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Shining

« C’est ce que j’avais trouvé si ingénieux dans l’écriture de ce roman. A mesure que les événements surnaturels se produisent, le lecteur continue à supposer qu’il s’agit probablement des produits de l’imagination du personnage. A mon avis, c’est de cette façon qu’on se met à les accepter sans se poser de questions. » — Stanley Kubrick

Découvrir Shining dans de bonnes conditions n’est pas une mince affaire pour le lecteur francophone de ce début de XXIe siècle. Le troisième roman publié par Stephen King traîne deux grosses casseroles qui peuvent gâcher une bonne partie du plaisir de lecture. La première est sans doute le fabuleux film qu’en a tiré Stanley Kubrick en 1980, après avoir reçu et lu avec enthousiasme le manuscrit, avant même sa publication. On ne reviendra pas sur les qualités incroyables du long métrage qui aura au moins ce mérite de changer un certain nombre d’éléments de l’histoire, dont la fin. Les plus chanceux auront pu admirer lors de l’exposition Kubrick de 2011 à la Cinémathèque française l’exemplaire de Shining ayant servi à Kubrick, bariolé de toutes les couleurs et griffonné de commentaires plus ou moins flatteurs du réalisateur. Au final, le public a obtenu deux œuvres profondément différentes mais, honnêtement, il est impossible de lire Shining en 2015 sans avoir le rictus de Jack Nicholson qui s’imprime durablement dans le cerveau.

« – Reste sur le trottoir, prof, dit-elle en le serrant très fort.

– Oui, Maman. »

La seconde gamelle, plus bruyante et plus fourbe, possède comme avantage d’être escamotable. Car oui ! les gens qui éditent Stephen King peuvent un jour décider de faire RéVISER LES ABOMINABLES TRADUCTIONS QU’ON NOUS IMPOSE DEPUIS PRÈS DE QUARANTE ANS ! (Je ne crie pas juste pour vous faire sourire, je crie pour être ENTENDU !) Ou alors, le lecteur francophone peut se mettre à l’américain, qui est beaucoup plus accessible que l’anglais, et ainsi priver certains éditeurs d’une rente qu’ils ne méritent pas tant que ça.

La maman de Danny, dans la version originale, appelle son fils « Doc » parce que son fils est fan de Bugs Bunny ce que ni Joan Bernard ni l’équipe de doublage du film n’auront compris (« Doc » compris « Duck » devient… Canard… tagada tsoin-tsoin). Ceci n’est qu’un exemple des tares de traduction qui accablent le livre, au même titre que les copieuses coupures qui l’amputent. Pas facile d’apprécier le texte à sa juste valeur, donc.

« Tu perds la tête, tu déménages, tu travailles du chapeau, tu as les méninges en accordéon, tu as une araignée au plafond, tu as le timbre fêlé, tu ondules de la toiture, tu es bon pour le cabanon. Ou, tout simplement : tu deviens fou. »

Pourtant, l’histoire de Jack Torrance est proprement terrifiante : père de famille alcoolique, Jack a une fâcheuse tendance à l’écart violent. En pleine crise économique du début des années 70, il perd son boulot d’enseignant après avoir secoué un jeune un peu trop fort. Le voici contraint d’accepter un emploi de gardien d’hiver à l’hôtel Overlook, isolé des mois durant dans les montagnes enneigées du Colorado, coincé entre ses échecs et ses renoncements, enfermé au milieu de rien avec une femme prête à beaucoup de choses pour sauver son ménage et un enfant médium qui passe son temps à parler à son ami imaginaire et à voir… des choses. Un monument.

Rage

« Un léger murmure a parcouru la classe. Je les ai regardés attentivement. Leurs yeux étaient si froids et si détachés (sous le coup d’un choc, c’est comme ça parfois : on se retrouve éjecté d’un rêve de vie douillette comme un pilote d’avion de combat, on est envahi par une overdose de réalité brutale, et l’esprit refuse de s’ajuster à la situation ; on tombe en chute libre en espérant que tôt ou tard le parachute s’ouvrira) qu’un vieux fantôme du collège m’est revenu à l’esprit : Maître, maître sonne la cloche, mes leçons je te dirai, et quand sera finie l’école, j’en saurai plus que ne devrais. »

Paru aux Etats-Unis en 1977, le premier jet de Rage remonte à plus loin qu’on le pense : 1966. Après le très court et inédit The Aftermath, Stephen King, alors âgé de 19 ans, entame ce deuxième roman sous le titre Getting it on.

