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Damnés

Ces derniers temps, quand on commence à parler de Chuck Palahniuk en société, la dernière vanne à la mode est d’affirmer qu’il n’a plus rien écrit d’intéressant depuis 200X (remplacer le X par un entier compris entre 2 à 9). La trilogie qui débute avec Damnés semble bien destinée à prouver le contraire.

« Satan, es-tu ? C’est moi, Madison. Je viens juste d’arriver ici, en Enfer, mais ce n’est pas ma faute, à moins que je ne sois réellement morte d’une overdose de marijuana. »

C’est par ce clin d’œil avisé à Judy Blume (célèbre écrivain pour enfants et adolescents éditée dans nos contrées par l’Ecole des Loisirs) que la petite Madison, 13 ans, commence à se présenter au Prince des Ténèbres, par prière interposée. Il faut dire qu’avec les parents qu’elle a eus et la drôle de vie qu’elle a menée sur Terre, cette adolescente n’a pas froid aux yeux. Sa mère, star d’Hollywood, passait son temps libre à gérer le petit personnel de ses nombreuses résidences par vidéosurveillance et à refiler des comprimés de Xanax à sa fille comme de simples friandises. Son père, important homme d’affaires, lui ramenait de ses voyages des petits frères et des petites sœurs comme autant d’animaux de compagnie. De quoi être blasé dès le plus jeune âge.

Mais la voilà, « grosse et morte » dans l’une des innombrables cellules qui bordent les interminables couloirs de l’Enfer… Madison ne tardera pas à faire la connaissance de ses voisins et à s’échapper, avec leur complicité, pour aller visiter ce nouvel environnement où les démons dévorent les damnés au hasard et où l’on se doit de travailler dans l’un de ces deux secteurs d’ave-nir : le porno ou le télémarketing. Autant dire que pour cette « accroc à l’espoir », enfin libérée de cette épée de Damoclès qu’est la mort, le moment est venu d’un nouveau départ pour une afterlife pleine de surprises.

Jouant de références aussi hétéroclites que La Divine comédie de Dante et le Breakfast Club de John Hughes, Chuck Palahniuk n’hésite pas à grossir le trait à l’extrême dans cette satyre débridée qui frappe là où ça fait mal. Le côté grand-guignolesque pourra sans doute perturber plus d’un lecteur, mais on ne peut s’empêcher de penser, au fil des pages, à un Lewis Caroll observant le XXIe siècle ou, soyons fous, à un Jean de La Fontaine sous acide. Enfin, Damned possède une qualité propre aux grandes fables : leur rémanence dans l’esprit du lecteur une fois le livre refermé. Damnés est une œuvre bien plus subtile qu’il n’y paraît au premier abord. Le fait que Palahniuk l’ait écrit au chevet de sa mère mourante n’y est sans doute pas pour rien.

La trilogie se poursuivra avec sa vision du Purgatoire (Doomed, sorti aux Etats-unis en octobre 2014) puis du Paradis (dont la sortie tarde à être programmée). Vivement qu’on ait la vue d’ensemble.

Wild Cards T1

1983 est une année doublement charnière pour George R. R. Martin.

De son propre aveu, les faibles ventes de son quatrième roman, Armageddon Rag, mettent en péril sa carrière de romancier et l’incitent à exploiter ses dons de narrateur à Hollywood. Il écrira notamment pour la seconde saison de Twilight Zone (bof), et pour la série La Belle et la Bête (bof, bof, bof).

Dans un même temps, son ami Victor Milan lui offre Superworld, un jeu de rôle orienté « super-héros » qui déclenchera une véritable frénésie à Albuquerque, « une orgie ludique qui a duré deux ans » dont le père de « Game of Thrones » finit par s’affranchir en se disant à lui-même : « Il doit y avoir moyen de gagner un peu d’argent avec ça. »

C’est dans ce contexte assez particulier qu’est né le concept de « Wild Cards », univers partagé et uchronique qui fera l’objet de plus d’une vingtaine d’opus mélangeant recueils et romans.

