Le Château des millions d'années illustré
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Découvrez la couverture, illustré par Aurélien Police, du roman Le Château des millions d'années, premier tome de la saga Origines signé Stéphane Przybylski, à paraître en février prochain.
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Découvrez la couverture, illustré par Aurélien Police, du roman Le Château des millions d'années, premier tome de la saga Origines signé Stéphane Przybylski, à paraître en février prochain.
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Faute de place dans les pages de la revue, une partie du cahier critique du Bifrost 76 a été délocalisée sur le web. Retrouvez la suite des critiques de livres sur le blog !
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Le Bifrost n° 76, consacré à J.R.R. Tolkien, est dès à présent disponible, en papier comme en numérique, dans toutes les bonnes librairies de la Terre du Millieu et d'ailleurs !
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Sur le forum, découvrez l'illustration de Bastien Lecouffe-Deharme pour le Bifrost n° 77 spécial Mélanie Fazi !
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Mardi prochain, le 28 octobre, paraîtra Bleu, un nouveau livre audio de la collection Cyberdreams par Francis Valéry. Précommandez-le dès aujourd'hui ou écoutez gratuitement les deux premières pistes !
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Ce recueil de neuf novellas, classées par ordre chronologique et multiprimées, n’a pas son équivalent dans les pays anglo-saxons.
« Sam Hall » se déroule dans une dystopie américaine. En créant de toute pièce la figure d’un rebelle à l’ordre établi à partir d’une chanson du folklore, l’homme ordinaire se dépasse, fait du risque une entreprise morale. Alors que, d’ordinaire chez Anderson, le héros est déjà totalement lui-même, il est ici doublement en devenir, via le champion fictif de la rébellion et à travers un homme qui découvre en lui des trésors de vitalité insoupçonnés. « Penser, c’est dire Non », disait Alain. La nouvelle est publiée en août 1953, année mouvementée pour les États-Unis qui voit se résoudre le conflit en Corée, connaît l’exécution des époux Rosenberg sur la chaise électrique, et subit le pic de virulence de la chasse aux sorcières conduite par Joseph McCarthy.
« Jupiter et les centaures » décrit l’entreprise d’étude de, puis d’implantation à long terme sur, Jupiter, une planète balayée par des ouragans d’ammoniac. Dans cette perspective, Edward Anglesey, handicapé en chaise roulante qui s’est porté volontaire, parcourt la surface via le corps bleu ardoise d’un « pseudo-Jovien » qu’il contrôle psychiquement à soixante-quinze mille kilomètres de distance. En fait, Anglesey se sent plus proche de ce corps que du sien propre, et un désir instinctif le pousse à privilégier ses séjours simulés sur la planète. La vitalité animale qu’il ressent lui rendra son humanité. On l’aura compris, une bonne part d’Avatar de James Cameron est déjà dans ce récit.
« Long cours » est une superbe nouvelle dans la lignée des grands récits d’exploration. Le narrateur est embarqué dans l’équipage du capitaine Rovic. Son navire, Le Sauteur d’Or, est allé plus loin que tout autre bâtiment dans l’exploration de ce nouveau monde. L’état de la culture et de la société équivalent à notre xvie siècle, mais l’on conserve sous forme de croyances le souvenir lointain de Terra, la planète mère. Or, le capitaine découvre un astronef qui, s’il partait, entraînerait dans un mouvement inverse l’arrivée à plus ou moins long terme de la culture terrienne, devenue étrange et étrangère. Rovic a alors une vue claire des deux futurs divergents qui se présentent à son monde. Pour ne pas être dépossédé de l’Histoire qu’il leur reste à bâtir, il fait sauter l’astronef. On pense bien sûr à Hernán Cortés brûlant ses vaisseaux pour obliger ses hommes à découvrir le Nouveau Monde.
« Pas de trêve avec les rois » nourrit une problématique commune au texte précédent. Les Etats-Unis sont déchirés par un conflit post-apocalyptique qui prend la forme d’une nouvelle guerre civile. Comme souvent dans ce type de récit, les deux camps comptent des hommes estimables. En réalité, une force extraterrestre détermine l’avenir du peuple en le manipulant depuis les coulisses de l’Histoire. « C’était surtout pour votre propre bien, vous voyant tellement torturés, que nous désirions vous guider vers l’avenir », plaide l’un des aliens bien intentionnés, mais l’on sait de quoi est pavé l’enfer.