Charles Decker ne doit pas être beaucoup plus jeune que l’auteur puisqu’il fréquente l’équivalent américain de notre terminale. Dopé par un niveau hormonal très élevé, le jeune homme sort du bureau du proviseur où il a été convoqué pour violence à l’encontre d’un professeur. Après un échange musclé avec le chef d’établissement, Charles retourne en classe muni d’un pistolet qu’il conservait dans son casier et dessoude froidement sa prof d’algèbre. S’ensuit un huis-clos infernal durant lequel Charles, après avoir montré qui menait la barque aux adultes de l’extérieur, va s’attacher à faire tomber un à un les masques de ses camarades de classe et le voile odieux dont la société se sert pour cacher la médiocrité des adultes.

Assez court, Rage, ne contient aucun élément relevant du fantastique — ce qui explique, en partie, qu’il ait été publié sous le pseudonyme de Richard Bachman. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce roman confirme à quel point Stephen King est un auteur brillant qui n’a pas besoin de l’artifice horrifique pour saisir son lecteur par les tripes, le faire tournoyer dans les airs sans les lâcher et anéantir en lui tout sens de l’orientation.

Avec Rage, Stephen King colle une claque au lecteur avec bien plus de force que dans Carrie : les personnages qu’il y met en scène sont plus proches de nous que la rouquine télékinésiste ou que la cheerleader hystérique qui lui veut du mal. Les adolescents de Rage sonnent terriblement juste dans leur recherche d’eux-mêmes et leur rapport plus ou moins douloureux à la société qui les entoure.

Cette justesse explique sans doute pourquoi des exemplaires du livre ont été retrouvés chez quelques adolescents américains particulièrement désaxés et amateurs de fusillade en milieu scolaire. Dans le doute, Stephen King a choisi d’interrompre les réimpressions du roman qui, en France comme ailleurs, ne se trouve plus que d’occasion. Certes, il ne faut pas mettre Rage dans toutes les mains, mais Diable ! Quel putain de roman !

Skarabapur

[Critique commune à La Guerre des vœux et Skarabapur.]

Parus ces derniers mois sous des couvertures pas dénuées d’attraits mais interchangeables, La Guerre des vœux et Skarabapur concluent la trilogie des « Seigneurs des tempêtes » initiée par Le Pays des Djinns.

Bref rappel des événements (et gros spoilers sur la fin du tome 1) : depuis l’apparition de la Magie Sauvage cinquante ans plus tôt, le désert entre Samarkand et Bagdad est peuplé de djinns luttant farouchement pour leur survie suite à la vision d’un des leurs révélant leur fin future causée par les humains. A Samarkand, le contrebandier Tarik a décidé à contrecœur d’aider son frère Junis à emmener la mystérieuse Sabatea à Bagdad. Le chemin est truffé de dangers ; Tarik rencontre Amaryllis, le djinn qui lui a volé son amour, Maryam, des années plus tôt, le tue et récupère un peu de son pouvoir ; un malheur conduit à l’abandon de Junis en plein désert ; Sabatea atteint Bagdad, avec comme objectif l’assassinat du calife Haroun el-Rachid.

La Guerre des vœux débute pile là où Le Pays des Djinns s’achevait. Junis est recueilli par les fameux Seigneurs des tempêtes, des rebelles qui combattent les djinns à l’aide de tornades magiques. La source de leur pouvoir provient d’un mystérieux garçonnet, focalisé tout entier sur la destruction de leur ennemi — justement, les djinns prévoient une offensive de grande ampleur sur Bagdad. Surtout, la cheffe des Seigneurs des tempêtes n’est autre que Maryam… A Bagdad, Sabatea est détenue dans le palais royal, tandis que Tarik erre dans les bas-fonds de la ville, cherchant à la retrouver. Ce deuxième volet souffre du défaut inhérent à tous deuxièmes volumes de trilogies : c’est le ventre mou de la série. Bien que riche en action, l’intrigue patine et ne s’accélère que vers la fin, livrant des révélations cruciales sur les vœux : comme on le sait, ils vont par trois, mais pourquoi les iphrites, ces créatures seules capables de les accorder, perdent tout leur pouvoir après l’octroi du deuxième vœu ? Surtout, les dernières pages divulguent des révélations sur la nature du monde où évoluent nos héros. Tout va se dénouer à Skarabapur, ville réputée inaccessible située aux confins d’un désert vitrifié par la Magie Sauvage. Le voyage ne sera pas sans danger, d’autant que l’esprit de Tarik est envahi par Amaryllis… Si La Guerre des vœux était assez statique, ce dernier volet renoue avec l’odyssée périlleuse du Pays des Djinns et conclut joliment l’ensemble.

