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Le Tueur venu du Centaure

Sa dernière bouteille de whisky ayant rendu l’âme, Karen Novalsky expérimente de nouvelles sensations pas franchement agréables. Interrompant son malaise, un drôle de zigue s’assoit devant elle et lui adresse la parole en latin. Immédiatement, Karen perçoit le flic derrière les apparences, autant dire l’ennemi de sa raison sociale : détective privé. Pourtant, elle se résout à l’écouter exposer son problème. Le type, apparemment un dingue, lui demande de rechercher son double schizophrénique, désormais aux abonnés absents. Histoire de la convaincre du sérieux de la proposition, il balance 10 000 dollars sur le bureau et il lui en promet autant au terme de l’enquête. Un dingue, on vous dit ! Combien de bouteilles peut-on s’offrir avec une telle somme… Bref, Karen accepte et le type lui confie une photo de son dou-ble avec un nom inscrit au dos : Tony Montaldi. Cet événement n’est bien sûr que le prélude d’une enquête tortueuse, entre univers virtuel et réel, entre Terre et espace, assortie de moult rebondissements, d’une I.A. facétieuse ayant besoin de se défouler, de porte-flingues affublés de têtes de cheval ou de chien et de Belzébuth himself accompagné de ses légions infernales. Une enquête emberlificotée au point de se frapper la tête contre un mur ou, à la rigueur, de reprendre un scotch benzédrine.

On l’aura attendue longtemps, la fin du cycle de Narcose. Entre la publication initiale dans la collection « Présence du Futur » et la réédition, réécrite en partie, chez La Volte, se sont écoulées pas moins de vingt et une années. De quoi se faire des cheveux blanc, au sens propre comme au figuré. De quoi également se faire un sang d’encre, de supionar bien entendu. Pour autant, notre patience se voit-elle finalement récompensée ? Oui, se retient-on de crier de manière péremptoire. Affichons notre satisfaction et fustigeons-nous pour avoir craint, l’espace d’un instant, le pire.

Le Tueur venu du Centaure est au moins aussi déjanté, (faussement) foutraque et maîtrisé de bout en bout que ses prédécesseurs. A sa manière inimitable, Jacques Barbéri nous embarque dans une histoire baroque, passant les poncifs du roman noir et de la science-fiction au mixeur de son imagination. Et le lecteur, heureux, de se couler avec délectation dans l’univers de Narcose le roman (une atmosphère idéalement restituée par l’illustration de Philippe Sadziak), retrouvant aisément ses repères : lolitrans, amphécafés, gigaragnes, chupabombers, plastitêtes et autres psychomachines. Toutefois, Barbéri ne profite pas de l’accoutumance de son lectorat pour bâcler le travail. Bien au contraire, l’auteur maîtrise son univers et ses références, l’un se nourrissant des autres pour générer une synergie intertextuelle dont on se régale. Celle-ci convoque un second niveau de lecture sans pour autant exclure les néophytes. Toutefois, le procédé participe un tantinet au plaisir de lecture.

Fort heureusement, même si on jubile en reconnaissant les références à Clifford D. Simak, Lewis Carroll, Terry Gilliam ou Michael Moorcock (et j’en oublie sans doute), Le Tueur venu du Centaure déjoue avec brio les pièges découlant de ses diverses influences. Jacques Barbéri envoie valdinguer les clichés inhérents à la science-fiction et au roman noir ; il s’en amuse même, contaminant ceux-ci avec ses obsessions organiques et un brin d’esprit rabelaisien. Il continue surtout de se poser la question très dickienne de la perception du réel en étendant celle-ci au do-maine de la littérature. Entre délire mystique, approche mythologique, physique quantique, l’auteur fait voler en éclat toutes les frontières entre ces thématiques, malmène les certitu-des et se permet de conclure son cycle sur une touche édénique (comprenne qui lira).

Avec Le Tueur venu du Centaure, Jacques Barbéri met un point final en forme de point d’orgue au cycle de Narcose. Virtuel et réel, comme roman noir et science-fiction, copulent nonchalamment pour accoucher de chimères fort réjouissantes. Incontestablement une expérience à tenter, au moins pour découvrir l’une des plumes les plus inventives de l’Imaginaire francophone.

Chien du heaume

La vie n’a pas été tendre avec Chien et cette dernière le lui rend bien. Courte sur jambes, un peu grasse, le visage couturé de cicatrices, bref un physique ingrat assez éloigné de celui des dames à la licorne, elle taille la route depuis son plus jeune âge. Louant ses talents de tueuse à des employeurs pas toujours très reconnaissants ni recommandables, Chien guer-roie pour des causes rarement justes. Pourtant l’amitié ru-gueus de ses compagnons d’armes et la carapace qu’elle s’est forgée au fil du temps masquent à peine le vide béant qui la hante. Elle aimerait bien le remplir avec un nom : une identité tangible, un point d’ancrage dans le passé, voire une lignée à laquelle se rattacher. Baste ! De tout cela, elle en a été privée en tuant son père. Un secret au moins aussi lourd à porter que cette hache attachée à sa taille.

