusqu’à la folie l’origine d’une histoire qu’il croit avoir lue quelque part ; d’une poétesse dont l’œuvre consiste en six poèmes et pas un de plus ; d’un contemporain de Kafka ayant écrit une suite à La Métamorphose… Pas de vampires ou de loups-garous à chercher dans ce recueil. Encore que… Le titre provient du texte précisément titré« Des monstres littéraires », une réflexion sur Dra-cula : « On peut admirer le comte Dracula, non parce qu’il vit au-delà de la mort (…), mais parce qu’il ne cherche plus de sens, il cherche du sang. Il cherche ce qui le fera exister encore. Il ne cherche pas à rendre compte de sa condition. (…) Nous qui sommes des monstres littéraires, nous n’existons pas. Nous cherchons la signification. Que nous ne trouvons pas. »

Plaçant son recueil sous le haut patronage, souvent écrasant, d’Enrique Vila-Matas, Jorge Luis Borges et Franz Kafka, Jérôme Orsoni explore les liens entre vie, écriture et littérature, avec érudition et un soupçon d’humour désabusé. Le fantastique y est présent, souvent discret, à la marge, dans la droite lignée des auteurs cités plus haut. Dans des textes alternant les formes (récits, essais, poésies, commentaires), on retrouve des livres fictifs, des jeux de miroirs, des situations du quotidien où sourd une inquiétante étrangeté. Et bon nombre d’écrivains factices – les monstres, ne seraient-ce finalement pas eux ? Des jeux littéraires centrés sur la seule littérature : pourquoi pas, quoique l’exercice s’avère in fine un peu vain. Les amateurs de curiosités littéraires apprécieront (mais à dix-neuf euros la plaquette, il y a de quoi rechigner).

Lune noire

Un beau jour (ou était-ce une nuit ?), l’humanité se met à souffrir d’insomnie généralisée, avant de bientôt perdre le sommeil de manière définitive. Seules de rares personnes continuent à s’endormir régulièrement. Les insomniaques, eux, évoluent peu à peu : le manque de repos les rend tout d’abord apathiques, puis impacte leur tempérament. Ils se détachent du monde, ne lui trouvent plus aucun intérêt, se mettent à déambuler sans raison et deviennent même agressifs envers ceux ayant conservé la faculté de s’assoupir. La société s’en ressent inévitablement : avec ces hordes de désœuvrés, elle ne peut que péricliter. Même si les gens continuent à aller travailler, car ils restent conscients, ils n’ont plus les bons réflexes de vie en société et laissent les choses se dégrader peu à peu…

On aura bien sûr reconnu derrière la trame de ce livre un décalque du roman de zombie. Les éveillés de Lune noire constituent une horde de créatures qui errent sans but, agressant les individus « sains » dès qu’ils les croisent, y compris les membres de leur propre famille (ce qui nous vaut quelques scènes assez flippantes – Lila attachant ses parents au piano pendant la nuit afin qu’ils évitent de la menacer, par exemple). Ce qui n’ôte rien à l’originalité du récit, car la ressemblance s’arrête là : les créatures restent des êtres humains à part entière, doués de raison, même si celle-ci s’effiloche au fil du temps. Dès lors, contrairement aux zombies, la possibilité que les « contaminés » puissent parcourir le chemin en sens inverse, redevenir normaux, persiste. Ce qui rend d’autant plus poignante la tentative de l’un des protagonistes, Biggs, de mimer le sommeil dans l’espoir que sa femme réapprenne à dormir, d’autant qu’on comprend vite combien ladite tentative est vouée à l’échec. On pourrait croire la situation des « normaux » moins dramatique. Ce n’est pas le cas, naturellement : au-delà de leur lutte quotidienne pour survivre, ces derniers conservent la possibilité de rêver… et de cauchemarder, comme en témoigne cet hallucinant chapitre 8 au cours duquel Biggs voit déferler des vagues de souvenirs plus ou moins frelatés.

Kenneth Calhoun ne tente pas d’expliquer l’origine de l’épidémie, et on lui en sait gré : il obtient de fait une impression d’étrangeté et d’indétermination qui prend tout son sens au regard du mal dont souffrent ses personnages. Lune noire se conçoit comme un roman d’atmosphère qui privilégie l’ambiance aux événements. Et c’est sur ce point précis que le livre achoppe pour l’essentiel : il manque d’enjeu, et pas qu’un peu. L’auteur a choisi de décrire la vie de quatre ou cinq protagonistes. Si la quête de Biggs pour retrouver sa femme présente un intérêt certain, on est au mieux indifférent, au pire lassé par les autres destins. La palme sans doute au duo Chase/Jordan, le premier étant obnubilé par son idée de retrouver la femme qu’il aime, et qu’il n’a su satisfaire (d’où, au passage, sa quête quasi sacrée de Viagra pour le jour où il la retrouvera) ; on a beaucoup de mal à s’intéresser à leurs péripéties, et l’engourdissement gagne au fil des pages – peut-être le but recherché par l’auteur, compte tenu de sa thématique ?