« Le Partage de la chair » explore à nouveau la problématique du même et de l’autre, à travers la confrontation de différents peu-ples issus d’une même souche terrienne. En mission d’étude sur la planète Lokon, le chercheur Donli Sairn est tué par son guide appartenant à une tribu primitive. Cela, sous les yeux de sa femme qui assiste au massacre via son transmetteur audiovisuel. Le corps de l’explorateur semble profané, vidé comme une pièce de gibier. Evalyth, sa veuve, appartient à un peuple fier, combatif. Elle va réclamer justice et découvrir que sur Lokon le rituel anthropophagique est universel. La chute du texte renverse les idées reçues et classe ce brillant récit au côté des singularités ethnologiques présentées par Philip José Farmer dans son cycle du « Père Carmody ».
« Destins en chaîne » est un texte écrit à l’initiative de Keith Laumer et impliquant différents auteurs, où Poul Anderson a choisi de rédiger un pastiche de Philip K Dick. Le personnage central enchaîne les vies qui se complètent ou s’opposent en variations successives.
« La Reine de l’Air et des Ténèbres » poursuit d’une certaine façon « Le Partage de la chair » via la mort du compagnon de Barbro Cullen alors qu’elle était enceinte. Mais surtout ce récit aux accents shakespeariens, qui évoque Le Songe d’une nuit d’été, développe une problématique sur la puissance des archétypes nourrissant l’imaginaire de l’homme, anticipant en bien des points La Forêt des mythagos de Robert Holdstock. L’un des personnages évoque par ailleurs Sherlock Holmes et se réclame de sa descendance, clin d’œil récurrent dans l’œuvre de Poul Anderson.
« Le Chant du barde » pourrait apparaître comme le dernier tableau d’un triptyque incluant « Le Partage de la chair » et « La Reine de l’Air et des Ténèbres », l’esseulé du couple n’étant pas ici la femme mais l’époux qui s’élèvera à la dignité d’Orphée. Volonté de vie contre intelligence suprême, le récit offre une variation d’une constante mythique dé-clinée à travers les différentes cultures, celle de l’affrontement entre l’homme et le dieu qu’il se donne.
« Le Jeu de Saturne » qui clôture l’ouvrage, publié en 1981, anticipe notre époque. On ne peut qu’être terrifié par cette vision d’un univers morne, parcouru dans l’ennui, qui réclame pour être simplement viable de se réfugier dans des espaces virtuels. Une conclusion pessimiste, s’il n’y avait les iné-puisables ressources que l’humain trouve en lui, thème cher à l’auteur.
Au final, ce recueil nous permet de mesurer la remarquable cohérence thématique de Poul Anderson qui procède par variations au fil des nouvelles pour aborder toutes les possibilités d’un sujet. L’un des thèmes récurrents dans Le Chant du barde est le droit et le devoir qu’ont les peuples à se déterminer eux-mêmes. La démarche nous apparaît d’autant plus facilement qu’elle est excellemment mise en lumière.
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A la fin des années 1980, les Presses Pocket se veulent pionnières de la science fantasy en France et ajoutent logiquement à leur catalogue le Poul Anderson de Trois cœurs, trois lions et Tempête d’une nuit d’été. Pour éviter, peut-être, de réduire à cette couleur littéraire le génie créatif de notre auteur, Jacques Goimard décide alors de publier également un recueil rendant justice à l’étendue de sa palette : Le Barde du futur (1988) constituera longtemps, pour le public français, la meilleure introduction aux nouvelles de Poul Anderson.
Six des dix textes courts réunis par Marc Duveau sont alors inédits en français. Parmi ceux-ci, deux, et pas des moindres, « Terrien prends garde ! » (1951) et « Sam Hall » (1953), ont depuis été repris aux éditions du Bélial’ dans Le Chant du barde, et sont évoqués dans d’autres entrées de ce guide de lecture.
Trois petits chefs-d’œuvre ironiques restent introuvables ailleurs. « Epilogue » (1962), d’abord, un texte post-apocalyptique situé dans un futur assez lointain pour qu’une forme d’intelligence, un écosystème et même toute une société soient apparus spontanément à partir des machines survivantes. Une poignée d’humains revient malgré tout sur cette Terre devenue étrangère. Poul Anderson réussit le tour de force de nous faire sentir une improbable empathie pour une intelligence aussi différente de la nôtre qu’il est possible, notre sœur en sensibilité pourtant, en même temps que le drame de l’incommunicabilité sans issue. « La Critique de la raison impure » (1962) met également en scène une intelligence mécanique. Celle-ci est presque trop familière : un concours de circonstances lors de sa mise en service a confit en poésie un robuste robot minier. Comment le convaincre d’aller remplir sa mission dans l’espace ? Réjouissante, la caricature croisée du pur « littéraire » et de « l’ingénieur » est particulièrement réussie. L’humour d’Anderson se fait presque vancien dans « La Vaillance de Cappen Varra » (1957). Ce personnage récurrent est un barde provençal amoureux de l’amour, aussi astucieux qu’allergique au mariage, héros malgré lui d’une heroic fantasy élégante.