Histoire âpre dans un monde ne l’étant pas moins, Chien du Heaume n’incite guère à la gaîté. Dans un univers crépusculaire, résonnant comme la fin d’un monde, Justine Niogret prend le contre-pied des imbuvables trilogies et autres bidulogies de BCF peuplées d’archétypes répétitifs et de faux antihéros. Ce premier roman d’un auteur dont on a pu lire jusqu’ici qu’une poignée de nouvelles, adresse en effet aux poncifs du genre un malicieux pied de nez et profite de l’occasion pour nous brosser un superbe portrait de femme. Le tout empaqueté dans une langue pseudo médiévale du plus bel effet. Et même si l’ensemble n’est pas parfait, en particulier les quelques fils de l’intrigue ayant recours à l’onirisme (un peu superflu, ou alors manquant de développement), avouons incontinent notre enthousiasme avec un zèle contenu à grand peine.

En dépit de l’absence de marqueurs historiques identifiables, toponyme, fait datable ou daté (tout au plus fait-on référence aux Norrois), ou personnages attestés dans les chroniques, Chien du Heaume sonne pourtant authentique. Une authenticité ne craignant ni l’anachronisme, ni le recours aux ressorts d’une fantasy débarrassée ici de la grosse artillerie et de la poudre de merlin-pinpin. Une authenticité rugueuse, brute, qui tousse, pue, ripaille, vit et meurt sans laisser plus de trace qu’une charogne. Au plus près de l’humain, Justine Niogret dépeint une époque obscure, ensauvagée, rythmée par des hivers glacés et des étés ardents. Une époque en passe d’être supplantée par un nouvel ordre plus conforme à l’idéal chrétien. Dans ce Moyen Age encore mal dégrossi, fuyant à la fois les artifices du merveilleux et les dorures héroïques de l’épopée, elle nous embarque dans une quête intime, quasi-viscérale : celle de Chien. Personnage complexe, tourmenté et pourtant capable d’agir sans manifester aucun état d’âme, Chien en devient attachante. Au fil de ses pérégrinations, des étapes, elle rencontre ses contemporains : des vilains prêts à mordre la main qui les protège au moindre signe de défaillance, des mercenaires comme elle, prêts à se vendre au plus offrant, des trouvères à la langue plus ou moins fourchue, des religieux traquant hérésie et paganisme pour imposer leur Dieu et ainsi ouvrir le chemin à l’aliénation en découlant. Enfin, des solitaires comme elle, plongés dans leurs souvenirs, attendant la fin et espérant que l’on se souviendra d’eux. « Un nom fait toute la différence, parce que tout ce qui a de l’importance, sur cette terre, en porte un. »

En 216 pages, lexique et notes de l’auteur compris, tout est dit, achevé. Et le lecteur, encore ébahi par cette plongée dans un âge obscur, de rester marqué durablement par les êtres de chair et de sang dont il vient de lire l’histoire. Une espèce rare en fantasy. Maintenant, confessons notre impatience de lire Justine Niogret dans un autre registre, par exemple celui dévoilé dans les notes. On en salive d’avance.

Big Fan

Proposé chez Inculte sous une couverture typée comics avec en cadeau plusieurs photographies bidouillées par Daylon (sous forme d’un dépliant en fin de volume), le nouveau Fabrice Colin détonne dans la production francophone. Et ça tombe bien, Big Fan s’affranchit allègrement des codes pour s’orienter vers une littérature à la fois outrancière et maîtrisée. Maîtrisée car l’auteur y développe une histoire impeccable de bout en bout, aux dialogues ciselés. Outrancière car le sujet plonge au cœur même du dé-lire absolu et de la théorie du complot. Des thèmes qui raviront les fans de Colin et les autres, assoiffés de S-F ou pas.