Reste un premier roman à l’atmosphère étonnante, doté d’un postulat de départ original mais imparfaitement abouti, en premier lieu dans son choix des trajectoires individuelles censées nous faire mieux comprendre l’impact sociétal d’un arrêt progressif de notre capacité à dormir.

Lum'en

Parce qu’elle a tenté de pirater une porte à discontinuité spatiale de Vangk, Lum’en, une Dépositaire, est condamnée à dix mille ans de réclusion, peine ultime pour cette race qui place l’accès à l’information au-dessus de tout. Sa psyché est enfermée dans une plaque de carbone, elle-même enfouie très profondément dans le sol de Garance, une planète inhabitée. Quelque temps plus tard (cent mille ans !), des colons humains débarquent sur Garance pour tenter d’y trouver des matières premières. Lum’en parviendra-t-elle à sortir de son emprisonnement et à nouer le contact avec ses industrieux voisins ? C’est le point de départ de l’histoire de Garance, dont l’écosystème va devoir composer avec cette race envahissante : l’être humain.

Deux sources ont présidé à l’écriture de ce roman : deux nouvelles de Laurent Genefort et… Gabriel García Márquez ! En effet, la structure de Lum’en est la même que celle de Cent ans de solitude ; simplement, le village de Macondo est remplacé par la planète Garance, isolée non par un marécage mais par l’espace. Le roman est par ailleurs, on l’a dit, bâti sur deux nouvelles déjà publiées par l’auteur, en 2000 et 2012. Il prend la forme d’une narration en six épisodes séparés entre eux par quelques semaines, mois ou années, que vient lier un fil rouge consacré à Lum’en.

Les différentes étapes du développement de Garance ressemblent à ce que l’on pourrait voir dans nombre de colonies : après un début prometteur, marqué par la solidarité entre colons, le doute s’insinue tant que l’on ne trouve rien qui vaille la peine d’être exploité. Puis, lorsque la manne céleste est découverte, la frénésie s’empare à nouveau des habitants, qui vont se lancer dans une exploitation intensive et non raisonnée de leur environnement.

Le principal questionnement de ce roman est de nature écologique : jusqu’à quel point l’homme peut-il arriver dans un espace vierge (ici, une planète) et décider de s’en servir pour ses propres besoins, sans prendre une seule seconde en considération l’écosystème ? Malgré son aspect enchanteur de planète-forêt, dotée d’une faune et une flore d’un haut intérêt scientifique, Garance n’est jamais envisagée comme un monde où vivre, mais bien comme un réservoir de matières premières, réservoir qui deviendra fatalement l’enjeu de luttes de pouvoir. Genefort confronte les points de vue : aux représentants de la compagnie Saber-Henji, obnubilés par l’appât du gain, il oppose les défenseurs de la planète. Certains optent pour la paix, préfèrent s’enf(o)uir au cœur de la forêt dans l’espoir de vivre en harmonie avec leur milieu. D’autres useront de procédés plus radicaux pour faire comprendre que les colons courent à la catastrophe… Ces aspects résonnent évidemment avec des événements récents de l’actualité, quand défenseurs de l’environnement s’opposent aux chantres du libéralisme galopant.

Mais Genefort ne se contente pas de cette seule thématique : il s’interroge aussi sur l’être humain, son rapport à la vie, ce qui le fait avancer, ses craintes et ses espoirs ; sur la manière avec laquelle notre environnement influence notre caractère. Il convoque ainsi un certain nombre de personnages archétypaux (le religieux, le diplomate, des artistes, des militaires, des scientifiques…) qui vont lui permettre de brosser un tableau assez complet des différents mécanismes présidant à l’évolution personnelle de chacun. Et on n’oubliera bien évidemment pas dans cette liste de protagonistes celle qui donne son nom au roman : Lum’en (l’humaine) qui, bien que se situant aux antipodes de l’Homme, a finalement des aspirations proches des nôtres : besoin de contact, curiosité… Reste à savoir si l’espèce humaine est un bienfait pour l’univers et y a un avenir, autre interrogation qui sous-tend tout le livre.

Au final, cette fusion de différentes thématiques, combinée à la crédibilité globale du roman et à un style discret et précis, font de Lum’en un excellent Laurent Genefort, à ranger parmi les meilleurs dans la bibliographie (réalisée par l’habituel Alain Sprauel, et disponible en fin d’ouvrage) déjà très fournie de l’auteur.

Corps variables

Marcel Theroux est un homme de télévision et un romancier britannique. Sur ses cinq romans publiés, trois ont été traduits : Jeu de pistes (qui parle d’un roman inédit sur Mycroft Holmes), Au nord du monde (qui lorgnait du côté du post-apo’ et de Stalker), et donc Corps variables dont il est question ici.