« Le Martyr (3) » (1960) s’avère au contraire presque tragique, une réflexion très forte sur la condition singulière de l’homme dans un univers pourtant bienveillant. De bonne tenue globale, les autres textes du recueil sont moins marquants. « Les Enfants de demain » (1947) est la toute première publication SF d’Anderson, une nouvelle post-apocalyptique assez classique. Très classiques, « Duel sur la Syrte » (1951) raconte une partie de chasse sur Mars, et « Interdiction de séjour » (1961) ajoute une touche de perversité aux paradoxes du voyage dans le temps. « Le Barbare » (1956) vaut surtout pour le pastiche de Conan.
Six grands textes, une coupe transversale des thématiques de Poul Anderson : pourquoi se priver de ce recueil généreux, que l’on trouve encore sans difficulté dans les bacs des bouquinistes ?
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The Boat of a Million Years est un roman-fleuve de Poul Anderson, publié en 1989 et nominé la même année pour le Nebula du meilleur roman. Fleuve par le nombre des caractères qui le composent autant que par l’amplitude de temps qu’il aborde ; trop fleuve, peut-être.
Trois ans après le succès de Highlander, Anderson raconte son histoire d’immortels traversant les siècles sans prendre une ride. D’où leur vient ce don ? Mystère. Une combinaison hautement improbable de gènes est sans doute la cause d’une longévité qui ne protège pas, néanmoins, d’une mort violente ou accidentelle. Mais ni duel ni quickening ici. Les immortels découvrent un jour qu’ils ne vieillissent plus, et doi-vent s’adapter à une situation qui peut les mettre au ban de la société.
Le roman débute quand Hanno, marin phénicien déjà bien plus vieux que la normale, embarque avec Pythéas pour explorer le Nord ; puis le récit saute de siècle en siècle, jusqu’au xxe et au-delà, vers l’espace lointain et le premier Contact.
Au fil de ce temps long, le lecteur suit une poignée de personnages qui ignorent, pour la plupart, s’ils ont des congénères dotés du même pouvoir. De lieu en lieu et d’époque en époque, du Japon médiéval aux plaines à bisons d’Amérique, du Far West à Constantinople, de la Kiev russe à la Chine impériale en passant par les déserts arabes, on suit la quête d’Hanno, qui, des millénaires durant, cherche ses semblables, et finit par les réunir au xxe siècle. Les huit partiront finalement pour les étoiles quand une humanité devenu posthumaine sombrera dans l’égotisme individualiste, n’offrant plus ni relation authentique ni espace sauvage à explorer ou à vaincre. Ils y rencontreront d’autres spatiopérégrins et trouveront une réponse au paradoxe de Fermi.
Au fil des pages, le lecteur découvre combien il est éprouvant de voir vieillir puis mourir ceux qu’on aime, et plus encore de réaliser que cette issue est inéluctable, immuable ; éviter donc de s’attacher — même s’il est tout aussi difficile de rester solitaire pour l’éternité. Il voit la nécessité de changer régulièrement d’identité pour ne pas être inquiété — même si, hors des religions du Livre, l’immortalité est acceptée comme signe de sainteté et non commerce démoniaque.
Ceci lui est présenté par le biais d’une succession de récits courts, organisés chronologiquement, tantôt rapprochés, tantôt espacés de plusieurs siècles. Puissants, religions, empires passent et disparaissent. Restent les immortels, et le commerce, qui irrigue tel un fluide vital l’organisme de la communauté humaine et en constitue le pouls. Chaque récit donne à voir, sentir, entendre la réalité d’un lieu et d’une époque. Et Anderson excelle dans cet exercice. On parcourt les rues de Massalia, de Constantinople, de Kiev, les plaines indiennes, les montagnes chinoises ; on est assailli par les sensations que distille l’auteur. On y est presque physiquement ; c’est à cela que sert la littérature.
Mais ce luxe de détail et l’amplitude balayée se paient aussi. Au fil de la progression, la succession des vignettes, très peu liées, finit par lasser. Le passage du temps historique à celui de la SF donne une impression de déséquilibre, comme si on avait accolé deux textes ou si les deux premiers tiers du roman n’étaient qu’un interminable prologue au véritable récit. Ce qui lie le tout, mis à part le libertarisme d’Anderson, c’est l’idée — illustrée déjà dans The Enemy Stars — que ce qui nous rend humains, c’est la soif d’exploration, la volonté de savoir ce qu’il y a de l’autre côté de la colline, même au péril de notre vie. Hanno est un navigateur, ce n’est pas un hasard. Pas un hasard non plus s’il quitte une Terre aseptisée pour aller naviguer sur les mers d’un monde à des milliards de kilomètres de sa Phénicie d’origine.