Premier constat : Colin sait où il va. Les milliers de pages pro-duites depuis quelques années par ce graphomane professionnel finissent forcément par payer. Deuxième constat : Colin balade son lecteur avec in-telligence et une certaine forme d’humour glacé. Troisième et dernier constat : Colin signe ici un texte impressionnant, drôle et tragique, prenant et malin, avec un fond et une forme. Autant dire que la littérature en sort largement gagnante, qu’on l’estampille S-F ou qu’on se moque de l’emballage. De fait, Big Fan se présente résolument comme autre chose. Une sorte de roman post-punk qui amuse autant qu’il terrorise. Et pourtant, l’idée de base est de celles qui rebutent. Un roman sur Radiohead ? Le triste groupe anglais dépressif dont les textes indigents plombent les mélodies faciles ? Oui oui, Radiohead, ce groupe-là. Et pour ceux qui détestent — ou plus simplement — n’en ont rien à foutre, ouvrir Big Fan est une épreuve. Heureusement, Fabrice Colin se sert de Radiohead comme prétexte. Son roman raconte surtout l’histoire de William Madlock, fan obèse (et transi) de Radiohead. Ce brave type à la fois cruel et lucide mène une vie assez compliquée. Il vit chez sa mère, croise rarement un père alcoolique — et absent — possède un iguane et jette sur le monde un regard aussi précis qu’horrifié. Mais cette saine acuité (parfois hilarante, à tel point qu’on songe immédiatement à Ignatius J. Reilly) cache une démence bien plus in-quiétante, celle du fan. Du fan ultime. Du fan qui lui seul comprend les textes de Radiohead. Qui sait additionner deux et deux et qui décode chaque message secret inscrit dans les notes des chansons, destinées aux seuls initiés. Et Bill Madlock le sait : la fin du monde a déjà eu lieu. Pas grave, sa mission à lui, c’est de protéger Radiohead. Coûte que coûte. Avant que tout s’écroule.

En parallèle de cette histoire assez troublante (notamment dans la logique de l’ensemble et des mécanismes qui la sous-tendent), on suit le parcours de Radiohead-le-groupe, raconté par un tâcheron, dont la prose facile subit quelques corrections radicales. Et pour finir, une troisième voix complète l’ensemble. Celle d’un Bill Madlock plus vieux, enfermé dans un asile pour une raison qu’on découvrira à la fin. Trois voix pour un seul roman, trois voix mêlées qui racontent la même histoire, le mécanisme de la folie, la perte de la réalité, les princi-pes de l’addiction et l’horreur quotidienne que ces dysfonctionnements entraînent. Loin de tout pathos et malgré l’apparente complexité de l’intrigue, Big Fan est d’une rare limpidité. Il contient par ailleurs quelques scènes d’anthologie (sexuelles, notamment, et tristement jolies), plusieurs réflexions bien senties et quelques moments de grâce. Le tout en restant divertissant, passionnant par bien des aspects, et ce quel que soit l’intérêt que le lecteur porte à Radiohead. De ce point de vue, c’est un tour de force. D’un point de vue purement littéraire, Big Fan fonctionne. Il fonctionne tellement bien qu’on pourrait bien avoir affaire au meilleur Fabrice Colin. Autant dire qu’on en redemande et qu’on attend de pied ferme les prochains romans (d’ici quinze jours, s’il garde le rythme).

Jakabok

Il est peu de dire qu'il y avait comme une attente autour de ce Jakabok. À cela une double raison : l'immense talent de Barker, évidemment, créateur multigenres et multicartes (littérature, BD, peinture, cinéma, conception d'attractions foraines et on en oublie…), et aussi le fait que nous étions restés sur une impression mitigée à la lecture de Coldheart Canyon, son dernier roman adulte (critique in Bifrost n°38), paru en France en 2004 — soit six années derrière nous, ce qui fait tout de même un bail —, livre imposant émaillé de vraies fulgurances mais aussi de longueurs éreintantes. Ainsi donc Clive Barker, l'enfant terrible des littératures de l'Imaginaire anglaises, nous revient-t-il enfin, chez Denoël, et ce avec un livre (surprise !) court pour le moins… Alors ?

Jakabok nous narre, à la première personne du singulier, s'il vous plaît, les aventures du susnommé Jakabok Botch, démon du Neuvième Cercle. Sa vie, son œuvre, et surtout comment il quitta les Enfers et parcourut le monde, entre le XIVe et XVe siècle, en compagnie de Quitoon, un autre démon, et ce jusqu'à sa rencontre avec Johannes Gutenberg, dont l'invention semble bien partie pour provoquer l'Armageddon… Manière de roman d'apprentissage, donc, mâtiné de conte philosophique aux épisodes ayant valeur d'exemplarité, un peu à la façon d'une certaine littérature du XVIIIe. Las, Barker n'est ni Sade ni Voltaire, et ce qui commençait comme une boutade assez hilarante, notamment dans toute la partie infernale des aventures de ce héros défiguré par un père aussi démon qu'ogre, finit par lasser tant l'auteur semble tirer à la ligne et se répéter. À commencer avec le procédé de prosopopée dont il use et abuse du début jusqu'à la fin de l'ouvrage — Jakabok étant sensé être prisonnier de son propre livre, « être » ni plus ni moins que le livre lui-même, ce dernier ne cesse de s'adresser au lecteur, de le « tenter » afin qu'il brûle l'ouvrage en question et ainsi le libère.

