Houston, Houston, me recevez-vous ?
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Il y a des livres qui sont des textes de contrastes, qui font se confronter deux visions du monde, deux groupes de protagonistes que tout oppose, deux propositions de civilisations. C’est exactement ce qu’offre Houston, Houston, me recevez-vous ? de James Tiptree, Jr.
L’histoire s’ouvre pourtant sur une scène classique d’un récit d’aventures : le Sunbird, vaisseau de la Nasa avec à son bord la crème de la crème des astronautes que notre époque a pu produire, à savoir le capitaine Bernhard Geirr, le major Norman Davis et le docteur Orren Lorimer, se retrouve en perdition après une tempête solaire. Les trois hommes tentent de faire de nouveau route vers la Terre et envoient un signal de détresse à la base de Houston auquel répond… un autre vaisseau spatial. Or aucune autre mission n’était prévue. Le mystère s’épaissit et les contrastes se déploient. Contrastes entre les façons de communiquer, entre les vaisseaux. Contrastes entre les deux équipages, celui du Sunbird et celui du Gloria, composé uniquement de femmes. Entre ces trois hommes qui se raccrochent aux schémas qui les ont façonnés : pouvoir, domination, dénigrement, hiérarchie, stéréotypes, besoin de se sentir élu et indispensable. Et ces femmes qui ont dû tout réinventer pour faire face à une situation catastrophique, et qui constatent qu’elles s’en sortent finalement très bien toutes seules. Un texte d’une grande intelligence, à l’écriture ciselée, aux tons divers en fonction des personnages, qui montre que malheureusement le contraste ne peut tenir ni être accepté avec nuance. Les trois hommes y réagissent en se rigidifiant dans leurs modes de pensées, finissant chacun par représenter un type de violence patriarcale. Et en face, une incompréhension qui se mue en indifférence, tant cet ancien monde, bien qu’historiquement intrigant, est bel et bien obsolète depuis longtemps. Cette novella, lauréate des prix Hugo et Nebula, a été éditée à l’origine en 1977 et ne perd pourtant pas sa pertinence. Au contraire, le propos même de ce texte nous invite à le relire à plusieurs décennies d’intervalle, quelques siècles même, comme une jauge de l’évolution ou non de notre société. Et à chaque fois, nous pourrions nous poser la question : « Lequel de ces discours contrastés nous parait le plus exotique ? »
Enfin, que le lecteur inquiet de tomber dans un texte monothématique se rassure : si les rapports femmes-hommes sont centraux dans Houston, Houston, me recevez-vous ?, le texte aborde avec délice une foule d’autres thématiques d’anticipation sociétale et de science-fiction, avec des concepts absolument brillants et qui laissent l’imagination en feu. Pistes que l’autrice, Alice Sheldon, écrivant sous la persona de James Tiptree, Jr., aurait souhaité explorer dans un texte plus long, comme elle l’explique dans la postface très éclairante, et qui ajoute à la richesse du livre, dans son écrin d’une sublime couverture signée Aurélien Police et traduit par Jean-Daniel Brèque. Une novella percutante, piquante et savoureuse à lire et à relire.