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Léopard noir, loup rouge

Auteur de plusieurs œuvres de fiction, dont le multi-récompensé Brève histoire de sept meurtres, Marlon James a fait une entrée remarquée dans les littératures de l’Imaginaire avec Léopard noir, loup rouge, pour lequel il a reçu en 2020 le prix Locus du meilleur roman d’horreur. Il aura fallu attendre trois ans pour voir enfin traduit ce premier tome de la trilogie « Dark Star » précédé d’une réputation favorable.

Le lecteur est d’emblée livré à Pisteur qui, suite à son arrestation, est interrogé au sujet d’un enfant disparu. Ainsi, en bon conteur, celui qui a la réputation d’avoir du nez se confesse à son interlocuteur, digressant d’une histoire à une autre, retraçant peu à peu le fil de la traque dans laquelle il a accepté de se lancer afin de retrouver l’enfant. Le point de vue proposé est donc celui de l’inquisiteur chargé d’obtenir de lui des informations, n’ayant d’autre choix que de l’écouter, au risque de longs détours et d’incohérences. Leur échange transparait au gré des remarques que Pisteur lui adresse en réponse ou en réaction.

Dans une atmosphère passablement inquiétante, et loin de tout manichéisme moral, sorcières, métamorphes, enfants étranges et autres créatures effrayantes achèvent de situer cet univers dans le registre de la dark fantasy. Le roman se démarque avant tout par l’inspiration de son auteur, qui est allé puiser mythes et légendes dans le vivier culturel du continent africain pour les mettre au service de son récit. Cette première approche constitue déjà en soi un atout considérable, véritable bouffée d’air frais au sein d’une production éditoriale saturée depuis des décennies, à quelques exceptions près (Ken Liu et le silkpunk) par les cultures occidentales. Une perte de codes et de repères bienvenue en ce qu’elle renforce le sense of wonder chez un lecteur qui, sorti de sa zone de confort, sera plus facile à surprendre. La qualité de l’écriture s’impose ensuite très vite comme l’autre atout majeur du roman. Si Marlon James fait le choix d’une narration proche de l’oral, dans une logique propre au conteur, il ne glisse jamais dans la facilité du registre familier. Le langage est pourtant brut, obscène plus souvent qu’à son tour, mais gardant toujours la maitrise de sa vulgarité, et volontiers percutant au détour d’une phrase qui sonne juste ou d’une réplique ciselée. Du reste, le récit est sans complaisance et recèle une certaine violence qui n’est pas sans rappeler le style de Nnedi Okorafor, quitte à brusquer son lecteur.

Marlon James n’est donc pas tendre mais, pour peu que l’on s’y prête, tout cela fonctionne à merveille. Et si le Pisteur n’est pas un protagoniste des plus attachant, sa façon de délivrer son récit sur le mode du conte s’avère captivante, tout comme l’univers dans lequel il s’inscrit. Le secret, sans doute, pour dévorer près de 700 pages sans même s’en apercevoir. À découvrir absolument !

La Pilule, suivi de Big Girl

Pour cette première parution de Meg Elison en français, les éditions Goater nous proposent une traduction d’un recueil mêlant fiction, essais et entretien. L’ouvrage débute par « La Pilule », nouvelle récompensée par un prix Locus, et qui à elle seule justifie l’achat du livre. Sa plume précise mêle une écriture de l’intime à une certaine teinte d’angoisse. Le sujet ? Une jeune femme, grosse comme toute sa famille, voit un jour l’arrivée d’une efficace pilule amaigrissante. Malgré un taux de mortalité de 10 % et une semaine de douleurs à peine supportables, le dispositif est peu à peu adopté aux USA, puis mondialement, normalisant encore plus les corps… et faisant peser de façon démesurée la grossophobie sur cette femme qui refuse de prendre cette pilule. Véritable descente aux enfers, le récit montre le piège se refermer sur notre protagoniste déterminée à vivre, survivre, dans une société qui lui est particulièrement hostile, hormis dans ses aspects fétichisants. Au travers de cette démonstration science-fictionnelle d’une société où la grossophobie est des plus déshumanisantes, Meg Elison livre une réflexion sur l’impact de la norme dans la lignée de la nouvelle « Aimer ce que l’on voit » de Ted Chiang. Implacable et nécessaire.

