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Nouvelles du Disque-Monde

Si vous l’ignorez encore, le monde est un disque posé sur quatre éléphants, eux-mêmes placés sur le dos d’une tortue qui erre à travers l’univers. Si vous voulez en savoir plus et hésitez à aborder un roman du Disque-Monde, ce petit ouvrage est une occasion toute trouvée pour y jeter un œil. Quant à ceux qui sont déjà familiers de cet univers, réjouissez-vous : Terry Pratchett est aussi à l’aise dans le format de la nouvelle que dans celui du roman. Même s’il nous dit que « les nouvelles (lui) coûtent sang et eau » et qu’il « envie ceux qui les écrivent avec facilité », expliquant ainsi la rareté de ce genre de textes dans sa bibliographie. Et à la lecture de ce recueil, on ne peut que le regretter.

Sur les cinq nouvelles présentées ici, quatre ont pour personnage principal une des figures célèbres du Disque-Monde. Avec, par ordre d’apparition : l’Université de l’Invisible et son cortège de mages plus intéressés par leur estomac que par le bien commun ; la Mort, de sexe masculin, tout le monde le sait ; le capitaine Carotte, Côlon, Chicard et Détritus, nobles représentants du Guet municipal d’Ankh-Morpork. Et, à tout seigneur tout honneur (d’ailleurs, il vaut mieux ne pas la vexer), Mémé Ciredutemps. Elle a droit à la nouvelle centrale, la plus longue aussi (près de la moitié du recueil). On assiste avec une certaine délectation à un duel entre cette vieille sorcière et une de ses condisciples, toute prête à la mettre à la retraite. Erreur fatale ! Elle recevra très vite une leçon à base de « têtologie ». Efficace, comme d’habitude.

Enfin, pour boucler le recueil, un « étranger » à cet univers. Mais dont l’original est bien connu de tous : Cohen le Barbare, proche de la fin, veut effectuer un baroud d’honneur. Hélas pour lui, chez Pratchett, rien ne tourne comme prévu. Même les trolls ne sont plus ce qu’ils étaient !

Une dernière remarque : à la lecture de certains titres, il est évident que l’auteur, s’il est parvenu à écrire des textes courts, n’a pas trouvé la formule pour les titres : « Rejet par l’Université de procédés diaboliques » ou « Minutes de la réunion en vue de concrétiser le projet de Fédération de scouts d’Ankh-Morpork » (aussi longs en VO qu’en VF) ! Mais que cela ne vous empêche pas de vous précipiter sur cette petite sucrerie, à déguster sans modération.

Lire le cerveau

C’est le matin : un enfant dit à sa mère qu’il ne se sent pas bien et ne pourra pas aller à l’école. Aussitôt, elle prend son BR (brain reader). Le verdict est sans appel : la douleur est feinte, le jeune garçon ira en cours. Une telle invention est-elle possible ? Oui et non. En s’appuyant sur des études récentes, l’auteur s’interroge sur ce que pourrait être cette machine. Et en arrive à cette hypothèse affolante de réalisme : même si elle ne lit pas exactement les pensées, quelle importance, si tout le monde y croit ? Même si elle se contente d’affirmer ce que l’on pense, sans preuve, ne finira-t-on pas par accepter son jugement comme vrai, plus vrai que ce que nous avons réellement en tête ? Pierre Cassou-Noguès, comme dans Mon zombie et moi (lire à ce propos l’entretien accordé à Xavier Mauméjean dans le Bifrost n°61), utilise les possibles avancées de la science et la fiction comme points de départ d’une réflexion riche et pertinente. Avec Lire le cerveau, il imagine les conséquences qu’une telle invention pourrait avoir sur nous, sur nos sociétés, sur notre monde.