Certes, l'humour ravageur fait parfois merveille, certes encore, on retrouve certains des thèmes chers à l'auteur d'Imajica — fascination pour la monstruosité, tant physique que morale, amours déviants, réflexions autour de la création, le héros démoniaque étant ici à la fois le sujet de l'œuvre et l'œuvre elle-même, etc. Mais si Jakabok ne se lit pas sans un certain plaisir, on n'en reste pas moins convaincu qu'il y avait là de quoi faire une nouvelle formidable et que l'auteur, étirant sa matière à n'en plus finir, en a fait un roman tout juste moyen…

Le démon Jakabok Botch se cache peut-être bien sous la couverture du présent ouvrage. Mais une chose est sûre : le Clive Barker du vertigineux Sacrements, lui, n'y est pas. Dommage. Et en attendant de voir si on le retrouvera dans les pages de son prochain recueil annoncé en VO courant 2010, on ne manquera pas de se précipiter sur la toute récente réédition du Royaume des devins chez Folio « SF » (tout en tachant de faire fi de sa couverture immonde, comme il se doit). Croyez-moi, il y a là de quoi oublier la présente déception…

Léviathan 99

Qu’on soit fan ou pas, un nouveau livre signé par l’auteur des Chroniques Martiennes, c’est toujours un événement. Celui-ci, inédit dans sa composition, constitue en fait l’assemblage de deux recueils américains : The Cat’s Pajama et Now and Forever, séparés par la nouvelle « La Chrysalide » (jamais traduite en France et adaptée en long-métrage par Tony Baez Milan en 2009). L’occasion de découvrir vingt-cinq récits du maître américain qui file tout droit vers ses 90 ans.

The Cat’s Pajama comprend vingt-et-un textes écrits entre 1946 et 2003, qui, comme le rappelle la quatrième de couverture, abordent « tous les genres de l’imaginaire : de la chronique estivale, mélancolique, à la science-fiction poétique en passant par le fantastique horrifique ». Et on peut ajouter le poème et l’autobiographie. Résultat : à chaque début de nouvelle, on ignore totalement l’univers dans lequel on va être plongé. Ce qui peut surprendre et s’avérer d’autant plus plaisant. Quand on espère du fantastique, c’est de l’autobiographie ; on veut de la science-fiction, on se retrouve avec un poème. On passe d’un hymne à la tolérance avec « Le Jeune homme et la mer » à un récit angoissant dans « L’Ile », d’un texte policier avec « Mort d’un homme prudent » à une nouvelle fleur bleue dans « Le Pyjama du chat »… Cette hétérogénéité, certes enrichissante, a toutefois ses inconvénients. Les attentes, quelles qu’elles soient, sont parfois déçues. Quand on entame une lecture, on ne peut se départir d’envies, de représentations qui nous préparent à en apprécier le contenu. Ici cette anticipation tourne court, l’ensemble s’avérant par trop inégal. Malgré tout cette première partie, environnée d’un sentiment de nostalgie fugace mâtiné d’un soupçon de tristesse, n’en demeure pas moins agréable, même si dénuée de texte véritablement marquant.

« La Chrysalide » reprend le thème classique de la métamorphose : un homme qui devrait être mort survit on ne sait comment dans une sorte de gangue rigide. Les scientifiques qui suivent son cas s’affrontent pour savoir quel sort lui faire subir : détruire ce danger potentiel ou protéger ce futur mutant. Conventionnel, mais de bonne facture.

La deuxième partie, Now and Forever, se compose de deux novellas : « Quelque part joue une fanfare » et « Léviathan 99 ».

Dans la première, on retrouve la légèreté de ton de Bradbury et son amour inconditionnel des images. Un jeune homme se rend dans une petite ville perdue au milieu du désert : son exploration de cette étrange cité entraîne le lecteur d’un mystère à un autre. Le rythme est soutenu grâce à de courts chapitres et, même si le dénouement se révèle prévisible, on ne s’ennuie en aucun cas, bien au contraire.

La nouvelle titre, « Léviathan 99 », hommage au Moby Dick de Herman Melville, a été retravaillée de nombreuses fois nous apprend Bradbury dans sa préface. Elle a même été rallongée en 1972 de 40 pages ! Heureusement, le texte proposé ici est réduit à une taille proche de celle d’origine. L’histoire de cet homme à la poursuite d’une comète terrifiante, le Léviathan du titre, tel Achab traquant sans relâche la baleine, a beau s’avérer assez captivante, la folie du capitaine du Cetus 7 n’atteint pas la puissance de l’original. Ainsi, en dépit de quelques trouvailles — dont ces extraits d’émissions radio anciennes interceptés comme des bouteilles à la mer —, l’ensemble paraît quelque peu artificiel et échoue à faire oublier Melville, et de beaucoup.

Reste au final un recueil certes pas déplaisant, mais qui ne s’inscrira pas au pinacle d’une œuvre fondatrice, œuvre que son auteur vieillissant semble définitivement incapable de renouveler. A réserver aux inconditionnels, en somme.

