Les Cartographes
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Nell est la fille du fameux Dr Young, qui règne sur le département de cartographie de la New York Public Library. Son principal problème est d’ordre familial : une mère qu’elle a perdue très jeune dans des circonstances tragiques, et ce père caractériel à qui elle a tourné le dos depuis une dispute terrible survenue alors qu’elle était stagiaire à la Bibliothèque. Si elle continue de trimer sur des cartes, c’est pour en produire des fac-similés bon marché, tout cela loin des ors du prestigieux édifice. Jusqu’au jour où ce géniteur à la fois adoré et honni est retrouvé mort dans son bureau.
En mettant de l’ordre dans ses affaires, Nell tombe sur une carte routière de l’État de New York datant des années 30 qu’elle identifie tout de suite, et pour cause : c’est à ce document en apparence sans valeur qu’elle doit sa disgrâce. Examinée de plus près, la carte révèle une particularité : un point noir figurant une ville qui n’existe pas. Une erreur délibérée, comme une signature invisible, courante sur les cartes de cette époque, mais qui semble susciter un certain émoi dans le milieu feutré des collectionneurs et des universitaires. Au point de cambrioler et de tuer pour sa possession ?
Commence dès lors pour Nell, muée en détective du dimanche, une enquête en forme de périlleux jeu de piste qui l’emmènera dans le temps, car le passé ne peut jamais vraiment disparaître, mais aussi au-delà des points, des traits et des zones blanches émaillant le papier froissé des cartes. Le résultat de ses recherches a de quoi désorienter… Quel est ce réel qui échappe à toute représentation et que les Cartographes – ce club informel constitué des meilleurs amis de ses parents – veulent à tout prix lui cacher ? Quelles vérités recèle-t-il ?
S’inspirant de l’histoire d’une de ces villes de papier inventée par les cartographes pour protéger leurs œuvres – Agloe, dans l’État de New-York —, Peng Shepherd explore malicieusement la dichotomie entre carte et territoire, soutenant avec Baudrillard que le territoire ne précède plus la carte, que c’est désormais la carte qui précède et engendre le territoire. De ce concept, elle tire un thriller aux accents borgésiens, parfois brillant, assez convenu dans ses rebondissements, au rythme inégal, mais de bout en bout porté par une émouvante histoire de famille. Le livre vaut surtout par cette belle évocation du pouvoir des cartes et des mondes pliés et dépliés qui tentent d’exister à travers notre imagination.