L’histoire commence alors qu’un homme prétend s’appeler Nicholas Slopen. Or, ledit Slopen est mort dans un accident de la route quelques mois auparavant. L’inconnu agresse la femme de Slopen : il est arrêté et envoyé dans un hôpital psychiatrique (celui qui a succédé au célèbre Bedlam). Quelle est donc l’identité réelle de cet homme ? S’il n’est pas Slopen, comment peut-il connaître autant de détails intimes sur la vie de ce dernier ?

Le roman prend la forme de la confession de l’inconnu ; il y raconte la succession d’événements qui ont conduit à la situation présente. Tout a commencé lorsque Nicholas Slopen, le vrai, un érudit, a été commissionné pour authentifier des lettres de Samuel Johnson, le célèbre écrivain britannique. Il s’aperçoit bientôt qu’il s’agit de faux ayant en réalité été écrits par un homme, Jack Telauga, lequel n’a visiblement plus toute sa tête…

Difficile de parler davantage de ce roman sans trop en dire, et par là même dévoiler la subtile alchimie qui en fait une franche réussite. Marcel Theroux s’amuse à semer le lecteur, lui proposant tout d’abord un début de roman policier avant de bifurquer vers le Pérez-Reverte du Club Dumas, alors que son propos, comme on va le voir plus tard, est tout autre et lorgne du côté des savants fous. Le lecteur ne sait jamais où Theroux va l’emmener, et cette indétermination fait tout le sel de l’ouvrage. Pourtant, tous les élément sont été distillés par l’auteur, il nous appartient de les relier. Le lecteur habitué aux ouvrages de SF ne mettra pas très longtemps à comprendre le fin mot de l’histoire ; l’intérêt de Theroux n’est d'ailleurs pas dans la description du processus. Il ne s’embarrasse aucunement de descriptions scientifiques plausibles, quand bien même un substrat informatique imprègne tout le roman, préférant se concentrer sur les conséquences des expérimentations décrites ici. Roman d’une érudition impressionnante (nombre de théoriciens, d’écrivains, de scientifiques sont convoqués), Corps variables s’intéresse alors à ce qui fait l’identité d’une personne, son existence, sa mémoire : que se passerait-il si les souvenirs qu’on croit avoir n’ont pas tous été personnellement vécus ? Theroux apporte des éléments de réponse tantôt ludiques (chacun, dans ces pages, tente en effet de cacher sa réelle personnalité, qu’il appartient donc au lecteur de découvrir), tantôt inquiétants (car on ne manipule pas impunément le cerveau), mais toujours intéressants en diable et propices à la réflexion.

Livre d’une grande finesse psychologique, abordant une thématique somme toute assez classique, mais avec une classe folle, Corps variables s’impose comme un récit à même de combler le plus exigeant des publics par ses digressions philosophiques et scientifiques, sans pour autant rebuter le lecteur occasionnel tant sa thématique est universelle. Un roman qui, après Au nord du monde, achève d’installer Marcel Theroux parmi les auteurs les plus passionnants du moment.

Le Mont 84

Après Le Prophète et le Vizir, voici le vrai retour des Rémy sur la longueur d’un roman. Rappelons pour les plus jeunes lecteurs que le couple Rémy avait publié trois extraordinaires romans et une poignée de nouvelles au tournant des années 70. Le premier, datant de 1968, récemment réédité par Dystopia Workshop, est un fix-up de fantasy des plus remarquables, bien plus proche de L’Opale Entydre de Nathalie Henneberg que des tolkienneries, gemmelleries et autres connes âneries. C’est d’ailleurs chez l’éditeur de Nathalie Henneberg, Christian Bourgois, que devait être publié en 1971 leur deuxième roman, Le Grand Midi. Ils offraient à cette occasion un chef-d’œuvre du fantastique qui ne déparerait pas entre L’Autre rive de Georges-Olivier Châteaureynaud et Morwyn de John Cowper Powys. Ils allaient encore aborder la science-fiction avec La Maison du Cygne, qui prendrait place en « Ailleurs & demain », la collection dirigée par Gérard Klein ; roman qui, à mon avis, reste parmi les vingt meilleurs de la science-fiction française. Et puis le silence…

Au tournant des années 80, la SF n’allait pas tarder à connaître un net reflux qui ferait taire nombre d’auteurs tels Dominique Douay, par exemple. L’autre explication étant qu’ils fussent secs. Que tout ce qu’ils avaient à dire l’ait été.

Le Mont 84 est situé dans l’univers de leur premier livre, Les Soldats de la mer. Cette Terre éclairée par deux lunes où l’on croisaient volontiers le fantôme ici ou là. Bien du temps a passé et le vieux continent où s’était édifié la fédération de Laerne, où se dressait les cités d’Ozmüde, de Dona Real, de Lauterbronn, de Durango, Torre Bianca ou Libemoth, a sombré sous les flots tel Ys ou l’Atlantide. Les colonies ont survécu et se sont développées, à l’instar de l’Arélie, qui fait penser au Nicaragua d’une Amérique centrale alternative équipé en dictateur, l’archonte général. Avec ses trottoirs roulants et ses bus volants, ses buildings gigantesques, Kôna, la capitale, évoque les illustrations d’Albert Robida pour l’an 2000, à ceci près qu’on y adore le panthéon gréco-romain.