La Quête d’espérance

Johan Heliot, auteur éclectique plein de malice, grand amateur de littérature populaire, aime à aborder et mêler tant les genres que les univers, aussi éloignés soient-ils. Ainsi dans Faërie Hackers, où la fantasy et la technologie moderne s’interpénètrent, ou encore dans Pandemonium, qui voit Vidocq se colleter avec des extraterrestres. Dans Izaïn, né du désert, un court roman au rythme endiablé, il mixe non sans jubilation les codes du récit de piraterie à ceux de la pure science-fiction. De fait, c’est dans un univers aride et peu accueillant, sur une planète hostile et en partie désertique, que débute La Quête d’Espérance, récit « jeunesse » annoncé comme une trilogie.

C’est tout d’abord l’ombre de Dune qui plane sur cette histoire. Avec pour commencer les vaisseaux du désert, ces gigantes-ques vers que les marchands et les pirates ont « habillés » comme des navires : on y trouve une proue, une poupe et un gaillard d’arrière, un bosco et son équipage, un code d’honneur. Et des cales, même si ici ce sont en fait les multiples estomacs de la bête qui permettent de stocker les marchandises. Le jeune Izaïn ensuite, apparu d’on ne sait où, dans le désert, comme par miracle, vide de tout souvenir mais doté de pouvoirs fabuleux et d’un livre à l’écriture mystérieuse. Il sera bientôt poursuivi par une secte de fanatiques, les Fondationnistes, qui voient en lui le Messie venu les sauver…

Le corpus des œuvres post-apocalyptiques, époque oblige, n’est pas loin non plus. Les villes, manières d’oasis séparées par un désert mortel, sont dirigées par des hommes sans foi ni loi qui n’ont pour buts que leur survie ou leurs plaisirs. Tous appartiennent à des tribus distinctes : les marchands, ou « terreux », les Gueux et leur Roi (clin d’œil à tout un pan d’œuvres du XIXe — Heliot est un amoureux des littératures populaires, on vous dit), les Fondationnistes, les pirates de fer ou « ferreux ». Dans la série des Mad Max, l’essence faisait la fortune de qui la possédait. Ici c’est le fluide, ce liquide qui permet aux vers de se nourrir, et donc aux hommes de se déplacer et d’échanger des marchandises ; un liquide qui permet également aux machines de fonctionner, comme les armures des pirates de fer, horde terrifiante dont les membres sont recouverts d’une armure intégrale.

Parce que c’est un roman étiqueté « jeunesse », les personnages sont croqués rapidement, au fil de l’action, et les descriptions réduites à l’essentiel. Sans que cela ne nuise en rien à la richesse de l’univers, d’autant que ce dernier fait écho, pour tout amateur de S-F digne de ce nom, à de nombreuses images engrangées au cours de ses lectures. Ainsi, dès le premier chapitre, le lecteur se retrouve plongé au cœur de ce monde aussi bien familier qu’original du fait de ses associations. Le rythme ne faiblit à aucun mo-ment, les événements s’enchaînent sans pause. La psychologie des protagonistes s’en trouve naturellement assez peu fouillée, aussi ne faut-il pas s’attendre à voir beaucoup évoluer les personnages au fil des chapitres. Reste que Johan Heliot n’en parvient pas moins à éviter ce manichéisme dénué de nuances si souvent présent dans les créations destinées aux plus jeunes. De nouveaux personnages viennent remplacer ceux que l’auteur n’hésite pas à tuer et enrichir une intrigue qui, si elle n’est pas d’une originalité vertigineuse, suffit au plaisir de lecture… Et donne sans conteste envie de jeter plus qu’un œil aux Pirates de fer, second opus de la présente trilogie qui devrait être tout chaud paru au moment où vous lisez ces lignes. Sans même parler, dans un tout autre genre (l’uchronie, très apprécié de ce professeur d’histoire), et un registre cette fois résolument adulte, d’Ordre noir, pavé fort attendu au Fleuve Noir et roman lui aussi annoncé pour avril 2010. Vivement !

Big Crunch

La communauté scientifique ignorait si l’univers s’étendrait indéfiniment ou se contracterait. Kurt Steiner, qui recommence à publier à présent qu’il a terminé ses recherches, donne la réponse : ce sera le Big Crunch. C’est ainsi que des phénomènes de compression se produisent sur Terre, les briques soudain plus compactes provoquent l’effondrement d’immeubles, et les chaussures resserrées des douleurs aux pieds. Quant aux lacets usés, on a beau les jeter, ils s’obstinent à revenir dans la poche. Ces phénomènes et d’autres encore sont narrés à travers un groupe de gens ordinaires, parmi lesquels on compte tout de même un animateur de jeux télé affligeants, Bruno Garcinet, qui a troqué son nom improbable pour le pseudonyme d’Autrui, et un jeune surdoué, Vincent, lequel est accompagné de ses parents et n’est pas insensible aux charmes de Julie, la fille d’Antoine Polivet, un veuf aux conceptions éducatives passablement démodées et pour tout dire, un individu aussi falot que réac. Sans oublier un chien, Capi, qui, pour avoir avalé un holophone miniature, aboie des sons de clochettes.

