Starship Troopers
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S’il se trouve bien un roman fameux de Robert Heinlein, c’est assurément Starship Troopers, plus connu sous le titre d’Etoiles, garde à vous sous nos latitudes. Publié pour la première fois en 1959, Prix Hugo en 1960, il a rapidement acquis une énorme renommée dans le milieu de la science-fiction, tout en suscitant diverses polémiques.
Cinquante ans plus tard, le roman s’est définitivement installé comme un classique du genre (ce qui ne l’empêche pas de provoquer encore de vives réactions). Il faut dire qu’entre-temps, Starship Troopers est devenu un long-métrage sous la férule de Paul Verhoeven, ce qui lui a naturellement amené nombre de nouveaux lecteurs.
Commençons par l’histoire elle-même : Johnnie Rico est un jeune Philippin de bonne famille. Comme tous les jeunes hommes de son âge ou presque, il rêve d’accomplir quelque chose, d’autant plus s’il peut, au passage, contrarier son père et ses ambitions. Il décide donc de s’engager dans l’armée aux côtés de plusieurs de ses camarades, et se retrouve dans l’Infanterie Mobile de la Fédération Terrienne. En effet, la Terre est désormais aux mains des militaires après la longue période d’anarchie qui a suivi la dernière guerre. Alors qu’il s’apprête à suivre un entraînement intensif, Rico ne se doute pas qu’il va devoir affronter les terribles Arachnides…
Le roman s’ouvre sur une scène de guerre entre les alliés des Arachnides — les Squelettes — et les marines de l’Infanterie Mobile, en l’occurrence le régiment de Rico, les
« Têtes Dures de Rasczcak ». S’il faut bien rendre justice à une des composantes majeures de ce récit de 300 pages, c’est la capacité de l’auteur à nous plonger dans la tête d’un soldat, à nous faire partager ses préoccupations et à rendre l’atmosphère toute particulière d’une bataille future. Avec une précision clinique, sans trop en faire, Heinlein nous présente l’armement (un passage du livre est consacré au fameux scaphandre de combat des marines), les tactiques mises en œuvre, sans parler des diverses contraintes subies par les soldats.
Cet aspect se retrouvera tout au long du livre mais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, celui-ci ne se résume pas à une succession de batailles, s’attardant bien davantage sur l’entraînement de Johnnie et ses états d’âme en tant que jeune recrue (puis plus tard en tant que cadet). Une recrue larguée dans un monde tout ce qu’il y a de plus effrayant : le camp d’entraînement militaire. De front, l’auteur va mener le lecteur dans l’univers futuriste de la Fédération Terrienne en expliquant ses rouages mais aussi ses raisons d’être, tout en décrivant la vie quotidienne du jeune militaire. Un quotidien fait de souffrances autant physiques que morales et d’une bonne dose de peur. Le tout s’imbrique fort bien et permet de ne pas lasser le lecteur. Sur le plan du style et de la construction, Heinlein n’a, en 1959, plus rien à prouver : aucun défaut à signaler ici.
Cependant, il faut aussi considérer le fond qui a tant fait polémique et divisé autant la critique que les lecteurs. A première vue, Etoiles, garde à vous apparaît comme un roman ouvertement militariste. Robert Heinlein y décrit une utopie militaire où le citoyen n’a le droit d’être considéré comme tel, et même de voter, qu’en ayant fait son service. Les autres ne restent que des « civils », avec tout le dédain que cela peut présupposer. L’armée semble, dans cet avenir, être la réponse ultime aux problèmes de la société : elle met les jeunes au pas, assure la sécurité de la race humaine et permet avant tout de former des gens qui font passer le bien commun avant le leur. Est aussi décrite une « utopie » de toute la chaîne militaire : le soldat est irréprochablement discipliné, la formation, aussi dure soit-elle, permet de fabriquer des éléments polyvalents et sûrs, les officiers sont triés sur le volet et la hiérarchie proche de la perfection.
Il est donc certain que dans cette optique, les idées véhiculées peuvent être plus que contestables, mais il convient de considérer plusieurs éléments avant d’affirmer que l’auteur fait l’apologie d’une certaine conception martiale, voire fasciste de la société. Avant tout, cette armée « parfaite » est à plusieurs reprises remise en question (notamment par le biais de sanctions atrocement sévères et injustes). Par ailleurs, à plusieurs occasions, tout en nous présentant une armée future capable de résoudre tous les problèmes, Heinlein décrit l’armée de son époque, celle du XXe siècle, comme une absurdité, en profitant alors pour décrypter ses rouages et mettre en exergue ses nombreuses lacunes.
Il faut également rappeler que si l’auteur a choisi un contexte où les militaires ont pris les commandes de la civilisation humaine, c’est aussi parce que celle-ci avait sombré dans le chaos et l’anarchie engendrés par l’effondrement total des puissants états de jadis. Le choix est offert entre un ordre certes dur (et souvent injuste) et une totale absence d’ordre qui laisse libre cours aux plus vils instincts humains.
Mais le roman ne se limite pas à ce simple aspect. Robert Heinlein en profite pour évoquer le droit de vote et la valeur des choses (« valeur » au sens marxiste du terme, ne peut-on s’empêcher de penser ça et là). Pour l’auteur, le citoyen n’a pas que des droits mais aussi des devoirs, clairement, et la valeur des choses s’acquiert par l’effort fourni pour les obtenir. Droit de vote, liberté et paix n’ont de valeur que si on se donne la peine de leur donner un sens, par notre sueur notamment. On trouvera un écho franc de ce discours dans nombre de situation actuelles, à l’heure où beaucoup ne se donnent plus la peine de faire valoir leurs droits en s’acquittant de leurs devoirs, même le plus élémentaire. En donnant au service militaire un rôle sociétal tout à fait central, Heinlein met évidemment la plupart des lecteurs d’aujourd’hui mal à l’aise ; ce qui n’empêche pas son discours sous-jacent d’être extrêmement intéressant et surtout parfaitement développé tout au long du roman.
D’autres idées traversent le récit : une réflexion sur la délinquance, la répression et sur la peine de mort. Encore une fois, l’auteur déploie un arsenal d’arguments pour convaincre. Sa démonstration est tout à fait intéressante, même si certains éléments de celle-ci restent peu convaincants et typiquement américains (l’utilisation comme exemple du « cas » de la gentille fillette tuée par le méchant monsieur est évidemment simpliste, pour ne pas dire démago). On ne peut pourtant pas enlever à l’auteur d’Etoiles, garde à vous une lucidité et une clairvoyance dans son analyse de la délinquance, qu’il décrit déjà en 1959 comme un phénomène touchant aussi bien les rues que les jardins d’enfants, sans que les mesures répressives envisagées aient une quelconque efficacité. La réponse de l’auteur réside évidemment dans l’éducation qui ne doit pas faillir.
En définitive, la réputation militariste d’Etoiles, garde à vous est, sinon injuste, pour le moins réductrice, car si le monde décrit est évidemment « militaire », le propos sous-jacent de l’auteur ne l’est pas.
On se permettra même de voir dans son adaptation sur grand écran, par Paul Verhoeven, une interprétation remarquable d’intelligence du livre de Heinlein. Poussée à l’extrême, son utopie militaire prend à l’écran des allures d’immense farce et va même jusqu’à évoquer le nazisme.
Toutes les réserves que l’on pourrait émettre sur les prises de position de l’auteur ne sauraient priver Etoiles, garde à vous de son statut de classique. Nous voilà en présence d’un livre bien écrit, prenant, fort, qui provoque sans cesse la réflexion. Un roman tout simplement indispensable.