Trystero
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Joli tour de force que ce roman fait de faux-semblants, vrai-faux manuel d’écriture qui comporte une part évidente d’autobiographie à la proportion impossible à estimer. Lorsqu’on lit que le narrateur — dont on connaîtra le nom au bout d’un certain temps — a écrit un roman nommé Trystero, on pourrait imaginer que c’est Laurent Queyssi qui prend la parole, pourtant l’auteur évacue vite cette possibilité en signalant que le cadre du roman est l’Alliance européenne, pas la Communauté. Reste que des éclats d’autobiographie surgiront au gré des pages, lorsque, par exemple, le narrateur évoque ses inspirations, extrêmement variées, qui vont du roman de genre au mainstream, des comics aux jeux vidéo, en passant par les films. Le livre trouve une voix extrêmement originale, qui tient aussi à sa forme :; comme déjà évoqué, sont ici dévoilés les trucs et astuces d’un écrivain sûr de son fait, qui a eu du succès et s’adresse à un apprenti auteur afin de lui inculquer des bonnes pratiques. Mis bout à bout, ces conseils — qui abordent à peu près tous les aspects, méthodes de travail, création des personnages, gestion de l’intrigue, rapport au lectorat ou à l’œuvre elle-même, développement de l’esprit critique — forment peu à peu un magnifique hommage au pouvoir de la créativité et à la liberté que celle-ci procure. De la liberté, pourtant, le narrateur en a été privé : on apprend progressivement qu’il sort de prison, qu’il continue à vendre des livres mais qu’il ne les écrit pas. Car l’Alliance dont il est question dès le début est une société dictatoriale, que l’auteur a mécontentée par ses écrits ; Queyssi évoque ici le pouvoir subversif et contestataire de l’art sous toutes ses formes, et son roman résonne avec certaines thématiques du V pour Vendetta d’Alan Moore, référence de l’auteur Queyssi, nommément cité parmi les têtes de chapitre (au même titre que Proust, Borges, Ballard ou Dos Passos, mais aussi… Buckaroo Banzaï et Docteur Manhattan !), jusqu’à troquer le côté iconique du masque de Guy Fawkes pour le masque de son personnage révolutionnaire Fulbert Delharme, un X prolongé de deux arcs de cercle.
Très référentiel mais éminemment lisible et d’une belle fluidité, des plus original dans sa forme, Trystero, ce court roman au titre-valise et aux allures d’essai (ou l’inverse, on ne sait plus trop au final) se dévore d’une traite et constitue, à n’en pas douter, l’un des sommets de l’œuvre de Laurent Queyssi.