L’univers est condamné à brève échéance, et l’humanité le serait avec lui sivcet échantillon pour le moins banal n’était inopinément sauvé par un visiteur télépathe issu d’un univers parallèle. Le début du roman l’avait suivi dans son hilarante assimilation express des langues et des coutumes humaines, où le langage imagé est bien entendu pris au pied de la lettre et où les quiproquos naissent d’un usage de la langue trop ou pas assez précis, jeux auxquels l’auteur s’est toujours révélé redoutable. Son moyen de transport est une sphère qui échappe au Big Crunch en voyageant dans le Rien, hors du temps et de l’espace.

Après quelques rebondissements facétieux, cet équipage disparate parvient sur une terre parallèle, Géa, où, pour échapper à la violence intrinsèque de son espèce, irréductible même à l’éradication des gènes de l’agressivité, l’humanité a créé des hybrides à partir de deux autres espèces, le chat et le rat, l’individualisme forcené de l’un et l’instinct social de l’autre garantissant un équilibre propice à la paix.

Et c’est à cause de l’étroitesse d’esprit d’un Antoine Polivet, rendu encore plus acerbe par son refus de voir sa fille convoler avec un jeune homme qui n’est pas de sa classe sociale, que l’équilibre de ce monde risque d’être rompu… Les péripéties concernant l’intégration des humains sur ce monde, malgré des avis divergents, et les tentatives pour empêcher la répétition de la catastrophe dans cet univers, occupent le reste du roman.

Pour qui est familier d’André Ruellan (se reporter au dossier que lui consacra Bifrost dans son n°38), auteur du Manuel du savoir-mourir, ou de ses avatars Kurt Steiner, Kurt Dupont ou (décidément) Kurt Wargar, maître du nonsense et de l’humour noir, la lecture de Big Crunch est une friandise délicieusement acidulée qui regorge de trouvailles en tous genres — ainsi ces arbres chronopha-ges, dont les feuilles se nourrissent de temps et qui font vieillir selon la quantité ingérée. On y trouve des rebondissements surprenants, inspirés des principes de la mécanique quantique, sans oublier des littéralités débouchant sur de stupéfiantes propriétés de temps subjectif, des pannes de vaisseau naviguant hors du temps provoquant des contre-espaces, des tremblements de ciel et des mondes où fourmillent des formes de mort. Au passage sont décochées des flèches dans tous les sens, qui fustigent aussi bien des absurdités sociales et économiques (le visiteur s’enrichit en inversant le système bancaire) que politique (le président se voyant terrassé en un seul paragraphe d’une féroce concision). Loufoque, ce roman l’est forcément, à jouer sur tous les registres à la fois, à juxtaposer humour potache et pince-sans-rire dans un brillant feu d’artifice qui étourdit par sa profusion de traits d’esprit. Il n’en est pas pour autant futile, et même si Kurt Steiner répugne à jouer les moralisateurs, on ne peut s’empêcher de constater qu’en opposition à l’ouverture raciale et culturelle des principaux protagonistes, le rejet de la différence et la bêtise sont les germes de catastrophes dont le Big Crunch est la métaphore.

Certains esprits se diront désorientés par cette richesse à tous les étages, d’autres en feront leur miel, lequel, comme on sait, se déguste à petites gorgées. De même que la contraction de l’univers voit émerger un plus grand nombre de surdoués, la densité de ce roman excite les papilles neuronales.

La Nuit sans fin

Un soir, Jack Churchill et Ruth Gallagher, qui ne se connaissent alors pas, sont témoins d'une agression perpétrée par un géant monstrueux sous un pont de Londres, agression brutale, traumatisante, au terme de laquelle l'un et l'autre perdent connaissance. Incapables le lendemain de raconter la vérité à la police, ils décident de mettre en commun leurs souvenirs et s'aperçoivent bien vite que cette agression n'est pas le seul événement étrange qui secoue l'Angleterre (toute la technologie, le réseau informatique en particulier, a tendance à partir en sucette). Conscients que, d'une façon qui leur échappe pour le moment, ils se sont mis en danger, ils joignent leurs forces pour trouver des réponses à leurs questions. Attaqués par des créatures surnaturelles appartenant aux ombres les plus noires du folklore celtique, ils sont momentanément sauvés par une sorte de hippie, plutôt pénible, prénommé Tom. Celui-ci les conduit à Stonehenge où ils seront en sécurité pour la nuit, car ce site sacré aveugle les créatures du mal. Le temps des révélations, et donc de l'Apocalypse, approche. Les anciennes puissances celtiques se sont réveillées et la Chasse Sauvage (traduite ici par « Battue sauvage », dommage…) est à nouveau ouverte.