Avec les « Seigneurs des tempêtes », Kai Meyer propose une solide trilogie d’aventure originale peuplée de personnages complexes, et d’où le manichéisme est absent. Les djinns combattent les humains, non parce qu’ils sont bêtes et méchants, mais pour leur survie ; du côté des hommes, fins et moyens sont remis en question, en particulier avec les Seigneurs des tempêtes, dont les attaques sur les djinns provoquent d’importants dégâts collatéraux dans les rangs de leurs esclaves humains. L’auteur n’épargne pas ses protagonistes, qu’il fait évoluer dans des décors désertiques où règne une ambiance de fin du monde. En somme, voilà une trilogie de fantasy orientale qui change du tout-venant, et une bonne surprise qu’on ne réservera pas aux seuls amateurs du genre.

Printemps

[Critique commune à Printemps, Été et Automne.]

Bienvenue à nouveau dans le Demi-Monde ! Dix numéros de votre revue préférée plus tôt, nous vous parlions d’Hiver, solide premier volet de cette tétralogie. Bref rappel : le Demi-Monde selon Rod Rees est une simulation informatique — gérée par le superordinateur ABBA, créée par le gouvernement américain pour entraîner ses soldats à la guérilla urbaine — qui mêle lieux, époques et figures historiques dans un joyeux et sanglant bazar. Parce que Norma Williams, la fille du président américain, s’est perdue dans le Demi-Monde, l’intrépide Ella Thomas est envoyée à sa rescousse… et découvre que le duplicata numérique de Reinhard Heydrich, qui a changé le Demi-Monde en véritable enfer, a l’intention de s’attaquer au Monde Réel. Hiver se terminait en laissant nos héroïnes dans des situations tendues : Ella échouant à empêcher l’échange de personnalité entre Norma et la fille de Heydrich ; Trixie Dashwood, pasionaria de la lutte contre le régime de Heydrich, finissant prisonnière de l’impératrice Wu.

Printemps débute précisément là où Hiver s’achevait. Sous les traits de Norma Williams, Aaliz Heydrich s’éveille dans le Monde Réel… qui s’avère ne pas être tout à fait celui que l’on connaît. Se faisant passer pour la fille du président américain, elle va entamer une croisade religieuse fondamentaliste dans des buts bien sombres. Dans le Quartier Chaud du Demi-Monde, Ella tombe entre les mains de ses ennemis, mais entame une transformation inattendue : elle que l’on prenait pour un daemon, la voilà possédée par un véritable démon, Lilith. Norma Williams, tirée des griffes des SS, va peu à peu s’opposer à celle qui l’a sauvée et lancer une mouvance inédite dans cet univers : le pacifisme. Quant à Trixiebell Dashwood, elle sort de prison au rang de générale lorsque le Quatrième Règne de Heydrich se prépare à attaquer le Coven. Eté voit la guerre faire rage dans le quartier asiatique du Demi-Monde et l’intrigue se focaliser autour d’une mystérieuse colonne gravée d’inscriptions étranges. Dans Automne, le conflit se déplace vers NoirVille et le District Autonome Juif en son sein — qui est aussi le lieu où se situe le dernier portail d’accès au Monde Réel… dit monde qui deviendra l’ultime terrain d’affrontement entre Norma Wil-liams et ses ennemis. Et peut-être l’ordinateur ABBA a-t-il son mot à dire dans cette affaire ?