Pour nous aider à répondre à ses interrogations, il convoque, outre le docteur George Smart, l’inventeur présumé du BR, Marcel et Albertine, tout droit sortis de La Recherche du temps perdu. Que deviendrait ce célèbre couple si chacun d’eux était capable de lire les pensées de l’autre ? Marcel, bloqué chez lui à cause de sa santé, assailli par le soupçon à propos de sa compagne, se jetterait sur elle le soir avec son BR. Et chercherait frénétiquement des confirmations à ses doutes. Albertine, de son côté, s’entraînerait à effacer de sa mémoire, avant de franchir la porte de leur appartement parisien, les souvenirs gênants, les désirs révélateurs. Elle finirait par ne plus penser réellement devant son ami de peur de se trahir.

Et nous, que deviendrions-nous, si nous pouvions voir, dans la rue, au restaurant, au travail, ce qui occupe les pensées des passants, de nos voisins, de nos amis ? Si chacun d’eux était capable de lire en nous comme dans un livre ouvert ? Si cette machine, le BR, était accessible à tous ? Car, c’est vrai, dans la plupart des fictions qui recourent à ce thème, seules quelques personnes y ont accès : le héros, par accident ; la police et les forces de l’ordre. Mais, comme le fait justement remarquer l’auteur, si cette invention devenait réelle, combien de temps avant qu’elle soit commercialisée ? Combien de temps avant qu’elle ne devienne le cadeau à la mode, l’objet dont on ne peut plus se passer ? Avant qu’elle ne bouleverse nos modes de vie ?

Mêlant adroitement chapitres fictionnels et passages analytiques, Pierre Cassou-Noguès donne vie à cette idée, à cette machine, au BR. Et au(x) monde(s) qui pourrai(en)t en naître. Il décrit par étapes la conception de ce « lecteur de cerveaux » qui n’en est pas totalement un. Il envisage avec profondeur, mais de façon très abordable, une société où la parole deviendrait inutile, chacun lisant les pensées des autres. Où les films d’Hitchcock finiraient au placard, car incompréhensibles, tant ils reposent avant tout sur la duplicité et le doute. Où la pensée s’appauvrirait, se standardiserait. Il nous offre un miroir « magique » salutaire et nous fait réfléchir tout en nous divertissant. Le propre d’un philosophe de talent. Le propre d’un genre, la science-fiction, incontournable.

Zendegi

Le dernier roman traduit de Greg Egan suit la trajectoire de deux personnages : en 2012, Nasim Golestani, Iranienne exilée aux Etats-Unis, travaille sur le PCH, un projet de cartographie des cerveaux, et Martin Seymour, journaliste à Téhéran au moment où un scandale politique entraîne la fin du régime des ayatollahs. La cartographie pourrait permettre de lire les pensées, voire de dupliquer une personnalité : le lecteur qui a La Cité des permutants en tête attend de voir dans quelle direction se développera l’histoire ; le petit air de déjà vu est compensé par une étude plus fouillée des difficultés, qui ne sont pas que technologiques ou éthiques mais aussi financières. Greg Egan fournit ici une description assez réaliste et décourageante des arcanes des milieux scientifiques.

Contre toute attente, le roman s’attache pourtant à la trajectoire de Martin, lequel tombe amoureux de la culture iranienne en même temps que de Mahnoosh, une opposante au régime des mollahs avec qui il refait sa vie et a un enfant, Jareed. La seconde partie, qui occupe les deux tiers du roman et se déroule quinze ans après la révolution, dans un proche futur, donc, s’ouvre sur un drame qui va opérer le lien entre les deux intrigues : Nasim, parente de Mahnoosh, est retournée en Iran après la révolution et développe un système de jeu d’immersion virtuelle, Zendegi, dont le principal avantage est la fluidité et le haut degré de réalisme, jeu dans lequel elle injecte ses travaux sur le PCH en réalisant des personnages virtuels quasi autonomes. Martin sait que son fils sera appelé à vivre avec la famille d’Omar, ami de longue date, mais n’est pas persuadé que ce dernier lui transmettra les valeurs auxquelles il est attaché. D’où le projet fou de l’éduquer jusqu’à sa majorité en se scannant le cerveau pour devenir un partenaire de jeu dans Zendegi. C’est donc une course contre la montre qui commence, encore contrariée par des factions réclamant l’autonomie des logiciels conscients, et des sabotages destinés à ruiner Zendegi dont il faut rapidement trouver les auteurs.