À la lecture de cet ouvrage (qui n'aurait pas souffert d'un solide dégraissage), impossible de ne pas penser à La Forêt des mythagos de Robert Holdstock et à Roi du matin, reine du jour de Ian McDonald, mais là où McDonald faisait œuvre de littérature et où Holdstock se refusait à tout manichéisme, chez Chadbourn le manichéisme est assumé (les bons d'un côté, les méchants de l'autre) et la littérature absente (ce que n'arrange pas une traduction aux choix souvent malheureux).

Cela dit, ce qui manque à Mark Chadbourn (un style élégant, un refus tranché du manichéisme), il le compense aisément avec la fascinante description qu'il offre des sites et des rites de l'Angleterre préhistorique, sans oublier un angle de narration original, dans ce genre de fantasy, car La Nuit sans fin fonctionne davantage comme un gros thriller de plage que comme une fantasy urbaine. Le pavé, efficace bien que bavard (il y a un vrai déséquilibre entre les tartines de dialogues et l'action souvent réduite à la portion congrue), se lit comme un Michael Crichton ou un Douglas Preston & Lincoln Child. L'été approche ; alors plutôt que de lire une énième histoire de serial killer encore plus pervers que ses augustes prédécesseurs, on peut se jeter sur ce premier volume de L'Âge du chaos et savourer le plaisir de voir les anciens dieux ravager le monde moderne.

Histoire de Tiric Sherna

Derrière le pseudonyme de Tomas Geha se cache l'excellent libraire Xavier Dollo, auteur d'une vingtaine de nouvelles publiées dans des supports souvent confidentiels et de deux (courts et sympathiques) romans post-apocalyptiques (tous deux hommages à l'œuvre de Gilles Thomas/Julia Verlanger) : A comme Alone et Alone contre Alone, chez Rivière Blanche. Un jeune auteur/libraire attaché aux littératures de genre, donc attachant, et qui, par ailleurs, tient un blog décapant < http://kanux.canalblog.com/ >. Bref, un sympathique garçon que l'équipe de Bifrost suit maintenant depuis quelques années, dans l'attente d'un grand texte… ce que n'est pas Le Sabre de sang, remix sans prétention (toujours ça de pris) du Conan de John Milius et de la saga « Vlad Taltos » de Steven Brust (chez Folio « SF »), saupoudré en début de parcours d'un zeste de Spartacus/Gladiator.

Ecrit un peu à hache (enfin, au sabre ensanglanté), ce petit roman de fantasy populaire rédigé à la première personne manque pour le moins de cohérence stylistique (expressions modernes parachutées, beurk ; profusion de verbes être, re-beurk ; phrases lourdingues, et, cerise sur le gâteau, quelques formes passives particulièrement douloureuses, re-re-beurk). Sans parler des descriptions bancales : ail ail ail, Puerto Rico !

Tout cela n'empêche toutefois pas le lecteur amateur de fantasy musclée de prendre beaucoup de plaisir à suivre les aventures de Tiric Sherna, cartar (chef de guerre ?) vaincu par les Qivhviens (une société matriarcale de gros lézards doués de la parole). Réduit en esclavage (on se croirait chez David Eddings), puis vendu pour devenir gladiateur, Tiric s'en sort plutôt bien jusqu'à ce qu'on lui impose d'affronter son meilleur ami. Ce qu'il refuse. Alors les deux hommes se voient contraints par l'impératrice de rejouer plus ou moins la chute de Carthage (cf. l'épisode « The Barbarian Horde », dans le Gladiator de Ridley Scott), ce qui équivaut ici à affronter dix guerriers et trois araignées de la taille de quads.

Evidemment, on a déjà lu ça cent fois, mais un sens certain de l'aventure, une accumulation de petits détails vanciens, sans parler du rythme endiablé, rendent l'entreprise pour le moins sympathique (vivement la suite !).

On regrettera toutefois une mise en pages manquant de professionnalisme, aux alinéas trop grands et à la présentation des dialogues parfois hasardeuse (une belle maquette intérieure aurait plaidé en faveur de l'achat de ce titre qui se lit en deux heures, top chrono). À cinq euros en poche chez Milady, le livre aurait fait office d'« excellent divertissement », à dix-huit on hésite et ça peut se comprendre.

