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Charisme

  « — Je connaissais M. Maine. Il était... gentil. Je ne crois pas toutes ces choses qu'on dit sur lui en ville —  qu'il a tué M. Mellors et qu'il a essayé de tuer le docteur Stratton. Elle me regarda fixement. — Je voulais que vous le sachiez, c'est tout. Je lui demandai son nom — au cas où je reviendrais à l'hôpital — et elle me le dit : infirmière Marianne Peters... Une demi-heure plus tard, je me tenais dans le cercle temporel, les yeux fixés sur la mer, attendant d'être rappelé dans mon univers... »

Le thème désormais classique des univers parallèles a pris forme dans bien des contextes et avec bien des personnages... Avec Charisme on se trouve cette fois dans le cœur des Cornouailles, dans ce village de Falcombe dont la principale Particularité est d'abriter un Centre de Recherche de pointe. Là, un petit groupe de personnes typées et dignes d'un épisode de Columbo : John Maine, gérant d'un hôtel et futur explorateur des mondes parallèles, Pablo, son ami, qui aimerait bien conclure une vente de bateaux avec Mellors, homme d'affaires sans scrupules dont la femme brille par son manque de présence. Maine, au cours d'une promenade bucolique, tombe sur la belle Suzanna. Et tout s'emballe : Suzanna meurt (de cause naturelle), Maine découvre qu'elle vient d'un univers parallèle, puis Mellors décède à son tour (de cause non naturelle). Soupçonné, Maine va alors vagabonder entre les possibles, tous très proches de sa propre réalité (on s'y perd, d'ailleurs), à la recherche d'une Suzanna vivante et accessoirement de preuves à mêmes de l'innocenter.

Tous les mondes visités par Maine sont peu différents de son environnement d'origine. Il se retrouve donc en terrain de connaissance, ce qui lui donne les moyens d'enquêter et d'évoluer incognito. En revanche si un événement survient dans un univers, il a tendance à arriver dans les autres, quoi qu'on fasse. Ainsi, si une personne meurt, ses doubles des autres réalités mourront irrémédiablement (Maine en fera la douloureuse expérience). Les univers convergent, mais vers quoi ? On l'apprendra naturellement au final.

Au total une histoire qui, si elle souffre de menues longueurs (et d'une notable impression de redondance imputable à cette dizaine de personnages qui se croisent et se recroisent sans cesse), ne manque pas d'intérêt ni d'ambiance dans ce cadre bien particulier d'une petite crique anglaise. Se mêlent une intrigue romantique et une quête sans espoir (celle d'une Suzanna qui ne serait pas victime du rééquilibrage sans pitié des univers virtuels), une enquête policière (qui est le meurtrier de l'homme d'affaires ?) et malgré tout une once de Science-Fiction.

Au guet !

 Mélangez une pincée de Blues Brothers, un soupçon de Tex Avery, un bon morceau de Tolkien et une large once de talent : vous devriez obtenir quelque chose ressemblant aux Annales du Disque Monde.

Et donc, dans ce huitième tome (heureusement lisible indépendamment des précédents) de ce que l'on ne peut plus que qualifier d'immense saga (au moins par le nombre de pages, 400 pour ce seul volume, pas moins !), nous voici propulsés dans les méandres immanquablement burlesques d'une petite vie citadine.

Ainsi, dans la tentaculaire cité d'Ankh-Morpork, la vie s'écoule paisiblement : le Patricien gouverne, sans trop se fatiguer, les différentes Guildes (des Voleurs, des Assassins et autres) s'en mettent plein les poches dans le cadre légal des accords passés avec les autorités, et par-dessus tout ça, le Guet veille. Qu'est-ce que le Guet ? Simplement une poignée d'hommes censés assurer quelques tâches sans importances, au nombre desquelles on notera, par exemple, les patrouilles nocturnes et la sécurité des citoyens. Dans la pratique, des vieux de la vieille poussés par les turpitudes de la vie à cet emploi peu glorieux, des gars aussi roublards que les autres qui s'efforcent, bien entendu, d'éviter les embrouilles en en faisant le moins possible. Mais voilà que débarque une armoire à glace du nom de Carotte, un drôle de type dont l'idéal, décidément saugrenu, est de faire respecter la loi. Il n'en faut pas plus à l'auteur pour nous offrir une incroyable série de situations croustillantes, décrites avec la verve et l'humour qu'on lui connaît. Un humour qui s'attaque aussi bien aux situations (l'humain de deux mètres adopté par des nains et qui se cogne au plafond, la coquille que l'on offre à Carotte pour protéger ses parties intimes mais qu'il essaye en toute innocence d'adapter... à sa tête) qu'à des jeux de mots que l'on soupçonne à peine. En fait et comme toujours, pas mal des clichés de l'univers de la Fantasy passent à la casserole et sont repris dans une version plus... originale : le dragon cracheur de flammes que tout ennui intestinal peut faire exploser, l'invocation magique ou chacun psalmodie ce qui lui vient en tête, et ainsi de suite.