À sa suite, « El Hugé » semble bien pâle, mais se lit avec plaisir, comme une respiration avant l’étrange « Big Girl », où l’on voit apparaître dans la baie de San Francisco une géante nue, bientôt identifiée comme une adolescente en pleine métamorphose. Avec une prose poétique ponctuée de diverses archives de blogs, journaux et posts de réseaux sociaux, l’autrice dénonce l’objectification et la sexualisation des adolescentes, jusqu’à l’étourdissement : efficace. (Un bémol : la couverture du recueil, qui semble être passée à côté du propos de la nouvelle « Big Girl , dommage.)

L’essai « Emportée par Autant en emporte le vent » permet d’en savoir un peu plus sur Meg Elison, via ses nombreuses lectures d’un classique au fil de sa vie. Ces relectures diffèrent tels des miroirs de son vécu – personnel ou théorique – et mettent en perspective des points de tension entre la littérature et la société, entre l’intime et l’imaginaire, entre les différentes personnes qu’a été l’autrice… et que beaucoup d’entre nous peuvent expérimenter (pour peu qu’on relise).

Dernière nouvelle, « Un tel peuple » est une autre extrapolation dystopique des USA. Anti-conte de Noël au travers du regard de son protagoniste, Omar, terrassé par un problème dentaire qu’il est trop démuni pour soigner, on (re)découvre un pays sous la coupe d’un président qui, souhaitant rendre grandeur à sa nation, n’a en réalité fait que soumettre la majorité de ses citoyens à un état de surveillance, de délation, de répression et de grande pauvreté. Une fois de plus, l’inquiétude procurée par ce puzzle dystopique se confronte à un manque d’espoir tout aussi totalitaire.

L’entretien avec Terry Bisson, ainsi que le texte « Tripes » clôturent ce recueil en nous apportant des clés de relecture – « Tripes » précède « La Pilule » de quelques années et éclaire sur ses racines autofictionnelles – et attisent la curiosité envers les autres textes de Meg Elison… Bonne nouvelle, les éditions Goater indiquent en fin d’ouvrage que son premier roman, The Book of the Unnamed Midwife (prix Philip K. Dick 2014) est en cours de traduction. Arrivée prévue en 2024, soit dix ans après sa parution initiale : encore un peu de patience, car si ce premier roman de Meg Elison est à la hauteur de ses nouvelles, cela en vaudra la peine !

Mort aux geais ! (La Tour de garde — Capitale du Nord T.2)

Votre serviteur s’est régalé, a pris son temps pour déguster Mort aux geais !, la suite de Citadins de demain. Mais si, vous savez, on ne parle que de ça : « La Tour de Garde ». Une double trilogie qui excite les initiés autant qu’elle intrigue les profanes, menée d’une main de maître par Guillaume Chamanadjian et Claire Duvivier. Deux villes, deux ambiances et deux héros, dont l’espoir de leur rencontre est un fil rouge que l’on suit avidement.

Rappel de l’épisode précédent : rien ne va plus à Dehaven. Les colonies se rebellent. La colère du petit peuple gronde dans les Faubourgs. Et, pour couronner le tout, le fiancé d’Amalia Van Esqwill, Hirion de Wautier, pris de folie, vient d’assassiner ses parents, le père d’Amalia, sa grand-mère et le majordome, avant de se suicider. Amalia et son ami Yonas n’ont guère le temps de pleurer leurs morts. Témoins des meurtres, mais aussi et surtout premiers suspects (car personne n’imagine le fils de la famille De Wautier commettre de tels crimes), les deux amis s’évanouissent dans la nature. Dans leur fuite, ils emportent les artefacts d’Hirion : un peigne qui permet d’endormir celui que l’on coiffe, un miroir qui laisse entrevoir le reflet terrifiant de Dehaven, et deux diadèmes qui lient par la pensée ceux qui les portent. Mais Amalia et Yonas ne sont pas loin. Ils ont trouvé refuge dans les Faubourgs, un quartier bien connu du jeune roturier, peut-être un peu trop. Pour Amalia, c’est une tout autre affaire. Son langage la trahit, ses attitudes aussi, ses vêtements, son ton, ses gestes. Dans un quartier où l’on placarde sur chaque mur « Mort aux geais ! », comprenez les aristocrates, Amalia a du souci à se faire. En plus de devoir échapper à la garde havenoise, la jeune noble doit se fondre dans le décor. Commence alors un apprentissage bien différent de celui qui devait faire d’elle un « citadin de demain ».