Mis au point par une faction aristocratique de la planète Takis pour en éliminer une autre, le virus Wild Card modifie le génotype takisien de manière absolument imprévisible. Les Takisiens, méfiants quant à la versatilité de leur invention, décident de tester leur arme sur la planète Terre car les humains leur sont génétiquement identiques (si, si !). La venue sur notre planète du Dr Tachyon, bien décidé à empêcher ce test grandeur nature, n’y changera rien : la population sera amputée à hauteur de quatre-vingt-dix pour cent et le devant de la scène progressivement accaparé par une horde de mutants que l’on distinguera en deux catégories : les As, pour qui l’apparition de pouvoirs n’a pas affecté l’intégrité physique, et les Jokers, qui n’ont plus grand-chose d’humain.

Sur un quatrième de couverture, ce background s’avère particulièrement alléchant. Une fois lancé dans le livre, il en est autrement : les quelques idées originales, et peu nombreuses, sont submergées par des avalanches de stéréotypes absolument éculés, un manque d’humour disqualifiant, une grisaille globale qui rogne toute notion d’évasion sans pour autant apporter la profondeur qui pourrait la justifier. La palme de la déception sera sans doute attribuée à Roger Zelazny, qui, au lieu de rendre poignante la nouvelle « Le Dormeur », comme elle aurait mérité de l’être, se contentera de jouer les utilités en une cinquantaine de pages moroses et atones.

Ce premier volume de « Wild Cards » est initialement paru en 1987 aux USA — une époque où l’industrie des comics, de son côté, produisait certains de ses plus grands graphic novels (The Death of Captain Marvel, The Dark Knight Returns ou encore God Loves, Man Kills). Il ne soutient absolument pas la comparaison et tombera moult fois, sans l’ombre d’un doute, des mains les plus motivées. Aucun intérêt.

Grégory Drake

L'Armée des morts

Quatre ans après sa parution outre-Atlantique, l’anthologie zombie The New Dead arrive en France avec ses dix-neuf récits, des textes qui, si on en croit la préface qui les accompagne, sont des « nouvelles sur la mort et la résurrection » — d’où le suscité titre original et la preuve du contresens patent du titre français. En effet, plutôt que du côté du film de Zack Snyder, pâle remake du classique de George Romero, on se situe ici dans une démarche qui tente de renouveler — le critique malicieux pourrait dire « insuffler un peu de vie » — à une figure majeure de l’imaginaire contemporain. Les approches sont très variées, allant du ludique, même si un peu vain, exercice de style de Joe Hill, « Le Cirque des morts en 140 caractères », composé du fil d’un compte Twitter, au narrateur zombie à la première personne Cuivre », de Stephen R. Bissette, et « Second souffle », de Mike Carrey). D’ailleurs, ce sont plutôt les textes proposant autre chose que la dose de gore de rigueur qui sortent du lot et font véritablement du zombie une figure mythique. « Lazare », de John Connolly, raconte l’histoire du plus cé-lèbre de tous les zombies. Max Brooks écrit un texte dans l’univers de World War Z qui, comme son titre l’indique (« Tournez la page »), porte sur le thème du deuil, tout comme « Les Sanglots du vent » de Brian Keene ; Jonathan Maberry, avec « Une affaire de famille », suit un chasseur de zombies et son jeune frère dans une errance qui prend petit à petit la forme d’un récit initiatique. La longue nouvelle de Mike Carey, « Second souffle », donne avec bonheur la parole à un des personnages secondaires de sa série de romans « Felix Castor » (chez Bragelonne). Certains textes tendent vers le fantastique, à l’instar de « Sentence de vie » de Kelley Armstrong (quelle solution trouver quand vous êtes richissime et condamné par la médecine ?). D’autres constituent à peine un instantané et profitent intelligemment de la forme ramassée propre à la nouvelle — ainsi celle de Tad Williams, « La Porte des orages », ou encore « Piège fantôme », de Rick Hautala, et son plongeur imprudent, « CPM », de David Wellington, et ses zombies soldats, sans oublier le saisissant « Ce que savait Maisie », de David Liss, où le monstre n’est pas le zombie, mais bel et bien l’homme. Cette monstruosité humaine est au cœur de « Les Gosses et leur jouet », de James A. Moore, où un groupe d’enfants — on pense à Stephen King, bien sûr — jouent de moins en moins innocemment avec un mort-vivant. Quant à la nouvelle de Joe R. Lansdale, elle ne comporte aucun zombie, aucun élément fantastique, mais traite, avec l’aisance coutumière de Lansdale, de la mort, et si elle semble hors sujet par son absence de monstre, son approche du monstrueux, justement, n’en est pas moins fascinante.