Dans ce monde, Bravo d’Iquitos est venu s’isoler sur le mont 84, un bagne abandonné lors d’une encore récente guerre, pour y guérir un chagrin d’amour ou s’apitoyer sur son sort. C’est là qu’un beau jour se pointent Liber Gonvallo, dit le Caleçon, et Wil Ganz, deux bagnards évadés. Le jeune homme est fasciné par les deux repris de justice. Après avoir passé quelques temps sur le mont 84 et y avoir mis la main sur des armes, l’ex-prisonnier politique et le gangster décident de se rappeler aux bons soins d’un état policier qui ne leur a jamais fait de cadeau afin de régler quelques comptes avec les compas (les flics). Bravo les suit davantage qu’ils ne l’entraînent dans une aventure qui peut, de prime abord, sembler romantique mais qui risque fort, à terme, de s’avérer sans issue. Après un cambriolage, ils buttent deux compas trop zélés après que ceux-ci ont incendié la bagnole des trois larrons suite à un excès de vitesse, ainsi qu’il se doit en Arélie. Suite au braquage du bar-hôtel d’Archer le Droit, ils tendent une embuscade et abattent cinq autres compas. S’engage alors une sorte de road novel sur un faux rythme de pavane tandis que Bravo s’entiche d’Almérika, une jeune fille d’Archer le Droit.

L’Arélie est un état policier dont on aurait en quelque sorte coupé la tête. La Haute Direction (HD) a vu ses ailes rognées au profit des commissariats locaux fort jaloux de leurs prérogatives. Ce n’est pas du goût de tout le monde, et certains rêvent au retour d’un passé plus glorieux. Ainsi le lieutenant Soren Van Goes de la HD, du moins quand il ne rêve pas de la compagnie d’accorte jeunes femmes. Profitant de ce que les malfrats opèrent durant les folies Parabiancas, le grand festival annuel d’Arélie, Van Goes prend quelques initiatives qui pourraient lui coûter son poste…

Bien que ce roman soit situé dans le monde fantastique des Soldats de la mer, il n’y subsiste que de rares traces allusives au merveilleux, dont certaines à la colonisation de Vénus, et Le Mont 84 relève du polar. Ça manque de noirceur et ça manque de punch. On est loin d’un Pierre Pelot capable de nous emporter dans un tourbillon d’ultraviolence jusqu’au bout de la route. Pourtant les Rémy écrivent bien, très bien. Les personnages ont du corps ; notamment Bravo et Van Goes. Le couple Rémy n’a jamais fait preuve de complaisance envers la violence, et si Van Goes porte un chapeau à la manière des détectives d’antan, les scènes de crimes évoquent le cinéma d’avant-guerre où les effets spéciaux étaient la portion congrue. Il y a comme un voile qui s’étend sur l’action, comme si les personnages s’ébattaient dans un fluide trop dense… L’histoire ne souffre pas tant d’un manque de rythme que d’un rythme qui semble ne pas être idoine.

Ce roman est agréable, bien écrit, voire même bon. On s’inquiète suffisamment du sort des divers protagonistes pour vouloir savoir comment tout cela finira et qui d’Eros et Thanatos, au final, l’emportera. Mais Le Mont 84 est surtout décevant quand on le compare aux trois précédents romans des auteurs qui étaient et demeurent autant de chefs-d’œuvre.

La Guerre éternelle

Après La Stratégie Ender et Soleil Vert entre autres, J’ai Lu « Nouveaux millénaires » propose ici la réédition en grand format d’un nouveau livre important du patrimoine SF. La Guerre éternelle a remporté les prix Hugo et Nebula dans une version différente de celle ici retraduite, ainsi que l’auteur l’explique dans sa préface.

Haldeman peinait à faire publier son livre et finalement, Ben Bova l’accepta pour Analog, la revue qu’il dirigeait alors. Cependant, Bova jugeait la partie centrale du roman trop sombre pour ce qu’il estimait être le goût des lecteurs et demanda à Haldeman de la réécrire. C’est cette version modifiée qui a remporté les plus hautes distinctions américaines en matière de SF, et qui fut traduite en français chez OPTA (coll. « Anti-Mondes ») par Gérard Lebec et Diane Brower en 1976, puis rééditée chez J’ai Lu. Haldeman ne rétablit la version originelle en anglais qu’en 1991, version qui, vingt-cinq ans plus tard, vient donc d’être traduite par Patrick Imbert. Imbert a également retraduit la partie centrale de la version édulcorée, ici livrée au lecteur en annexe afin qu’il puisse comparer…