Un Monde Réel qui s’avère ici uchronique, avec comme point de divergence la météorite tombée en 1795 non loin du village anglais de Wold Newton : ici, la voilà chargée de « cavorite », cette matière mise au point par Cavor dans Les Premiers Hommes dans la lune d’H. G. Wells. Notons que cette météorite avait déjà inspiré Philip José Farmer, ce dernier imaginant que, radioactif, l’aérolithe provoque des mutations génétiques chez les personnes à proximité : les ancêtres de Sherlock Holmes, Tarzan, Doc Savage ou Fu Manchu (cf. Tarzan vous salue bien ou Doc Savage: His Apocalyptical Life). Bref, le « Demi-Monde » s’inscrit dans cette lignée. Pour une réussite moindre… De fait, cette imposante tétralogie (plus de deux mille pages) ressemble à une blague un peu trop longue.

Le « Demi-Monde » est bardé de bonnes intentions : la guerre c’est mal, tout comme le nationalisme, le fanatisme, le racisme et l’antisémitisme. Vive le pacifisme ; l’amour (quoique de préférence hétérosexuel) triomphera de tout. Mais les bonnes intentions ne font pas tout. D’autant que la tétralogie n’est pas dénuée de quelques défauts structurels. La volonté forcenée de suivre les quatre saisons du calendrier, dans le monde virtuel comme dans le monde réel, cause des problèmes de rythme, avec une action avançant par à-coups qui laisse des pans du Demi-Monde dans l’ombre. Faire de cette simulation informatique le véritable personnage de la série a pour conséquence de générer un casting, certes de luxe, mais quelque peu sous-exploité. Dur de s’attacher aux personnages, quand les principaux protagonistes deviennent secondaires et que les secondaires finiront mal… L’intrigue tient la route, tous les mystères trouveront leur justification, mais le final déçoit.

Enfin, conseillons la lecture en VO aux fans les plus hardcore : la série regorge de jeux de mots, dont bon nombre sont perdus à la traduction (Florence Dolisi n’a pas eu la tâche aisée, certaines trouvailles s’avérant tout simplement intraduisibles), absence qu’on perçoit dans plusieurs néologismes.

En somme, ambitieux mais trop long, le « Demi-Monde » se révèle une demi-réussite.

La Guerre des vœux

[Critique commune à La Guerre des vœux et Skarabapur.]

Parus ces derniers mois sous des couvertures pas dénuées d’attraits mais interchangeables, La Guerre des vœux et Skarabapur concluent la trilogie des « Seigneurs des tempêtes » initiée par Le Pays des Djinns.

Bref rappel des événements (et gros spoilers sur la fin du tome 1) : depuis l’apparition de la Magie Sauvage cinquante ans plus tôt, le désert entre Samarkand et Bagdad est peuplé de djinns luttant farouchement pour leur survie suite à la vision d’un des leurs révélant leur fin future causée par les humains. A Samarkand, le contrebandier Tarik a décidé à contrecœur d’aider son frère Junis à emmener la mystérieuse Sabatea à Bagdad. Le chemin est truffé de dangers ; Tarik rencontre Amaryllis, le djinn qui lui a volé son amour, Maryam, des années plus tôt, le tue et récupère un peu de son pouvoir ; un malheur conduit à l’abandon de Junis en plein désert ; Sabatea atteint Bagdad, avec comme objectif l’assassinat du calife Haroun el-Rachid.

La Guerre des vœux débute pile là où Le Pays des Djinns s’achevait. Junis est recueilli par les fameux Seigneurs des tempêtes, des rebelles qui combattent les djinns à l’aide de tornades magiques. La source de leur pouvoir provient d’un mystérieux garçonnet, focalisé tout entier sur la destruction de leur ennemi — justement, les djinns prévoient une offensive de grande ampleur sur Bagdad. Surtout, la cheffe des Seigneurs des tempêtes n’est autre que Maryam… A Bagdad, Sabatea est détenue dans le palais royal, tandis que Tarik erre dans les bas-fonds de la ville, cherchant à la retrouver. Ce deuxième volet souffre du défaut inhérent à tous deuxièmes volumes de trilogies : c’est le ventre mou de la série. Bien que riche en action, l’intrigue patine et ne s’accélère que vers la fin, livrant des révélations cruciales sur les vœux : comme on le sait, ils vont par trois, mais pourquoi les iphrites, ces créatures seules capables de les accorder, perdent tout leur pouvoir après l’octroi du deuxième vœu ? Surtout, les dernières pages divulguent des révélations sur la nature du monde où évoluent nos héros. Tout va se dénouer à Skarabapur, ville réputée inaccessible située aux confins d’un désert vitrifié par la Magie Sauvage. Le voyage ne sera pas sans danger, d’autant que l’esprit de Tarik est envahi par Amaryllis… Si La Guerre des vœux était assez statique, ce dernier volet renoue avec l’odyssée périlleuse du Pays des Djinns et conclut joliment l’ensemble.

