Les Enfants de l'éternité
Publié le
Il y a des livres que l'on attend avec impatience, des livres sur lesquels on fonde beaucoup d'espoir. J'avoue qu'au moment où mon rédac'chef préféré m'a proposé de critiquer Les Enfants de l'éternité, un des deux nouveaux ouvrages de l'espagnol Juan Miguel Aguilera, j'ai sauté sur l'occasion de replonger dans l'œuvre d'un auteur que j'avais tout particulièrement apprécié avec La Folie de Dieu (malgré une traduction pénible). L'autre, Rihla, est sorti en avril Au Diable Vauvert et aurait dû être critiqué dans ces pages… Sauf que l'éditeur n'a pas jugé bon de nous envoyer l'ouvrage1.
Pour ce qui est de l'action de ce roman écrit en collaboration avec Javier Redal, elle se déroule dans plusieurs millions d'années (rassurez-vous, on n'y croit pas une seconde) dans le petit amas globulaire d'Akasa-Puspa (en effet, faut pas pousser !). Là, trois forces sont en présence : l'Empire (tiens tiens), la Fraternité (un groupement de fanatiques religieux) et la Utsarpini (à vos souhaits !), une armée liée à la Fraternité. Tout le début du roman tourne autour de la destruction d'un rickshaw — mot qui vient de la contraction du japonais jin (personne), riki (force) et sha (véhicule), et qui désigne ici une grosse navette se déplaçant à un quart de la vitesse de la lumière. En enquêtant sur cette « attaque » pour le compte de la Utsarpini dans laquelle il a été enrôlé de force, Jonas Chandragupta ne va pas tarder à découvrir un fascinant objet stellaire (dixit le quatrième de couverture) et à vérifier ses thèses scientifiques considérées comme hérétiques (c'est le Darwin de son époque). Ajoutez à cela des baleines de l'espace et leurs parasites, des extraterrestres presque toujours méchants (normal, ce sont des extraterrestres), une absence totale de personnages féminins dignes de ce nom et un gourou très « chevalier Jedi constipé » : vous voici avec un tableau assez précis du contenu de ce livre.
Bon, raconté comme ça, ça pourrait presque être séduisant… Sauf que ce roman est d'un ennui mortel, tout est cousu de fil blanc. Certains passages sont inutiles (en fait plus de la moitié des scènes des deux cents premières pages !), d'autres sont carrément ridicules, comme le voyage de Jonas à bord du Vajra, où l'on a droit à une dératisation d'ordinateur géant opérée avec les chats des cuisines, à la confection d'un thé sur un réchaud à alcool, à la présence de saucissons pendus dans les dortoirs — ce n'est pas un vaisseau spatial qui nous est décrit, mais La Amistad équipée de voiles solaires… Rien ne fait vrai, tous les petits détails jurent (ils boivent du cognac, se baladent dans des ascenseurs spatiaux appelés babels, ont des patronymes arabes et hindous et, cerise sur le gâteau, le héros a chopé la polio quand il avait quatre ans !).
Les Enfants de l'éternité est un roman qu'on a déjà lu cent fois au bas mot, c'est Dune (sans le sable) mélangé avec le cycle « Terre des origines » d'Orson Scott Card et « Les Guerriers du silence » de Pierre Bordage. Sauf que la mayonnaise n'a pas pris, le cocktail a foiré, ne donnant aucun plaisir, juste une gueule de bois de cinq cents pages.
Néanmoins, si on me le permet2, je finirai sur une note positive : ce gros truc foireux qui coûte quand même 23 euros est traduit dans un français impeccable, ce qui prouve que Sylvie Miller a du talent et du courage à revendre. Autre point positif, l'objet est orné de la plus belle couverture jamais achetée par ISF — un Manchu médiocre, mais un Manchu quand même.
Notes :
1. Après avoir menacé de plastiquer les locaux du Diable, voire de lui tirer la queue, nous sommes désormais en mesure de vous proposer une critique de Rihla, mais il vous faudra patienter jusqu'au prochain Bifrost… [NDRC.]
2. Allez… si ça peut te faire plaisir… [NDRC.]