L’amateur a par conséquent largement de quoi se rassasier avec cette anthologie… et il en profitera pour acheter en même temps l’indispensable roman de Daryl Gregory, L’Education de Stony Mayhall.

Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour

[Critique commune à Heureux Veinard, Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour et Le Jour où les zombies ont dévoré le Père Noël.]

Avant de renouveler quelque peu le genre zombiesque avec Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour, récemment réédité en « Folio-SF », c’est du côté du polar que S.G. Browne a fait ses premiers pas littéraires, avec un roman dans lequel on retrouve à peu près tous les stéréotypes du roman noir traditionnel : un détective privé en guise de héros et narrateur, quelques beautés aussi séduisantes que dangereuses, un patron de la pègre locale dont il vaut mieux ne pas croiser le chemin, des représentants de l’autorité toujours là pour vous mettre des bâtons dans les roues mais aux abonnés absents en cas de besoin, sans oublier un assistant plus motivé que compétent. Du classique, donc, hormis le talent particulier que possède Nick Monday : c’est un braconneur de chance. D’une simple poignée de main, il a la capacité de s’emparer de la chance d’autrui, généralement pour la revendre au plus offrant. Car dans l’univers d’Heureux veinard, la chance est un produit de consommation presque comme un autre, qui a donné naissance à un marché parallèle, tout comme la malchance, d’ailleurs, laquelle peut constituer une arme redoutable. L’ironie du sort veut que la fille de l’une des victimes de Nick l’engage pour enquêter sur un vol dont il est responsable. Et tout va très vite se compliquer lorsqu’interviennent une agence gouvernementale aux méthodes très discutables, une jeune femme qui semble posséder le même don que lui, le patron de la pègre asiatique locale et quelques autres individus peu recommandables.

Tout au long du roman, S.G. Browne jongle avec ces différents éléments de manière spectaculaire. L’essentiel de l’action est compacté en une journée totalement folle, au cours de laquelle Nick Monday va subir plusieurs kidnappings, tentatives de meurtre et chantages. Le récit est mené avec un tel allant qu’on ne s’ennuie pas un instant à la lecture de ce livre, d’autant plus que les commentaires ironiques du narrateur sur les événements qu’il vit et les personnages qu’il rencontre font d’Heureux veinard une lecture particulièrement réjouissante.

Même si S.G. Browne y aborde un genre très différent, on retrouve le même ton goguenard dans Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour. Pourtant, il n’y a pas de quoi rire lorsque l’on songe au destin d’Andy Warner, mort dans un accident de voiture avec sa femme, laissant derrière eux une orpheline de sept ans. Sauf qu’Andy est brusquement revenu à la vie, ou peu s’en faut. Un phénomène rare, même s’il est loin d’être le seul dans ce cas. D’ailleurs, lorsqu’il ne passe pas ses journées dans la cave de ses parents, il rencontre d’autres zombies au sein d’un groupe de discussion où ils échangent conseils et expérience. Car la vie d’un mort-vivant n’a rien d’une sinécure, dans un monde où ils ne disposent d’aucun droit et où rien n’interdit au premier crétin alcoolisé venu de vous arracher les membres ou la tête, histoire d’égayer sa soirée.