Avec les « Seigneurs des tempêtes », Kai Meyer propose une solide trilogie d’aventure originale peuplée de personnages complexes, et d’où le manichéisme est absent. Les djinns combattent les humains, non parce qu’ils sont bêtes et méchants, mais pour leur survie ; du côté des hommes, fins et moyens sont remis en question, en particulier avec les Seigneurs des tempêtes, dont les attaques sur les djinns provoquent d’importants dégâts collatéraux dans les rangs de leurs esclaves humains. L’auteur n’épargne pas ses protagonistes, qu’il fait évoluer dans des décors désertiques où règne une ambiance de fin du monde. En somme, voilà une trilogie de fantasy orientale qui change du tout-venant, et une bonne surprise qu’on ne réservera pas aux seuls amateurs du genre.

Été

[Critique commune à Printemps, Été et Automne.]

Bienvenue à nouveau dans le Demi-Monde ! Dix numéros de votre revue préférée plus tôt, nous vous parlions d’Hiver, solide premier volet de cette tétralogie. Bref rappel : le Demi-Monde selon Rod Rees est une simulation informatique — gérée par le superordinateur ABBA, créée par le gouvernement américain pour entraîner ses soldats à la guérilla urbaine — qui mêle lieux, époques et figures historiques dans un joyeux et sanglant bazar. Parce que Norma Williams, la fille du président américain, s’est perdue dans le Demi-Monde, l’intrépide Ella Thomas est envoyée à sa rescousse… et découvre que le duplicata numérique de Reinhard Heydrich, qui a changé le Demi-Monde en véritable enfer, a l’intention de s’attaquer au Monde Réel. Hiver se terminait en laissant nos héroïnes dans des situations tendues : Ella échouant à empêcher l’échange de personnalité entre Norma et la fille de Heydrich ; Trixie Dashwood, pasionaria de la lutte contre le régime de Heydrich, finissant prisonnière de l’impératrice Wu.

Printemps débute précisément là où Hiver s’achevait. Sous les traits de Norma Williams, Aaliz Heydrich s’éveille dans le Monde Réel… qui s’avère ne pas être tout à fait celui que l’on connaît. Se faisant passer pour la fille du président américain, elle va entamer une croisade religieuse fondamentaliste dans des buts bien sombres. Dans le Quartier Chaud du Demi-Monde, Ella tombe entre les mains de ses ennemis, mais entame une transformation inattendue : elle que l’on prenait pour un daemon, la voilà possédée par un véritable démon, Lilith. Norma Williams, tirée des griffes des SS, va peu à peu s’opposer à celle qui l’a sauvée et lancer une mouvance inédite dans cet univers : le pacifisme. Quant à Trixiebell Dashwood, elle sort de prison au rang de générale lorsque le Quatrième Règne de Heydrich se prépare à attaquer le Coven. Eté voit la guerre faire rage dans le quartier asiatique du Demi-Monde et l’intrigue se focaliser autour d’une mystérieuse colonne gravée d’inscriptions étranges. Dans Automne, le conflit se déplace vers NoirVille et le District Autonome Juif en son sein — qui est aussi le lieu où se situe le dernier portail d’accès au Monde Réel… dit monde qui deviendra l’ultime terrain d’affrontement entre Norma Wil-liams et ses ennemis. Et peut-être l’ordinateur ABBA a-t-il son mot à dire dans cette affaire ?

Un Monde Réel qui s’avère ici uchronique, avec comme point de divergence la météorite tombée en 1795 non loin du village anglais de Wold Newton : ici, la voilà chargée de « cavorite », cette matière mise au point par Cavor dans Les Premiers Hommes dans la lune d’H. G. Wells. Notons que cette météorite avait déjà inspiré Philip José Farmer, ce dernier imaginant que, radioactif, l’aérolithe provoque des mutations génétiques chez les personnes à proximité : les ancêtres de Sherlock Holmes, Tarzan, Doc Savage ou Fu Manchu (cf. Tarzan vous salue bien ou Doc Savage: His Apocalyptical Life). Bref, le « Demi-Monde » s’inscrit dans cette lignée. Pour une réussite moindre… De fait, cette imposante tétralogie (plus de deux mille pages) ressemble à une blague un peu trop longue.