Claire Duvivier prouve une nouvelle fois que la fantasy est un genre noble. Mort aux geais ! diffuse une ambiance étrange, cotonneuse, subtile, pétrie du trouble de l’héroïne et de ses peurs. Immersifs, la fuite et le désarroi de nos héros n’en sont que plus réalistes. Exit le miroir et Nevahed, Amalia et Yonas découvrent que les diadèmes leur sont bien plus utiles au quotidien, pour gagner des parties de Tour de Garde notamment, et donc de l’argent. La communion des deux êtres est totale et à force d’exercices, ils gagnent ! Mais attention : qu’ils gardent en tête le triste destin de leur ami Hirion, abusé par une magie qu’il ne maîtrisait pas. Un mot sur la foule de personnages secondaires qui nourrissent Amalia et participent à sa transformation : son amie Fridarilde Van Hughen, Lute, la petite vendeuse de biscuits si attachante, le joueur geminien Casimux, et tant d’autres. Peu à peu, de la jeune noble si parfaite il ne reste rien, hormis le désir de retrouver la place qui lui revient. Et par tous les moyens.

Claire, Guillaume, ne nous faites pas languir plus longtemps. Vos balades citadines nous ont mis en appétit, et si la fin de cet opus est délicieusement excitante, nous avons désormais faim de la fin.

Grand Canyon

Dans un hôtel au bord du Grand Canyon, une communauté hétéroclite vit des moments d’insouciance entre danses, balades et dégustations de cocktails, ignorants de la guerre qui se prépare. Car si l’Allemagne et le Nouveau Monde vivent désormais en paix, le retour de la menace nazie est un murmure qui se rapproche dangereusement…

En 1942, la guerre n’est pas terminée que Vita Sackville-West en imagine déjà la conclusion. Une fin victorieuse pour l’Allemagne qui a signé une trêve avec les États-Unis d’Amérique. Mais que peut-on attendre d’un accord de paix conclu avec un monstre ? L’autrice dit avoir écrit ce roman comme « une mise en garde », une hypothèse dans le cas où l’Allemagne, invaincue, mettrait la main sur l’Europe et plus tard sur les USA. Une victoire totale. Effrayante. Une peur qui semble glisser sur ses protagonistes.

La première partie met en scène ceux-ci. Helen Temple, Anglaise observatrice et à l’écoute des autres clients de l’hôtel. Lester Dale, un drôle de bonhomme ennuyeux qui va devenir son compagnon de discussion, et de réflexion. Loraine Driscoll, une jeune femme de bonne famille qui cherche à se délivrer d’un lourd secret. Son frère charismatique. Des aviateurs américains qui viennent fricoter avec des demoiselles célibataires. Un maître d’hôtel désagréable et pro-nazi. Un perroquet et son excentrique maîtresse. Un couple d’amoureux. Ce drôle de monde se dévoilent à coup de dialogues et dans une mise en scène si british qu’on en oublierait presque que l’action se déroule en Arizona. Les pions sont en place : action ! La guerre éclate, les aviateurs mettent fin à leurs batifolages, l’hôtel prend feu, le monde court à la catastrophe, mais que vont bien pouvoir faire nos clients ? Ils s’engouffrent dans le Grand Canyon, bien sûr.

S’ouvre alors la deuxième partie, un écrin rouge qui suspend le temps, une rêverie, un jardin d’Éden où les personnages poursuivent leurs activités sans se soucier du monde qui s’effondre une nouvelle fois. Ils vivent, et revivent aussi, et ils parlent. Trop, vraiment trop, de longs dialogues sans fin qui étirent l’attention du lecteur jusqu’à la faire disparaître. Le monde s’embrase, et point d’héroïsme, Helen et ses compagnons évoluent à l’abri des horreurs qu’ils entendent par l’intermédiaire d’une radio émettant depuis Buenos Aires. Une mise en garde, certes, contre l’immobilisme de chacun et la docilité de nos dirigeants, et qui entre étrangement en résonance avec l’actualité. Mais une mise en garde d’un ennui mortel malheureusement.