Dans ce roman, S.G. Browne met en scène une belle galerie de personnages en décomposition auxquels on s’attache très vite, éveillant chez le lecteur un mélange de compassion et de complicité. A l’inverse, la plupart des vivants que l’on croise — les respirants, pour reprendre le sobriquet dont les ont affublés les zombies — sont décrits comme des êtres méprisables et lâches. De manière efficace sinon subtile, l’auteur s’amuse ainsi à inverser les rôles entre monstres et humains. L’ensemble fonctionne à merveille, hormis dans la dernière partie, lorsque Browne tente de faire de son héros une sorte de Rosa Parks de la cause zombie. Le parallèle manque vraiment de finesse, et le retournement de l’opinion publique semble trop artificiel pour convaincre. A cette réserve près, le roman constitue un divertissement de premier choix.

Il en va de même avec sa suite, Le Jour où les zombies ont dévoré le Père Noël. Si le précédent roman se présentait comme une comédie sarcastique, celui-ci a davantage des allures de conte horrifique. Un an plus tard, on retrouve Andy Warner enfermé dans un centre hospitalier où des respirants en blouse blanche lui font subir les pires sévices. A l’approche de Noël, il parvient à s’échapper en compagnie de quelques camarades d’infortune, et croise le chemin d’une gamine qui a le même prénom et le même âge que sa propre fille. Comme elle a en outre perdu son père et que sa mère ne s’occupe guère d’elle, ces deux-là étaient faits pour s’entendre. Avec une habileté admirable, l’écrivain passe d’une scène de cannibalisme rigolote à une autre d’une douceur exquise, de passages saignants à souhait à de jolis moments d’humanité. Tout est dans l’équilibre de ces différentes ambiances, et après trois romans, S.G. Browne est passé maître en la matière.

Heureux veinard

[Critique commune à Heureux Veinard, Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour et Le Jour où les zombies ont dévoré le Père Noël.]

Avant de renouveler quelque peu le genre zombiesque avec Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour, récemment réédité en « Folio-SF », c’est du côté du polar que S.G. Browne a fait ses premiers pas littéraires, avec un roman dans lequel on retrouve à peu près tous les stéréotypes du roman noir traditionnel : un détective privé en guise de héros et narrateur, quelques beautés aussi séduisantes que dangereuses, un patron de la pègre locale dont il vaut mieux ne pas croiser le chemin, des représentants de l’autorité toujours là pour vous mettre des bâtons dans les roues mais aux abonnés absents en cas de besoin, sans oublier un assistant plus motivé que compétent. Du classique, donc, hormis le talent particulier que possède Nick Monday : c’est un braconneur de chance. D’une simple poignée de main, il a la capacité de s’emparer de la chance d’autrui, généralement pour la revendre au plus offrant. Car dans l’univers d’Heureux veinard, la chance est un produit de consommation presque comme un autre, qui a donné naissance à un marché parallèle, tout comme la malchance, d’ailleurs, laquelle peut constituer une arme redoutable. L’ironie du sort veut que la fille de l’une des victimes de Nick l’engage pour enquêter sur un vol dont il est responsable. Et tout va très vite se compliquer lorsqu’interviennent une agence gouvernementale aux méthodes très discutables, une jeune femme qui semble posséder le même don que lui, le patron de la pègre asiatique locale et quelques autres individus peu recommandables.

Tout au long du roman, S.G. Browne jongle avec ces différents éléments de manière spectaculaire. L’essentiel de l’action est compacté en une journée totalement folle, au cours de laquelle Nick Monday va subir plusieurs kidnappings, tentatives de meurtre et chantages. Le récit est mené avec un tel allant qu’on ne s’ennuie pas un instant à la lecture de ce livre, d’autant plus que les commentaires ironiques du narrateur sur les événements qu’il vit et les personnages qu’il rencontre font d’Heureux veinard une lecture particulièrement réjouissante.