Un beau roman malgré sa longueur excessive et sa structure étrange.
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[Critique commune à Roma Mater et Les Neuf Sorcières.]
Fin du IVe siècle apr. J.-C. Gratillonius, centurion en poste sur le Mur d’Hadrien, est envoyé en Armorique afin de consolider cette région, ce qui permettra au général Maxime, qui vient de se proclamer empereur, de marcher sur Rome en assurant ses arrières. Gratillonius traverse une Gaule ravagée par les barbares, mais aussi par la corruption gangrénant un empire sur le déclin, et à peine est-il arrivé dans les faubourgs d’Ys qu’il est défié par son roi, une brute gauloise qu’il tue promptement. Du coup, il se voit couronné roi d’Ys, à sa grande surprise. C’est que les neuf reines avaient suscité sa venue, désireuses qu’elles étaient de se débarrasser de leur tyran. Ys est une ancienne colonie carthaginoise qui a édifié sa puissance grâce à ses dieux tutélaires. Sise à la lisière de la terre et de la mer, la cité était menacée d’engloutissement à l’époque de César, mais la reine Brennilis a fait alliance avec le dictateur, et ce sont des ingénieurs romains qui ont bâti le bassin à seuil et les remparts qui protègent Ys des assauts de la mer.
Gratillonius se retrouve dans une situation qui sert ses intérêts, étant à la fois préfet de Rome et roi d’Ys. Il apprend à connaître et à aimer ses neuf épouses, même s’il n’a d’yeux que pour la plus jeune, la belle Dahilis. La coexistence entre Ys, vouée à ses dieux païens, son nouveau roi, adepte de Mithra, et l’empire qu’il représente, de plus en plus christianisé, ne va pas se faire sans tragédies. La plus terrible frappera Gratillonius en plein cœur : outrés par ses actions impies, les dieux d’Ys exigent que l’une des reines effectue pendant le solstice d’hiver une veille sur l’île de Sena, ce qu’elles sont pourtant dispensées de faire par gros temps. Et il faut que cette reine soit enceinte… Dahilis périra en donnant le jour à une fille, que Gratillonius réussira à sauver. Il l’appellera Dahut…
Difficile de résumer ce roman ample, plein de souffle, dont l’intrigue se déroule sur une durée de vingt ans, qui brasse quantité de personnages et décrit, en raccourci, la chute d’une civilisation, voire de plusieurs, et le conflit entre les religions. Peu à peu, on voit Gratillonius, qui réussit à maintenir la paix en Armorique et à la protéger des pirates irlandais, perdre ses illusions à propos de Maxime, son empereur en qui il découvre un tyran dévoré d’ambition. Une fois Maxime renversé, Gratillonius doit protéger Ys de ses successeurs. Si l’Empire romain est secoué de convulsions, la montée du christianisme y a plus que sa part. Quoi-que demeurant fidèle à Mithra, Gratillonius sera obligé de composer avec les chrétiens, au premier rang desquels l’évêque Martin (futur saint Martin de Tours) et, bien évidemment, l’ermite Corentin, qui deviendra le chorévêque d’Ys. Une brève mention du futur saint Patrick laisse deviner un avenir chrétien pour les habitants de l’Irlande. Mais tous les acteurs de ce roman seraient à citer, des personnages historiques faisant une apparition mémorable — ainsi le poète Ausone —, aux personnages fictifs, à la psychologie souvent complexe — tel Rufinus, le Bagaude.
Quant à son épine dorsale, il s’agit d’un thème cher à Poul Anderson : la lutte contre l’entropie, les efforts d’un homme pour préserver les siens du chaos, la tentative pour bâtir un domaine unifié et pacifié où pourra s’épanouir une civilisation digne de ce nom. Sur le plan stylistique, on est plus proche des romans historiques d’Anderson que de ses romans mythologiques. Cette orientation se retrouve dans l’écriture, fortement classique, et dans la narration, qui joue beaucoup sur le rythme des saisons, l’évocation de bonheurs domestiques, le feu de la passion éveillant les sens d’un personnage jusque-là ordinaire. Les traits saillants de Gratillonius sont ceux du héros andersonien typique. Son combat est celui de Dominic Flandry : retarder le plus possible la venue de la Longue Nuit, préserver pour les siens un domaine qui soit à l’abri des bouleversements du monde.