Celle qui devint le soleil

1345. L’empire Chinois est uni sous l’autorité des Yuan, dynastie mongole qui affirme détenir le Mandat du Ciel, un pouvoir divin qui légitime leur souveraineté.

Dans un petit village rongé par la famine, la famille Zhu survit difficilement jusqu’au jour où le devin révèle au fils que ses exploits apporteront l’honneur à sa famille pour cent générations. Tout le contraire de sa sœur dont le sort n’étonne personne : elle ne sera rien. Un après-midi, trois bandits tuent le père, faisant du frère et de la sœur des orphelins. Tandis que le premier se laisse mourir de chagrin, la deuxième décide de vivre, endosse l’identité de son frère et prend sa place de novice au monastère de Wuhuang. La jeune fille, qui doit tout faire pour cacher son identité, suit sans dommage, ou presque, l’enseignement de ses maîtres. Le jour de l’ordination, Ouyang, le général du prince mongol du Henan, interrompt la cérémonie et réclame l’allégeance des moines et leur soutien dans la lutte contre les Turbans Rouges, des dissidents chinois. Face au refus de l’Abbé, Ouyang, met le monastère à feu et à sang, seul(e) survivant(e) du massacre, Zhu décide d’embrasser le destin de son frère. Non, elle ne sera pas rien, et ce quoi qu’il en coûte…

Les passionnés d’histoire se pourlècheront les doigts en tournant chaque page, car Celle qui devint le soleil est une magnifique réécriture de la reconquête chinoise et de l’ascension de la dynastie Ming. Shelley Parker-Chan prend un soin particulier à plonger le lecteur dans cette Chine médiévale fantasmée et violente où s’oppose la misère des moins bien nés à la richesse des conquérants, le « rien » des femmes à la « grandeur » des hommes, le pouvoir divin au désir de survie. Un travail historique incroyable qui participe au réalisme la démonstration de l’autrice : et si l’Empereur fondateur de la dynastie Ming avait été une femme ? Une femme qui aurait dû masquer ses attributs ; une femme qui aurait dû voler le nom d’un homme et oublier le sien ; une femme qui aurait dû se faire homme pour atteindre la fonction suprême. Parker-Chan tricote l’ascension d’une moins que « rien » qui s’approprie le destin d’un frère lâche, et qui fait de sa transgénéité une force. Le choix du nom comme acte de métamorphose, métamorphose qui sied bien à l’héroïne qui se construit, alliant le pouvoir que lui confère son nouveau sexe à sa sensibilité féminine, pour résoudre les conflits d’une façon fine et sensuelle dont son frère aurait bien été dépourvu.

Et la fantasy dans tout ça ? L’apparition de fantômes et la manipulation du feu par quelques protagonistes restent plus qu’anecdotique. Car si le contexte historique est des plus intéressants, on guette les éléments qui feront basculer la fiction historique vers la fantasy. Quant aux fils narratifs, qui se résument à des manigances politiques, ils finissent par lasser à force de s’enlacer. Il faut atteindre les deux tiers du roman pour voir l’intrigue gagner en nervosité, une nervosité tellement tardive que l’on se demande si la fin ne va pas en être bâclée. Page après page, aucune conclusion ne pointe à l’horizon, jusqu’à la dernière ligne où le client (qui s’est bien fait avoir) comprend que ce roman n’était que le prélude d’un ensemble plus vaste, information que l’éditeur s’est bien gardé de transmettre… Celle qui devint le Soleil, qui s’avère donc le premier tome du diptyque « The Radiant Emperor », est pour résumer une fantasy pâle et décevante, une très bonne fiction historique et une uchronie avec un certain potentiel.

Nos frères inattendus

Un futur proche, presque immédiat. Le Président des États-Unis est un gentil branquignol, des irresponsables jouent un peu partout avec des armes nucléaires, une explosion se produit sur le sol américain. Déclaration de guerre, acte terroriste, « déflagration accidentelle » ? On ne le saura pas, mais qu’importe ? Au moment où le Président donne à son tour l’ordre d’attaquer, tout s’éteint. Plus d’électricité, plus de radio, plus rien : l’ordre ne sera jamais transmis. Pour le meilleur ou pour le pire, les Amis d’Empédocle ont pris en main le destin de la planète. Leur supériorité technologique, de « tunnels de la guérison » en rayons paralysants, leur en donne les moyens. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Devenir nos « tuteurs » ? Nos maîtres ?