Même si S.G. Browne y aborde un genre très différent, on retrouve le même ton goguenard dans Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour. Pourtant, il n’y a pas de quoi rire lorsque l’on songe au destin d’Andy Warner, mort dans un accident de voiture avec sa femme, laissant derrière eux une orpheline de sept ans. Sauf qu’Andy est brusquement revenu à la vie, ou peu s’en faut. Un phénomène rare, même s’il est loin d’être le seul dans ce cas. D’ailleurs, lorsqu’il ne passe pas ses journées dans la cave de ses parents, il rencontre d’autres zombies au sein d’un groupe de discussion où ils échangent conseils et expérience. Car la vie d’un mort-vivant n’a rien d’une sinécure, dans un monde où ils ne disposent d’aucun droit et où rien n’interdit au premier crétin alcoolisé venu de vous arracher les membres ou la tête, histoire d’égayer sa soirée.

Dans ce roman, S.G. Browne met en scène une belle galerie de personnages en décomposition auxquels on s’attache très vite, éveillant chez le lecteur un mélange de compassion et de complicité. A l’inverse, la plupart des vivants que l’on croise — les respirants, pour reprendre le sobriquet dont les ont affublés les zombies — sont décrits comme des êtres méprisables et lâches. De manière efficace sinon subtile, l’auteur s’amuse ainsi à inverser les rôles entre monstres et humains. L’ensemble fonctionne à merveille, hormis dans la dernière partie, lorsque Browne tente de faire de son héros une sorte de Rosa Parks de la cause zombie. Le parallèle manque vraiment de finesse, et le retournement de l’opinion publique semble trop artificiel pour convaincre. A cette réserve près, le roman constitue un divertissement de premier choix.

Il en va de même avec sa suite, Le Jour où les zombies ont dévoré le Père Noël. Si le précédent roman se présentait comme une comédie sarcastique, celui-ci a davantage des allures de conte horrifique. Un an plus tard, on retrouve Andy Warner enfermé dans un centre hospitalier où des respirants en blouse blanche lui font subir les pires sévices. A l’approche de Noël, il parvient à s’échapper en compagnie de quelques camarades d’infortune, et croise le chemin d’une gamine qui a le même prénom et le même âge que sa propre fille. Comme elle a en outre perdu son père et que sa mère ne s’occupe guère d’elle, ces deux-là étaient faits pour s’entendre. Avec une habileté admirable, l’écrivain passe d’une scène de cannibalisme rigolote à une autre d’une douceur exquise, de passages saignants à souhait à de jolis moments d’humanité. Tout est dans l’équilibre de ces différentes ambiances, et après trois romans, S.G. Browne est passé maître en la matière.

John meurt à la fin

Dans une petite ville américaine dont le nom et la localisation ne nous seront pas révélés, John et David tuent l’ennui comme ils peuvent : en consommant autant d’alcool que d’herbe, en jouant dans un groupe punk, et, occasionnellement, en enquêtant sur des phénomènes surnaturels. C’est l’une de ces investigations qui va les mettre en contact avec une drogue aux vertus particulières, la sauce soja, un produit — à moins qu’il ne s’agisse d’un être vivant — dont on ne sait pas trop s’il se contente de modifier la perception du réel ou la réalité elle-même. Une chose est sûre : ses consommateurs ne font pour la plupart pas de vieux os.

Les voies de l’édition étant ce qu’elles sont, John meurt à la fin arrive en librairie plusieurs mois après la sortie en DVD de son adaptation cinématographique signée Don Coscarelli. Et découvrir ces deux œuvres dans cet ordre ne plaide pas franchement en faveur du roman, tant l’admirable réalisateur de Phantasm et Bubba Ho-Tep a su tirer la substantifique moelle des écrits de David Wong, alors qu’à l’inverse il apparaît de manière flagrante que ce dernier tire à la ligne de manière éhontée à longueur de chapitres.