Le « Demi-Monde » est bardé de bonnes intentions : la guerre c’est mal, tout comme le nationalisme, le fanatisme, le racisme et l’antisémitisme. Vive le pacifisme ; l’amour (quoique de préférence hétérosexuel) triomphera de tout. Mais les bonnes intentions ne font pas tout. D’autant que la tétralogie n’est pas dénuée de quelques défauts structurels. La volonté forcenée de suivre les quatre saisons du calendrier, dans le monde virtuel comme dans le monde réel, cause des problèmes de rythme, avec une action avançant par à-coups qui laisse des pans du Demi-Monde dans l’ombre. Faire de cette simulation informatique le véritable personnage de la série a pour conséquence de générer un casting, certes de luxe, mais quelque peu sous-exploité. Dur de s’attacher aux personnages, quand les principaux protagonistes deviennent secondaires et que les secondaires finiront mal… L’intrigue tient la route, tous les mystères trouveront leur justification, mais le final déçoit.

Enfin, conseillons la lecture en VO aux fans les plus hardcore : la série regorge de jeux de mots, dont bon nombre sont perdus à la traduction (Florence Dolisi n’a pas eu la tâche aisée, certaines trouvailles s’avérant tout simplement intraduisibles), absence qu’on perçoit dans plusieurs néologismes.

En somme, ambitieux mais trop long, le « Demi-Monde » se révèle une demi-réussite.

Le Château

« Il n’est pas plus grand amour pour les Ferrayor que les rebuts. »

En ce dernier quart du XIXe siècle, une immense demeure faite de bric et de broc se dresse en plein cœur d’un océan d’ordures provenant de Londres : le Château des Ferrayor. La vaste famille Ferrayor se divise entre les nobles, vivant aux étages supérieurs, et les domestiques, provenant des villes voisines et habitant les tréfonds de la construction. La particularité des Ferrayor est d’être tous, dès leur naissance ou leur arrivée au Château, liés à un objet, aussi insignifiant soit-il : une tasse, un poêlon, un robinet… L’objet en question ne devra pas les quitter tout au long de leur vie — jamais. Clod, un Ferrayor d’en haut qui peine à trouver sa place, a le don d’entendre ces objets : ils parlent, n’ont de cesse de prononcer leur nom. Le jeune homme est ainsi lié à une bonde d’évier nommée James Henry Hayward. Bientôt débarque au Château Lucy Pennant, destinée à devenir servante. Kleptomane, et surtout forte tête, Lucy refuse d’abdiquer son propre nom — au profit de celui de Ferrayor, comme le veut la tradition et sa nouvelle condition. Son arrivée et sa rencontre avec Clod vont signer le début de bouleversements dans cette étrange demeure : des menaces se font jour, telle une tempête d’ordures ou des objets prenant soudainement vie…

Malgré son titre, Le Château a peu à voir avec le roman homonyme de Kafka ; son titre original est d’ailleurs Heap House : le tas d’ordures. Ecrit dans un style faussement suranné, le livre est narré tour à tour par Clod et Lucy, ainsi qu’une poignée de personnages secondaires. Intrigante, l’intrigue louvoie et a malheureusement tendance à se perdre dans les méandres du Château. Le conte sous influence Dickens vire peu à peu au pur cauchemar, qui culmine lors d’une plongée dans l’océan d’ordure. L’intérêt du Château se situe surtout dans l’ambiance gothique, qui n’est pas évoquer, forcément, Tim Burton. On pense aussi à « Féerie pour les ténèbres » de Jérôme Noirez ou au Gormenghast de Mervyn Peake. Le livre est d’ailleurs rehaussé par les illustrations de l’auteur, dépeignant en tête de chaque chapitre les trognes mornes de l’innombrable famille Ferrayor. Jamais trop glauque ni trop cradingue, Le Château s’avère d’une lecture plaisante, même si le roman, malgré son intéressant twist final, laisse quelque peu sur sa faim. Le deuxième volume, Foulsham, est paru outre-Manche en août 2014, et le troisième, Lungdon, est prévu pour le mois de novembre 2015. Sans trépigner d’impatience, on attend cependant avec curiosité leurs traductions en français.