Une mention spéciale au traducteur (Patrick Couton), qui a su rendre l'efficacité de toute une série de jeux de mot dont l'interprétation, depuis l'anglais, n'a sans doute pas été une mince affaire ! Un exemple, pour le plaisir : lorsque le Guet voit son QG détruit par le fameux dragon, il est obligé de s'installer dans un local fourni par une riche mécène et qui se trouve être l'ancienne Maison des Orfèvres. Le groupe se surnomme donc, dorénavant... Guet des Orfèvres, bien sûr. Fallait le trouver, ça !

Enfin pour les mordus de Pratchett (dont nous sommes !), citons la parution pour juin, toujours chez l'Atalante, du neuvième volume des présentes Annales, intitulé Eric. De plus sachez que l'intégralité du cycle devrait être reprise sous peu chez Pocket au format poche.

Les Aéronautes

« — Ça va déjà mieux, non ? constata Gurder. De la nourriture convenable dans des boîtes et des trucs comme ça ; naturelle quoi. Qu'on ne doit pas débarrasser de sa terre, comme on le faisait dans la carrière. En plus, c'est confortable, ici, il fait chaud. C'est vraiment la seule façon civilisée de voyager. Quelqu'un veut encore de ...(il tapota un plat du doigt, indécis quant à sa nature) ... de ça ?

— Ça a quel goût ? demanda Masklinn après que Gurder en eut mâché un bout.

— Un goût rosâtre, répondit Gurder... »

On l'attendait depuis un petit moment, le voici tout frais sorti des presses : le troisième et ultime volume du Grand Livre des Gnomes Si le premier volet avait suscité l'enthousiasme, on se souviendra que le second, Les Terrassiers, avait été un peu décevant, sans doute parce que la condition gnomique nous étant déjà familière, on avait moins accroché aux pérégrinations de ces êtres de quelques centimètres de haut perdus chez les humains. Et voilà qu'on les retrouve alors qu'ils vont enfin (après moult aventures et rebondissements, comme il se doit) faire la lumière sur leurs origines et retrouver leur fabuleux vaisseau — un épisode conclusif au fort goût de quête initiatique. On renoue donc avec les trois petites créatures, Masklinn, Angalo et Gurder, respectivement risque-tout, pilote de n'importe quoi et râleur à tout bout de champs de leur état. Ces derniers, que l'on avait quittés lors de l'annexion d'une carrière par la horde des gnomes, sont partis pour une mission apparemment impossible. En effet, comment imaginer que ce groupe puisse quitter l'Angleterre, se rendre en Floride à bord d'un Concorde, traverser des marais infestés de crocodiles pour enfin s'approcher d'une navette sur le point de décoller qui devrait leur permettre de transmettre un message à un vaisseau en orbite ? Tout cela en considérant qu'en plus d'une taille pour le moins handicapante, leurs petites têtes sont remplies de tas d'idées qui, si elles nous paraissent saugrenues, sont d'une logique proprement désarmante.

Au-delà d'un récit divertissant et franchement drôle, Le Grand Livre des Gnomes nous donne, en définitive, l'occasion de se pencher sur notre société avec un regard différent, innocent et volontaire en l'occurrence (des traits de caractère sensiblement plus courant chez les gnomes que chez les hommes...). Ainsi peut-on se demander si la vision gnomique de notre vie quotidienne, décalée mais en même temps pleine de bon sens, est si stupide que ça. On ira même jusqu'à s'interroger pour savoir qui, de l'homme ou du gnome, est le plus stupide des deux...

À lire en tous les cas, dans l'espoir d'être un peu plus... gnome ?

Le Faiseur de veuves

« Qu'est-ce que tu veux ? aboie McNair. De l'argent ? On peut s'arranger!

Nighthawk feinte en direction de son aine et, du talon de la paume, le frappe sous le nez. Des esquilles d'os se logent dans le cerveau de McNair le tuant net.