Bon, cher Thomas Geha, fini de plaisanter, on en a marre d'attendre votre grand livre (sans doute bien plus à votre portée que vous voulez le croire)…

Underworld USA

Niveau d’alerte maximale dans toutes les bonnes librairies : James Ellroy is back. Après American Tabloid et American Death Trip voilà — enfin ! — le troisième opus de sa monstrueuse trilogie pleine de sang, de bruit et de fureur : Underworld USA. Suite et fin d’un projet littéraire démentiel, titanesque, et pour tout dire héroïque : raconter l’histoire secrète de l’Amérique de 1958 à 1972. Rien de moins ! Mais d’abord un petit rappel des faits. American Tabloid : de novembre 1958 au 22 novembre 1963, date de l’assassinat de John F. Kennedy. American Death Trip : du 22 novembre 1963 au 9 juin 1968 (assassinats de Robert Kennedy et de Martin Luther King). Et maintenant Underworld USA, qui couvre la période du 24 juin 1968 au 3 mai 1972. Comme dans beaucoup de romans d’Ellroy, c’est l’histoire d’un quatuor. Trois hommes et une femme, à la fois acteurs, témoins et victimes des événements. Dwight Holly qui travaille pour J. Edgar Hoover, le directeur du FBI. Wayne Tedrow, un ex-flic directement impliqué dans le meurtre de Martin Luther King. Don Crutchfield, surnommé Crutch, « le mateur », un détective privé à peine sorti de l’adolescence, voyeur, obsédé sexuel et hanté par le souvenir de sa mère. Et Joan Rosen Klein, une activiste de gauche aux métho-des radicales.

A partir de là tout s’enchaîne, s’imbrique et s’entrechoque : complots/meurtres/chantages en tous genres/extorsions/diffamations/manipulations… Ellroy nous avait prévenus dès les premières pages d’American Tabloid : il ne nous épargnera rien, il nous dira tout. Et dès le départ d’Underworld USA, il enfonce le clou : « Vous me lirez avec une certaine réticence et vous finirez par capituler. Les pages qui suivent vous contraindront à succomber. Je vais tout vous raconter ». C’est le personnage de Crutch qui s’exprime ainsi, mais c’est aussi James Ellroy lui-même. Cette trilogie, c’est sa version de l’Histoire. Mêlant fiction et réalité jusqu’à créer quelque chose d’autre, d’incroyablement crédible : une espèce de sur-vérité historique, mais si convaincante, si réelle, qu’il devient presque impossible de penser que les choses aient pu se passer autrement. Une uchronie hyperréaliste et définitive, en quelque sorte.

Ça démarre dans des crissements de pneus, avec une séquence époustouflante : un braquage d’une violence inouïe, autopsié seconde par seconde, magnifiquement rendu, et d’une telle puissance visuelle, d’un tel pouvoir d’évocation, qu’à sa lecture on est tenté de baisser la tête de peur de se prendre une balle perdue. Alors après seulement quelques pages, le doute n’est plus permis : l’ « effet Ellroy » est là, intact, imparable, sismique. A plus de 60 ans, c’est toujours lui le boss, et face à une telle maestria, à une telle démonstration de force d’entrée de jeu, ses imitateurs — de plus en plus nombreux — peuvent bien aller se rhabiller fissa. Les 840 pages suivantes ne feront que confirmer cette première impression. Ellroy est un styliste génial, un écrivain-tsunami qui renverse tout sur son passage, un bulldozer littéraire capable de transformer chaque phrase, chaque mot — et même parfois une simple virgule — en projectile textuel qui fuse, bombarde et perfore les tripes de son lecteur.

Et comme quasiment tous les très grands romans américains, Underworld USA est une énorme machine qui brasse une multitude de thèmes : militantisme noir, FBI, mafia, culte vaudou, mouvement hippie, élection présidentielle, arrivée de Nixon au pouvoir… Mais l’axe principal du récit, c’est bel et bien la gauche extrême, ces activistes « rouges », leur idéologie et leur action dans cette Amérique des années 70. Et là, énorme surprise : Ellroy, qui s’est longtemps autoproclamé chrétien de droite, semble tout à coup étrangement réceptif au discours et aux actes de l’ultra gauche version US. Comme si le fait d’avoir donné vie à des personnages de gauchis-tes purs et durs l’avait amené à s’interroger sur son propre positionnement politique. Etonnant ! Mais après tout, Le Grand nulle part, un de ses précédents romans, était déjà une condamnation sans appel du « maccarthysme » et de la « chasse aux sorcières » visant les communistes américains.

Futurs classiques, romans qu’on lira encore dans cinquante ans, Underworld USA et les deux premiers tomes de cette trilogie infernale forment une œuvre littéraire magistrale, féroce, inoubliable, une des plus belles de ces quinze dernières années. Les romanciers qui auraient été en mesure de l’écrire — en lui donnant cette folie viscérale, cette puissance émotionnelle, cette démesure et cette tension constante — se comptent sur les doigts d’une seule main. Oui : Ellroy est grand. Et oui : c’est un des meilleurs écrivains d’aujourd’hui, sans discussion possible. Alors lisez cette trilogie : c’est un trip dont vous ne reviendrez pas indemne !

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