Je ne suis pas vraiment convaincu que la version initiale soit plus noire que celle publiée par Bova, par contre, avec le recul, elle semble davantage crédible avec sa violence endémique où les parents de Potter sont abattus par des pillards. Était-ce cela qui gênait le rédacteur en chef d’Analog ? La société dépeinte dans la version édulcorée est en revanche plus futuriste, notamment du fait de ces villes ne constituant plus qu’un unique bâtiment, à la façon des Monades urbaines de Robert Silverberg abritant des millions d’âmes heureuses grâce au conditionnement. Les rêves d’habitats concentrationnaires imaginés par Walter Gropius et L. Mies Van Der Rohe réalisés à la puissance 5. Si la version originelle est plus noire à cause de la violence qui l’imprègne, l’autre a comme un arrière-goût du Meilleur des mondes de Aldous Huxley qui persistera au fil du roman.

Le lecteur américain de 1974 établissait un parallèle avec la guerre du Viet Nam, où Haldemana combattu, parallèle qui n’a plus rien d’évident pour le public d’aujourd’hui. Il reste, comme l’écrit l’auteur, que La Guerre éternelle est surtout un livre sur la guerre en général, sur les soldats et les raisons pour lesquelles nous pensons avoir besoin d’eux (p. 9).

La nouvelle traduction a également modernisé le vocabulaire. Ainsi, les sondes sont-elles devenues des drones, et la description des ordinateurs de Genève (dans l’annexe) l’illustre fort bien. On se demande d’ailleurs pourquoi, à Genève, la « salle de contrôle » est devenue « kontrollezimmer » ?

Autant le dire maintenant, La Guerre éternelle ne séduira guère les fans de Jack Campbell, et vous n’y assisterez qu’à bien peu de batailles. Joe Haldeman a combattu au Viet Nam, expérience qu’il n’a manifestement guère goûtée, et son roman trouvera bien plutôt sa place entre la nouvelle« La Guerre définitive » de Barry N. Malzberg et Catch 22 de Joseph Heller ; autant d’œuvres qui s’évertuent à bien nous faire comprendre que la guerre est une connerie monstre.

La Guerre éternelle a été publié aux USA en 74, cinq ans après « l’été de l’amour », et le roman est tout empreint de libération sexuelle. L’armée est mixte, et l’on y baise à couilles rabattues… mais au fur et à mesure que Potter et Mandella dérivent vers l’avenir à cause des effets relativistes, ils découvrent des sociétés qui évoluent sur ce plan. Pour endiguer la surpopulation, l’homosexualité est devenue la norme, puis l’hétérosexualité tend à disparaître. À la fin du roman, c’est la sexualité même qui a disparu avec le clonage qui l’a rendue caduque bien qu’il apparaisse que cette évolution-là soit une impasse dont on va pouvoir sortir grâce aux militaires revenus du passé. Haldeman a poussé cette spéculation à son terme et il semble alors lui être apparu que c’était aller trop loin. Il écrivait son roman à une époque où le puritanisme était battu en brèche et où le sexe était plutôt considéré comme une bonne chose. On remarquera également que la consommation de haschisch est traitée comme une activité sociale des plus banale.

Ce roman ne montre plus notre avenir mais le futur des années 70 tel qu’il ne sera jamais. S’il garde sa valeur spéculative, il est aussi devenu un document sur la manière de vivre et de penser de l’époque, aujourd’hui complètement révolue, où Haldeman l’écrivait. La science-fiction, on le sait, donne un éclairage indirect sur le présent, mais lorsque le livre a été écrit depuis longtemps, il en vient à éclairer notre passé qui, par un jeu de miroir, questionne à son tour notre présent. Avec les années, le regard que nous fait porter sur le monde un roman comme La Guerre éternelle gagne encore en complexité. Tout sauf une vieillerie plus ou moins charitablement ressortie de la naphtaline…

La Guerre éternelle est un livre à découvrir ou à relire.

La Danse des étoiles

On ne sait pas ce qui se passe dans la tête des éditeurs, mais il arrive qu’ils nous sortent une réédition de derrière les fagots que plus personne n’osait espérer depuis des lustres. Ainsi cette Danse des étoiles. Ce roman parut pour la première fois en français en 1979, dans la prestigieuse collection « Dimensions SF » que dirigeait feu Robert Louit pour Calmann-Lévy, dont les auteurs phares n’étaient autres que James G. Ballard, Christopher Priest ou Ian Watson. La collection emblématique de la fiction spéculative. Jusqu’à présent, une dizaine de texte n’avait pas été rééditée, dont cinq anglo-saxons. Si Aldiss et Lafferty sont bien connus des fans, on ne saurait dire qu’ils trustent la liste des best-sellers ; John W. Jakes et Mark Adlard sont pour leur part quasiment inconnus, à l’instar de Spider Robinson.