Il entend un bourdonnement derrière lui, se retourne, et voit un pistolet laser à pleine charge braqué sur lui. »

On a longtemps taxé les récits de Space Opera de « westerns de l'espace ». Ainsi Gene Roddenberry, le créateur de Star Trek, avait en son temps fait passer sa série, aux yeux des chaînes de télévision, pour une simple « caravane de l'espace» où les lasers remplaceraient les six-coups et les extraterrestres les Peaux-rouges. Plus récemment un éditorialiste d'Interzone, le fameux magazine de Science-Fiction anglais, aura vu dans la multiplication des séries et des films de Science-Fiction un symptôme comparable à celui qui précéda la disparition pure et simple du western en tant que genre littéraire.

Si Roddenberry n'a finalement pas tourné un western interstellaire, on s'accordera aussi sur le fait que la Science-Fiction est loin d'avoir un champ de potentialité aussi réduit dans le temps, l'espace et les idées qu'elle permet d'aborder. Elle a le pouvoir d'émuler n'importe quel genre, du polar (lire par exemple Les racines du mal de Dantec) au roman historique en passant, justement, par le western.

Une preuve supplémentaire, s’il était nécessaire, nous en est donc donnée ici avec Le Faiseur de Veuves. En effet, cette histoire des premiers pas de Jefferson Nighthawk, clone du plus grand tueur à gages de l'histoire de la Galaxie, c’est à une grosse production western que Resnick nous convie… et force constater qu'on y prend plaisir.

Car la vie n'est pas facile, sur la Frontière galactique, surtout lorsqu'on a pour missionn d'aller abattre le Marquis de Trelaine, bandit redoutable, le plus puissant de… Déluros ! Que ce soit à travers les noms des planètes (Klondike), les pseudonymes des protagonistes (Bouch Ben Masters) ou les situations (fusillade à l'épreuves, coups fourrés, prêtre défroqué reconverti dans le pillage d’églises et danseuse allumeuse), l'auteur joue vraiment la carte de la référence aux films de la grande époque cinémascope des années 60-70. Vraiment mises à part quelques scènes anecdotiques réellement science-fictives (l'ouverture, le palais des glaces…), on pourrait très bien réécrire Le Faiseur… avec Hernandez (commanditaire de la mission du héros) en premier ministre mexicain, et Leonardo di Caprio dans le rôle du jeune clone…

Resnick, comme à travers la plupart de ses récits (Purgatoire, Projet Miracle, etc.) maintient le cap en ce qui concerne les personnages pathologiquement froids et incapables de construire quelque chose. Il n'y en pas un pour rattraper l'autre, si l’on excepte peut-être le Père Noël pilleur d'églises, qui esquissera un semblant de relations paternelles avec le jeune clone. Mais, même doté d'un grand cœur, le père Noël n'est qu'un brigand parmi d'autres. Resnick aurait-il une si piètre opinion de l'humanité ou cultiverait-il le cynisme en tant que style ?

Côté dépaysement, l'auteur déploie sa panoplie d'extraterrestres et de mutants bigarrés sans trop d'effort. On n’est pas exactement sur le terrain du grand spectacle ethnologique à la Projet Miracle ou L'infernale comédie, et la Frontière est plutôt déserte — ce qui n'empêche la faune, même cantonnée à un rôle de figuration, d'être convaincante. On notera au passage la présence d'un « super-tribble » (une grosse peluche auquel l'auteur aura réservé un sort tout particulier… Enfin le traitement du syndrome du « clone » n'est pas notablement original (une sorte de variation croisée sur la phobie gémellaire et le pathos œdipien — un trait psychologique dont les récents progrès en psychiatrie tendent à démontrer qu'il n'existait que dans l'imagination de Freud…). Resnick aura d'ailleurs pris garde de ce ménager un alibi en la matière une intrique enfermant son personnage principal dans un contexte réducteur.

Bref un roman de distraction pure, assez cynique dans son genre, facile à lire et de facture classique. Un western « impitoyable » de l'espace donc, moins lourd et plus réussi que le précédent Projet Miracle mais incontestablement moins ambitieux que L'infernale comédie.

Le Cri de l'asphalte

« Tu me racontes des bobards ! Tous les deux ans, à mon job, les patrons  nous emmenaient dans un parc de loisirs situé à trois cents kilomètres de Ville-Centre. ET ON MONTAIT DANS UN TURBOTRAIN ! Une incompréhensible vague de tristesse passe dans les yeux de Jean.