Si les vertigineuses interrogations métaphysiques sont bien évoquées, elles sont à peine approfondies, au risque de désarçonner le lecteur. L’auteur privilégie clairement la dimension humaine du récit, réellement poignante. L’impression de dispersion qui résulte d’une intrigue apparaissant tardivement donne à la charpente du roman la colonne vertébrale d’une girafe, avec les apparentes digressions, pourtant nécessaires, de la première partie, étirant le roman jusqu’au démarrage effectif à mi-chemin du livre. En réalité, c’est avec brio que l’auteur déjoue les attentes de son lectorat sans cesser de spéculer sur les mêmes thèmes, à un niveau plus profond, de façon moins spectaculaire sans doute, mais assurément plus subtile. Dès le départ, l’auteur annonce la couleur : exit les facilités de la culture dominante, Martin bazarde ses disques rock, qu’il troque pour des versions numériques nettoyées au résultat, et c’est un indice, finalement décevant, tandis que les classiques intrigues de numérisation de cerveaux sont contrariées par les manques de budget. A la place, il propose une plongée dans la culture de la Perse antique, avec de fascinants jeux de miroirs où réel et virtuel s’interpénètrent (car c’est une adaptation d’un célèbre poème épique de l’an mil, le Shâh Nâmeh, qu’on découvre dans Zendegi), les décors orientaux devenant les fractales exotiques répétant les motifs récurrents du récit, chacun éclairant l’autre de façon fascinante. En mariant davantage spéculations audacieuses et intrigue intimiste, Greg Egan devient accessible à un plus grand nombre de lecteurs, mais sa virtuosité est intacte. Ajoutons que le roman, écrit avant les révolutions arabes, présente un Iran mal connu mais réaliste, l’auteur ayant fait le voyage pour s’imprégner de sa culture.

Nuit noire, étoiles mortes

Les quatre nouvelles qui composent ce recueil parlent une fois de plus de drames intimes, de gens ordinaires confrontés à des drames qui les amènent à réagir, et pas toujours de la façon dont on s’y attend. Dans « 1922 », un fermier du Nebraska assassine sa femme, acariâtre, désagréable, avant qu’elle ne vende la propriété qui les fait vivre afin de pouvoir s’installer en ville. Il s’assure la complicité de leur fils, aisément manipulable depuis qu’un amour adolescent fait battre son cœur pour la fille de la ferme voisine. Mais on a beau préméditer soigneusement son acte, rien ne se passe comme prévu, et la cascade d’évènements qui découle du meurtre originel sera pire que tout… C’est comme cette femme, auteur de polars à succès, qui, pour avoir emprunté le raccourci indiqué par la présidente d’un cercle littéraire, est violée et laissée pour morte par un « Grand chauffeur » au retour de sa conférence : en décidant de faire justice elle-même, et découvrant des turpitudes connexes en cours d’enquête, elle risque bien de basculer à son tour dans l’inhumanité… Les motifs qui poussent des gens ordinaires à des conduites excessives sont foncièrement égoïstes, ainsi cet homme condamné qui, afin d’éloigner le cancer pour quelques années encore, est prêt à accepter un pacte pour que son chanceux ami d’enfance voit la roue tourner. « Extension claire » est le plus fantastique récit du recueil. « Bon ménage » s’inscrit dans le droit fil des précédents : comment va agir une femme qui découvre, après vingt-sept ans de bonheur sans nuage, que son mari est un tueur en série ?

La vengeance personnelle plutôt que par voie de justice est un thème récurrent, surtout aux Etats-Unis, mais il est d’ordinaire traité de façon quasi automatique alors que la prise de décision mûrit ici lentement, parfois étayée par des motifs largement secondaires par rapport au préjudice subi. C’est au choix, face à un drame intense, que sont confrontés les personnages de Stephen King dans chaque récit. Des choix cornéliens, qui peuvent pousser la victime à devenir coupable. C’est dans les interstices des vies banales que se niche l’horreur, du moins que le lecteur trouvera les éléments glaçants du récit. L’impensable agit ici comme un révélateur des tréfonds de l’âme humaine, laissant penser que bien des gens honorables ne sont restés estimables que parce que le destin les a épargnés.