Revenant, trente ans après Le Premier siècle après Béatrice (1992), à une science-fiction très soft, Amin Maalouf nous raconte ces événements géopolitiques du point de vue intimiste de deux personnages isolés sur une petite île : Alec, le dessinateur de presse, et Ève, auteur désabusé d’un roman à succès déjà ancien. Lui s’inquiète de l’avenir de l’humanité, appelée à devenir « une espèce inférieure, un dernier brouillon de la création » ; elle se réjouit des mutations à venir. Empédocle d’Agrigente, on s’en souvient peut-être, s’est jeté dans l’Etna. Ou pas ? Il ne restait qu’une sandale pour en témoigner…

Dans la pensée d’Empédocle, l’existence, celle des individus comme de la société tout entière, est par essence un état mixte, tendant tantôt vers l’unité et tantôt vers le morcellement, la « multitude ». À la promesse du pouvoir sur la Nature, fruit du savoir universel, qui conclut aussi bien Nos Frères inattendus que le De la Nature du philosophe, s’oppose la malédiction de l’exil et de la haine, de la fascination pour la destruction et le feu de ses Purifications.

Combinant malicieusement limpidité stylistique et érudition profonde, notre Académicien réussit à renouveler le thème, pourtant des plus classiques en SF, du coût psychologique et social de la présence de surhommes parmi nous. Mais là où ligne de partage était individuelle, biologique chez Jarry (Le Surmâle, 1902) ou idéologique chez Heinlein (par exemple dans le diptyque « Gulf » / Vendredi, 1949/1982), elle devient largement collective et culturelle chez Maalouf.

Comment l’Occident, tout pénétré de sa modernité, gérerait-il l’irruption d’une culture plus moderne encore ? Amin Maalouf avait consacré plusieurs essais, des Croisades vues par les arabes (1983) aux Identités meurtrières (1998), au pas de côté nécessaire à l’appropriation de ce type de choc culturel. Nos Frères inattendus en met en récit toute la difficulté et les paradoxes, ostensiblement incarnés dans ses personnages principaux ; mais c’est peut-être bien plutôt dans les personnages secondaires, comme Adrienne, la filleule d’Alec, médecin fermement décidée à se retrousser les manches sans se poser trop de questions pour s’ouvrir aux nouveaux savoirs, que résident les débuts de solutions suggérés par Maalouf. Sense of wonder, suspension d’incrédulité… Qui sait, peut-être les amateurs de SF ne sont-ils pas les plus mal placés pour affronter la fin de l(a) (pré-)histoire !

Grand Prix de l’Imaginaire 2023

« Terra Ignota » d'Ada Palmer et Les Galaxiales, l'intégrale de Michel Demuth sont lauréats du GPI 2023 !

Grand Prix de l'Imaginaire 2023 : les lauréats !

La saga « Terra Ignota » d'Ada_Palmer (trad. Michelle Charrier) est sacrée dans la catégorie Roman étranger !
Les Galaxiales, l'intégrale de Michel Demuth, complétée par neuf auteurs réunis par Richard Comballot à partir des plans et synopsis, reçoit le Prix Spécial !
Bravo à tout·e·s les lauréat·e·s pour ce beau palmarès !