Pourtant, les choses démarrent bien et durant les deux cents premières pages, l’auteur fait feu de tout bois, enchaîne les idées délirantes et les situations absurdes. En vrac et parmi bien d’autres choses : un monstre fait de viande et de saucisses surgelés, un rasta baptisé Bob Marley, une moustache tueuse ou des coups de téléphones égarés dans le flux temporel. Malheureusement, son imagination se tarit assez vite, les trouvailles se font de plus en plus rares et il finit par ressasser les mêmes situations encore et encore. Pour ne rien arranger, David Wong a toutes les peines du monde à donner un semblant de consistance aux personnages qu’il met en scène. Son héros se contente d’être le narrateur incrédule d’une histoire à laquelle il ne comprend pas grand-chose ; John est ce type bizarre au comportement défiant toute logique, le reste du casting est composé de silhouettes aussi interchangeables que périssables. Pour ne rien arranger, il apparaît de plus en plus clairement au fil des pages que l’auteur improvise son histoire et qu’il n’a pas la moindre idée de l’endroit où il compte amener le lecteur.

Initialement paru en feuilleton sur internet, John meurt à la fin a ensuite été repris par un éditeur traditionnel. C’eût été l’occasion d’effectuer un sévère travail d’élagage sur ce texte, ce qui n’a visiblement pas été le cas. Les plaisanteries les plus courtes étant généralement les meilleures, le roman affiche au compteur quatre cents pages de trop et termine sa course dans le mur. Dommage.

Le Jour où les zombies ont dévoré le Père Noël

[Critique commune à Heureux Veinard, Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour et Le Jour où les zombies ont dévoré le Père Noël.]

Avant de renouveler quelque peu le genre zombiesque avec Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour, récemment réédité en « Folio-SF », c’est du côté du polar que S.G. Browne a fait ses premiers pas littéraires, avec un roman dans lequel on retrouve à peu près tous les stéréotypes du roman noir traditionnel : un détective privé en guise de héros et narrateur, quelques beautés aussi séduisantes que dangereuses, un patron de la pègre locale dont il vaut mieux ne pas croiser le chemin, des représentants de l’autorité toujours là pour vous mettre des bâtons dans les roues mais aux abonnés absents en cas de besoin, sans oublier un assistant plus motivé que compétent. Du classique, donc, hormis le talent particulier que possède Nick Monday : c’est un braconneur de chance. D’une simple poignée de main, il a la capacité de s’emparer de la chance d’autrui, généralement pour la revendre au plus offrant. Car dans l’univers d’Heureux veinard, la chance est un produit de consommation presque comme un autre, qui a donné naissance à un marché parallèle, tout comme la malchance, d’ailleurs, laquelle peut constituer une arme redoutable. L’ironie du sort veut que la fille de l’une des victimes de Nick l’engage pour enquêter sur un vol dont il est responsable. Et tout va très vite se compliquer lorsqu’interviennent une agence gouvernementale aux méthodes très discutables, une jeune femme qui semble posséder le même don que lui, le patron de la pègre asiatique locale et quelques autres individus peu recommandables.

Tout au long du roman, S.G. Browne jongle avec ces différents éléments de manière spectaculaire. L’essentiel de l’action est compacté en une journée totalement folle, au cours de laquelle Nick Monday va subir plusieurs kidnappings, tentatives de meurtre et chantages. Le récit est mené avec un tel allant qu’on ne s’ennuie pas un instant à la lecture de ce livre, d’autant plus que les commentaires ironiques du narrateur sur les événements qu’il vit et les personnages qu’il rencontre font d’Heureux veinard une lecture particulièrement réjouissante.