Pour nous faire partager ces pénibles prises de décision, Stephen King n’épargne aucun détail de la biographie de ses personnages, insiste sur les aspects sordides des drames, et donne à lire les pensées in-times, les voix intérieures devenant même audibles quand le protagoniste fait jouer à ses figurines le rôle d’interlocuteur. Coller au plus près de la personne a un effet d’empathie certain, mais la propension au ba-vardage atténue beaucoup l’impact de ces récits.

Le Prophète et le Vizir

Nous sommes au huitième siècle de l’Hégire, notre xive siècle. « Du golfe Persique à la mer Rouge, des côtes de l’Arabie Heureuse à celles de la Méditerranée » : c’est ce domaine que va parcourir Kemal, qu’Allah (ou Iblis ?) a nanti d’un don de voyance. Il voit trop loin sans doute : la guerre du Golfe, la révolution iranienne, la peste de Marseille, le siège de Malte par les Ottomans. Il ne peut pas prouver son don — en tout cas au début. Car chacune de ses visions successives se rapproche du présent, et le jour viendra où les deux flots, celui de sa voyance qui s’écoule vers l’amont et celui de sa vie qui s’écoule vers l’aval, se rencontreront, au prix d’inévitables remous. C’est à Tunis qu’il achèvera sa destinée et marquera celle du vizir Fares qui vient d’envahir la ville. Kemal a prédit que les huit enfants du conquérant périront, et ce dernier n’aura de cesse, par tous les moyens, de déjouer cette prophétie. Ou du moins d’essayer…

Une confession : je voue un culte au couple Rémy. Dans mon opinion, ce sont des lapidaires, plus que des écrivains. Ils façonnent leurs textes rares, ils les polissent, ils leur donnent un brillant auquel peu parviennent. J’ai dit « rares » ; de fait, les Rémy ont donné trois romans, de 1968 à 1978, et quelques nouvelles. Deux de ces romans, Les Soldats de la mer et La Maison du cygne, figurent, je crois, parmi les plus belles réussites de l’Imaginaire francophone, « Imaginaire » au sens le plus large, qui dépasse les genres et englobe des auteurs tels Gracq, Tournier et Le Clézio. C’est dire si j’attendais avec impatience ce livre inédit, composé de deux longs récits se faisant suite. On peut y voir un roman siamois ou un recueil au plus bref des sommaires possibles.

On est loin de la manière habituelle de la fantasy, malgré les incursions du surnaturel : prophéties avérées, certes, glissements temporels, en quelque sorte, fantômes, entraperçus… Les atours arabisants, bien entendu, peuvent renvoyer aux Mille et une nuits, mais les visions de Kemal nous rappellent qu’il s’agit d’une légende moderne (même si les Rémy écrivent naphte au lieu de pétrole). Et le style, ciselé, n’a pas grand-chose à voir avec le tout-venant de la BCF.

Oui, c’est une fable, aussi belle que sombre. On en lit peu de cette eau.

Le petit guide à trimbaler de Philip K. Dick

Philip Kindred Dick nous a quittés il y a trente ans. Il a laissé une œuvre abondante (romans, nouvelles, non-fiction) qui a d’ailleurs encore grandi dans l’intervalle, avec la publication de tous ses romans de littérature générale restés inédits, de deux romans de SF posthumes, de quelques nouvelles retrouvées et, tout récemment, du premier volume d’une sélection conséquente du journal, dit « l’Exégèse », qu’il a tenu durant la dernière décennie de sa vie pour essayer de comprendre certains événements de sa vie personnelle (cette dernière parution est d’ailleurs en cours de traduction).

Ce foisonnement textuel, cette vie paradoxale, Etienne Barillier parvient à en tracer un portrait-puzzle dont la maestria laisse un peu pantois.