La Lumière lointaine des étoiles

Après Cœurs artificiels, premier volet d’un diptyque steampunk initialement paru chez Bragelonne il y a une demi-douzaine d’années, Laura Lam, autrice américaine résidant en Écosse, revient par chez nous avec La Lumière lointaine des étoiles. Terre, dans un XXIe siècle bien entamé : notre planète est moribonde, elle n’en a plus que pour trente ans à pouvoir abriter la vie telle que nous la connaissons… même si cela fait trente ans qu’on le dit. Pour Valérie Black, milliardaire visionnaire à la tête de l’entreprise Hawthorne, pas question de baisser les bras. Si les USA ont régressé socialement, écartant les femmes de la plupart des postes à responsabilités, la NASA a tout de même construit, avec l’aide de Hawthorne, un vaisseau spatial, l’Atalanta, et mis au point une propulsion autorisant un déplacement supraluminique. Ce qui tombe bien : Cavendish, une planète habitable, a été découverte à une dizaine d’années-lumière. Y implanter une colonie est du domaine du possible. Et c’est pour éviter de reproduire les mêmes erreurs que sur Terre que Valérie Black s’empare de l’Atalanta avec un équipage de quatre femmes — dont sa fille adoptive, Naomi. Exobotaniste qui a toujours rêvé d’aller dans les étoiles, Naomi a vécu dans l’ombre de sa mère et n’a jamais vraiment coupé le cordon. À mesure que l’astronef se dirige vers Mars, où se trouve l’anneau d’Alcubierre qui l’enverra vers Cavendish, les problèmes s’accumulent tant avec les systèmes de survie qu’au sein de l’équipage… et Naomi découvre bientôt non seulement qu’elle est enceinte, mais que sa mère adoptive a peut-être menti sur certains aspects cruciaux de la mission (vous savez, les omelettes, les œufs…). La question, pour Naomi et ses collègues, est de savoir jusqu’à quel point elles sont capables de suivre Valérie Black pour bâtir un monde nouveau… et meilleur, peut-être.

Faisant mine de commencer comme un space opera féministe s’attachant à corriger l’histoire des Mercury 13 (treize femmes ayant suivi des tests physiologiques identiques à ceux des astronautes de la NASA dans les années 60, mais n’ayant jamais été acceptées dans le programme spatial US), La Lumière lointaine des étoiles bifurque bientôt vers le huis clos questionnant le bien-fondé de la mission : l’enfer, les pavés, les bonnes intentions, etc. Si le premier tiers est laborieux, la suite se montre plus intéressante… moyennant quelques grosses ficelles et une bonne suspension d’incrédulité. Si, d’un côté, le discours écologiste et l’alerte face aux mouvances rétrogrades sont des plus actuels, de l’autre le récit un rien schématique et les facilités d’une intrigue peuplée de personnages falots desservent le roman. Plus actuel que la série « Lady Astronaute » de Mary Robinette Kowal, car ne cherchant pas à réécrire l’histoire et se déroulant dans notre temporalité, La Lumière lointaine des étoiles échoue à se montrer aussi pertinent. Une déception, qui a le mérite de se lire (et de s’oublier) vite.

Éclat de l'aube

Quand Brandon Sanderson, stakhanoviste de la fantasy (mais pas que), se tourne vers la forme courte, cela donne… un roman de taille normale. Toute exagération mise à part, Éclat de l’aube constitue donc un appendice au monumental cycle des « Archives de Roshar », qui vient s’intercaler entre le tome 3, Justicière, et le tome 4, Rythme de guerre. Pour faire simple : Roshar, planète balayée par les vents, est désormais le théâtre d’une guerre entre les humains et les néantifères, une race autochtone désireuse de reprendre ses droits. Mais, loin des champs de bataille et de toute cette agitation, voilà qu’un vaisseau fantôme est découvert au large des côtes. Rysn, jeune maîtresse-marchande ayant perdu l’usage de ses jambes deux ans plus tôt, est propriétaire d’un navire : la voilà missionnée pour que son équipage aille enquêter là où rôdait ce vaisseau abandonné. Il s’y trouve une île, auparavant cernée par une tempête perpétuelle mais accessible depuis peu : une île susceptible de dissimuler des trésors… et plus encore. Quelque chose pouvant donner un avantage aux humains dans le conflit. Pourtant, certaines puissances semblent avoir tout intérêt à ce que le secret demeure. Et Rysn devra faire appel à toutes ses capacités de négociatrice pour mener à bien sa mission.

Celles et ceux qui suivent les « Archives de Roshar » depuis leurs débuts savent Sanderson investi dans la création de son univers, le Cosmère. La présente quête secondaire, où l’on recroise quelques visages connus, a pour atouts l’approfondissement du monde et une protagoniste éminemment attachante. Néanmoins, le récit jusqu’à l’île mystérieuse traîne en longueur, et la nature des antagonistes comme la résolution du conflit pèchent un peu, les premiers par leur importance surprenante au sein du Cosmère, la seconde par sa simplicité.

Reste une parenthèse au sein de la saga sympathique, que l’on conseillera surtout aux aficionados de l’auteur.

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Au-delà du gouffre

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