Il est regrettable que ce grand roman historique — la fantasy n’y est que suggérée — ait vu sa parution interrompue en France après son deuxième épisode. Espérons que ce n’est que partie remise.
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[Critique commune à Roma Mater et Les Neuf Sorcières.]
Fin du IVe siècle apr. J.-C. Gratillonius, centurion en poste sur le Mur d’Hadrien, est envoyé en Armorique afin de consolider cette région, ce qui permettra au général Maxime, qui vient de se proclamer empereur, de marcher sur Rome en assurant ses arrières. Gratillonius traverse une Gaule ravagée par les barbares, mais aussi par la corruption gangrénant un empire sur le déclin, et à peine est-il arrivé dans les faubourgs d’Ys qu’il est défié par son roi, une brute gauloise qu’il tue promptement. Du coup, il se voit couronné roi d’Ys, à sa grande surprise. C’est que les neuf reines avaient suscité sa venue, désireuses qu’elles étaient de se débarrasser de leur tyran. Ys est une ancienne colonie carthaginoise qui a édifié sa puissance grâce à ses dieux tutélaires. Sise à la lisière de la terre et de la mer, la cité était menacée d’engloutissement à l’époque de César, mais la reine Brennilis a fait alliance avec le dictateur, et ce sont des ingénieurs romains qui ont bâti le bassin à seuil et les remparts qui protègent Ys des assauts de la mer.
Gratillonius se retrouve dans une situation qui sert ses intérêts, étant à la fois préfet de Rome et roi d’Ys. Il apprend à connaître et à aimer ses neuf épouses, même s’il n’a d’yeux que pour la plus jeune, la belle Dahilis. La coexistence entre Ys, vouée à ses dieux païens, son nouveau roi, adepte de Mithra, et l’empire qu’il représente, de plus en plus christianisé, ne va pas se faire sans tragédies. La plus terrible frappera Gratillonius en plein cœur : outrés par ses actions impies, les dieux d’Ys exigent que l’une des reines effectue pendant le solstice d’hiver une veille sur l’île de Sena, ce qu’elles sont pourtant dispensées de faire par gros temps. Et il faut que cette reine soit enceinte… Dahilis périra en donnant le jour à une fille, que Gratillonius réussira à sauver. Il l’appellera Dahut…
Difficile de résumer ce roman ample, plein de souffle, dont l’intrigue se déroule sur une durée de vingt ans, qui brasse quantité de personnages et décrit, en raccourci, la chute d’une civilisation, voire de plusieurs, et le conflit entre les religions. Peu à peu, on voit Gratillonius, qui réussit à maintenir la paix en Armorique et à la protéger des pirates irlandais, perdre ses illusions à propos de Maxime, son empereur en qui il découvre un tyran dévoré d’ambition. Une fois Maxime renversé, Gratillonius doit protéger Ys de ses successeurs. Si l’Empire romain est secoué de convulsions, la montée du christianisme y a plus que sa part. Quoi-que demeurant fidèle à Mithra, Gratillonius sera obligé de composer avec les chrétiens, au premier rang desquels l’évêque Martin (futur saint Martin de Tours) et, bien évidemment, l’ermite Corentin, qui deviendra le chorévêque d’Ys. Une brève mention du futur saint Patrick laisse deviner un avenir chrétien pour les habitants de l’Irlande. Mais tous les acteurs de ce roman seraient à citer, des personnages historiques faisant une apparition mémorable — ainsi le poète Ausone —, aux personnages fictifs, à la psychologie souvent complexe — tel Rufinus, le Bagaude.
Quant à son épine dorsale, il s’agit d’un thème cher à Poul Anderson : la lutte contre l’entropie, les efforts d’un homme pour préserver les siens du chaos, la tentative pour bâtir un domaine unifié et pacifié où pourra s’épanouir une civilisation digne de ce nom. Sur le plan stylistique, on est plus proche des romans historiques d’Anderson que de ses romans mythologiques. Cette orientation se retrouve dans l’écriture, fortement classique, et dans la narration, qui joue beaucoup sur le rythme des saisons, l’évocation de bonheurs domestiques, le feu de la passion éveillant les sens d’un personnage jusque-là ordinaire. Les traits saillants de Gratillonius sont ceux du héros andersonien typique. Son combat est celui de Dominic Flandry : retarder le plus possible la venue de la Longue Nuit, préserver pour les siens un domaine qui soit à l’abri des bouleversements du monde.
Il est regrettable que ce grand roman historique — la fantasy n’y est que suggérée — ait vu sa parution interrompue en France après son deuxième épisode. Espérons que ce n’est que partie remise.