Son petit guide est redoutable d’efficacité. Organisé en plusieurs parties (les livres, la biographie, les adaptations, les études, etc.) elle-même chapitrées, entrecoupé de séries de questions/réponses sur des points précis (le bonhomme, « l’Exégèse »…), doté d’un regard critique au point de proposer une sélection des meilleurs romans et nouvelles, proposant une fiche sur tous les bouquins — même les manuscrits perdus, même l’ultime roman resté à l’état de synopsis —, respectueux et ludick ludique, non seulement il constitue la porte d’entrée idéale pour qui voudrait s’informer en détail sur le sujet sans y connaître quoi que ce soit a priori, mais il réussit même à apprendre quelques trucs à de vieux singes qui croyaient vraiment tout savoir de leur écrivain préféré. (Comprendre : moi, par exemple.)

La couverture est superbe. Le prix est dérisoire.

Une telle perfection est suspecte, au fond. Espérons que la bistouille viendra mettre un peu d’entropie dans cette belle mécanique. En attendant, si PKD vous intéresse un tant soit peu, ne cherchez pas plus loin.

Fiction T14

Pour commencer, sautons d’abord directement à la conclusion : ce numéro de Fiction est vraiment très bon…

1/ Ça fait bien plaisir

2/ Vous sav€z c€ qu’il vous r€st€ à fair€…

Au sommaire : une revue de 300 pages pleine à craquer de bonnes nouvelles (les articles sont dans l’ensemble fort dispensables) et un DVD contenant trois courts métrages de Clément Trabaol, jeune réalisateur qui arrive à faire durer trente minutes subjectives ce qui n’en fait que onze ou treize, un tour de force, mais peu importe.

Au sommaire des nouvelles, on se penchera principalement sur :

« Libera me » de Jacques Boireau, étonnante enquête policière dans un camp de concentration dont l’enjeu principal, ce qui est très malin pour le moins, n’est pas la découverte de l’assassin.

« Des ombres sur la paroi de la caverne » de Kate Wilhelm, bouleversante histoire de disparition d’enfant dans une minuscule caverne. Un texte écrit avec une méritoire économie de pathos et d’effets qui, grâce à des personnages formidablement bien campés, se finit dans l’émotion pure et nous rappelle à quel point Wilhelm est un écrivain important et doué.

« Le Conte du maître meunier » de Ian R. McLeod, bien que ne soit cité à aucun moment le mot æther, se rattache à son excellent roman L’Age des lumières et sa suite inédite en français The House of storms. On y retrouve, dans un décor typiquement anglais, certaines thématiques chères au Miyazaki de Princesse Mononoke et Nausicaa. Une très belle réussite qui vaut à elle seule l’achat de la revue.

« Faveur » de Madeleine E. Robins est une autre nouvelle pleine d’émotion où, dans un monde où les humains côtoient les elfes et les gnomes des Catskills, une jeune mère célibataire, serveuse, se voit contrainte de confier son bébé à un couple de gnomes qui, au départ, suscite chez elle beaucoup d’aversion.

Comme la traduction, atroce, de « Retraverser le styx » de Ian R. McLeod rend la nouvelle proprement illisible, on finira plutôt la revue avec « Partir » de Robert Reed, qui est, pour le coup, sans doute une des plus originales guerres futures jamais décrites. Une guerre lointaine, vue depuis la Terre, par le meilleur ami d’un homme dont le fils surdoué a décidé de partir. Original et brillant.

Quant aux autres nouvelles non citées, celle d’Alexander Irvine, bien que décevante, reste marquante, surtout son début d’une incroyable cruauté.

Vraiment un très bon numéro.

Extrême !