Même si S.G. Browne y aborde un genre très différent, on retrouve le même ton goguenard dans Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour. Pourtant, il n’y a pas de quoi rire lorsque l’on songe au destin d’Andy Warner, mort dans un accident de voiture avec sa femme, laissant derrière eux une orpheline de sept ans. Sauf qu’Andy est brusquement revenu à la vie, ou peu s’en faut. Un phénomène rare, même s’il est loin d’être le seul dans ce cas. D’ailleurs, lorsqu’il ne passe pas ses journées dans la cave de ses parents, il rencontre d’autres zombies au sein d’un groupe de discussion où ils échangent conseils et expérience. Car la vie d’un mort-vivant n’a rien d’une sinécure, dans un monde où ils ne disposent d’aucun droit et où rien n’interdit au premier crétin alcoolisé venu de vous arracher les membres ou la tête, histoire d’égayer sa soirée.

Dans ce roman, S.G. Browne met en scène une belle galerie de personnages en décomposition auxquels on s’attache très vite, éveillant chez le lecteur un mélange de compassion et de complicité. A l’inverse, la plupart des vivants que l’on croise — les respirants, pour reprendre le sobriquet dont les ont affublés les zombies — sont décrits comme des êtres méprisables et lâches. De manière efficace sinon subtile, l’auteur s’amuse ainsi à inverser les rôles entre monstres et humains. L’ensemble fonctionne à merveille, hormis dans la dernière partie, lorsque Browne tente de faire de son héros une sorte de Rosa Parks de la cause zombie. Le parallèle manque vraiment de finesse, et le retournement de l’opinion publique semble trop artificiel pour convaincre. A cette réserve près, le roman constitue un divertissement de premier choix.

Il en va de même avec sa suite, Le Jour où les zombies ont dévoré le Père Noël. Si le précédent roman se présentait comme une comédie sarcastique, celui-ci a davantage des allures de conte horrifique. Un an plus tard, on retrouve Andy Warner enfermé dans un centre hospitalier où des respirants en blouse blanche lui font subir les pires sévices. A l’approche de Noël, il parvient à s’échapper en compagnie de quelques camarades d’infortune, et croise le chemin d’une gamine qui a le même prénom et le même âge que sa propre fille. Comme elle a en outre perdu son père et que sa mère ne s’occupe guère d’elle, ces deux-là étaient faits pour s’entendre. Avec une habileté admirable, l’écrivain passe d’une scène de cannibalisme rigolote à une autre d’une douceur exquise, de passages saignants à souhait à de jolis moments d’humanité. Tout est dans l’équilibre de ces différentes ambiances, et après trois romans, S.G. Browne est passé maître en la matière.

Seul sur Mars

Dans un futur relativement proche, la NASA a lancé sa troisième mission habitée sur Mars. Une mission qui pourrait presque sembler routinière, jusqu’à ce qu’un événement imprévu oblige l’équipe à plier bagage en catastrophe en laissant derrière elle le corps de l’un de ses membres. Sauf que l’homme en question, Mark Watney, n’est pas mort. Pour l’instant. Désormais seul sur un monde désert, il va devoir trouver le moyen de survivre pendant quatre ans, jusqu’à l’arrivée du prochain vaisseau.

Dès les premières pages, Andy Weir nous plonge au cœur de l’action et dans le quotidien de son Robinson de l’espace, un quotidien composé d’une succession de casse-tête techniques qu’il lui faudra résoudre pour espérer s’en tirer. En premier lieu se pose le problème de la nourriture et de la meilleure méthode à adopter pour faire pousser des pommes de terre sur Mars. Le ton est donné et la solution aussi astucieuse que crédible — en tous cas pour un lecteur qui ne s’y connaît guère plus en conditions de vie martiennes qu’en culture de la patate ; il serait intéressant d’avoir l’avis éclairé d’un Roland Lehoucq sur un tel roman.

Cet épisode n’est que le premier d’une longue série d’épreuves que devra relever Mark Watney. Leur enchaînement peut sembler un peu trop mécanique à la longue, mais c’est un écueil difficilement évitable dans un tel récit. Heureusement, Andy Weir prend soin de varier les situations et les dangers, tout ne se passe pas forcément comme prévu, une mauvaise manipulation peut à tout moment tourner au désastre, et le pire n’est jamais très loin.