La Danse des étoiles, resté ignoré durant plus de trente-cinq années d’un long purgatoire bien que sa première version ait remporté les prix Nebula, Hugo et Locus, demeure à ce jour le principal titre de gloire de son auteur. N'en déplaise à Noureïev, Barychnikov ou Nijinski, et aux ballets russes de Diaghilev : la danse reste plutôt perçue comme un art féminin. Terpsichore n’a que peu inspiré les auteurs de SF, et les rares textes qui en sont épris sont dus à des plumes féminines. Citons Danse aérienne de Nancy Kress, je crois aussi me souvenir d’une nouvelle de Vonarburg… Et ce roman, écrit à quatre mains avec Jeanne, la femme de Spider Robinson, danseuse et chorégraphe.

Shara Drummond, danseuse et chorégraphe de génie, ne pouvait pas réussir sur Terre. En effet, Shara est une grande femme plantureuse. Elle n’a pas la morphologie adéquate qu’exige la danse moderne. Quand le milliardaire Carrington l’invite sur Skyfac, la station orbitale qu’il a fait construire, entre autres, pour circonvenir son propre handicap, elle saute sur l’occasion et fait appel à son vieil ami, Charlie Armstead, ancien danseur qu’un cambriolage ayant mal tourné a également laissé handicapé et qui s’est reconverti en opérateur vidéo. Pour danser en apesanteur, il faut pouvoir se passer de verticale locale, ce à quoi bien peu parviennent. De plus, à séjourner trop longtemps en apesanteur, le corps risque de s’adapter définitivement, auquel cas le retour dans le puits de gravité s’avérerait mortel. Shara Drummond n’en réussit pas moins à renouveler de fond en comble un art qui s’était fourvoyé dans des impasses. Durant ce temps, d’énigmatiques extraterrestres s’approchent de la Terre par petits bonds… C’est bien entendu grâce à la danse que l’humanité parviendra à entrer en contact avec eux…

La première partie voit progressivement croître sa tension dramatique jusqu’à la confrontation avec les extraterrestres. Cette partie initiale semble constituer un récit complet en soi. La deuxième partie se résume à une longue séquence d’exposition au cours de laquelle Charlie Armstead et Norrey Drummond, la sœur de Shara, tentent de développer la danse en chute libre, ce qui ne va pas sans mal. Elle permet d’introduire quatre personnages supplémentaires mais manque singulièrement de rythme ; les péripéties peinent à intéresser et semblent surajoutées. Quand les extraterrestres sont enfin de retour, non seulement on s’y attendait, mais surtout, on n’attendait que ça ! La dernière partie va envoyer La Danse des étoiles sur une orbite eschatologique qui rapprochera ce roman de livres tels que Les Enfants d’Icare d’Arthur C. Clarke. Ces extraterrestres s’apparentent aux Suzerains ou aux énigmatiques visiteurs du Vaisseau des voyageurs de Robert Charles Wilson par ce qu’ils ont à offrir à l’humanité. Encore faudra-t-il être à même de le comprendre afin de pouvoir s’en saisir… et il va de soi que les humains ne sont pas tous sur la même longueur d’onde.

À l’instar de La Guerre éternelleLa Danse des étoiles est un roman qui vient d’émerger du post-passé – j’entends par cette expression une période assez récente constituant une sorte d’angle mort entre présent et passé ; ce n’est déjà plus le présent, mais pas encore le passé, un espace temporel d’une bonne vingtaine d’années (de 1980 à 2000/2005). Quand des livres comme ces deux-là portent l’empreinte de l’époque qui les a vu écrire (ici, les années 70), ils deviennent difficiles à lire et imposent une gymnastique intellectuelle qui peut parfois s’avérer pénible. Il était certainement nécessaire de les laisser glisser vers le passé comme un nageur fait une coulée. La Danse des étoiles vient ainsi de resurgir de la zone d’ombre de l’histoire. Des techniques vidéo d’un autre âge, l’absence de numérique et de virtualité, les références à l’Union Soviétique situent désormais ce roman comme une œuvre du passé, l’ambiguïté est levée.

Si La Danse des étoiles souffre d’un ventre mou, ça n’en reste pas moins un roman remarquable construit sur la double thématique du dialogue avec l’autre et du renouvellement d’un art grâce aux possibilités offertes par le progrès. C’est de plus, on l’a dit, une des rares œuvres de SF traitant de la danse. Autant d’éléments qui, s’ils n’en font pas un chef-d’œuvre absolu, font de cette Danse des étoiles une occasion à ne pas manquer.