– Calmos, grand, dit-il à Chuck… Tu t'es fait avoir comme les autres, et ça me fait mal… Tu t'es jamais demandé pourquoi il n'y avait pas de ciel dans ce foutu parc ? »

A priori le meilleur des quatre premiers titres de la nouvelle collection Fleuve Noir S- sans être cependant le plus ambitieux. Premier d'une trilogie, Le cri… raconte comment Chuck, brave colosse, sortit de la normalité (Voiture-électrique Boulot Dodo) pour rejoindre une bande de motards du XXIe siècle, part en quête de son rêve, la splendide mais rarissime Munch Mammouth 1200 Nurburing!

L'une des premières qualités d'un roman (au-delà. du clivage des genres) est de vous faire vivre une aventure dans la peau d'un autre. Si, comme moi vous n'avez jamais été fasciné par la perspective de vous retrouver couvert de cambouis à filer plein gaz sur un engin de mort responsable, à son échelle, de l'effet de serre, vous serez tout particulièrement surpris de l'effet bœuf Parce que là, pendant deux heures, vous serez Chuck, vous vénérerez les motos, vous mépriserez les Bleus et vous sympathiserez même avec le «Brigadier» Bob. Bref, du point de vue de l'immersion et de l'identification, c'est une réussite totale.

Autre aspect savoureux, la douce satire de l'écologie et du politiquement correct.

Et Serge Séguret (qui signe ici, me semble-t-il, son premier roman) de réponde à la normalisation déshumanisée et hypocrite, par la liberté, la débrouille, l'amitié et l'entraide des motards. Évidemment c'est un peu enjolivé (ouais, celle-là est assez facile…), mais mieux vaut avoir un idéal que « rien à battre ». On irait presque croire qu'un petit peu d'échappement plein gaz au monoxyde de carbone, ça peut pas faire de mal. C'est comme le tabac, il parait que ça peut sauver des vies, qu'ils ont dit sur France 2.

En tout cas, la virée en moto était super.

L'Ombre de Mars

« Nom de Dieu… souffla Martin en levant la tête.

– Je crois que c'est vraiment le cas de le dire, murmura Isabelle comme pour elle-même.

– Qu'est-ce que c'est ? demanda Martin, tout en sachant que la jeune femme n'avait évidemment aucune réponse à une telle question.

Face à eux, taillé à même la roche, un immense portique de pierre rouge, lisse, aux angles parfaitement ajustés, les dominait. Derrière, on pouvait deviner un large couloir qui s'enfonçait dans l'ombre. Martin se retourna un instant pour contempler le paysage, comme pour s'assurer qu’ils étaient bien sur Mars. »

L'actualité Martienne (ak, ak, ak !) et le nombre impressionnant de sondes ayant raté lamentablement leur mission d'exploration de la planète rouge, devaient conduire à la parution d'un tel roman.

En d'autres temps, un vaillant équipage se serait crânement lancé dans un voyage de plusieurs mois pour découvrir oh surprise, oh merveille , des monstres tentaculaires montés sur tripodes (pour peu qu'on se situe dans les années 1880) ; une reine pulpeuse ovipare régnant sur des canaux et aux prétendants jaloux (version 1920) ; une horde de télépathes xénophobes (pour la période 1950) ; personne en particulier (vers 1970-80) une force mystérieuse et hostile de type spectral découverte par le gouvernement depuis longtemps (préférablement américain, le gouvernement), mais qu'il s'efforce de nous cacher et qui prend possession de nos valeureux astronautes, le tout avec la bénédiction d'un homme à la cigarette (disons, dans les années 1990).

Il fallait bien une bonne âme pour nous aider à nous retrouver dans tout  Cherchez plus, la, ou plutôt les, voilà ! Raymond Clarinard et Michael Ollivier ont opéré une sorte de synthèse de prés d’un siècle de fiction martienne en nous offrant, dans le même roman, les monstres tentaculaires (version cyborg), la reine pulpeuse (malheureusement nous ne saurons jamais si elle est ovipare), le télépathe xénophobe impérialiste (réduit en l'état d'un cylindre) et le complot incarné dans un seul homme, l'infâme et paranoïaque commandant de bord Langdon. Pour se mettre au goût du jour, l'équipage sera internationalisé (un Russe, un Américain, une Française, un Japonais)… mais on ne peut pas dire que les particularismes ethniques aient été particulièrement fouillés, et le tout est saupoudré de détails documentaires, d'abord convainquant, puis, petit à petit, de en moins.