Mais si Seul sur Mars est un roman qui fonctionne aussi bien, c’est aussi, et peut-être surtout, parce que Mark Watley est un personnage auquel on s’attache très vite. Une grande partie du récit se présente sous la forme d’un journal de bord qu’il écrit à l’intention de ceux qui, c’est le cas le plus probable, retrouveront un jour son corps. Malgré le tragique de sa situation, il ne se laisse jamais aller à des effusions larmoyantes. Au contraire, il passe son temps à se tourner en dérision et à s’amuser des situations auxquelles il est confronté. Toutefois, le lecteur attentif saura percevoir de temps à autre, sous la façade goguenarde qu’il affiche, la sourde angoisse qui l’habite en permanence. « Je ne baisse pas les bras ; je me prépare à toute éventualité. Je fais cela depuis le début », écrit-il à l’un de ses anciens coéquipiers en évoquant la probabilité qu’il ne sorte pas vivant de cette aventure. Au-delà des prouesses techniques et des trésors d’ingéniosité dont fait montre son héros, Andy Weir ne perd jamais de vue l’essentiel : l’humain au cœur de cette histoire. Dans son genre, Seul sur Mars est parfait.

Après la chute

Après la chute est un court roman de Nancy Kress couronné par les prix Nebula et Locus dans la catégorie novella. Ce texte ambitieux se divise en trois lignes narratives alternées, le classique couple plot-counterplot auquel s’ajoute une partie hard-SF qui correspond à « pendant la chute ». Intéressons-nous à chacune de ces lignes narratives.

Avant la chute (2013) : une mathématicienne enceinte aide la police à tenter de mettre fin à une série de kidnappings et de vols, liés les uns aux autres. Des événements étranges car les criminels, dont un garçon décrit comme difforme, disparaissent — « pouf ! » — dans une grande marée de lumière, une fois leurs méfaits accomplis.

Pendant la chute (2014) : est la partie hard-SF du court roman, aride et pourtant la plus intéressante des trois, on y suit des bactéries qui prolifèrent, des mitoses. Et diverses anomalies biologiques…

Après la chute (2035) : nous présente un petit groupe de survivants humains déformés par… (Ou là là, le grand secret !) Des survivants qui, depuis leur Abri, récupèrent en 2013, grâce à une technologie extraterrestre, des enfants et du ravitaillement. Cette technologie c’est la Soustraction, qui leur permet des sauts dans le passé d’une durée de dix minutes, terriblement courts quand on doit commettre un crime fédéral. Sauf qu’en 2035, il n’y a plus de FBI…

Le sentiment qui domine la lecture de ce court roman est la déception (et même, parfois, la consternation), sentiment évidemment amplifié par ce qu’on est tenté d’attendre d’un texte de Nancy Kress multi-primé. Il n’y a quasiment aucun suspens, surtout si on a lu Spin de Robert Charles Wilson ; mais là où Wilson est terriblement humaniste et mélancolique, Kress est aussi didactique que moralisatrice (« la pollution, c’est vraiment pas bien » ; ah bon, m’dame, on n’aurait jamais deviné tout seul). La partie enquête à la Numbers, en sus d’être tendue comme un string XXL sur le cul osseux d’une top-model anorexique, devient évidemment — vous pensez bien, une mathématicienne enceinte d’un policier marié — une ligne narrative surtout sentimentale. Le style est infect (à moins que ça ne soit la traduction française) : il y a de gros gros problèmes de niveaux de langue qui vous expulsent régulièrement de la lecture ; chaque fois que l’auteure essaye un tant soit peu d’écrire (c’est-à-dire de produire une prose tenue), cette tentative avorte lamentablement trois lignes plus loin. Tout cela rend l’ouvrage très pénible à lire ; mais peut-être plaira-t-il à des lecteurs qui ont peu ou pas de culture SF et ne verront pas au fil des pages d’Après la chute du sous-Wilson ou du sous-McAuley…

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Les Armées de ceux que j'aime

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