Automne

[Critique commune à Printemps, Été et Automne.]

Bienvenue à nouveau dans le Demi-Monde ! Dix numéros de votre revue préférée plus tôt, nous vous parlions d’Hiver, solide premier volet de cette tétralogie. Bref rappel : le Demi-Monde selon Rod Rees est une simulation informatique — gérée par le superordinateur ABBA, créée par le gouvernement américain pour entraîner ses soldats à la guérilla urbaine — qui mêle lieux, époques et figures historiques dans un joyeux et sanglant bazar. Parce que Norma Williams, la fille du président américain, s’est perdue dans le Demi-Monde, l’intrépide Ella Thomas est envoyée à sa rescousse… et découvre que le duplicata numérique de Reinhard Heydrich, qui a changé le Demi-Monde en véritable enfer, a l’intention de s’attaquer au Monde Réel. Hiver se terminait en laissant nos héroïnes dans des situations tendues : Ella échouant à empêcher l’échange de personnalité entre Norma et la fille de Heydrich ; Trixie Dashwood, pasionaria de la lutte contre le régime de Heydrich, finissant prisonnière de l’impératrice Wu.

Printemps débute précisément là où Hiver s’achevait. Sous les traits de Norma Williams, Aaliz Heydrich s’éveille dans le Monde Réel… qui s’avère ne pas être tout à fait celui que l’on connaît. Se faisant passer pour la fille du président américain, elle va entamer une croisade religieuse fondamentaliste dans des buts bien sombres. Dans le Quartier Chaud du Demi-Monde, Ella tombe entre les mains de ses ennemis, mais entame une transformation inattendue : elle que l’on prenait pour un daemon, la voilà possédée par un véritable démon, Lilith. Norma Williams, tirée des griffes des SS, va peu à peu s’opposer à celle qui l’a sauvée et lancer une mouvance inédite dans cet univers : le pacifisme. Quant à Trixiebell Dashwood, elle sort de prison au rang de générale lorsque le Quatrième Règne de Heydrich se prépare à attaquer le Coven. Eté voit la guerre faire rage dans le quartier asiatique du Demi-Monde et l’intrigue se focaliser autour d’une mystérieuse colonne gravée d’inscriptions étranges. Dans Automne, le conflit se déplace vers NoirVille et le District Autonome Juif en son sein — qui est aussi le lieu où se situe le dernier portail d’accès au Monde Réel… dit monde qui deviendra l’ultime terrain d’affrontement entre Norma Wil-liams et ses ennemis. Et peut-être l’ordinateur ABBA a-t-il son mot à dire dans cette affaire ?

Un Monde Réel qui s’avère ici uchronique, avec comme point de divergence la météorite tombée en 1795 non loin du village anglais de Wold Newton : ici, la voilà chargée de « cavorite », cette matière mise au point par Cavor dans Les Premiers Hommes dans la lune d’H. G. Wells. Notons que cette météorite avait déjà inspiré Philip José Farmer, ce dernier imaginant que, radioactif, l’aérolithe provoque des mutations génétiques chez les personnes à proximité : les ancêtres de Sherlock Holmes, Tarzan, Doc Savage ou Fu Manchu (cf. Tarzan vous salue bien ou Doc Savage: His Apocalyptical Life). Bref, le « Demi-Monde » s’inscrit dans cette lignée. Pour une réussite moindre… De fait, cette imposante tétralogie (plus de deux mille pages) ressemble à une blague un peu trop longue.

Le « Demi-Monde » est bardé de bonnes intentions : la guerre c’est mal, tout comme le nationalisme, le fanatisme, le racisme et l’antisémitisme. Vive le pacifisme ; l’amour (quoique de préférence hétérosexuel) triomphera de tout. Mais les bonnes intentions ne font pas tout. D’autant que la tétralogie n’est pas dénuée de quelques défauts structurels. La volonté forcenée de suivre les quatre saisons du calendrier, dans le monde virtuel comme dans le monde réel, cause des problèmes de rythme, avec une action avançant par à-coups qui laisse des pans du Demi-Monde dans l’ombre. Faire de cette simulation informatique le véritable personnage de la série a pour conséquence de générer un casting, certes de luxe, mais quelque peu sous-exploité. Dur de s’attacher aux personnages, quand les principaux protagonistes deviennent secondaires et que les secondaires finiront mal… L’intrigue tient la route, tous les mystères trouveront leur justification, mais le final déçoit.