Pourquoi ? D'abord parce l'idée du complot ne tient pas debout. En effet, pour quelle obscure raison envoyer un équipage (civil, dont une femme enceinte !) dans une mission, selon toute probabilité, de contact extraterrestre, sans une information complète sinon pour les envoyer au casse-pipe !? Et puis, quand on complote, autant le faire dans les formes : au minimum deux complices dans le coup — voire, le cas échéant, l'un incognito surveillant l’autre (Octobre Rouge, Alien sont des exemples d'ennemis intérieurs réussi). Et puis le véritable problème, à savoir comment monter une mission de reconnaissance avec possibilité de contact, a été totalement escamoté. Franchement, si le fin mot de l'histoire était de faire dans le Search & Destroy, il fallait envoyer les Marines !

Côte Martiens, et malgré une haute technologie en matière d'animation suspendue sans oublier un savoir-faire astronautique certain — on n'a pas non plus véritablement calculé. Pourquoi ne pas avoir cherché à préserver un minimum de l'écologie martienne et de diversité génétique, parmi les individus rescapés du cataclysme ? Juste au cas où les vaisseaux indigènes ne reviendraient pas de par-delà la Barrière des Roches, par exemple (quelle idée, d’ailleurs, d'aller coloniser Jupiter quand une jolie planète bleue les attend un peu plus près du Soleil). Quelle civilisation parvenue à l'âge stellaire aurait-elle conservée le degré de finesse sociale et diplomatique de Gengis Khan ? Pourquoi user d'armes et d’armées de destruction quand on maîtrise à ce point la manipulation mentale ?  Aussi on se pose la question : les Martiens sont-ils complètement stupides ?

Viennent après de purs problèmes de documentation. Je ne citerais que les plus flagrants. Qui sont ces astronautes qui n'ont ici aucune notion de mise en quarantaine (cf la scène homérique dans la crypte pressurisée où les héros vont découvrir leur Reine) ? Qui ne consacrent pas une seconde de leur temps à l'exercice physique sans lequel la masse musculaire fond en quelques jours faute de pesanteur ? Et qui ignore les règles de contraception élémentaire en cas de voyage spatial, n'est-ce pas, Nadia Gorbunova? Quel dommage, incidemment, que les auteurs n'aient jamais entendu parlé de la Grande Ghoule Galactique (« Great Galactic Ghoul »), une vraie légende de la conquête spatiale…

Alors, que nous reste-t-il ? Un projet de départ ambitieux. Un petit côté pulps pas désaqréable. Une lisibilité très correcte qui nous épargne les scènes sexe et gore inutiles (attention, pas les beuveries — « vous reprendrez bien un peu de caviar ? »). Bon, allez. Malgré de flagrantes incohérences, tout ça demeure tout de même plutôt prometteur. Qui sait, si Clarinard et Ollivier récidivent en poussant la logique et le détail documentaire de leur récit peu plus loin, Mars ne demeurerait pas totalement dans l'ombre ?

L'Odyssée de l'espèce

« Dans un décor de fin du monde, un homme marche sous le couvercle rouge du ciel… L'homme porte dans ses bras le corps inerte d'une femme très belle, dont les longs cheveux noirs flottent dans le vent sauvage…

– Ils l'ont tuée, dit-il. Dragon Rouge les a payés pour ça. »

La troisième enquête de Tem, le privé « transparent », conclut indéniablement en beauté la collection «Anticipation » du fleuve Noir avec, en guise de programme, un certain nombre de révélations plutôt attendues sur l'univers des « Nouveaux Mystères de Paris », comme, par exemple, la nature de la Grande Terreur, celle de la Psychosphère et l'ordonnancement des tribus de mutants. Mais L'odyssée de l'espèce, c'est aussi un livre truffé de références à la culture science-fictive. Le titre dépasse incidemment le simple gag, avec cette plongée préhistorique dans l'inconscient collectif de l'humanité… accompli, soit dit en passant, par une Intelligence Artificielle!