Viriconium

La réédition du cycle de « Viriconium » chez Mnémos offre un bel écrin à l’œuvre de M. John Harrison, auteur dont on peut dire sans crainte qu’il n’a pas provoqué l’effervescence dans nos contrées. En témoigne le désert éditorial qu’il traverse toujours depuis la parution de son dernier inédit Light (alias L’Ombre du Shrander). À la décharge du lectorat, reconnaissons que l’écrivain anglais n’a pas choisi la facilité en optant pour une déconstruction en règle des ressorts et des motifs classiques de la SF et de la fantasy. Mais avant d’aller plus loin dans notre recension, éclaircissons un point susceptible de fâcher. En dépit d’une préface laudative de Neil Gaiman et d’un packaging classieux (édition reliée, à la couverture cartonnée rigide pourvue d’un tranchefile), l’ouvrage ne propose aucun inédit. Il ne reprend en fait que le contenu des poches (toujours disponibles chez « Folio SF »), romans et nouvelles du recueil Viriconium Nights comprises (critiques in Bifrost 33 et 34).

« S’il existe une cité où résident les morts, elle doit ressembler à ceci. Il y règne une odeur de rats et de géranium fanés. » Viriconium, cité des rêves déchus hantée par les échos de multiples autres lieux. Un décor aux formes fluctuantes, à la géographie incertaine et baroque parcourue par des héros fatigués, des aristocrates décadents et des magiciens clochardisés. Une ville de la fin des temps issue des rebuts de civilisations passées, où le sublime côtoie le trivial, où la majesté copule avec le grotesque pour accoucher d’une progéniture déviante. Avec la cité de Viriconium, M. J. Harrison crée un personnage à part entière qui n’est pas sans évoquer le Gormenghast de Mervyn Peake. On y trouve le même goût pour le non-sense, la démesure absurde et les situations bizarres. En explorant ses ruelles sordides, ses places en ruine, ses bistrots malfamés, ses taudis hantés par la lie de la population, ses palais cyclopéens où croupissent des souverains dépourvus d’autorité, on comprend l’attrait qu’elle a pu exercer sur l’imaginaire de China Miéville.

Dans ce monde si ancien que la réalité a oublié sa nature, M. J. Harrison s’amuse à égarer le lecteur. Il suspend l’incrédulité à la corde d’une potence, détournant les conventions du genre et s’ingéniant à détricoter les intrigues, quitte à larguer son lectorat. Si La Cité pastel se révèle encore lisible d’un point de vue narratif, Le Signe des Locustes abandonne la notion même de récit pour laisser place à une succession de digressions portées par une écriture flamboyante et d’une densité à proprement parler étouffante, où la moindre incongruité donne lieu à des pages entières de descriptions détaillées. La préciosité de la langue gagne encore en ampleur avec Les Dieux incertains. M. J. Harrison y narre les efforts dérisoires d’un artiste peintre pour sauver l’élue de son cœur, déconstruisant au passage les précédents épisodes de son cycle. Le drame se déroule dans les bas-fonds de Viriconium menacés par un mystérieux fléau altérant la réalité. Mais à vrai dire, l’auteur se contrefiche de la progression dramatique, préférant s’attacher à l’atmosphère déliquescente des lieux et aux agissements de deux gredins, deux ivrognes braillards et vulgaires ne respectant rien, ni dieux, ni maîtres. Quant aux nouvelles, elles instillent une profondeur de champs à l’ensemble, quand elles ne brouillent tout simplement pas les repères. Sur ce dernier point,« Voyage d’un jeune homme à Viriconium » apporte une petite touche que n’aurait pas désavoué Lewis Carroll, excusez du peu.

À la fois iconoclaste, fascinant et déroutant, « Viriconium » ne laisse donc pas indifférent. À n'en pas douter, le cycle ne réconciliera pas M. J. Harrison avec ses détracteurs. Pour les autres, on leur conseille de lâcher prise et de se laisser porter au fil des méandres d’une œuvre culte. Définitivement.

In Cloud We Trust

Oubliez les lendemains qui chantent. Les plus pessimistes prévisions se sont désormais réalisées, conduisant le monde au bord du gouffre. L’arrière-plan du nouveau roman de Frédéric Delmeulle n’incite guère à la légèreté. La pollution, le dérèglement climatique, la quasi-extinction de la faune et de la flore, l’épuisement des ressources composent un tableau défaitiste sur lequel les gouvernements n’ont plus aucune prise. Sous toutes les latitudes, des guerres endémiques ravagent désormais les terres aux marges de l’espace mondialisé. Elles aggravent la pauvreté, contribuant à renforcer les mouvements migratoires. Au sein du village global, consumérisme et loisirs se partagent le temps de cerveau disponible d’une humanité qui n’arrive plus à se projeter dans l’avenir. Tout va mal, sauf pour les sociétés transnationales, en particulier la firme Siegwart-Warner, dont le succès dans le domaine de la RealiSim attise la convoitise de la concurrence. Pourtant, l’inquiétude règne au sein du conseil d’administration de la société depuis la disparition inexplicable de quelques clients. Dans les parcs à thème où ils rejouent grandeur nature des scénarios puisés au meilleur de la fiction ou de l’Histoire, le phénomène semble même s’accroître. Sabotage, bogue informatique ou œuvre d’un fou ? Les hypothèses courent, mais moins vite que les opportunités de croissance qu’elles offrent.