Enfin, conseillons la lecture en VO aux fans les plus hardcore : la série regorge de jeux de mots, dont bon nombre sont perdus à la traduction (Florence Dolisi n’a pas eu la tâche aisée, certaines trouvailles s’avérant tout simplement intraduisibles), absence qu’on perçoit dans plusieurs néologismes.

En somme, ambitieux mais trop long, le « Demi-Monde » se révèle une demi-réussite.

Ianos, singularité nue

Futur proche. La Terre est agitée de soubresauts économiques (crises financières à répétition) et politiques (les guerres ne font qu’empirer) de plus en plus violents. En 2018, une expérience de collision de particules au CERN cause la mort de milliers de personnes. Neuf années plus tard, dans ce monde en plein désarroi, une singularité apparaît au cœur de notre système solaire ; une expédition est dépêchée afin de déterminer de quoi il retourne…

Ceux qui pestent à longueur d’année sur le fait que les francophones ne sont pas capables de s’attaquer frontalement à la hard SF en seront pour leur frais : Olivier Bérenval s’est en effet frotté au genre sans la moindre hésitation, et ce dès son premier roman. Ainsi les exposés scientifiques s’enchaînent-ils, et sur un nombre de sujets impressionnants : physique quantique, astrophysique, mathématiques pures… S’il fait la part belle à la théorie fondamentale, l’auteur aborde aussi les aspects pratiques, et la technologie capable de répondre aux besoins, de telle sorte que le roman échappe au cours magistral. Même si, à vouloir embrasser trop de sujets, il se perd — et nous perd, surtout — un peu, et le lecteur a le sentiment d’assister à un étalage de connaissances davantage qu’à une extrapolation scientifique maîtrisée de bout en bout. Ajoutons à cela que Bérenval a choisi d’ancrer son histoire dans un futur très proche, ce qui n’est pas sans poser problème sur les avancées scientifiques évoquées — certaines semblent un peu trop rapides. Mais il n’en reste pas moins que, dans l’ensemble, le substrat scientifique qui constitue le livre est assez approfondi pour s’avérer satisfaisant.

Afin d’éviter au mieux l’aridité, Bérenval a travaillé spécifiquement deux aspects : la structure et les personnages. L’histoire nous est ainsi proposée sous forme de morceaux temporels présentés de manière non séquentielle, et en multipliant les points de vue. Le premier des corolaires du procédé, pour ambitieux qu’il soit, est une impression de foutraque lors des chapitres initiaux avant qu’on comprenne que, d’une manière ou d’une autre, l’ensemble est lié comme il se doit. Le second, plus positif, est un indéniable dynamisme de l’ensemble, un suspense certain et quelques coups de théâtre intéressants.

Bérenval a aussi approfondi la psychologie de ses personnages. Du fait de leur nombre, quelques-uns n’en restent pas moins très archétypaux (on notera d’ailleurs une curieuse propension des personnages masculins à raisonner en termes d’attirance mutuelle lors d’une rencontre avec une personne du sexe opposé), mais d’autres ont la faveur de l’auteur, qui tente de nous faire comprendre leurs motivations, leurs faiblesses, leurs espoirs. Pour un livre de hard SF, sous-genre qui sacrifie volontiers la psychologie sur l’autel de la science, l’intention est louable, et le résultat somme toute à la hauteur — même si on regrettera les atermoiements de Sanjay quant aux infidélités faites à sa femme.

Bref, Ianos, singularité nue se révèle un premier roman imparfait sans que cela lui soit véritablement préjudiciable, sans doute parce que ses défauts sont liés pour l’essentiel à sa très (trop) grande ambition, une ambition qu’Olivier Bérenval échoue à satisfaire pleinement. Restent une intéressante tentative de faire de la vraie SF bourrée d’idées, et une belle promesse sur ce que sera capable d’écrire l’auteur avec un peu plus de métier derrière lui.

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