Côté intrigue, nous voilà fort logiquement en plein Polar S-F. Dans le rôle de la victime, le professeur Michel Viard. Dans celui de l'accusé, notre héros, Tem, dont l'invisibilité se fait une fois de plus tirer l'oreille. Comment Tem a-t-il pu être surpris par l'inspecteur Trovallec dans la minute où il a découvert le corps? Qui a voulu assassiner le dernier spécialiste de la Grande Terreur ? Qui veut faire plonger notre privé préféré ? Qui poursuit Gloria, l'Intelligence Artificielle révolutionnaire prônant la libération de ses semblables par le sabotage du net ?

La réponse à toutes ces questions passent par le périlleux exercice d'une explication « scientifique » aux pouvoirs paranormaux — l'un des attributs les plus fumeux de la Science-Fiction : essayez donc d'expliquer (sans faire appel aux Thétans ou un autre précepte scientologue, SVP) la télépathie ou la télékinésie aux moyens de rudiments de la biophysique moderne, et vous verrez qu'en général, ça part très mal. Roland C.Wagner a, lui, choisi la théorie du Big Bang et son déploiement dimensionnel. Lorsque l'univers n'en était qu'à ses balbutiements, pas moins de onze dimensions ont tenté de se déployer, mais seulement quatre ont eu l'énergie pour se faire. Ainsi, l'esprit humain est-il en mesure d'agir sur ces univers restés à l'état de potentialité, tout en demeurant connectés sur la réalité telle que nous la connaissons. L'univers des Nouveaux Mystères est donc, depuis la fameuse Terreur, un univers en train de s'acheminer vers la fusion entre le monde physique et le monde des fantasmes. Le résultat « polar-S-F-Fantasyste » (voir tout particulièrement la façon dont se dénoue l'affaire) particulièrement et étonnante convainquant.

À noter, parmi les innombrables facettes de cette Odyssée… la connotation malfaisante attachée au clonage. Ce point me pousse à une petite digression qu’on aura la gentillesse de bien vouloir m’excuser. La peur totalement irrationnelle du double a récemment été exprimée à heure de grande audience par rien moins que deux présidents : l'un d'une instance européenne sur la bioéthique, l'autre d’une République Française. Je crois qu’il convient de faire la part des choses. Les vrais jumeaux sont des clones naturelles, mais néanmoins copies conformes génétiques) — et ils ne sont plus monstrueux que n'importe qui. Évidemment, estampiller un copyright renouvelable sur la formule de leur ADN… c’est une toute autre affaire. Il convient de faire la différence entre le « pouvoir de faire l'utilisation de ce pouvoir, et ceci prestement avant d'aller droit à une censure définitive. Au fait, pourquoi ne clonerait-on ces deux enfants écrasés par un ambassadeur trop pressé ? Cela ne serait-t-il pas la réparation idéale à un dommage qu'aucune sollicitude ni paquet d'argent calculé selon des barèmes éminemment humanistes, ne sauraient pourvoir ? Quand un nouvel Isaac Asimov prendra défense de ces nouvelles créatures de Frankenstein ? On attend avec impatience la prochaine trilogie de Mike Resnick…

En conclusion et pour en revenir à L'Odyssée de l'espèce, voici un roman  ambitieux, un bon roman, incontestablement plus achevé que ses deux précédents épisodes. Peut-être un rien brouillon (d'autres écriraient touffu), il offre cependant et sans contestes suffisamment de pistes pour captiver quiconque. Alors, si en plus vous êtes collectionneur, n'hésitez pas plus longtemps.

Saphyr d'Antiter

« Ils crurent d'abord traverser un musée de cire mais rapidement ils se rendirent compte qu'ils passaient à côté d'hommes et de femmes figés, qu'on aurait abandonnés après les avoir vidés de leur substance et dont les yeux grands ouverts semblaient contempler le vide pour l'éternité…

– Ces gens sont comme des vêtements entreposés dans un placard… »

Quatorzième et ultime chapitre des aventures de Rohel le Vioter, Saphyr voit le retour du chevalier des étoiles muni du Mentral, la formule mentale dévastatrice qu'il compte livrer aux monstrueux envahisseurs Garloups en échange de sa bien-aimée

Comme d'habitude, les scènes de survie dans le désert, les créatures extraterrestres, la peinture de la civilisation des Cælectes sont particulièrement réussies. Les descriptions de massacres et autres tortures gratuites perpétrées par les méchants sont complaisamment choquantes mais, naturellement, toute cette violence sied à la bassesse ici perversion des ennemis du héros.