On a beaucoup écrit sur la violence au cinéma et la censure : L’Art face à la censure de Thomas Schlesser, passionnant mais trop bref panorama de l’interdit culturel sur une période allant de la Renaissance à nos jours (Larry Clark, Ai Weiwei) ; Dictionnaire de la censure au cinéma de Jean-Luc Douin, une somme (520 pages) qui commence un peu à dater (2001 pour sa dernière édition) ; Interdit aux moins de 18 ans - Morale, sexe et violence au cinéma de Laurent Jul-lier, un travail universitaire sérieux sans être rébarbatif. C’est donc un peu face à ce trio d’ouvrages (qui se complètent fort bien, pour tout arranger) que se dresse colt à la main Extrême ! Quand le cinéma dépasse les bornes de Julien Bétan. Première constatation, l’objet-livre est particulièrement désagréable à lire (texte sur deux colonnes, encadrés posés un peu n’importe où, qui coupent la lecture). De plus, il est d’une brièveté rédhibitoire ; c’est bien simple, on a souvent l’impression de lire le plan d’un livre qui reste à écrire et sur les 160 pages, il y en a vingt-cinq d’illustrations de mauvaise qualité (le papier choisi n’est visiblement pas adapté aux repros en noir & blanc). Tout autant que l’objet-livre, le texte laisse à désirer : le plan est brumeux, les films sont survolés, et certains passages tournent à l’empilement de références. Le choix de laisser la pornographie de côté est compréhensible, mais celui de retirer du corpus les œuvres mêlant pornographie et violence (tel L’Empire des sens, La Pianiste ou In the cut) est extrêmement étrange. Certains réalisateurs sont complètement oubliés : Lars Von Trier, Brian de Palma, Shinya Tsukamoto, Roman Polanski, David Lynch, Andrzej Zulawski, d’autres réduits à un cliché comme Sam Peckinpah (misogyne) ou Takashi Miike (infatigable). Il n’est nulle part question d’Irréversible, d’Orange Mécanique, du cinéma d’Alan Clarke, du cinéma coréen, de The Great Exctasy of Ro-bert Carmichael, de Larry Clark (Ken park), de Possession. Un film comme Funny Games est évoqué une seule fois, sans pertinence, alors que comme Cannibal Holocaust, Caligula, Les Diables (Ken Russell), Massacre à la tronçonneuse, Antichrist, L’Exorciste, Cruising, il mériterait un chapitre à lui tout seul. Extrême ! s’intéresse davantage aux mécanismes moraux, à l’histoire de la censure, qu’aux films eux-mêmes, et se révèle donc frustrant pour le cinéphile (quant au côté moral, on est loin de la philo abordable de Dany Robert-Dufour, ne serait-ce que pour citer un auteur moderne - La Cité perverse : libéralisme et pornographie). Voilà un projet bancal, et en un mot inutile : la réflexion morale n’est pas assez poussée pour convaincre, l’analyse filmique est sans intérêt (cf. le passage sur Natural Born Killer) et les références ne sont pas assez nombreuses pour faire d’Extrême ! un ouvrage de références.

[Lire aussi l'avis de Sylvain Fontaine sur le blog Bifrost.]

Thongor, l'intégrale T1

Si l’on peut saluer le travail des éditions Mnémos lorsqu’il s’agit de faire réapparaître comme par magie des titres tels que La Vallée de l’éternel retour d’Ursula Le Guin, ou, dans une moindre mesure, le Belle de Robin McKinley, on peut clairement s’interroger sur la démarche conduisant l’éditeur à republier le risible cycle de Thongor signé Lin Carter.

Des interrogations qui ne s’éternisent pas longtemps : il faut bien vivre et glaner quelques sous. Alors, pourquoi ne pas surfer sur la vague du retour en grâce de Robert E. Howard (merci Bragelonne) pour exhumer Thongor, avatar dégénéré de Conan ? On pourra toujours invoquer le format intégrale ou bien des traductions révisées (?), mais le fait est que cela ne change rien à la qualité intrinsèque de la chose. Les écrits de Carter sont au mieux médiocres, parfois risibles, avec son héros éructant et toujours au premier plan, comme s’il était censé être le seul intérêt de ces romans, la pierre angulaire, un guerrier de légende à la réputation le précédant aussi bien dans le cadre de ses aventures qu’aux yeux du public. Un bien triste constat, tant le personnage n’affiche pas la moindre profondeur.