La science-fiction s’écrit au présent. In Cloud We Trust confirme l’assertion, car même si le propos de Frédéric Delmeulle ne se révèle guère original sur le fond, l’auteur démontre tout son savoir-faire en livrant un page-turner efficace qui lorgne du côté obscur de l’anticipation. L’auteur opte pour un point de vue omniscient, entrecoupé de chapitres intitulés « bruit ambiant » qui sont autant de pièces d’un puzzle. Le découpage resserré impulse au récit un rythme le rapprochant du thriller, même si le suspense tend à s’émousser aux deux tiers du roman. Car en dépit de l’habileté du dispositif narratif, Frédéric Delmeulle ne parvient pas vraiment à créer la surprise. Ses extrapolations ne font que recycler des thématiques abordées par d’autres auteurs. On pense notamment au Successeur de pierre de Jean-Michel Truong, aux nouvelles de Greg Egan, à la trilogie « Complex » de Denis Bretin et Laurent Bonzon, et à bien d’autres. Par ailleurs, l’intrigue abonde en clins d’œil à des films, des séries télévisées ou des romans de genre. De quoi réjouir le geek et entretenir avec lui un petit jeu intertextuel. De ce point de vue, In Cloud We Trust se révèle une réussite. Pour le reste, il faut se contenter d’un récit sans véritable éclat, volontiers caustique, mais au final assez convenu. Bref, de quoi prêcher des convertis.

Royaume de vent et de colères

1596. La République catholique indépendante proclamée à Marseille par Charles de Casaulx cinq ans auparavant vit ses dernières heures. Issue des désordres provoqués par l’avènement d’Henri IV, elle ne peut plus guère compter que sur le soutien espagnol pour résister à la reconquête royale. Enfermés entre les murs de la cité phocéenne, Victoire, Gabriel, Axelle et Armand partagent le destin de ses habitants. Deux hommes et deux femmes, vétérans désabusés des guerres de Religion. Un quatuor qui se cherche désormais un avenir ou des raisons d’en finir. Victoire, chef de la guilde secrète des assassins, a fait et défait le pouvoir pendant des décennies. Au-dessus de la mêlée, mais toujours dans le sens de ses intérêts. Désormais âgée, elle envisage de se retirer sur un ultime coup d’éclat. En ce qui concerne Gabriel, pas question de prendre sa retraite, même si les années sont un fardeau pour sa carcasse éprouvée par les combats successifs. Rallié à la foi catholique, l’ancien huguenot espère toujours racheter sa lâcheté passée en sacrifiant sa vie pour une cause dont les partisans le méprisent. Tous deux fréquentent La Roue de la Fortune, l’auberge tenue par Axelle et son mari, ex-mercenaires en quête d’un quotidien plus apaisé après la violence des combats. Un choix difficile à accepter pour l’ancienne patronne de la compagnie du Chariot. Quant à Armand, il compte sur le silence de tous, au moins le temps de trouver un navire pour quitter le royaume avec Roland, son amant, et ainsi échapper aux convoitises et aux craintes suscitées par leur don pour la magie.

On a peine à imaginer la violence des guerres de Religion. Une férocité semblable à celle de la Terreur, pour ne prendre que cet exemple dans la longue liste des conflits fratricides. Près de quarante années de guerre larvée, entrecoupée de trêves et de massacres attisés par le fanatisme religieux, les luttes entre factions et le jeu dangereux des puissances étrangères, notamment les Habsbourg. Avec Royaume de vent et de colères, Jean-Laurent Socorro nous en livre un aperçu documenté, se focalisant sur un épisode méconnu : la République de Marseille. La ville méditerranéenne et l’Histoire servent de décor au drame tissé par quatre, voire cinq destins individuels dont l’auteur se plaît à nous dévoiler le caractère ambivalent et les renoncements. À grand renfort de flashbacks et d’ellipses, d’une écriture incisive, Jean-Laurent Socorro nous brosse ainsi quatre portraits dotés d’une réelle épaisseur psychologique, se montrant à la fois sensible et crédible, tout en évitant l’écueil de la sensiblerie. Parmi ceux-ci, on retiendra surtout Axelle, dont le caractère n’est pas sans rappeler celui de Cendres de Mary Gentle, en beaucoup moins agaçant tout de même, mais également Gabin sans « aime », le bonus poignant de cet ouvrage à bien des égards merveilleux, même si la fantasy proprement dite se trouve réduite à la portion congrue.

Avec ce premier roman, Jean-Laurent Socorro démontre, s’il est encore nécessaire de le prouver, que l’on peut violer l’Histoire pour lui faire de beaux enfants. Pour ce crime, nous lui souhaitons de toucher un lectorat nombreux. Il le mérite.

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