Là où les choses se gâtent un tout petit peu, c’est l'éternel et redondant décalque de l’intrigue de base d'un roman Rohel — Rohel se trouve sur une planète plus ou moins contraint et forcé ; il y rencontre une somptueuse femme, de trop rares autochtones adhèrent à son parti ; les mêmes autochtones s’en prennent plein la figure et notre héros débarrasse l'univers de quelques mécréants. On remarquera malgré tout une différence notable, cette fois : Rohel a complètement oublié ces fameuses poires remplies de substances « soumissives » qui garnissent habituellement les parties anatomiques les plus intimes des superbes créatures croisant systématiquement sa route (le chanceux !). Oubliée donc la précieuse énergie virile que le héros s'efforçait de préserver à travers tant et tant d'aventures.

Plus gênant est l'impression tenace qu'entre prophéties, interventions divines, coïncidences extraordinaires et foi qui sauve, ce qui semble faire la différence entre « Rohel triomphe » et « Rohel se plante magistralement », c'est avant tout la volonté arbitraire de l'auteur. Pas vraiment ici de complexe alchimie entre situations, obstacles, motivations, stratégies, dilemmes, décisions et initiatives des protagonistes.

Enfin, la nature des fameux Garloups révélés, on ne peut s'empêcher de penser que l'esprit humain a décidément tendance à tout ramener à lui. Ces histoires de lutte éternelle du Bien et du Mal, qu'elles s'illustrent en Fantasy ou dans les Space Opera les plus populaires (« Utilise la Force, Luke ») ont un rien tendance à faire oublier que le Mal, ou ce qu'on qualifie comme tel, n'existe pas sans causes même à l'état de pur fantasme. A-t-on jamais vaincu une hydre sans s'interroger sur sa nature et ce qui fait sa force?

Malgré tout et comme toujours, cette aventure de Rohel reste très divertissante : à lire pour la détente.

Naalia de Sanar

« Naalia avait encore du mal à réaliser l’inconcevable vérité. Ils ne se trouvaient pas quelque part à proximité du cercle polaire boréal, comme elle l'avait déduit du parcours effectué en pays Sirkatô, mais à des milliers de lieues plus à l'est. Cela signifiait donc que les distances entre les « portes » n'étaient pas identiques en terre occitanienne et en pays Sirkatô. Autrement dit dans ce monde… et dans l'autre. »

Bienvenue sur les rivages incertains de la Science-Fantasy.

La Geste du Halaguen se présente comme une vaste fresque bourrée de cartes et de mots étranges, sans doute pour le plaisir de devoir régulièrement interrompre sa lecture histoire de comprendre exactement de quoi on parle… hum.

Mis à part cet détail un rien crispant, côté Fantasy, ce sont ces armées barbares qui pillent et massacrent les rares îlots de civilisation médiévalisantes des contrées sauvages ; ces luttes sans fin contre une nature résolument hostile qui conduisent les caravaniers écartés aux pires extrémités; ou encore ces gardiens démiurges enlevant des nouveau-nés aux destins extraordinaires bien que toujours près d'être sérieusement compromis.

Côté Science maintenant, c'est cette fracture dimensionnelle qui conduit à faire boucler une route, voire à passer d'un univers à l'autre semer ses poursuivants. Ou pourquoi pas, cette bague magique à identification palmaire,  ordinateur et modem intégré… que l’héroïne a la faiblesse de confondre avec un anneau de souhait tout droit venu des mondes d’Advanced Donjons & Dragons (« Oh mon chevalier adoré, prend cet anneau qui te protégera des armées du roi barbare… »).

Mais je ne vais pas vous dévoiler les mille et une péripéties somme toute assez prenantes, qui émaillent un récit à l'intrigue en en forme de collier de perles enfilé sur une trame de base. À savoir Naalia de Sanar, femme de compagnie de Dame Paléade de Bageston, hérite inopinément d'un bébé apporté par un mystérieux voyageur lorsque la dite Dame Paléade se retrouve massacrée par les gens du sanguinaire Séquançaire, chef des hordes barbares lancées sur l'Occitanie. Manque de chance pour Naalia, le bébé est censé, dans un futur plus ou moins éloigné, abattre le fameux Séquançaire selon un augure prononcé par un non moins mystérieux sorcier. Dans sa fuite, Naalia et ses amis trébucheront sur quelques épreuves plus ou moins reliées à histoire de départ, et à la structure bien particulière de l'univers du Halaguen.