Loin d’avoir la complexité des héros tourmentés de Howard, Thongor de Valkarth se vautre dans la caricature, sans même s’avérer suffisamment drôle — volontairement… — pour verser dans la parodie ou le pastiche. C’est simple, on se croirait devant un film de fantasy fauché des années 80, disons, au hasard, italien, dans la lignée des plagiats sans âme ni talent du Conan (tiens, on y revient encore…) de John Milius. Tout sonne faux, creux. Et pourtant, ces romans datent des années 60 et ont contribué à relancer le genre sword & sorcery, nous dit-on. Arrivé au bout du volume 1 de cette intégrale, il est pourtant bien difficile d’y voir une œuvre « culte », malgré ce que l’éditeur veut bien nous indiquer au dos.

La jolie couverture, bien dans le ton, d’Alain Brion, n’y changera rien : la seule véritable réussite de Thongor tient sans doute à nous démontrer qu’il est facile pour une œuvre à ce point ancrée dans une époque de vieillir vite, et surtout mal. Quand les archétypes deviennent stéréotypes dans un décor de carton-pâte, sous l’œil et la plume d’un tâcheron, on est très loin de la puissance d’un Howard ou de l’enthousiasme et de la passion d’un Burroughs, autre auteur auquel Carter est censé rendre « hommage ». Et si un éditeur ne peut guère se passer de quelques titres populaires pour faire vivre son catalogue, il y avait sans doute d’autres recours qu’en passer par là (on songe aux œuvres de Clark Ashton Smith, par exemple).

Survivre à une invasion robot

Après les zombies, les robots !

Si vous êtes familiers des ouvrages du même genre déjà parus concernant les morts-vivants, autant dire que vous pouvez vous arrêter là. Le livre de Daniel H. Wilson reprend en gros la même structure : identifier la menace, lui échapper, riposter, survivre. Le tout découpé en chapitres très courts et agrémenté de quelques illustrations et autres croquis. La seule chose à changer véritablement sur le fond, c’est donc la nature même de la menace : on remplace les zombies par le grille-pain, voire le crossover de grand-mère, devenu une arme mortelle décidée à vous éliminer.

Dit comme ça, on pourrait en rire, mais cet ouvrage se prend parfois étonnamment au sérieux pour ce qui reste un manuel de survie parodique. Le ton n’ayant donc rien de bien personnel, on se surprend à rapidement survoler le tout, passant d’un chapitre à l’autre avant de revenir en arrière ou d’avancer de trente ou quarante pages à la fois. On ne peut pas dire que deux pages sur comment soigner une blessure par laser ou sur comment se faire passer pour un androïde aux yeux des robots s’avèrent particulièrement passionnantes à lire. L’auteur semble parfois manquer manifestement du recul nécessaire pour donner à ce court recueil — et vous ne deviendrez pas myopes à la lecture… — une véritable identité, mais surtout une dimension ludique. Il manque une bonne dose de fun pour se laisser prendre au jeu.

Car bien qu’il soit question ici d’une possible guerre entre l’homme et la machine, ce sujet vu et revu aurait mérité un peu plus d’originalité dans le propos, même si l’ensemble s’avère malgré tout relativement amusant, le plus souvent au détour de quelques anecdotes bien senties. Dommage, car Le Panthéon des savants fous, du même auteur, paru chez Calmann-Lévy en 2010, affichait ouvertement cette dimension-là, et ce dès sa couverture, tout de même moins triste.

Reste que Daniel H. Wilson, par ailleurs docteur en robotique, a le vent en poupe en ce moment, puisque son premier véritable roman, Robopocalypse, sera adapté sur grand écran par… Steven Spielberg, et arrivera en France dans quelques mois (au Fleuve Noir). On pourra alors décider si l’auteur se montre plus à l’aise en nous racontant une véritable histoire plutôt qu’aux commandes d’un énième guide opposant l’homme à une quelconque menace. Avec Survivre à une invasion robot, il fera peut-être le bonheur des amateurs de jeux de rôle en quête de background dans ce domaine précis, mais il n’y a franchement pas de quoi nous faire vraiment peur… ni nous divertir.

Ça vient de paraître

L'Énigme de l'Univers

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 118
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