Et tout ça donne un roman de Science-Fantasy où l'on croisera des donjons tronçonneurs (fleurant bon les « cent et un pièges de Grimtooth », pour les connaisseurs) aux fondations enracinées dans un autre monde, des fantômes d'extraterrestres en quête de corps à posséder, le tout mâtiné de numérologie et de forces telluriques. Si écrire de la Science-Fiction implique de suivre une logique (pseudo) scientifique d'un bout à l'autre, et si écrire de la Fantasy implique de suivre une logique (pseudo) mythologico-éthnologico-occulto-légendaire, on tendrait presque à croire que faire de la Science-Fantasy consiste à mélanger l'un et l'autre, comme ça vient.

Bref, une fois accepté le principe de ces «territoires de l'incertitude », les malheurs de Naalia font tout de même leur petit effet et ce premier tome thésaurise plutôt correctement les chances de passionner un lecteur en mal d'histoires aventureuses.

Parleur

« Il n’y a pas d’issue, Parleur. Ils ont le pouvoir, ils ont les armes, ils ont tout. Nous pouvons faire ce que nous voulons, nous ne les intéressons pas. Ils sont dans un monde et nous dans un autre. Quoi que nous tentions, c’est perdu d’avance. »

Roman de fantasy d'un des auteurs francophones de S-F les plus côtés, Parleur est d'abord, et avant tout, une utopie nous narrant comment, poussée par la verve d'un héros au nom éponyme du présent bouquin, une petite communauté, cantonnée sur une colline surplombant une cité médiévale, va développer sa conscience politique à la faveur d'une terrible famine. De quelle manière passer de la passivité civique parfaite à une responsabilité et un esprit de corps triomphant de l'intérêt personnel égoïste ? La question est posée.

La première chose qui frappe, à la lecture de Parleur, c'est la qualité stylistique de la narration. On remarquera que c'est bien là la moindre des choses, surtout quand le récit suit le point de vue de la sπur biographe d'un poète et agitateur politique de talent. Quoiqu'il en soit, force est de noter combien le style et la mise en scène d'Ayerdhal se sont améliorés depuis l'aride Ballade Choreïale.

En revanche, on se permettra d'émettre quelques menues réserves sur le traitement des dialogues. Comment ne pas s'étonner, en effet, de l'omniprésence d'un vocabulaire familier et argotique en droite ligne inspirée de notre fin de XXe siècle (l'auteur nous fait, malgré tout, grâce du verlan…) ? Voilà qui a de quoi choquer en Fantasy médiévale, où l'on s'attendrait à plus pittoresque. Toutefois bien sûr le recours à pareil anachronisme n'est pas sans avantage il rend les personnages et leurs préoccupations plus facilement compréhensibles, de fait incontestablement plus proches du lecteur.

 Concernant les personnages, justement, le caractère utopique (archétype), là encore, ne fait aucun doute. Ainsi les très « ayerdhaliens » Vini la maternelle (une « écrivaine » publique, sœur de Karel, poète contestataire martyre), Haiween « La Mante » (milicienne quasi psychopathe), roussette sanguine amoureuse éperdue, et enfin Parleur lui-même, beau comme un légionnaire et plus polyvalent que Capitaine Flamme et Doc Savage réunis. Viennent après quoi quantité de bonnes gens (les « Collinards »), que Parleur sera presque toujours à même de raisonner, généralement sans trop avoir à gérer des problèmes de communication insurmontable, débilité primaire voire psychopathie plus ou moins prononcée. La place ici n'est pas à la « langue de bois ». Tous les protagonistes « parlent vrai » à tel point que l'ensemble perd parfois en vraisemblance, surtout au regard de ce que l'on sait de nos jours en matière de politique. Oui, définitivement, Parleur est une utopie, avec tout que cela implique d'irréalisme.

Enfin on remarquera que Parleur n’a de Fantasy que le cadre — ce qui ne signifie pas, c'est entendu, que cela soit suffisant pour le qualifier d'autre chose. Nous sommes dans un royaume imaginaire, aux institutions (la Ghilde, le Dogme…) imaginaires. Mais de magie certifiée, de dragons, elfes et petits hommes aux pieds velus, point il pas plus que de beurre en broche. Quelques effets pyrotechniques, oui. D'un côté, cela évite de nous détourner du sujet de réflexion principal. De l'autre, la démarche aura être privé le roman d'atours plus ludiques, romanesques, fantasystes. Ce qui n'aurait forcément gâché la fable.

Reste, malgré tout, un livre de qui pas fondamentalement enivrant mais indéniablement personnel.

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